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Date : 20120223

Dossier : IMM‑4500‑11

Référence : 2012 CF 255

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

LUISA FERNANDA AYALA NUÑEZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 16 juin 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention (la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 6) ou celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Les faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Colombie qui affirme craindre avec raison d’être persécutée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). En novembre 2006, la mère de la demanderesse a reçu des menaces des FARC parce qu’elle essayait de vendre une propriété présumément utilisée par les FARC. La demanderesse a également reçu des menaces. Elle affirme que sa mère a cessé de travailler à la vente de la propriété et qu’elle a signalé les menaces à la police.

 

[3]               La demanderesse allègue que le 27 novembre 2009, sa mère et elle ont entendu des cris provenant de la maison de leur voisin et qu’elles ont vu plusieurs hommes qui semblaient appartenir aux FARC en faire sortir leur voisine, une jeune fille. La demanderesse affirme qu’après avoir vu un des hommes en question se diriger vers leur maison, sa mère et elle se sont enfuies par une fenêtre et se sont cachées. Les hommes ont fouillé leur maison en criant le nom de la demanderesse. La demanderesse et sa mère se sont rendues au commissariat de police, mais les policiers leur ont dit qu’ils étaient impuissants contre les FARC.

 

[4]               La mère de la demanderesse a alors envoyé celle‑ci vive à Bogota avec sa grand‑mère. La demanderesse et sa mère ont continué à recevoir des menaces par téléphone. Après avoir découvert une lettre de menaces au domicile de la demanderesse, sa mère a décidé de l’envoyer au Canada. La demanderesse est arrivée au Canada le 4 juin 2010 et a demandé l’asile le 7 juin 2010. Elle explique que sa mère a continué à recevoir des menaces des FARC et qu’elle s’est de nouveau adressée à la police, mais qu’on lui a dit une fois de plus qu’on ne pouvait pas la protéger contre les FARC.

 

La décision contrôlée

[5]               Dans les motifs de sa décision datée du 16 juin 2011, la Commission a estimé que la question déterminante était celle de la possibilité d’obtenir la protection de l’État.

 

[6]               La Commission a examiné les principes à appliquer dans l’analyse de la protection de l’État, notamment la présomption suivant laquelle l’État est en mesure de protéger ses citoyens; elle a rappelé que cette présomption ne peut être réfutée que par des éléments de preuve clairs et convaincants et que, dans une démocratie fonctionnelle comme la Colombie, un demandeur d’asile ne peut simplement se contenter de démontrer qu’il s’est adressé aux autorités policières et que ses démarches ont été infructueuses, mais qu’il doit avoir épuisé tous les recours qui lui étaient raisonnablement ouverts.

 

[7]               La Commission a ensuite examiné la preuve documentaire portant sur la capacité de la Colombie de protéger ses citoyens contre les FARC. La Commission a reconnu les défis que pose depuis longtemps en Colombie la lutte contre les FARC, mais a estimé que des progrès avaient été accomplis au cours des dernières années grâce aux efforts accrus déployés par l’armée et la police. La Commission a conclu que la taille et la force des FARC avaient diminué et qu’on assistait à une baisse de la criminalité, et notamment à une diminution du nombre d’homicides, d’enlèvements et d’extorsions.

 

[8]               La Commission a reconnu qu’il existait des problèmes de corruption policière et de collusion avec les FARC, mais a estimé que l’État avait pris des mesures pour régler ce problème et punir les responsables. Par exemple, la Commission déclare, au paragraphe 14 :

Dans certains secteurs, comme Antioquia, Cordobra, Narino et Meta, des membres des forces armées et policières auraient continué de commettre des malversations avec de nouveaux groupes armés illégaux qui comprenaient d’anciens membres de groupes paramilitaires. Bien que l’impunité de ces militaires et de ces policiers pose toujours problème, le ministère de la Défense a mené des enquêtes et a livré les parties coupables aux autorités civiles dans plusieurs affaires qui impliquaient des hauts gradés.

 

 

[9]               La Commission a signalé qu’il existait des éléments de preuve contradictoires en ce qui concerne la question de savoir si les FARC pourchasseraient les victimes qui sont parties vivre ailleurs ou qui reviennent en Colombie après une longue absence. La Commission a fait observer que, suivant les éléments de preuve relatifs aux démarches entreprises par les FARC pour retrouver leurs victimes, seules les personnes ayant une grande valeur aux yeux des FARC seraient probablement recherchées. La Commission a également relevé des éléments de preuve suivant lesquels les FARC n’étaient pas en mesure de retrouver les victimes qui ont déménagé.

 

[10]           La Commission a conclu, suivant la preuve documentaire, que la demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants pour démontrer qu’elle ne pouvait compter sur la protection de l’État. La Commission a mentionné le témoignage de la demanderesse suivant lequel sa mère et elle s’étaient adressées à la police, qui avait avoué son impuissance devant les FARC; toutefois, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas cherché à obtenir, notamment au niveau de l’État ou au niveau fédéral, la protection d’une autre instance qui, suivant la preuve documentaire, aurait peut‑être été plus en mesure de la leur offrir.

 

[11]           La Commission a également relevé plusieurs contradictions et invraisemblances dans le témoignage de la demanderesse. La Commission a estimé que la dénonciation de novembre 2006 déposée par la mère de la demanderesse était vague en ce sens qu’elle ne permettait pas de savoir si les menaces provenaient effectivement des FARC, alors que la dénonciation de novembre 2009 précisait explicitement que les menaces étaient le fait des FARC. La Commission a également fait observer que les détails de l’incident qui étaient relatés dans le témoignage de la demanderesse étaient différents de ceux mentionnés dans la dénonciation de novembre 2009.

 

[12]           La Commission a conclu qu’il y avait des contradictions dans certaines parties du témoignage de la demanderesse, notamment en ce qui concerne le moment où la fille l’avait abordée pour lui transmettre les menaces des FARC. La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, et la Commission a rejeté la demande d’asile.

 

Question en litige

[13]           La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État était raisonnable.

 

Analyse

[14]           La demanderesse conteste plusieurs des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité. Je suis d’accord avec elle pour dire que certaines de ces conclusions étaient erronées. Cette conclusion n’aide cependant pas la demanderesse. La question cruciale est celle de la protection de l’État et la réponse à cette question est indépendante de la question de la crédibilité.

 

[15]           La Commission a procédé à un examen approfondi et nuancé des éléments de preuve documentaire relatifs à la protection de l’État en Colombie. La Commission a reconnu que l’État devait continuer à lutter contre les FARC et la corruption au sein de la police et a elle également reconnu que certains éléments de preuve étaient contradictoires. La Commission a toutefois conclu que, suivant la prépondérance de la preuve, la Colombie avait accompli des progrès dans sa lutte contre les FARC et qu’en conséquence, la criminalité était à la baisse et que la capacité de l’État de protéger ses citoyens s’était sensiblement améliorée. La Commission a cité à l’appui de ces conclusions de nombreux éléments de preuve documentaire.

 

[16]           Ainsi, contrairement à ce que prétend la demanderesse, il ne s’agit pas d’une décision dans laquelle la Commission a utilisé des formules toutes faites pour se prononcer au sujet de la protection de l’État sans examen véritable de la preuve. La Commission a effectivement examiné soigneusement les éléments de preuve contradictoires, les a attentivement soupesés et a tiré une conclusion qui était raisonnable et bien étayée.

 

[17]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve. Plus précisément, la demanderesse affirme que la décision de la Commission était déraisonnable parce qu’elle ne mentionne pas la Réponse à la demande d’information la plus récente concernant les FARC, ainsi qu’un rapport détaillé au sujet des FARC intitulé Continued Insecurity: Documenting the Permanence of the FARC‑EP within the Context of Colombia’s Civil War.

 

[18]           Aucun de ces arguments n’est convaincant : sur le fond, la Réponse à la demande d’information ne diffère pas des autres éléments de preuve mentionnés par la Commission dans son analyse; comme les autres éléments de preuve, ce document affirme que les FARC constituent un problème persistant pour l’État, tout en signalant que les FARC se sont affaiblis au cours des dernières années et qu’elles sont moins bien organisées par suite des mesures prises par l’armée et la police. Je suis donc d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission a tenu compte de la teneur de la preuve contraire et que le fait qu’elle n’a pas mentionné ces éléments de preuve précis ne constitue pas une erreur (Gilbert c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1186, au paragraphe 34).

 

[19]           En ce qui concerne le rapport Continued Insecurity, la Commission renvoie en fait à ce document dans son analyse. Elle signale le témoignage d’un professeur de sociologie de l’Université Acadia dans son analyse de certains des éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion. Ainsi, bien que la Commission ne cite pas nommément le rapport, il est évident qu’elle en a tenu compte dans son analyse, mais qu’elle a estimé que d’autres éléments de preuve avaient plus de poids.

 

[20]           Le défaut des autorités locales d’offrir la protection de l’État n’est pas déterminant pour ce qui est de la question en litige. La question du refus d’offrir une protection doit être abordée de la même manière que celle de l’incapacité d’offrir une protection, notamment au niveau national (Zhuravlvev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 3). La Commission a conclu, au vu de la preuve documentaire, que la demanderesse aurait pu compter sur la protection de l’État si sa mère et elle avaient cherché à l’obtenir d’une autre instance ou au niveau de l’État ou au niveau fédéral après avoir constaté que la police locale ne pouvait les aider.

 

[21]           En ce qui concerne le caractère déraisonnable de la conclusion de la Commission suivant laquelle, en tant que mineure, la demanderesse aurait pu s’adresser à l’armée ou à d’autres instances gouvernementales pour obtenir leur protection, la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de penser que la mère de la demanderesse savait effectivement comment aborder l’armée. La Commission ne s’attendait pas à ce qu’en tant que mineure, la demanderesse cherche à obtenir une protection, mais il était raisonnable de la part de la Commission de s’attendre à ce que sa famille le fasse à sa place (voir, par exemple, Velasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 109, au paragraphe 22 et Osorio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 37, au paragraphe 38, pour une application semblable de ce principe).

 

[22]           Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion (Kadenko c Canada (Solliciteur général) (1996), 143 DLR (4th) 532, aux paragraphes 5 et 6). Je n’accepte donc pas l’argument de la demanderesse suivant lequel la Commission n’a pas tenu compte des démarches que sa mère et elle ont entreprises pour obtenir la protection de l’État. Bien que la Commission affirme à tort quelque part dans ses motifs que c’était à la demanderesse et non à sa mère d’entreprendre des démarches pour obtenir la protection de l’État, je considère qu’il s’agit là d’une erreur commise par inadvertance et j’estime que, dans l’ensemble, il ressort des motifs de la Commission que celle‑ci était consciente du fait que la demanderesse était mineure au moment des faits et que c’était sa mère qui devait solliciter la protection de l’État en son nom.

 

[23]           Par conséquent, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que la protection de l’État était offerte et sa décision peut être confirmée sur ce fondement, indépendamment des erreurs dont sont entachées ses conclusions au sujet de la crédibilité.

 

[24]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4500‑11

 

INTITULÉ :                                                   LUISA FERNANDA AYALA NUÑEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 24 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 23 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Byron Thomas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Byron Thomas

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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