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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20120223

Dossier : IMM-4995-11

Référence : 2012 CF 251

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2012

 

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

MAYOORAN SELVALINGAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 4 juillet 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , LC 2001, c 27 (la Loi), ni de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi. Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 

I. Le contexte

[2]               Le demandeur est un Tamoul du nord du Sri Lanka. Il était âgé de 24 ans lorsqu’il a présenté une demande d’asile au Canada, en février 2010.

 

[3]               Sa demande est fondée sur la crainte des Tigres de Libération de l’Eelam tamoul  (TLET), l’organisation militaire et paramilitaire du Sri Lanka appelée Parti démocratique populaire de l’Eelam (PDPE). Le demandeur a prétendu qu’il risquait d’être persécuté par les militants tamouls et par l’armée cingalaise. Le demandeur a fait le récit des événements dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[4]               En 2001, le demandeur a été contraint, ainsi que tous les étudiants de son école, d’écouter des discours donnés par les membres des TLET. À leur retour de l’école, tous les étudiants ont été interceptés par des soldats qui ont vérifié leur identité et leur ont ordonné de rester debout au soleil pendant une ou deux heures avant de les laisser partir.

 

[5]               En juin 2006, le père du demandeur a été enlevé par le groupe militant tamoul du PDPE, puis relâché après le paiement d’un pot-de-vin. En août de la même année, le frère du demandeur a été arrêté par l’armée et battu pendant qu’il était en détention.  

 

[6]               La situation du demandeur s’est aggravée en 2007. Il a raconté que l’armée lui a barré la route au moins 10 fois lorsqu’il se rendait au travail ou en revenait. À quelques occasions, il a été giflé.

 

[7]               En avril 2007, il a été arrêté par l’armée suite à l’explosion d’une bombe devant sa maison. Il a été accusé de connaître la personne (tigres) qui avait placé la bombe. Même s’il a prétendu qu’il n’était au courant de rien, il a été battu, puis à un moment donné, il a été poussé contre un mur et s’est cassé des dents.

 

[8]               Lui et son frère ont décidé de s’enfuir du Sri Lanka, mais son père n’avait pas les moyens de les faire sortir tous les deux du pays. Le père a décidé de faire sortir le frère du demandeur parce qu’il était l’aîné. Son frère est parti en juin 2007 et s’est rendu au Canada où il a obtenu l’asile.

 

[9]               En décembre 2007, le demandeur a été arrêté par des militaires, en compagnie d’un ami, et détenu pendant une heure. Les militaires ont vérifié leur identité et ont découvert que l’ami du demandeur était de Jaffna; ils ont tous deux été agressés avec la crosse d’une arme.

 

[10]           À l’audience devant la Commission, le demandeur a déclaré avoir également été arrêté par les militaires en septembre 2007. Il a affirmé avoir été intercepté à son retour du travail, battu et détenu pendant une heure.

 

[11]           Le demandeur a quitté le Sri Lanka en mars 2008 pour se rendre aux États-Unis. Il a été détenu à son arrivée aux États-Unis et est demeuré en détention pendant une période d’un an et sept mois. Pendant qu’il était aux États-Unis, il a présenté une demande d’asile qui a été rejetée. Il a interjeté appel de cette décision. Son appel a été accueilli et son dossier a été renvoyé pour un nouvel examen. Il a été remis en liberté avant le réexamen de son dossier et est parti au Canada avant la date d’audience. 

 

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[12]           La Commission a conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté pour l’un des motifs de la Convention mentionnés à l’article 96 s’il retournait au Sri Lanka. La Commission a également statué que le demandeur n’avait pas la qualité de personne à protéger au sens des alinéas 97(1)a) ou b) de la Loi.

 

[13]           La Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables relativement à la crédibilité du demandeur. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas été crédible à l’audience relative à sa demande d’asile parce que son témoignage était vague et nébuleux. De plus, il a fourni très peu de renseignements et n’a soumis aucun document à l’appui de ses allégations. Cependant, pour les besoins de la présente décision, il n’est pas nécessaire de s’étendre davantage sur les conclusions défavorables de la Commission concernant sa crédibilité. 

 

[14]           La Commission a procédé à des analyses distinctes relativement à l’article 96 et relativement à l’article 97.

 

[15]           En ce qui concerne l’analyse relative à l’article 96, la Commission a conclu que le fait d’avoir dû écouter un discours des TLET une seule fois à l’école en 2001 ne constituait pas de la persécution de la part des TLET. Par ailleurs, la Commission a jugé que les expériences que le demandeur a vécu avec les militaires n’étaient pas assimilables à de la persécution compte tenu du climat volatile qui règne au Sri Lanka à ce moment. Selon la Commission, ces expériences pouvaient constituer de la discrimination ou du harcèlement, mais n’atteignait pas le niveau de la persécution. La Commission a également conclu que le comportement du demandeur ne correspondait pas à de la peur subjective pour sa vie et que le demandeur était à la recherche d’un tribunal plus accommodant.

 

[16]           De plus, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était une personne d’intérêt pour l’armée compte tenu de ce qui se passait au Sri Lanka à ce moment-là. D’après la preuve documentaire relative à la situation qui a cours au Sri Lanka, la Commission a reconnu que les Tamouls sont toujours victimes d’injustices et de harcèlement, souvent au su du gouvernement, mais a conclu que le demandeur n’a pas établi qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans le futur.

 

[17]           La Commission a également évalué la demande du demandeur fondée sur l’article 97 de la Loi. Premièrement, la Commission a conclu que la preuve ne donnait pas à penser qu’il serait exposé à un risque de torture au sens de l’article 1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Deuxièmement, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas démontré que, selon toute vraisemblance, il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements et peines cruels et inusités s'il retournait au Sri Lanka. La Commission a mentionné le changement important de la situation politique au Sri Lanka. Tout en reconnaissant que la situation n’est pas entièrement réglée, la Commission a conclu que, compte tenu du profil du demandeur et de sa situation personnelle, il n’avait pas établi qu’il serait ciblé personnellement pour un motif quelconque ou que l’armée ou un autre groupe s’intéresserait particulièrement à lui s’il retournait au Sri Lanka.

 

[18]           En conclusion, la Commission a jugé que, subsidiairement, une possibilité de refuge intérieur s’offrait au demandeur. La Commission a indiqué que les parents et les sœurs du demandeur demeurent toujours au Sri Lanka et n’ont eu aucun problème. La Commission a conclu que le demandeur n’a pas réfuté la possibilité qu’il puisse se trouver un logement et un emploi à Colombo ou Kandy. La Commission a indiqué que la situation s’était améliorée récemment au Sri Lanka et que les exigences concernant l’enregistrement avaient été assouplies dans de nombreux endroits, ce qui permettrait au demandeur de se relocaliser plus facilement.

 

III. Les questions en litige

[19]           Le demandeur a soulevé plusieurs questions, mais elles se résument toutes à la question de savoir si les conclusions de la Commission sont raisonnables.

 

IV. La norme de contrôle

[20]           Ni le demandeur, ni le défendeur n’a présenté d’arguments concernant la norme de contrôle applicable. Cependant, il est bien établi dans la jurisprudence que la norme de contrôle qui s’applique est celle du caractère raisonnable lorsque les litiges portent sur des questions de fait et de crédibilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], Tellez Picon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 129, paragraphe 6 (disponible sur CanLII); Osman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 921, paragraphe 28 (disponible sur CanLII) ou les PRI

(Vargas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 367, paragraphe 20 (disponible sur CanLII); Medina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1148, paragraphes 13 et 14 (disponible sur CanLII).

 

V. L’analyse

[21]           Le demandeur a contesté à plusieurs égards les conclusions tirées par la Commission relativement à la crédibilité à plusieurs égards, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’analyser en détail les arguments du demandeur puisque la présente demande aurait été rejetée même si la Commission n’avait pas tiré de conclusions négatives à l’égard de la crédibilité.

 

[22]           Le demandeur a également contesté l’analyse de la Commission relative à l’article 96 de la Loi. Il a prétendu qu’il n’était pas tenu de démontrer qu’il avait été ciblé ou persécuté personnellement dans le passé ou qu’il serait lui-même persécuté dans le futur. Il lui suffisait de démontrer que sa crainte résultait d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis à l’égard des membres d’un groupe auquel il appartient. Le demandeur a invoqué l’arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1990] 3 CF 250, paragraphe 258, 73 DLR (4th), au paragraphe 551, pour étayer cet argument.

 

[23]           À l’audience devant la Commission, l’avocat du demandeur a fait valoir que le fait d’être un jeune Tamoul du nord était suffisant pour justifier l’octroi de l’asile. Il a fondé cette affirmation sur l’allégation que le gouvernement considérait toujours les Tamouls comme un danger potentiel parce qu’ils pouvaient aider les TLET à reprendre vie et à constituer de nouveau une menace. Cependant, à l’audience devant la Cour, l’avocate du demandeur a adopté une autre approche. Elle a reconnu que les Sri-lankais n’étaient pas tous exposés à un même risque et que le fait d’être un jeune Tamoul du nord n’était pas suffisant pour justifier l’octroi de l’asile. Cependant, elle a prétendu que le « groupe social » visé était un groupe composé de jeunes Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET. Elle a fait valoir que la preuve documentaire relative à la situation dans le pays établit que les Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET sont toujours exposés au risque de persécution et que le demandeur correspond à ce profil.

 

[24]           L’argument du demandeur comporte une lacune fatale du fait que, à mon avis, la preuve ne pourrait pas raisonnablement étayer l’affirmation selon laquelle à son retour au Sri Lanka, le demandeur serait considéré comme une personne soupçonnée d’avoir ou d’avoir eu des liens avec les TLET. L’unique contact du demandeur avec les TLET en 2001 et ses arrestations et sa détention en 2001 et 2007 ont été examinés en tenant compte de la situation politique au Sri Lanka à cette époque. Par ailleurs, le risque devant être évalué est prospectif et doit donc être analysé en fonction des changements de la situation au Sri Lanka. C’est exactement ce que la Commission a fait et, à la lumière de la preuve, il était tout à fait raisonnable pour elle de conclure que le demandeur n’avait pas établi que les TLET ou l’armée s’intéressaient particulièrement à lui lorsqu’il a quitté le Sri Lanka ou qu’ils s’intéressaient à lui s’il retournait au pays. Par ailleurs, en ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle il a été persécuté personnellement, il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission d’examiner cette allégation, et sa conclusion selon laquelle les incidents vécus par le demandeur n’étaient pas assimilables à de la persécution est raisonnable.

 

[25]           De plus, la Commission pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait exposé à un risque de torture à son retour au Sri Lanka. Il était également raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur ne serait vraisemblablement pas exposé personnellement à une menace à sa vie et à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, parce qu’il n’avait pas démontré que, compte tenu de la situation réelle au Sri Lanka, le gouvernement le ciblerait ou s’intéresserait particulièrement à lui.

 

[26]           Par ailleurs, rien dans la preuve ne permet de conclure que le demandeur serait exposé au risque d’être victime des TLET ou du PDPE. 

 

[27]           Par conséquent, le raisonnement et les conclusions de la Commission peuvent se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, paragraphe 47), et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner plus en profondeur les conclusions de la Commission concernant l’existence d’une PRI.

 

[28]           Les parties n’ont proposé aucune question pour certification, et aucune n’a été soulevée en l’espèce.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4995-11

 

INTITULÉ :                                       MAYOORAN SELVALINGAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 février 2012

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Bédard

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 23 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nilufar Sadeghi

Viken G. Artinian

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Allen & Associates

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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