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Date : 20120227


Dossier : IMM-3585-11

Référence : 2012 CF 269

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 février 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

GEMMA ABONITA AZURIN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en vue de faire annuler une décision rendue le 4 février 2011 par un agent d’immigration [l’agent] du centre de traitement des demandes (CTD) de Vegreville, en Alberta. L’agent s’est fondé sur le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], pour rejeter la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des aides familiaux.

I.          Contexte et décision faisant l’objet du contrôle

[2]               Mme Gemma Abonita Azurin [la demanderesse], une citoyenne des Philippines, a déménagé au Canada en 2002 pour travailler dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants. La demanderesse n’est pas retournée aux Philippines ni n’a vu de membre de sa famille depuis son arrivée au Canada.

[3]               Le 1er avril 2005, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux. Dans sa demande, elle mentionnait quatre enfants et un mari, M. Napoleon Azurin (dossier d’instruction [DI], à la page 154).

[4]               Dans une lettre datée du 30 janvier 2006, le CTD a informé la demanderesse qu’elle satisfaisait aux conditions d’admissibilité à la résidence permanente en tant que membre de la catégorie des aidants familiaux, mais qu’une décision définitive serait rendue uniquement quand toutes les autres formalités auraient été accomplies, y compris les vérifications des antécédents de tous les membres de la famille, qu’ils aient l’intention de rejoindre la demanderesse au Canada ou non (dossier de la demanderesse [DD], à la page 100).

[5]               Dans une lettre datée du 13 septembre 2007, la demanderesse a informé le CTD qu’elle avait découvert récemment que son mariage avec M. Azurin était frappé de nullité parce que celui‑ci était déjà marié à quelqu’un d’autre. Cette nouvelle avait choqué et atterré la demanderesse, qui voulait retirer M. Azurin de sa demande (DD, à la page 102). La demanderesse avait joint à sa lettre un affidavit, dans lequel elle précisait que M. Azurin avait épousé une autre femme le 19 mars 1988, un peu plus d’un mois avant qu’il n’épouse la demanderesse, le 24 avril 1988. Elle déclarait également qu’elle ne voulait plus parrainer M. Azurin et se définissait dorénavant comme le chef du ménage (DD, à la page 103). La demanderesse ajoute maintenant qu’elle a informé M. Azurin de la fin de leur relation en septembre 2007 et qu’ils n’entretiennent plus de relation conjugale depuis ce temps (DD, à la page 86, affidavit de la demanderesse [AD], aux paragraphes 8 et 9).

[6]               Par la suite, dans une lettre datée du 21 octobre 2008, le CTD a présenté à la demanderesse la définition du terme « conjoint de fait » énoncée au paragraphe 1(1) du Règlement, puis lui a demandé d’indiquer si M. Azurin était ou non son conjoint de fait au sens de cette définition et de donner des détails (DD, à la page 104).

[7]               La demanderesse a répondu par une lettre datée du 30 octobre 2008, dans laquelle se trouvait, sous la rubrique [traduction] « Historique de l’union de fait », le tableau suivant :

[traduction]

Historique de l’union de fait

Adresse

Observations

Du 24 avril 1988 au 9 octobre 2002

 

J’ai quitté les Philippines le 10 octobre 2002 pour aller travailler comme aide familiale résidante. Napoleon est resté pour s’occuper des enfants. Il a eu un accident de voiture en 2003 et n’a pas pu travailler pendant plus d’un an.

 

J’envoyais de l’argent régulièrement pour soutenir Napoleon et mes quatre enfants et pour permettre à mes enfants de poursuivre leurs études.

Sta. Cruz, Nabus, Camarines Sur, Philippines 3444 4434

Napoleon Azurin et moi vivons comme mari et femme depuis le 24 avril 1988. Nous avons vécu sous le même toit et eu la chance d’avoir quatre enfants :

 

1) Erwin Azurin, né le 8 septembre 1988;

2) Beverly Azurin, née le 4 juin 1990;

3) Brenda Azurin, née le 28 avril 1992;

4) John Paul Azurin, né le 3 février 2001.

La demanderesse reconnaît que les renseignements présentés dans ce tableau sont quelque peu déroutants (DD, à la page 143, exposé des arguments de la demanderesse [EAD], au paragraphe 16). Dans son affidavit, elle explique aussi qu’elle n’avait pas bien compris la lettre du CTD, à savoir ce qu’était une union de fait et les termes « vi[vre] avec » et « relation conjugale » figurant dans la définition donnée au paragraphe 1(1) du Règlement (DD, à la page 86, et AD, aux paragraphes 11 et 12). Quoi qu’il en soit, comme le révèlent clairement les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [STIDI], le CTD pensait que la lettre de la demanderesse confirmait l’union de fait (DI, à la page 35).

[8]               Le 7 juillet 2010, le CTD a envoyé une lettre à la demanderesse [la lettre d’équité] pour l’aviser de ce qui suit (DD, à la page 116) :

[traduction] D’après l’examen de votre dossier, il semble que votre demande de résidence permanente doive être refusée étant donné que vous ou un membre de votre famille ne respectez pas les conditions d’immigration […]

Plus précisément, à la suite de votre lettre du 30 octobre 2008, le bureau des visas de Manille nous a confirmé qu’il croyait qu’une union de fait authentique existait entre vous et Napoleon Azurin. Par conséquent, à titre de membre de la famille admissible, votre mari est susceptible de contrôle, et s’il est interdit de territoire, comme il est souligné ci‑dessous, vous pouvez l’être aussi et votre demande de résidence permanente peut alors être rejetée.

Le sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement prévoit que l’étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis : (i) ni lui ni les membres de sa famille – qu’ils l’accompagnent ou non – ne sont interdits de territoire.

Le CTD continue en citant les alinéas 36(1)c) et 36(2)c) de la LIPR qui portent sur la criminalité et parle ensuite des renseignements qu’il a reçus à propos de l’interdiction de territoire du conjoint de la demanderesse, énumérant des accusations de bigamie, de parjure et d’imprudence téméraire au volant. La lettre d’équité informe ensuite la demanderesse qu’elle peut répondre en présentant des observations écrites, dans les 60 jours (DD, à la page 116).

[9]               Le 19 août 2010, la demanderesse a répondu à la lettre d’équité en disant qu’elle voulait poursuivre sa demande pour tous les membres de sa famille qui étaient admissibles, mais réalisait cependant qu’elle ne pouvait inclure M. Azurin, car le traitement de sa demande pourrait alors être retardé, et la résidence permanente pourrait être refusée à elle et à ses enfants. La demanderesse conclut en demandant encore que sa demande et celle de ses enfants suive son cours (DD, à la page 119). Parce que la lettre d’équité précisait que le bureau des visas de Manille avait confirmé au CTD qu’elle vivait dans une union de fait authentique, ajoute maintenant la demanderesse, et parce qu’elle ne comprenait pas la signification du terme, elle a tenu pour acquis que le CTD avait raison de dire qu’elle vivait bel et bien en union de fait (DD, aux pages 87 et 88, AD, à la page 16).

[10]           Le 4 février 2011, l’agent a rendu la décision visée par le présent contrôle. Pour les mêmes motifs que ceux qui avaient été donnés dans la lettre d’équité, la demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée en vertu du sous‑alinéa 72(1)e)(i), aux termes duquel les membres de la famille, qu’ils accompagnent la demanderesse ou non, ne doivent pas être interdits de territoire. La lettre explique que M. Azurin, désigné comme le conjoint de fait de la demanderesse, était interdit de territoire pour cause de bigamie, de parjure et de conduite dangereuse et négligente ayant causé un accident (DD, aux pages 4 et 5).

[11]           Le 30 juin 2011, la demanderesse a reçu les résultats d’une demande d’accès à l’information et à des renseignements personnels, qui comprenaient un courriel envoyé au CTD par le bureau des visas de Manille le 28 novembre 2007. Dans ce courriel, l’agent d’immigration désigné, qui répondait apparemment à une demande de renseignements du CTD, informait celui‑ci des allégations de bigamie, de parjure et de conduite imprudente qui pesaient sur M. Azurin. L’agent a aussi écrit ce qui suit (DD, à la page 125) :

[traduction] D. MARIAGE NUL par opposition à RELATION CONJUGALE CONTINUE AVEC DRP

Dans son affidavit de septembre 2007, la demanderesse déclare que son mariage avec M. Azurin devrait être considéré comme nul parce que celui‑ci était déjà marié à une autre femme. Elle ajoute qu’elle souhaite par conséquent annuler la demande de parrainage de Napoleon. Or, les entrevues respectives du mari et du fils aîné ont révélé que les liens conjugaux étaient manifestement intacts. Il semble que la demanderesse tente seulement d’exclure son mari de sa demande pour faciliter son établissement et celui de ses enfants au Canada. En l’absence d’un jugement déclarant le mariage nul, tout mariage doit être tenu pour valide. À tout le moins, M. Azurin peut être considéré comme le conjoint de fait de la demanderesse, ce qui en fait un membre de la famille admissible susceptible de contrôle. Toute future tentative de la demanderesse d’établir la séparation ou de lancer une procédure de divorce devrait être examinée de très près.

E. CONCLUSION : Le mari, Napoleon, est interdit de territoire au Canada pour les motifs exposés ci‑dessus. Par conséquent, la demanderesse est également interdite de territoire aux termes de l’article 42. [Non souligné dans l’original.]

[12]           La demanderesse soutient que le courriel ne lui a pas été communiqué, ni le fait que les conclusions du bureau des visas de Manille étaient fondées sur des entrevues menées avec M. Azurin et l’un de ses enfants. Le 19 juillet 2011, un adjoint à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels a informé la demanderesse que le contenu des entrevues ne pourrait lui être communiqué sans le consentement des deux intéressés, de sorte que la demanderesse ne sait pas encore ce qui a pu se dire pendant les entrevues pour amener le bureau des visas de Manille à conclure que les liens conjugaux entre elle et M. Azurin étaient intacts.

II.        Positions des parties

[13]           La demanderesse soulève trois questions. Premièrement, l’agent a‑t‑il manqué au principe de l’équité procédurale en omettant d’informer la demanderesse des entrevues menées au bureau des visas de Manille avec M. Azurin et son fils et de leur contenu? Deuxièmement, était‑il raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse et M. Azurin vivaient en union de fait alors que la demanderesse avait affirmé, dans sa lettre et son affidavit de septembre 2007, qu’elle avait rompu cette union de fait? Troisièmement, l’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne procédant pas à une entrevue avec la demanderesse?

[14]           Pour sa part, le défendeur soutient que l’agent n’avait pas l’obligation d’aviser la demanderesse que le bureau des visas de Manille procéderait à des entrevues, que la demanderesse avait été informée du fait que son mari et son fils avaient été interrogés, et qu’elle avait eu la possibilité de répondre à la conclusion selon laquelle elle vivait en union de fait, occasion qu’elle n’avait tout simplement pas saisie. Le défendeur affirme que la conclusion de l’agent à propos de l’union de fait était donc raisonnable. En ce qui concerne l’absence d’entrevue avec la demanderesse, le défendeur soutient que les étrangers ont droit à un degré minimal d’équité procédurale, qu’accorder une entrevue n’est pas obligatoire et que l’agent n’est pas tenu de faire part de ses préoccupations au demandeur, à moins qu’elles ne soient fondées sur des éléments de preuve extrinsèque (Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, [2002] ACF no 1098 [Qin]). Le défendeur affirme que les entrevues ne peuvent être considérées comme des éléments de preuve extrinsèque étant donné qu’elles ont été menées auprès de membres de la famille dans le cadre d’une même demande.

III. Questions en litige

[15]           La présente affaire soulève trois questions :

1.      L’agent a‑t‑il manqué aux principes de l’équité procédurale en omettant d’informer la demanderesse des entrevues et de leur contenu?

2.      L’agent a‑t‑il manqué aux principes de l’équité procédurale en ne procédant pas à une entrevue avec la demanderesse?

3.      L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que la demanderesse et M. Azurin vivaient en union de fait?

IV. Norme de contrôle

[16]           Les deux premières questions ont trait à l’équité procédurale et doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte. S’il est conclu que l’agent a commis une erreur en omettant d’informer la demanderesse du contenu des entrevues menées auprès de son mari et de son fils ou en ne procédant pas à une entrevue avec elle, la décision sera annulée (Batica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 762, au paragraphe 5, [2006] ACF no 951 [Batica], et Chitterman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 765, [2004] ACF no 955 [Chitterman]). La question de savoir si la demanderesse vivait en union de fait est une question mixte de fait et de droit devant être tranchée selon la norme de la décision raisonnable (Ortega c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 95, au paragraphe 11, [2010] ACF no 107). Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

V.        Analyse

A. L’agent a‑t‑il manqué aux principes de l’équité procédurale en omettant d’informer la demanderesse des entrevues et de leur contenu?

[17]           D’abord, même si la demanderesse reconnaît que le CTD lui a donné plusieurs possibilités de présenter des observations à propos de son union de fait supposée, elle affirme n’avoir jamais compris ce qui lui était demandé parce qu’elle ne comprenait pas la signification des termes « union de fait », « relation conjugale » et « vi[vre] avec ». La Cour ne peut tenir l’agent du CTD responsable de la possible ignorance de la demanderesse quant à ces termes. S’agissant de déterminer l’état de la relation que la demanderesse entretenait avec M. Azurin, le CTD a présenté à la demanderesse la définition du terme « conjoint de fait » énoncée au paragraphe 1(1) du Règlement, puis lui a demandé d’indiquer si M. Azurin était ou non son conjoint de fait au sens de cette définition et de donner des détails (DD, à la page 104). Si la demanderesse ne comprenait pas la définition énoncée dans le Règlement, il lui incombait de s’informer ou de demander des précisions au CTD avant de répondre.

[18]           Dans ses observations, la demanderesse reconnaît elle‑même que ce n’est pas la faute du CTD si elle n’a pas compris ce qui lui était demandé, mais elle accuse le CTD d’avoir exacerbé la situation en indiquant avoir reçu du bureau des visas de Manille la confirmation que la demanderesse vivait bien en union de fait. Elle blâme également l’agent de ne pas avoir divulgué les renseignements obtenus au cours des entrevues et dit que c’est pour cette raison que le bureau des visas de Manille a confirmé l’union de fait. Elle avance que parce qu’elle ne comprenait pas la signification du terme « union de fait » et qu’elle ignorait pourquoi le bureau des visas de Manille avait conclu à l’existence d’une telle union, elle a tout simplement tenu pour acquis qu’elle vivait bel et bien en union de fait, puisque le CTD l’avait confirmé (DD, à la page 153, EAD, au paragraphe 38). Ce raisonnement ne résiste pas à l’examen.

[19]           D’abord, dans une lettre datée du 30 janvier 2006, le CTD a informé la demanderesse qu’une décision définitive concernant sa demande serait rendue uniquement quand toutes les autres formalités auraient été accomplies, y compris les vérifications des antécédents de tous les membres de la famille, qu’ils aient l’intention de rejoindre la demanderesse au Canada ou non. La lettre avisait aussi la demanderesse que [traduction] « le bureau de Manille communiquera[it] avec les membres de [sa] famille » [non souligné dans l’original] (DD, à la page 100). La demanderesse n’aurait donc pas dû être surprise par le fait que le bureau de Manille ait pris contact avec M. Azurin et son fils.

[20]           Ensuite, la demanderesse affirme que c’est seulement en recevant une copie du courriel du 28 novembre 2007 qu’elle a été mise au courant des entrevues et du rôle qu’elles avaient joué dans la conclusion à laquelle était parvenu le bureau des visas de Manille à propos de l’union de fait, mais je peux difficilement concilier cette affirmation avec la lettre envoyée par la demanderesse au CTD, reçue le 9 juin 2008. Dans cette lettre, la demanderesse écrit ce qui suit : [traduction] « J’aimerais savoir où en est rendue notre demande. Je comprends que l’ambassade du Canada à Manille a déjà transmis les résultats de l’entrevue le 28 novembre 2007 » [non souligné dans l’original] (DI, au paragraphe 117). De toute évidence, la demanderesse était au courant d’au moins une des entrevues menées au bureau des visas de Manille, et elle savait que l’état de sa demande dépendait des résultats de l’entrevue et que ces résultats avaient été transmis au CTD le 28 novembre 2007. Que la demanderesse ait été au courant de seulement une des entrevues ne change pas grand‑chose, car le bureau des visas de Manille a clairement indiqué que les deux entrevues avaient mené à sa conclusion : [traduction] « Les entrevues respectives du mari et du fils aîné ont révélé que les liens conjugaux sont manifestement intacts » (DD, à la page 125). Les allégations de la demanderesse contredisent donc les éléments de preuve mentionnés ci‑dessus.

[21]           La demanderesse soutient que l’agent a manqué aux principes de l’équité procédurale en ne l’informant pas des entrevues et de leur contenu. Comme la preuve le confirme, la demanderesse était au courant d’au moins une des entrevues menées au bureau des visas de Manille et les résultats de cette entrevue lui avaient été communiqués. Elle savait que le bureau des visas de Manille avait conclu à l’existence d’une union de fait authentique.

[22]           La demanderesse soutient en outre qu’elle n’a pas eu la possibilité de faire valoir pleinement son point de vue sur un élément déterminant, c’est‑à‑dire la question de savoir si elle vivait ou non en union de fait avec M. Azurin, ni de réfuter les déclarations faites pendant les entrevues (Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205, 66 NR 8 (CAF) [Muliadi]; Batica, précitée, Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 818, [2011] ACF no 1022). Je ne suis pas influencé par ces décisions, car elles portent sur des éléments de preuve extrinsèque fournis par des tiers, ce qui n’est pas le cas ici. La demanderesse avait inclus M. Azurin et son fils aîné dans sa demande et semble être restée en contact avec eux tout au long du processus de demande. La preuve montre que la demanderesse était au courant d’au moins une des entrevues et savait que sa demande dépendait des résultats de cette entrevue, et qu’elle a eu la possibilité de répondre et de clarifier sa relation. La demanderesse ne l’a pas fait. Même si les entrevues étaient considérées comme des éléments de preuve extrinsèque, dans Muliadi, la Cour d’appel fédérale était d’avis que l’agent avait le devoir d’informer le demandeur des éléments de preuve extrinsèque et de lui donner une juste possibilité de corriger ou de réfuter ces éléments de preuve avant de rendre une décision (Muliadi, précitée, aux paragraphes 14 et 16). Je considère que cette exigence a été remplie quand la demanderesse a été informée de la conclusion du bureau des visas de Manille et qu’elle a eu la possibilité de corriger ou de réfuter cette conclusion. Par conséquent, je conclus que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne communiquant pas à la demanderesse le contenu des entrevues menées auprès de M. Azurin et de son fils.

B. L’agent a‑t‑il manqué aux principes de l’équité procédurale en ne procédant pas à une entrevue avec la demanderesse?

[23]           La demanderesse avance que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne la convoquant pas à une entrevue. Elle se fonde sur Chitterman, précitée, où la Cour a statué que si la tenue d’une audience n’est pas une exigence générale, ce peut être la seule façon équitable de dissiper les doutes d’un agent d’immigration lorsqu’il s’agit particulièrement de déterminer l’authenticité d’une relation. Le défendeur soutient pour sa part que les étrangers ont droit à un degré minimal d’équité procédurale, qu’accorder une audience n’est pas obligatoire et que l’agent n’est pas tenu de faire part de ses préoccupations au demandeur, à moins qu’elles ne soient fondées sur des éléments de preuve extrinsèque (Qin, précitée).

[24]           Dans les circonstances, je conviens avec le défendeur qu’il n’incombait pas à l’agent de procéder à une entrevue avec la demanderesse. La demanderesse n’avait pas droit à une audience pleine et entière (Muliadi, précitée, au paragraphe 16). La demanderesse a amplement eu la possibilité de clarifier l’état de sa relation, mais ne l’a tout simplement pas fait. Quand le demandeur omet de fournir une réponse adéquate, il n’incombe pas à l’agent d’enquêter plus à fond.

C. L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que la demanderesse et M. Azurin vivaient en union de fait?

[25]           La demanderesse soutient que l’agent ne s’est jamais vraiment demandé si la lettre et l’affidavit de septembre 2007 de la demanderesse établissaient qu’elle avait rompu sa relation conjugale, une possibilité reconnue à la section 5.37 du Guide opérationnel OP 2 de Citoyenneté et Immigration Canada, Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial [le guide]. Selon le guide, une union de fait est réputée rompue lorsque l’un des partenaires n’a plus l’intention de poursuivre la relation conjugale, et les faits entourant la cause doivent être examinés afin que l’on puisse déterminer si au moins l’un des partenaires a l’intention d’interrompre la cohabitation dans une relation conjugale. La demanderesse affirme que l’agent semble avoir ignoré sa lettre et son affidavit de septembre 2007 pour se fonder presque exclusivement sur les entrevues.

[26]           Je dois rejeter l’argument de la demanderesse. Après avoir reçu la correspondance de septembre 2007 de la demanderesse, le CTD a sûrement cherché à savoir si elle avait rompu sa relation puisqu’il lui a demandé, dans sa lettre du 21 octobre 2008, si oui ou non M. Azurin correspondait à la définition de « conjoint de fait ». D’après la réponse fournie par la demanderesse, le CTD a conclu que la relation se poursuivait : selon les notes consignées dans le STIDI le 31 décembre 2008, la lettre de la demanderesse confirmait l’union de fait (DI, à la page 35). Après avoir reçu du bureau des visas de Manille d’autres renseignements voulant que les entrevues menées auprès du fils de la demanderesse et M. Azurin aient permis de confirmer que l’union de fait se poursuivait, le CTD a donné à la demanderesse une deuxième possibilité de répondre. La demanderesse n’a pas réfuté la conclusion concernant sa relation et a elle‑même reconnu dans ses observations qu’elle vivait une telle relation (DD, à la page 153, EAD, au paragraphe 38). La demanderesse n’ayant pas réfuté la conclusion du bureau des visas de Manille selon laquelle son union de fait se poursuivait, il était raisonnable pour l’agent de parvenir à la même conclusion.

[27]           L’affaire ne soulève aucune question à certifier et les parties n’en ont proposé aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Simon Noël »

juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3585-11

 

INTITULÉ :                                       GEMMA ABONITA AZURIN c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 février 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 février 2012

 

 

Comparutions :

 

Steven Meurrens

Pour la DEMANDeRESSE

 

Kim Sutcliffe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Larlee Rosenberg

Vancouver (C.-B.)

 

Pour la DEMANDeRESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

 

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