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Cour fédérale

 

Federal Court

 Date: 20120302

Dossier : IMM-3611-11

Référence : 2012 CF 285

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

ROGELIO MILIAN PELAEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 12 avril 2011, selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, ni de personne à protéger, tel que ces expressions sont définies aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

 

[2]               Pour les motifs ci-après exposés, la Cour en arrive à la conclusion que cette demande doit être accueillie.

 

I. Les faits

[3]               Le demandeur, Rogelio Milian Pelaez, est né le 8 septembre 1975 et possède la citoyenneté guatémaltèque. Il allègue avoir travaillé comme garde du corps pour Mme Maegli Novella, une femme d’affaires, au cours des années 2001 à 2003.

 

[4]               Un de ses collègues garde du corps lui aurait dit qu’une bande de ravisseurs préparait l’enlèvement de Mme Novella. Malgré le fait qu’il ait été sommé d’y prendre part à défaut de quoi il serait tué, il a préféré aviser Mme Novella de ce qui se tramait. Cette dernière aurait alors porté plainte auprès de la police, ce qui aurait entraîné l’incarcération de l’un des membres de la bande, surnommé El Cachorro.

 

[5]               Après avoir procédé à sa propre enquête, Mme Novella aurait suggéré au demandeur de fuir le pays parce que sa vie était en danger. Avant de quitter le Guatemala, le demandeur a dit avoir conduit sa famille dans une petite localité située à une centaine de kilomètres de la ville de Guatemala, de façon à ce qu’ils soient en sécurité.

 

[6]               Le demandeur s’est par la suite rendu aux États-Unis, où il a vécu entre les mois de mars 2003 et avril 2005.

 

[7]               À son retour au Guatemala, le demandeur n’est pas retourné vivre dans la ville de Guatemala mais a préféré s’installer à Santa Cruz El Chol, où il a travaillé comme conducteur de minibus.

 

[8]               Fin mai 2008, il aurait été repéré par El Cachorro alors qu’il conduisait son minibus. Ce dernier, accompagné de trois autres personnes, l’aurait frappé avec son revolver après lui avoir mis un revolver dans la bouche. Ses agresseurs auraient pris la fuite lorsque les passagers se seraient mis à crier, non sans lui dire qu’ils le tueraient s’ils le voyaient de nouveau.

 

[9]               Le demandeur aurait alors porté plainte auprès des autorités policières. Or, le policier à qui il avait fait sa dénonciation l’a appelé deux semaines plus tard pour lui conseiller de quitter le pays, ayant lui-même fait l’objet de coups de feu et perdu un enfant suite à l’altercation.

 

[10]           Le demandeur a de nouveau quitté le Guatemala le 20 juin 2008 et s’est présenté à la frontière canadienne où il a revendiqué l’asile le 18 juillet 2008.

 

II. La décision contestée

[11]           Le tribunal a estimé que le témoignage du demandeur comportait des invraisemblances, des incohérences et des contradictions qui compromettaient gravement sa crédibilité. Dans une courte décision, il a donc rejeté la demande d’asile pour les motifs suivants:

a.       Le demandeur dit avoir quitté le Guatemala pour les États-Unis en avril 2003 parce qu’il craignait pour sa vie, mais n’a jamais songé à faire une demande d’asile auprès des autorités américaines.

b.      Le demandeur prétend être retourné au Guatemala en mars 2005 parce que sa famille lui manquait, mais fuit le pays seul à nouveau en juillet 2008. Qui plus est, son retour volontaire au Guatemala est incompatible avec ses allégations de crainte pour sa vie.

c.       À l’audition, le demandeur allègue avoir été menacé et agressé physiquement en mai 2008 au volant du minibus qu’il conduisait. Pourtant, lors de l’entrevue avec un agent d’immigration le 2 septembre 2008, soit moins de deux mois après son arrivée au Canada, il a déclaré ne pas avoir été menacé parce qu’il était en train de conduire. D’autre part, le demandeur n’a pas su expliquer pourquoi il serait menaçant pour ses présumés agresseurs, et pourquoi ces derniers ne l’aurait pas tué immédiatement plutôt que de continuer à le menacer.

 

III. Question en litige

[12]           La seule question en litige dans le présent dossier est celle de savoir si le tribunal a erré en concluant à l’absence de crédibilité du demandeur.

 

IV. Analyse

[13]           En matière de crédibilité, il est bien établi que cette Cour ne peut substituer son opinion à celle du tribunal, sauf si le demandeur peut démontrer que la décision du tribunal était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait: voir Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7, paragraphe 18.1(4); Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190.

 

[14]           En l’occurrence, j’estime que le demandeur a réussi à faire cette démonstration. S’agissant tout d’abord du fait qu’il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis, le demandeur a expliqué qu’il n’avait jamais eu l’intention de s’établir aux États-Unis et qu’il n’avait cherché qu’à fuir temporairement son pays pour se faire oublier. Il a également soutenu qu’une demande d’asile aurait de toute façon été illusoire aux États-Unis, dans la mesure où la législation de ce pays ne reconnaît pas les risques découlant de la criminalité, comme c’était le cas au Canada avant l’introduction de l’article 97 dans la Loi Ces explications n’ont rien de farfelu et méritaient à tout le moins d’être considérées par le tribunal.

 

[15]           Quant au fait que le demandeur soit retourné vivre au Guatemala en 2005, deux éléments doivent me semble-t-il être pris en considération. Tout d’abord, et contrairement à ce que le tribunal a indiqué, le demandeur n’est pas retourné à l’endroit où se trouvaient les personnes qu’ils craignaient, mais plutôt dans une ville située à plus de 100 kilomètres et trois heures de route de la ville de Guatemala où il résidait auparavant. Au surplus, le demandeur a choisi d’oeuvrer dans un autre secteur d’activités. Le tribunal ne semble pas avoir tenu compte de ces explications.

 

[16]           Au demeurant, il apparaît illogique de reprocher au demandeur sa tentative de se relocaliser dans son propre pays. Il est bien établi qu’un demandeur d’asile doit faire la preuve qu’il ne pourrait trouver refuge dans son propre pays avant de revendiquer ce statut dans un autre pays. La possibilité d’un refuge intérieur fait partie intégrante de la notion de réfugié. Compte tenu de ces principes, il serait pour le moins paradoxal de retenir contre le demandeur sa tentative de fuir les menaces auxquelles il se croit exposé dans une autre partie de son pays où il se pense en sécurité.

 

[17]           Il est vrai que le demandeur a dit à l’agent d’immigration que ses agresseurs ne l’avaient pas menacé parce qu’il était au volant du minibus. Il m’apparaît cependant risqué d’attacher une trop grande importance à ces propos. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une transcription fidèle de ce que le demandeur a dit, mais du résumé de ce que l’agent a compris des réponses du demandeur telles que traduites par un interprète. Le demandeur n’a d’ailleurs pas eu le loisir d’élaborer à ce sujet, puisque l’agent a immédiatement changé de sujet. Enfin, cette réponse devait être considérée en tenant compte du témoignage offert par le demandeur devant le tribunal et de la preuve documentaire qu’il a soumise.

 

[18]           C’est précisément à ce chapitre que le bât blesse. Le demandeur avait produit plusieurs éléments de preuve qui corroboraient son récit, notamment une lettre du policier auprès de qui il avait porté plainte suite à l’agression qu’il avait subie alors qu’il était au volant du minibus, ainsi qu’une lettre rédigée par une passagère du minibus qui avait été témoin de cette agression. Ces deux personnes n’avaient aucun intérêt personnel dans la revendication du demandeur.

 

[19]           Le défendeur a raison de souligner que le tribunal est présumé avoir pris en considération l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée. Il n’en demeure pas moins, comme l’écrivait le juge Evans dans l’arrêt Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 au para 17, 83 ACWS (3d) 264 (CF 1re inst), que «. . . plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée. . . ».

 

[20]           Les lettres ci-haut mentionnées, de même que la note médicale remise au demandeur par l’hôpital où il avait reçu des soins suite à l’agression, étaient d’une très grande pertinence au regard des faits contestés. Le tribunal ne pouvait passer cette preuve sous silence et se devait d’expliquer pourquoi il ne la considérait pas suffisante pour corroborer le récit du demandeur. En omettant d’en discuter, le tribunal a tiré des conclusions sans tenir compte de toute la preuve qui était devant lui.

 

[21]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny»

Juge

 

 

 

 

 

 

 

                       


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3611-11

 

INTITULÉ :                                       ROGELIO MILIAN PELAEZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Noel Saint-Pierre

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Margarita Tzavelakos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre, Perron, Leroux Avocats Inc.

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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