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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20120312


Dossier : T-953-11

Référence : 2012 CF 301

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

LA FÉDÉRATION MARITIME DU CANADA, AMERICAN PRESIDENT LINES LTD.,

CMA-CGM (CANADA) INC.,

HANJIN SHIPPING CO. LTD.,

HAPAG-LLOYD (CANADA) INC.,

« K » LINE CANADA LTD.,

MAERSK CANADA INC.,

MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY (CANADA) INC., MONTSHIP INC.,

NYK LINE (CANADA) INC.,

OOCL (CANADA) INC.,

YANG MING SHIPPING (CANADA) LTD. et

ZIM INTEGRATED SHIPPING SERVICES (CANADA) CO. LTD.

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER FRASER

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Douze lignes maritimes et la Fédération maritime du Canada contestent les « droits d’infrastructure de la Porte » imposés aux propriétaires de navires par l’Administration portuaire de Vancouver Fraser (APVF) relativement aux marchandises conteneurisées. Elles invoquent l’absence de compétence de l’APVF pour imposer ce type de droits aux propriétaires de porte‑conteneurs.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               L’APVF résulte de la fusion de l’Administration portuaire du fleuve Fraser, de l’Administration portuaire de North‑Fraser et de l’Administration portuaire de Vancouver. L’APVF est un mandataire de la Couronne établi en vertu de la Loi maritime du Canada (LMC) aux fins de la gestion et de l’exploitation du port comme il est expliqué plus en détail dans les lettres patentes du port.

 

[3]               La disposition la plus pertinente de la LMC pour statuer sur les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire est l’article 49, notamment le paragraphe 3 :

49. (1) L’administration portuaire peut fixer les droits à payer à l’égard :

 

a) des navires, véhicules, aéronefs et personnes entrant dans le port ou en faisant usage;

 

b) des marchandises soit déchargées de ces navires, chargées à leur bord ou transbordées par eau dans le périmètre portuaire, soit passant par le port;

 

c) des services qu’elle fournit ou des avantages qu’elle accorde, en rapport avec l’exploitation du port.

 

 (2) L’administration peut fixer le taux d’intérêt frappant les droits impayés.

 

 (3) Les droits que fixe l’administration portuaire doivent lui permettre le financement autonome de ses opérations et également être équitables et raisonnables.

 

 (4) Les droits et le taux d’intérêt peuvent être rendus obligatoires pour Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

 

 (5) Les droits prévus aux alinéas (1) a) et b) ne s’appliquent pas aux navires de guerre canadiens, aux navires auxiliaires de la marine, aux navires placés sous le commandement des Forces canadiennes, aux navires de forces étrangères présentes au Canada au sens de la Loi sur les forces étrangères présentes au Canada, ni aux navires placés sous le commandement de la Gendarmerie royale du Canada.

 

 (6) Les droits en vigueur à l’égard d’un port à l’entrée en vigueur du présent article demeurent en vigueur pendant une période maximale de six mois sauf s’ils sont remplacés plus tôt.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

49. (1) A port authority may fix fees to be paid in respect of

 

 

(a) ships, vehicles, aircraft and persons coming into or using the port;

 

(b) goods loaded on ships, unloaded from ships or transhipped by water within the limits of the port or moved across the port; and

 

 

(c) any service provided by the port authority, or any right or privilege conferred by it, in respect of the port.

 

 (2) A port authority may fix the interest rate that it charges on overdue fees.

 

 (3) The fees fixed by a port authority shall be at a level that permits it to operate on a self-sustaining financial basis and shall be fair and reasonable.

 

 

 (4) The fees and interest rate may be made binding on Her Majesty in right of Canada or a province.

 

 

 (5) The fees fixed under paragraphs (1)(a) and (b) do not apply in respect of a Canadian warship, naval auxiliary ship or other ship under the command of the Canadian Forces, a ship of a visiting force within the meaning of the Visiting Forces Act or any other ship while it is under the command of the Royal Canadian Mounted Police.

 

 

 

 (6) A fee that is in force in respect of a port on the coming into force of this section continues in force for a period ending on the earlier of the expiration of six months and the date on which it is replaced by a fee fixed under subsection (1).

 

[4]               L’APVF est partie prenante de l’Initiative de la Porte et du Corridor de l’Asie‑Pacifique (Porte), réseau d’infrastructures de transport qui comprend les ports du Lower Mainland, ainsi que les principales connexions routières et ferroviaires de l’Ouest du Canada.

 

[5]               En octobre 2006, le gouvernement fédéral a lancé l’Initiative de la Porte et du Corridor de l’Asie‑Pacifique. Cette initiative porte sur divers projets d’infrastructure dans la région du Lower Mainland qui visent à améliorer la fiabilité de la Porte pour les exportateurs canadiens et à accroître la part régionale des importations par conteneur en provenance de l’Asie.

 

[6]               Dix‑sept projets ont été retenus dans les trois zones principales qui sont assujetties au contrôle de l’APVF (les zones commerciales de la rive nord et de la rive sud et le corridor ferroviaire de Roberts Bank). L’APVF a engagé des sommes importantes, qui doivent être remboursées au moyen d’un nouveau régime de droits d’infrastructure de la Porte (DIP).

 

[7]               Le régime de DIP a été établi à l’issue de consultations auprès de nombreuses parties intéressées. L’APVF a pris les décisions suivantes relativement à la structure, aux modalités de remboursement, au mécanisme de perception et au processus d’évaluation annuel du régime de DIP :

·                    les DIP seront fixés selon le tonnage;

·                    le régime sera structuré de manière à recouvrer 90 % du coût engagé par l’APVF pour les projets d’infrastructure de la Porte, plus les frais de financement et les principaux coûts d’entretien, le solde de 10 % provenant des recettes générales de l’APVF;

·                    les DIP cesseront de s’appliquer dès que les coûts des projets d’infrastructure de la Porte auront été remboursés;

·                    aucun projet supplémentaire ne s’ajoutera aux projets d’infrastructure de la Porte financés par les DIP;

·                    des DIP distincts s’appliqueront à chacune des trois zones afin d’établir un lien entre les avantages découlant des projets réalisés dans une zone particulière et les coûts qui y sont payés;

·                    les DIP seront imposés exclusivement aux parties qui retirent des avantages importants des projets d’infrastructure de la Porte et ne seront pas imposés aux parties qui n’en retirent pas, comme les croisiéristes, ni à celles qui exploitent leurs entreprises dans la zone de commerce du fleuve Fraser, à Burnaby et à Port Moody;

·                    la durée d’existence du régime de DIP sera de trente ans pour concorder avec la durée de vie approximative des infrastructures mises en place, ce qui est la façon la plus équitable de s’assurer que le coût soit assumé par tous ceux qui utiliseront les infrastructures en question durant leur durée de vie;

·                    le régime de DIP sera administré en toute transparence, en ce que l’APVF fera rapport chaque année sur le coût des projets d’infrastructure de la Porte, les DIP perçus et le solde des coûts à recouvrer.

 

[8]               Le document préparé par l’APVF décrit les droits exigés et prévoit qu’ils seront payables, dans le cas des marchandises conteneurisées, par le propriétaire du navire, selon le volume des marchandises importées ou exportées au quai et, dans le cas des marchandises non conteneurisées, par le propriétaire des marchandises, selon le tonnage chargé ou déchargé au quai.

 

[9]               La partie demanderesse, qui est constituée de douze lignes maritimes internationales visitant le port de l’APVF et de leur association commerciale, la Fédération maritime du Canada, s’oppose à la décision de l’APVF de faire payer les DIP applicables aux marchandises conteneurisées par les propriétaires des navires (y compris les affréteurs). Le barème des droits exigibles a été expliqué dans une lettre datée du 10 mars 2011. C’est ce barème que les demanderesses désignent comme la « décision ».

 

[10]           Les demanderesses affirment que les propriétaires de navires ne retirent pas d’avantages des projets d’infrastructure de la Porte ni ne reçoivent de services relativement au régime de DIP. À cet égard, ils avancent que les droits exigés ne sont pas équitables ni raisonnables, contrairement à ce que prévoit le paragraphe 49(3) de la LMC, et qu’ils constituent une taxe plutôt que des frais d’utilisateur ou des droits réglementaires.

 

[11]           Comme il a été clairement établi dans la plaidoirie, les demanderesses contestent exclusivement les DIP qui s’appliquent aux marchandises conteneurisées. Elles ne contestent pas le pouvoir de l’APVF d’établir des droits de façon générale, ni son pouvoir d’investir dans des actifs non traditionnels (dans une perspective portuaire). Les demanderesses ne contestent pas non plus le pouvoir de l’APVF de recouvrer les sommes investies ni le montant des DIP. La Cour souligne que ces concessions sont faites exclusivement pour les besoins de la présente instance.

 

[12]           Les demanderesses se plaignent en fait que les droits exigés sur les marchandises conteneurisées leur imposent un fardeau et des coûts administratifs excessifs qui ne peuvent pas être répercutés sur les propriétaires des conteneurs ou des marchandises, lesquels retirent vraisemblablement des avantages de l’amélioration des infrastructures de la Porte du point de vue de l’efficacité de la manutention des conteneurs dans le port et de leur livraison finale aux diverses destinations.

 

[13]           Les demanderesses se plaignent que les DIP qui sont imposés aux propriétaires de porte‑conteneurs peuvent difficilement être ventilés par conteneur, puis répercutés sur le propriétaire. Elles soutiennent que les droits exigés, divisés par le nombre de conteneurs expédiés sur les porte‑conteneurs modernes, représentent des frais minimum par conteneur, mais importants dans l’ensemble.

 

[14]           Ce sont les arguments qu’avancent les demanderesses à l’appui de leur prétention que les droits ne sont pas équitables ni raisonnables et que, cela étant contraire au paragraphe 49(3) de la LMC, l’APVF n’a pas compétence pour imposer des droits aux propriétaires de porte‑conteneurs.

 

III.       ANALYSE JURIDIQUE

A.        La norme de contrôle

[15]           Les demanderesses soulèvent des questions de compétence, lesquelles nécessitent dès lors l’application de la norme de la décision correcte. Cependant, seulement une partie des motifs de contestation des demanderesses touche à la compétence; l’objet principal du litige (voir le paragraphe 11) n’a rien à voir avec cette question.

 

[16]           Les demanderesses prétendent que la position que l’APVF peut seulement établir des droits qui sont « équitables et raisonnables » en vertu du paragraphe 49(3) de la LMC; or, comme les DIP ne sont pas « équitables et raisonnables » en raison du groupe particulier auquel ils sont imposés, l’APVF a excédé sa compétence.

 

[17]           Ce raisonnement tautologique est le type de contestation de compétence que la Cour suprême a tenté de limiter. La Cour suprême a statué que la catégorie des véritables questions de compétence est restreinte. Ainsi, dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, la Cour suprême a confirmé, au paragraphe 34, que « même l’interprétation par un tribunal administratif de "sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie" est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire. »

 

[18]           Les demanderesses contestent en réalité la manière dont l’APVF a exercé sa compétence pour fixer des droits et non pas sur son pouvoir légal à cet égard. Comme il a été dit précédemment, les demanderesses ne contestent pas le pouvoir d’établir des droits ou plus particulièrement les DIP.

 

[19]           Ce n’est que sur la question de savoir si les DIP constituent une taxe plutôt que des droits que les demanderesses soulèvent véritablement une question de compétence. Cette question suppose l’examen de la légalité des droits, peut-être même l’examen du pouvoir constitutionnel d’imposer une taxe, ainsi que l’examen des limites de la compétence de l’APVF par rapport à d’autres corps dirigeants. Ce n’est pas un domaine qui relève de la compétence de l’APVF. Cependant, pour les motifs exposés ci-après, rien ne permet de considérer que les DIP constituent une taxe.

 

B.         Les DIP sont‑ils équitables et raisonnables?

[20]           Les articles 49 à 53 de la LMC autorisent la fixation de droits, établissent des critères pour la fixation de ces droits, en établissent les limites et définissent un mécanisme pour contester les droits opérant une discrimination injustifiée.

 

[21]           L’article 2 de la LMC définit un « droit » comme suit :

« droit »

“fees”

 

« droit » S’entend de toute forme de taxe, péage, contribution ou redevance, notamment pour l’accès, l’accostage et l’amarrage au port, à l’exclusion de toute somme versée au titre d’un bail ou d’un permis.

“fees”

« droit »

 

“fees” includes harbour dues, berthage and wharfage, as well as duties, tolls, rates and other charges, but does not include payments made under a lease or licence agreement.

 

[22]           Les DIP se classeraient à tout le moins dans la catégorie des « and other charges » dans le texte anglais de cette définition.

 

[23]           Comme il est indiqué au paragraphe 49(3), les droits fixés doivent permettre à l’administration portuaire le financement autonome de ses opérations et également être « équitables et raisonnables ». Si le niveau des DIP ou le caractère équitable et raisonnable du montant des DIP qui sont et qui seront imposés aux demanderesses (question qui serait assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable) n’est pas contesté par les demanderesses, ces dernières avancent qu’il doit exister un lien direct entre les droits exigés et la prestation d’un service ou la réception d’avantages pour que les DIP soient licites.

 

[24]           Les demanderesses défendent la position qu’un propriétaire de porte‑conteneurs ne reçoit aucun service en contrepartie des DIP payés ni ne retire d’avantages des améliorations apportées aux installations portuaires et aux infrastructures pour lesquelles les DIP sont exigés. Elles admettent que les propriétaires des marchandises peuvent retirer des avantages des gains d’efficacité réalisés au titre du transport des marchandises du port au lieu de destination final, mais ils soutiennent que ces avantages ne sont pas dévolus au propriétaire du navire.

 

[25]           Les décisions de l’Office des transports du Canada (OTC) invoquées pour étayer l’obligation d’établir un lien direct entre l’imposition de droits et la prestation d’un service portuaire doivent être interprétées avec prudence. La compétence attribuée à l’OTC par l’article 52 de la LMC se limite aux plaintes portant qu’un droit fixé opère une discrimination injuste. Les commentaires et l’analyse contenus dans les décisions de l’OTC Re Irving Oil Limited, no 293‑W‑2010 et Re Neil Surry et al, no 370‑W‑2006, portent sur des droits qui opèrent une discrimination injuste. Au paragraphe 42 de la décision Re Neil Surry, l’OTC a statué que la discrimination concernant les droits devient injustifiée (ou déraisonnable) lorsque les droits ne sont pas fonctionnellement et rationnellement liés aux coûts de la prestation du service.

 

[26]           Dans la présente affaire, les demanderesses ne se plaignent pas d’être victimes de discrimination. À vrai dire, il n’est pas certain que la Cour pourrait examiner une plainte de ce genre.

 

[27]           Les demanderesses font fausse route en s’appuyant sur des décisions administratives qui ont été rendues sous le régime de la Loi sur le pilotage. Même si cette Loi a été édictée durant la même période que la LMC a été promulguée, qu’elle porte sur le domaine maritime et qu’elle dispose que les droits de pilotage doivent être « équitables et raisonnables », le mandat et les responsabilités des administrations portuaires sont très différents des services spécialisés et uniques qui sont fournis par les pilotes maritimes. L’article 33 de la Loi sur le pilotage, qui permet de fixer des tarifs, est expressément limité à la prestation de certains services. C’est pourquoi il doit nécessairement exister un lien entre les tarifs exigés et le service fourni pour que les frais soient visés par l’article 33 de la Loi sur le pilotage.

 

[28]           L’article 49 de la LMC est conçu de façon différente; il est plus détaillé et moins expressément lié aux services fournis. Seul l’alinéa 49(1)c) établit en lien entre les droits à payer et la prestation d’un service par l’administration portuaire. Or, selon ce même alinéa, il n’est pas obligatoire que les droits exigés se rapportent à un service; ils peuvent être imposés simplement à l’égard d’un avantage qui est accordé par l’autorité portuaire.


49. (1) L’administration portuaire peut fixer les droits à payer à l’égard :

 

[...]

 

c) des services qu’elle fournit ou des avantages qu’elle accorde, en rapport avec l’exploitation du port.

49. (1) A port authority may fix fees to be paid in respect of

 

 

...

 

(c) any service provided by the port authority, or any right or privilege conferred by it, in respect of the port.

 

[29]           L’alinéa 49(1)a) n’établit aucun lien entre l’imposition de droits et la prestation d’un service. Selon cet alinéa, l’administration portuaire peut fixer les droits à payer à l’égard « des navires [...] entrant dans le port ou en faisant usage ». Les porte‑conteneurs doivent donc payer des droits simplement pour entrer dans les eaux assujetties à l’autorité de l’APVF et faire usage du port.

49. (1) L’administration portuaire peut fixer les droits à payer à l’égard :

 

a) des navires, véhicules, aéronefs et personnes entrant dans le port ou en faisant usage;

49. (1) A port authority may fix fees to be paid in respect of

 

(a) ships, vehicles, aircraft and persons coming into or using the port;

 

[30]           De même, l’alinéa 49(1)b) n’établit aucun lien entre les droits exigés et la prestation de services portuaires. Selon cet alinéa, des droits peuvent être imposés à l’égard « des marchandises soit déchargées de[s] navires, chargées à leur bord ou transbordées par eau dans le périmètre portuaire, soit passant par le port ». Les conteneurs et leur contenu se classeraient dans la catégorie des marchandises déchargées des navires et chargées à leur bord pour lesquelles des droits pourraient être exigés sans que l’APVF ait à fournir un service particulier.


49. (1) L’administration portuaire peut fixer les droits à payer à l’égard :

 

[...]

 

b) des marchandises soit déchargées de ces navires, chargées à leur bord ou transbordées par eau dans le périmètre portuaire, soit passant par le port;

49. (1) A port authority may fix fees to be paid in respect of

 

...

 

 

(b) goods loaded on ships, unloaded from ships or transhipped by water within the limits of the port or moved across the port;

 

[31]           Il s’ensuit que les DIP peuvent être imposés aux propriétaires de porte‑conteneurs en vertu, du moins, des alinéas 49(1)a) ou b) de la LMC. Rien n’oblige l’APVF à établir un lien entre les droits exigés et un service fourni ou un des avantages accordés pour justifier sa décision d’imposer des droits aux propriétaires de porte‑conteneurs.

 

[32]           Même s’il devait y avoir un lien direct entre les droits exigés et un avantage accordé, les propriétaires de navires se trouvent à retirer des avantages d’activités portuaires plus efficaces permettant de charger et de décharger les marchandises plus rapidement et de libérer les navires pour effectuer plus de voyages.

 

[33]           Le dossier indique, en l’espèce, qu’un représentant de l’APVF a avisé les représentants des propriétaires de navires qu’ils ne retireraient aucun avantage des améliorations apportées aux infrastructures. Même si je ne vais pas jusqu’à interpoler dans le texte de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, une invitation ouverte faite aux tribunaux à rependre à zéro le travail d’un décideur ou à imaginer des motifs nouveaux et différents pour justifier une décision, il est évident (et le bon sens le prouve) que les propriétaires de navires peuvent retirer des avantages d’une plus grande efficacité des activités portuaires.

 

[34]           En conséquence, je conclus que les demanderesses n’ont pas établi que les DIP ne sont pas « équitables et raisonnables ». Les droits imposés sont défendables en vertu des alinéas 49(1)a) ou b) de la LMC, car ces dispositions obligent les propriétaires de porte‑conteneurs à payer ces droits.

 

[35]           La décision d’imposer les droits au propriétaire d’un navire est raisonnable, car c’est le navire qui est le principal point de contact avec le port. C’est de toute évidence plus facile de percevoir les droits auprès du propriétaire du navire que ce l’est de les percevoir auprès du propriétaire de chaque article de marchandise contenu dans le conteneur ou auprès de chaque propriétaire de conteneurs. De toute façon, la décision d’imposer ces droits ressort à la compétence accordée à l’APVF par sa loi constitutive et ses lettres patentes et est assujettie à la norme de contrôle déférente de la décision raisonnable, à laquelle elle répond incontestablement.

 

C.        S’agit‑il d’un droit ou d’une taxe?

[36]           La position des demanderesses selon laquelle les DIP constituent une taxe est fondée en partie sur l’absence de lien entre les droits exigés et la prestation d’un service. Cette position s’appuie sur le principe que les DIP ne répondent pas aux exigences du paragraphe 49(3) et qu’ils constituent dès lors une taxe.

 

[37]           Pour les motifs qui sont exposés sous la rubrique « Les DIP sont-ils équitables et raisonnables? », la Cour a statué que la fixation des DIP est autorisée par le paragraphe 49(1). Cette conclusion devrait être suffisante pour trancher la question relative à la taxe déguisée.

 

[38]           Les demanderesses avancent que les DIP sont imposés dans un but général et public, soit stimuler la croissance de la Porte et du Corridor de l’Asie‑Pacifique en exploitant mieux sa capacité. En ce qui concerne l’APVF, les investissements de cette dernière dans les infrastructures [traduction] « débordent le cadre des activités et des bien-fonds traditionnels ».

 

[39]           Dans l’arrêt Algoma Central Corp c Canada, 2009 CF 1287, la Cour s’est penchée sur la différence qui existe entre des droits portuaires et une taxe. Cette décision portait sur un « port public » visé à la partie 2 de la LMC, qui relève de la responsabilité du ministre des Transports, par opposition aux ports visés à la partie 1 de la LMC, qui relèvent de la responsabilité de l’administration portuaire. Cette distinction ne compromet pas l’analyse de la question relative à la différence entre des droits portuaires et une taxe.

 

[40]           Dans l’arrêt Algoma, précité, le juge O’Keefe a déterminé que :

·                    la réglementation des ports publics en vertu de la LMC constituait un système national, lequel est sans conteste un régime de réglementation;

·                    les utilisateurs de ces ports publics et des eaux environnantes retirent des avantages de la réglementation des ports publics;

·                    pour avoir valeur de droits réglementaires, les droits portuaires ne doivent pas nécessairement être liés à des coûts réglementaires précis — il suffit que les recettes obtenues soient inférieures aux sommes utilisées à l’égard du régime de réglementation.

 

[41]           Ce dernier point a été énoncé dans l’arrêt Association des armateurs canadiens c Canada, [1997] ACF no 1002, confirmé par [1998] ACF no 1515 (CA). Dans cette décision, la Cour a statué que des droits ne constituent pas une taxe dans les cas où le montant perçu n’excède pas le montant total supporté.

 

[42]           Je suis d’avis que la réglementation et l’exploitation des administrations portuaires s’inscrivent dans un régime national visant à assurer l’autosuffisance et l’autonomie des ports du Canada tout en préservant leurs opérations interdépendantes (voir l’article 4 de la LMC intitulé « Objet de la loi »).

 

[43]           La Cour s’est déjà penchée sur les avantages accordés aux utilisateurs; elle a statué que les utilisateurs des ports exploités par l’administration portuaire retirent des avantages de la réglementation de ces ports.

 

[44]           Un point important à souligner est que les DIP exigés par l’APVF lui permettront de recouvrer seulement 90 % des sommes investies dans le projet. Le solde proviendra des recettes générales. Dans le cadre de ses responsabilités en matière de surveillance, l’APVF doit faire rapport sur l’application du régime de remboursement du coût des infrastructures.

 

[45]           Dans l’arrêt 620 Connaught Ltd c Canada, 2008 CSC 7, la Cour suprême s’est expressément penchée sur la différence qui existe entre une taxe et une redevance de nature réglementaire. Elle en résume les grandes lignes au paragraphe 28 :

28     Bref, si à la première étape le tribunal a conclu qu’il existe un régime de réglementation et que ce régime est applicable à la personne visée, et à la deuxième étape il a conclu à l’existence d’un lien entre le prélèvement et le régime luimême, le prélèvement constituera, de par son caractère véritable, une redevance de nature réglementaire et non une taxe.  En d’autres termes, ce sont les caractéristiques de réglementation du prélèvement qui constitueront ses principaux attributs.  Par conséquent, il faut se demander (1) si les appelantes ont démontré que le prélèvement possède les attributs d’une taxe et (2) si le gouvernement a démontré qu’il existe un lien entre le prélèvement et le régime de réglementation.  Pour répondre à la première question, il faut se reporter aux indices énoncés dans l’arrêt Lawson.  Pour répondre à la deuxième, il faut procéder à l’analyse en deux étapes proposée dans l’arrêt Westbank.

 

[46]           En l’espèce, il existe un régime de réglementation pour l’exploitation des administrations portuaires, notamment l’APVF; ce régime est applicable aux navires qui utilisent le port de l’APVF, y compris les eaux environnantes et ses installations; et il existe un lien entre les DIP et le régime en place pour l’exploitation du port, l’utilisation efficace des installations et le mouvement des marchandises dans le port.

 

[47]           À la lumière de cette jurisprudence, je conclus que les DIP ne constituent pas une taxe. Il n’est pas nécessaire, aux fins de la présente analyse, de classer les DIP dans la catégorie des droits ou des redevances d’ordre réglementaire.

 

IV.       CONCLUSION

[48]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-953-11

 

INTITULÉ :                                       LA FÉDÉRATION MARITIME DU CANADA, AMERICAN PRESIDENT LINES LTD., CMA‑CGM (CANADA) INC., HANJIN SHIPPING CO. LTD., HAPAG‑LLOYD (CANADA) INC., « K » LINE CANADA LTD., MAERSK CANADA INC., MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY (CANADA) INC., MONTSHIP INC., NYK LINE (CANADA) INC., OOCL (CANADA) INC., YANG MING SHIPPING (CANADA) LTD. et ZIM INTEGRATED SHIPPING SERVICES (CANADA) CO. LTD.

 

                                                            et

 

                                                            L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER FRASER

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 12 mars 2012

 

 


COMPARUTIONS :

 

Mme Anne Legars

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

M. Robert Grant

Mme Melanie Ash

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LA FÉDÉRATION MARITIME DU CANADA

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

HEENAN BLAIKIE LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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