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Date : 20120316


Dossier : IMM-1390-11

Référence : 2012 CF 317

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

SAMPSON JALLOH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section de l’immigration) a déclaré que M. Sampson Jalloh était interdit de territoire au Canada parce qu’il était membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle s’était livrée au terrorisme et à la subversion et qu’il avait commis des crimes contre l’humanité. M. Jalloh a admis être associé à une telle organisation, mais il insiste sur le fait qu’il a été tenu en captivité par cette organisation et qu’il a agi sous la contrainte pour ne pas être tué. La Commission a rejeté cette explication et a conclu que le demandeur avait eu des occasions de fuir pendant les quatre ans durant lesquels il aurait été en captivité.

 

[2]               M. Jalloh soutient que la Commission a négligé des éléments de preuve importants qui étaient pertinents au regard de sa défense de contrainte et qu’elle a rendu une décision déraisonnable. Il me demande d’annuler cette décision et de renvoyer l’affaire à un autre tribunal de la Commission pour que celui‑ci rende une nouvelle décision.

 

[3]               Il y a deux questions en litige en l’espèce :

 

            1.         La Commission a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve?

            2.         La décision de la Commission concernant la contrainte était‑elle raisonnable?

 

II.         Le contexte factuel

 

[4]               M. Jalloh est un citoyen du Libéria appartenant à l’ethnie mandingo. Il est arrivé au Canada en 2006 et a demandé l’asile. Il était présumé être interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité parce qu’il était membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle s’était livrée au terrorisme et à des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force (al 34(1)b), c) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2002, c 27 [la LIPR]; les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe). Il était également présumé être interdit de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux parce qu’il avait commis, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24 (al 35(1)a) de la LIPR). Un délégué du ministre a renvoyé le dossier de M. Jalloh à la Commission afin qu’une audience ait lieu.

 

[5]               M. Jalloh a soutenu que, à la fin de 1992, il avait été recruté de force par les rebelles qui avaient exécuté son père (et de nombreuses autres personnes), il avait été torturé et battu puis il avait été forcé de participer aux activités du Front national patriotique du Libéria [le NPFL]. Il a affirmé qu’il aurait été tué s’il n’avait pas obtempéré aux ordres du NPFL. Il a dit également qu’il avait vécu en captivité pendant les quatre ans durant lesquels il avait été membre du groupe, que tous les membres du groupe de rebelles portaient des fusils (mais pas lui) et qu’il n’avait jamais commis un acte de violence.

 

[6]               Il a déclaré dans son témoignage que son rôle consistait à se rendre dans les villages et à demander aux personnes appartenant à l’ethnie mandingo de sortir de leur maison, après quoi elles étaient torturées et tuées par les combattants rebelles pendant que M. Jalloh attendait dans un camion que tout soit fini.

 

[7]               M. Jalloh a soutenu que certaines de ces descentes avaient été effectuées par une unité appelée « Small Boys Unit » [la SBU], dont la plupart des membres étaient plus jeunes que lui. Il a vu des personnes être torturées et tuées et il a parfois dû transporter des cadavres. Il a dit avoir été battu et torturé à maintes reprises.

 

[8]               M. Jalloh a reconnu que les renseignements qu’il a donnés aux fonctionnaires canadiens étaient considérablement différents de ceux qu’il avait fournis aux fonctionnaires néerlandais relativement à une demande d’asile présentée précédemment aux Pays‑Bas. Il a dit que le récit lui avait été suggéré par un passeur. Lorsque les autorités des Pays‑Bas ont rejeté sa demande d’asile, il s’est enfui au Canada pour éviter d’être renvoyé au Libéria. Bénéficiant des services d’un avocat qui l’a aidé à rédiger son exposé circonstancié, il prétend qu’il dit maintenant la vérité.

 

III.       La décision de la Commission

[9]               La Commission a examiné les allégations selon lesquelles M. Jalloh avait eu des liens avec le NPFL, une organisation soupçonnée de se livrer à la subversion, au terrorisme et à des actes d’atrocité, ainsi qu’avec la SBU.

 

[10]           Il incombait au ministre de démontrer qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Jalloh était membre d’un groupe se livrant au terrorisme ou à la subversion ou qu’il avait commis des actes interdits par les articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. La Commission a d’abord déterminé si M. Jalloh était « membre » du NPFL. Le terme « membre » a été interprété de manière libérale par les tribunaux (p. ex. Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 (CA), aux paragraphes 27 à 29). Une personne peut être considérée comme étant membre d’une organisation si elle lui appartient, si elle se dévoue de façon significative à l’organisation et à l’atteinte des buts et des objectifs de celle‑ci ou si elle est associée à des membres de l’organisation pendant une longue période de temps.

 

[11]           La Commission a conclu qu’à cause de sa participation aux descentes du NPFL M. Jalloh était directement responsable des préjudices causés aux victimes. Des descentes avaient parfois lieu plusieurs fois par semaine au cours des quatre années où il a fait partie du groupe. Le seul moment où M. Jalloh n’a pas participé aux descentes, c’est pendant une période de quatre mois à l’automne 1993, lorsque la région de Gbarnga a de nouveau été contrôlée par le gouvernement libérien. M. Jalloh a dit qu’il était ligoté et surveillé pendant cette période. Il a recommencé à participer aux descentes lorsque le NPFL a repris le contrôle de la région. Il l’a fait jusqu’à la fin de 1995 ou au début de 1996, lorsqu’il a pu se réfugier en Guinée.

 

[12]           La Commission a conclu que, en raison de sa participation active aux descentes pendant plusieurs années, de la violence de ces descentes, de son absence d’efforts pour prendre ses distances avec le groupe et pour protéger les victimes du NPFL, le demandeur était visé par la définition large de « membre ». Elle a analysé séparément la question de la contrainte.

 

[13]           La Commission s’est ensuite référée à la définition du terrorisme élaborée par la Cour suprême du Canada dans Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 98 :

[…] le terme « terrorisme » […] inclut tout« acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

 

[14]           Pour ce qui est de la subversion par la force, la Commission a adopté la définition élaborée dans Qu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 399, au paragraphe 12 : « l’introduction d’un changement par des moyens illicites ou à des fins détournées se rapportant à une organisation ».

 

[15]           La Commission a souligné que l’expression « crimes contre l’humanité » est définie à la fois dans le Code criminel, LRC 1985, c C‑46, et dans Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 119, où la Cour suprême a déclaré que quatre conditions doivent être remplies pour qu’un acte criminel constitue un crime contre l’humanité :

1.      Un acte prohibé énuméré a été commis (ce qui exige de démontrer que l’accusé a commis l’acte criminel et qu’il avait l’intention criminelle requise).

 

2.      L’acte a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique.

 

3.      L’attaque était dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes.

 

4.      L’auteur de l’acte prohibé était au courant de l’attaque et savait que son acte s’inscrirait dans le cadre de cette attaque ou a couru le risque qu’il s’y inscrive

 

[16]           La nature du NPFL et de la SBU n’était pas contestée devant la Commission. Il ne faisait aucun doute que ces deux organisations avaient commis des actes de subversion et de terrorisme ainsi que des crimes contre l’humanité d’une manière généralisée et systématique contre la population civile.

 

[17]           La Commission a ensuite déterminé si M. Jalloh avait été complice des crimes commis par le NPFL et la SBU. Elle a conclu que, comme ces organisations visaient des « fins limitées et brutales », la participation de M. Jalloh équivalait à de la complicité. Sa participation avait contribué au succès des descentes. En outre, il ne faisait aucun doute que cette participation était essentielle aux actions des rebelles. M. Jalloh savait que de graves violations des droits humains avaient été commises et il avait personnellement participé à celles‑ci pendant quatre ans. La Commission n’était pas convaincue que M. Jalloh n’avait pas eu l’occasion de s’échapper pendant cette période.

 

[18]           Enfin, la Commission a examiné la prétention de M. Jalloh selon laquelle il avait participé aux descentes uniquement parce qu’il y avait été forcé. Il a affirmé que, s’il avait essayé de s’enfuir, il aurait été tué, comme d’autres l’avaient été. Dans Kathiravel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 680, la Cour a statué, aux paragraphes 8 à 10, que la défense de contrainte :

[traduction] […] reconnaît essentiellement que, lorsqu’une personne agit dans le but d’éviter un péril grave et imminent, il n’y a pas d’intention. Il faut que le danger soit de nature « à inspirer à un homme raisonnable la crainte d’un péril corporel imminent tel qu’il se trouve privé de sa liberté de choisir ce qui est juste ou de s’abstenir de ce qui est illicite ». […] Plus important encore, les torts causés ne doivent pas excéder ceux que cette personne aurait subis.

 

 

[19]           La Commission a convenu que la preuve documentaire confirmait que le NPFL et la SBU avaient recruté de force des individus, mais elle n’a pas ajouté foi à l’affirmation de M. Jalloh selon laquelle il avait toujours été tenu en captivité et qu’il n’avait eu aucune chance de s’échapper.

[20]           M. Jalloh a déclaré dans son témoignage qu’il jouissait d’une certaine liberté dans les camps et qu’il y avait des moments où il n’était pas surveillé. La Commission a conclu qu’il avait essayé de s’enfuir seulement lorsqu’il avait craint pour sa sécurité, ce qui remet en question son affirmation voulant que ses actes n’aient pas été commis de son plein gré.

 

[21]           La Commission a rappelé que des milliers de personnes ont fui le Libéria à l’époque. En fait, à son arrivée aux Pays‑Bas, M. Jalloh a affirmé être l’une de ces personnes fuyant la violence. La Commission a conclu que la preuve n’étayait pas sa prétention selon laquelle il n’avait pas été en mesure de se sortir de la situation dans laquelle il se trouvait.

 

[22]           En conséquence, la Commission a déclaré que M. Jalloh était interdit de territoire en raison des alinéas 34(1)f) et 35(1)a) de la LIPR.

 

IV.       Question no 1 – La Commission a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve?

[23]           M. Jalloh soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve médicale démontrant la coercition et la contrainte dont il avait fait l’objet. En particulier, la Commission n’a fait aucune mention, dans son analyse de la question de la contrainte, de la preuve médicale de M. Jalloh, notamment du témoignage d’un médecin, du rapport d’un psychologue et d’une lettre de son conseiller en traumatisme. Or, les trois rapports confirmaient que M. Jalloh avait été battu et torturé par les rebelles et qu’il souffre toujours du trouble de stress post‑traumatique [TSPT]. M. Jalloh fait valoir que cette preuve est pertinente pour connaître son état d’esprit à l’époque, notamment en ce qui concerne la question de savoir s’il a véritablement subi de la contrainte et était incapable psychologiquement de s’échapper.

[24]           En fait, la Commission a convenu que M. Jalloh avait été battu et torturé par les rebelles et elle a jugé crédible qu’il ait souffert du TSPT par suite de ses expériences au Libéria. Le simple fait qu’elle n’a pas mentionné à nouveau cette preuve dans son analyse de la question de la crainte ne signifie pas qu’elle n’a pas tenu compte de son incidence sur cet aspect de la demande d’asile de M. Jalloh.

 

[25]           De plus, même si M. Jalloh a produit une preuve médicale démontrant qu’il était profondément marqué sur le plan physique et sur le plan psychologique par ses expériences au Libéria, la Commission n’était pas d’avis que ces expériences l’empêchaient de s’échapper. Il s’est d’ailleurs échappé à un certain moment.

 

[26]           Dans les circonstances, quoique M. Jalloh conteste la façon dont la Commission a soupesé la preuve médicale, il ne s’agit pas d’une raison d’accueillir une demande de contrôle judiciaire.

 

V.        Question no 2 – La décision de la Commission concernant la contrainte était‑elle raisonnable?

[27]           M. Jalloh prétend que la Commission s’est fondée sur les prémisses douteuses suivantes pour conclure qu’il n’avait pas subi de la contrainte et qu’il avait pris part de son plein gré aux atrocités commises par le NPFL :

 

(i)                  les rebelles ne recrutaient pas de force les Mandingos, ils les massacraient. Toutefois, ce fait ne contredisait pas l’affirmation de M. Jalloh selon laquelle il avait constamment peur d’être torturé et tué lorsqu’il se trouvait derrière les lignes rebelles, mais il l’étayait. En tant que Mandingo, il craignait d’essayer de s’échapper parce qu’il avait vu ce que les rebelles faisaient aux personnes appartenant à la même ethnie que lui;

 

(ii)                M. Jalloh pouvait écouter la radio et avait été autorisé à entretenir une liaison avec une femme vivant dans la région où il se trouvait. Il était donc libre de partir. Cette preuve ne contredisait pas l’affirmation de M. Jalloh selon laquelle il n’avait pas participé de son plein gré aux crimes des rebelles et il aurait été tué s’il avait essayé de s’échapper. Il a déclaré dans son témoignage qu’il avait vu de nombreuses autres personnes gardées en captivité se faire tuer alors qu’elles tentaient de s’échapper;

 

(iii)               M. Jalloh ne s’est pas enfui pendant que les rebelles exécutaient des Mandingos dans les villages où ils effectuaient des descentes; il aurait dû pouvoir s’évader puisqu’il n’était pas alors surveillé. En fait, la Commission pensait qu’un Mandingo s’enfuirait dans des régions contrôlées par les rebelles pendant que ces mêmes rebelles massacraient des Mandingos. Selon M. Jalloh, il aurait été tué s’il avait essayé de s’enfuir. En outre, il a déclaré pendant son témoignage qu’il était ligoté pendant les descentes et qu’il ne pouvait pas s’échapper;

 

(iv)              des milliers d’autres personnes ont réussi à quitter le Libéria pendant la guerre civile. M. Jalloh aurait donc dû pouvoir le faire également. Or, ni la preuve documentaire ni les motifs de la Commission ne permettent de croire que ces personnes se trouvaient dans une situation semblable à la sienne. Rien n’indique que ces personnes étaient connues des rebelles, qu’elles appartenaient à l’ethnie mandingo ou qu’elles étaient gardées en captivité.

 

 

[28]           M. Jalloh soutient également que la Commission a fait une sélection relativement à ses conclusions concernant la crédibilité. Elle a estimé que le témoignage de M. Jalloh au sujet de sa participation aux activités du NPFL, des agressions et de la torture dont il avait été victime, de son recrutement forcé, de son rôle dans le groupe, de la conduite du NPFL et du traitement des personnes appartenant à l’ethnie mandingo étaient crédibles, mais non sa prétention selon laquelle il n’avait pas été en mesure de s’échapper. En conséquence, elle a statué qu’il n’avait pas été l’objet de contrainte. M. Jalloh soutient qu’il était plus que raisonnable qu’il ait craint de s’enfuir après avoir vu les rebelles tuer son père et les personnes qui tentaient de fuir, après avoir été capturé, battu et torturé et après avoir vu les rebelles exécuter des Mandingos.

 

[29]           À mon avis, il était loisible à la Commission d’ajouter foi à la plupart des éléments de preuve produits par M. Jalloh tout en rejetant les éléments qui n’étaient pas compatibles ou qui minimisaient l’importance de sa coopération avec le NPFL. En fait, la Commission a conclu que M. Jalloh disposait, à différents moments, d’un moyen sûr de s’échapper. Cette conclusion allait à l’encontre de la prétention de M. Jalloh selon laquelle il n’avait pas agi de son plein gré.

 

[30]           Il y a tout de même des aspects de la décision de la Commission qui sont difficiles à comprendre. La Commission a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Jalloh était membre du NPFL. Étant donné que le NPFL était clairement impliqué dans le terrorisme et la subversion, cette conclusion était suffisante pour déclarer M. Jalloh interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. De même, comme le NPFL était une organisation visant des « fins limitées et brutales », la conclusion selon laquelle M. Jalloh en était membre était suffisante pour à tout le moins présumer qu’il était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Par prudence, la Commission a examiné les autres éléments de preuve relatifs à la complicité.

 

[31]           À mon avis, la Commission a confondu les questions lorsqu’elle a conclu que M. Jalloh était complice des activités du NPFL parce que celle‑ci était une organisation visant des fins limitées et brutales. Cette dernière conclusion est pertinente au regard de la complicité uniquement lorsque la personne est clairement membre de l’organisation. Une conclusion de complicité ne saurait reposer seulement sur la nature de l’organisation.

[32]           Compte tenu des faits en l’espèce, il fallait, pour que M. Jalloh soit interdit de territoire, qu’il y ait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre d’un groupe se livrant au terrorisme ou à la subversion (al 34(1)f)) ou qu’il ait commis des crimes contre l’humanité (al 35(1)a)). La question clé sous le régime de l’alinéa 34(1)f) consiste à déterminer si la personne était réellement membre de l’organisation. En ce qui concerne les crimes contre l’humanité, la question clé consiste à savoir si la personne a réellement commis ce genre de crime ou en a été complice. La Commission n’a pas reconnu ces distinctions. Dans certains cas, lorsqu’un groupe vise des fins limitées et brutales, la complicité peut être présumée si la personne est clairement membre du groupe.

 

[33]           Les motifs de la Commission découlant de sa conclusion selon laquelle M. Jalloh était membre du NPFL vu sa participation active aux descentes, la durée de celle‑ci, la violence des descentes, le fait qu’il n’a rien fait pour prendre ses distances du groupe ou pour protéger les victimes du NPFL créent également de la confusion. Lorsqu’elle a déterminé si M. Jalloh était membre du NPFL, la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à la coercition, les soupesant séparément dans le cadre de son analyse de la défense de contrainte.

 

[34]           La Commission a procédé correctement en s’appuyant sur le fait que le mot « membre » doit être interprété de manière libérale. Un membre est une personne qui appartient à un groupe, qui se dévoue de façon significative à l’atteinte des buts de celui‑ci ou qui a été associé à d’autres membres du groupe pendant une longue période de temps.

 

[35]           Il est cependant difficile d’imaginer une situation où une personne pourrait à la fois être considérée comme membre d’un groupe et invoquer avec succès la défense de contrainte. La Commission semble avoir considéré que les deux aspects étaient totalement séparés. Elle a conclu que M. Jalloh était membre du NPFL, puis elle a examiné la question de savoir s’il avait démontré le bien‑fondé de sa défense de contrainte. Or, les propres motifs de la Commission indiquent clairement que cet exercice est quelque peu artificiel. Par exemple, la Commission s’est fondée sur la preuve démontrant que M. Jalloh n’avait pas profité des occasions qu’il avait eues de s’échapper pour conclure qu’il était membre du groupe, mais aussi pour statuer qu’il ne pouvait pas invoquer la défense de contrainte.

 

[36]           À mon avis, il est préférable d’examiner la preuve relative à l’appartenance à un groupe avec la preuve de coercition lorsque l’on détermine s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne était véritablement membre du groupe. On peut considérer, par exemple, que la preuve de contrainte annule la mens rea de l’appartenance au groupe (Thiyagarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 339). La preuve de contrainte doit donc être examinée avec la preuve relative à l’appartenance au groupe pour savoir si la personne était réellement membre du groupe ou si elle a plutôt agi pour se protéger.

 

[37]           En résumé, une personne ne peut être considérée comme étant membre d’un groupe si son association avec celui‑ci est fondée sur la contrainte. Un membre est à tout le moins une personne qui commet intentionnellement des actes afin que les buts du groupe soient atteints. Une personne qui commet sous la contrainte des actes compatibles avec ces buts ne peut être considérée comme un véritable membre.

 

[38]           Par conséquent, la conclusion selon laquelle une personne est membre d’un groupe devrait reposer sur des éléments qui indiquent que les intentions de la personne étaient en accord avec les objectifs du groupe et ne concernaient pas sa propre survie. La preuve devrait être considérée dans son ensemble afin de déterminer si la personne était véritablement membre du groupe ou si les actes qu’elle a commis au nom du groupe l’ont été sous la contrainte. Il faut bien sûr se rappeler que la question qui doit être tranchée sous le régime de l’alinéa 34(1)f) consiste à savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne était membre du groupe, et non si la preuve établit un tel lien selon la prépondérance des probabilités ou si la contrainte a été démontrée selon une quelconque norme de preuve. Cela également laisse croire que tous les éléments de preuve pertinents doivent être considérés ensemble.

 

[39]           Malgré ces observations, je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle. Ses conclusions de fait pouvaient être étayées par la preuve et le fait que son analyse ne soit peut‑être pas toujours claire ne change rien à sa conclusion finale selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Jalloh était membre du NPFL. Encore une fois, cette conclusion était raisonnable compte tenu des faits et du droit.

 

VI.       Conclusion et décision

[40]           La conclusion de la Commission était intelligible, justifiée et transparente, et elle appartenait aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En conséquence, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie n’a proposé une question de portée générale à certifier, et aucune question semblable n’est énoncée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 

 


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Sécurité

 

  34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

Atteinte aux droits humains ou internationaux

 

  35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants:

 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2002, c 27

 

Security

 

  34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

Human or international rights violations

 

   35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

 

(a) committing an act outside Canada that

constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       IMM-1390-11

 

INTITULÉ :                                                      SAMPSON JALLOH c

                                                                           LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE      ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              Le 29 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 16 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

                            POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena Wilding

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vandervennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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