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Date : 20120403


Dossier : IMM-5488-11

Référence : 2012 CF 381

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 3 avril 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

AMIT AMIT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 20 juillet 2011, qui a rejeté sa demande d’asile présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), au motif qu’il dispose en Inde d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI), par exemple la ville de Bangalore.

 

[2]               Il faut se rappeler que la notion de PRI est inhérente à la définition même de « réfugié au sens de la Convention ». Le critère à appliquer pour savoir si un demandeur d’asile dispose d’une PRI comprend deux volets. D’abord, la PRI proposée ne doit comporter aucune possibilité sérieuse que la personne concernée soit persécutée ou soumise à la persécution, ou soit exposée au risque d’être soumise à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités; et deuxièmement, les conditions ayant cours dans la région de la PRI proposée doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable que la personne concernée cherche refuge dans cette région : arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1992] 1 CF 706 (CAF).

 

[3]               C’est au demandeur d’asile qu’il appartient d’apporter la preuve réelle et concrète des conditions qui pourraient mettre sa vie en danger (Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 216). À cet égard, la Commission commettra une erreur de droit si elle néglige de considérer, dans son analyse de la PRI, les risques particuliers auxquels se sent exposé un demandeur d’asile (Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] ACF n° 1496, aux paragraphes 15 à 22).

 

[4]               Dans la décision contestée, la conclusion de la Commission selon laquelle une PRI existe n’est pas raisonnable. Il n’est pas contesté que la crainte de persécution qu’éprouve le demandeur repose sur un motif prévu par la Convention, à savoir les convictions politiques qu’on lui prête. Le raisonnement tout entier de la Commission est fondé sur le postulat erroné selon lequel le demandeur serait un militant sikh qui passe inaperçu, mais la véritable question ici est de savoir si, dans la mesure où l’on ajoute foi au récit du demandeur, un jeune Hindou qui a été détenu, photographié, interrogé et torturé par la police de New Delhi, et dont les empreintes digitales ont été relevées, en raison de ses liens supposés avec un présumé terroriste à la suite de l’attentat à la bombe en 2008 à Mumbai, a une crainte fondée de persécution partout en Inde.

 

[5]               Au lieu de s’attacher à cet aspect fondamental de la demande d’asile, la Commission se fonde sur une preuve documentaire selon laquelle [traduction] « même si la police du Pendjab est véritablement déterminée à poursuivre, partout en Inde, les Sikhs qu’elle considère comme des militants purs et durs, en fait, seule une poignée de militants sont susceptibles de faire l’objet de mesures d’exécution de la loi si étendues » (Cartable national de documentation – Inde, 31 mai 2010, onglet 2.5). Quoi qu’il en soit, l’attentat à la bombe de Mumbai fut une grande tragédie qui a attiré l’attention nationale en Inde. La Commission n’ayant pas véritablement analysé la crainte subjective de persécution ressentie par le demandeur d’asile, sa conclusion selon laquelle il dispose à Bangalore d’une PRI est arbitraire

 

[6]               Une autre erreur susceptible de contrôle est l’absence d’une réelle analyse de la crédibilité du demandeur, qui affirme avoir été torturé durant trois jours par la police et qui a produit une preuve documentaire confirmant sa version des faits. Cependant, nulle part la Commission ne conclut clairement que le demandeur n’est pas crédible (sauf en ce qui concerne le caractère invraisemblable des événements postérieurs à l’incident mettant en cause la police). Il en résulte que le reste de l’analyse de la Commission concernant l’existence d’une PRI ne manque pas d’être suspect (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] ACF 607, aux paragraphes 22, 32-33 et 49; Jimenez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] ACF 879, aux paragraphes 13 à 18; Pikulin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] ACF 1244, aux paragraphes 12-13 et 22-23).

 

[7]               Si la Commission avait clairement et distinctement énoncé ses conclusions de fait, l’analyse du fondement objectif de la demande d’asile n’aurait peut-être pas été tronquée par la conclusion selon laquelle il existe une PRI en Inde. Il ne s’agit pas ici d’un cas où seul l’article 97 de la Loi est en jeu et où il serait peut-être inutile pour la Commission de faire une analyse de la crainte subjective du demandeur d’asile (Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2011] ACF 708; Lezama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2011] ACF 1213).

 

[8]               Pour tous ces motifs, la demande doit être accueillie. La décision est annulée et l’affaire sera renvoyée pour nouvel examen à un autre tribunal de la Commission, qui devra, entre autres choses, analyser la crainte subjective du demandeur, et notamment évaluer la crédibilité et la vraisemblance de son récit, pour ensuite analyser le risque de persécution, la question de la PRI et l’existence d’une protection de l’État, selon le cas.

 

[9]               Le défendeur n’a proposé aucune question à certifier, tandis que le demandeur a proposé la question suivante comme question grave de portée générale à certifier :

[traduction] Est-il conforme au droit de dire qu’il existe une possibilité de refuge intérieur lorsqu’une victime de persécution, en l’occurrence une victime de torture, tente d’échapper à la police ou autres agents de l’État? N’existe-t-il pas une présomption légale selon laquelle il n’y a aucune possibilité de refuge intérieur lorsque la persécution est exercée par l’État ou par des agents de l’État?

 

 

 

[10]           Après examen des observations orales des avocats à l’audience, aucune question ne sera certifiée. Il n’est pas nécessaire de certifier une question de droit s’il y a encore matière à débattre sérieusement les conclusions de fait tirées par la Commission. J’ajouterais que l’existence d’une PRI est largement tributaire des faits. En passant, la proposition générale selon laquelle ce serait commettre une erreur de droit que de soutenir qu’une PRI existe quand la persécution vient de l’État lui-même ou d’agents de l’État, par exemple les corps policiers, n’a pas été sérieusement contestée par le défendeur dans la présente instance.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.                  La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre tribunal de la Commission, qui devra, entre autres choses, analyser la crainte subjective du demandeur, et notamment évaluer la crédibilité et la vraisemblance de son récit, pour ensuite analyser le risque de persécution, la question de la PRI et l’existence d’une protection de l’État, selon le cas;

 

3.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5488-11

 

 

INTITULÉ :                                      AMIT AMIT   et   MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 mars 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MARTINEAU

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 3 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Angela Joshi

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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