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Date : 20120329


Dossier : IMM‑1651‑11

Référence : 2012 CF 370

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

ZORICA VUKIC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande de résidence permanente de Zorica Vukic a été refusée parce qu’une agente des visas a établi qu’il existait des motifs raisonnables de croire que son mari était interdit de territoire au Canada parce qu’il avait été membre d’une organisation qui se livrait à des actes d’espionnage.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que Mme Vukic et son mari ont été traités équitablement dans le cadre du processus d’immigration et que le constat d’interdiction de territoire fait par l’agente était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Contexte

 

[3]               Madame Vukic est citoyenne de Serbie et vit actuellement à Ottawa en vertu d’un permis de travail de résident temporaire.

 

[4]               Le mari de Mme Vukic, Zoran, a travaillé à l’ambassade de la République fédérale de Yougoslavie (maintenant la Serbie et le Monténégro) à Ottawa entre 1998 et 2002. Attaché des communications à l’ambassade, il était responsable de la réception et de la transmission de toutes les communications protégées entre l’ambassade et le ministère des Affaires étrangères à Belgrade.

 

[5]               Monsieur Vukic indique qu’il devait, en tant qu’attaché des communications, transmettre des messages cryptés au ministère des Affaires étrangères à Belgrade. La seule autre méthode d’envoi de communications protégées entre l’ambassade à Ottawa et le ministère à Belgrade était la valise ou le courrier diplomatique. Ces communications étaient coordonnées par divers fonctionnaires de l’ambassade.

 

[6]               Monsieur Vukic a été interrogé à l’ambassade du Canada à Belgrade le 16 août 2005 relativement à la demande de résidence permanente de la famille. Le 21 décembre 2005, Mme Vukic et les membres de sa famille ont été informés que la section des visas à Vienne était entrée en possession de nouveaux renseignements qui exigeaient une enquête plus approfondie. Monsieur Vukic a été interrogé une autre fois le 20 mars 2006.

 

[7]               Une lettre datée du 4 mai 2007 informait Mme Vukic qu’il existait des « motifs raisonnables de croire » que M. Vukic était interdit de territoire au Canada en vertu du paragraphe 34(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. La lettre précisait que M. Vukic était ou avait été membre de la Sluzba za istrazavanje dokumentacije (la « SID »), une organisation qui se livrait systématiquement à l’espionnage des gouvernements et institutions démocratiques occidentaux à l’époque du communisme. La lettre invitait aussi M. et Mme Vukic à fournir des renseignements supplémentaires s’ils disposaient d’éléments de preuve pour répondre aux préoccupations à ce sujet.

 

[8]               Monsieur et Mme Vukic ont par la suite remis à l’agent de nombreux documents comprenant notamment le curriculum vitæ de M. Vukic, des affidavits provenant d’un certain nombre de personnes (y compris de deux ex‑ambassadeurs), un organigramme du ministère des Affaires étrangères et des documents relatifs à l’emploi de M. Vukic.

 

[9]               L’agent des visas a néanmoins jugé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Vukic était interdit de territoire en vertu du paragraphe 34(1) de la LIPR et que Mme Vukic, en tant que membre de la famille de M. Vukic, était aussi interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 42a) de la LIPR.

 

[10]           Madame Vukic a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Cette demande a par la suite fait l’objet d’un désistement sur consentement du fait que la question serait réexaminée par un autre agent des visas.

 

[11]           Le 9 février 2011, M. Vukic a été interrogé par la nouvelle agente des visas, en poste à Vienne, qui a rendu une décision négative le jour suivant relativement à la demande de résidence permanente.

 

La décision de l’agente des visas

 

[12]           L’agente des visas a conclu que Mme Vukic était interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 42a) de la LIPR du fait que son mari était interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)a) et f) de la LIPR. Selon l’agente, il existait des motifs raisonnables de croire que M. Vukic était interdit de territoire au Canada parce qu’il avait été membre de la SID, une organisation qui se livrait à l’espionnage. L’agente a fondé sa décision sur trois constatations principales.

 

[13]           Premièrement, l’agente a conclu que le fait pour M. Vukic d’indiquer dans son témoignage qu’il était un employé du ministère des Affaires étrangères ne l’empêchait pas de travailler aussi avec ou pour la SID au cours de la même période.

 

[14]           Deuxièmement, l’agente a souligné que M. Vukic était le seul agent des communications qui travaillait à l’ambassade de Yougoslavie à Ottawa entre 1998 et 2002 et qu’il était chargé de la réception et de la transmission de toutes les communications protégées entre l’ambassade et Belgrade. Pour cette raison, l’agente a estimé que la déclaration de M. Vukic, faite par ce dernier au cours de son entrevue du 9 février 2011, selon laquelle il n’avait jamais vu de communications en direction ou en provenance de la SID, n’était pas crédible. L’agente a aussi établi que cette déclaration semblait contredire des déclarations antérieures faites par M. Vukic.

 

[15]           Enfin, l’agente n’a pas accepté la déclaration de M. Vukic selon laquelle ce dernier ne savait pas de quelle façon la SID exerçait ses activités à l’ambassade d’Ottawa. L’agente a estimé qu’il était difficile de croire que M. Vukic ignore absolument tout de la présence et des activités de la SID à l’ambassade étant donné qu’il y avait travaillé pendant quatre ans, à l’intérieur d’un très petit groupe d’employés. L’agente a aussi souligné que le prédécesseur de M. Vukic avait travaillé pour la SID.

 

[16]           Mme Vukic soutient qu’elle‑même et son mari ont été traités de façon inéquitable par l’agente des visas et que le constat d’interdiction de territoire était déraisonnable.

 

Cadre législatif

 

[17]           Avant d’examiner les faits de l’espèce, il est utile de comprendre les dispositions relatives à l’interdiction de territoire qui sont en jeu. Il s’agit des alinéas 34(1)a) et f) et de l’alinéa 42a) de la LIPR. En voici le texte :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

[...]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

[...]

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

42. A foreign national, other than a protected

person, is inadmissible on grounds of an inadmissible

family member if

 

(a) their accompanying family member or,

in prescribed circumstances, their non‑accompanying

family member is inadmissible;

 

 

[18]           Lorsqu’il tire une conclusion en vertu du paragraphe 34(1) de la Loi, l’agent d’immigration doit aussi s’inspirer de l’article 33 de la LIPR, lequel dispose :

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

 

Est‑ce que M. et Mme Vukic ont été traités de façon inéquitable par l’agente des visas?

 

[19]           Madame Vukic allègue qu’elle‑même et son mari ont été traités de façon inéquitable par l’agente des visas. Selon Mme Vukic, la preuve produite contre M. Vukic ne leur ayant pas été présentée, ils n’ont donc pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente. Madame Vukic allègue également que les motifs de l’agente n’étaient pas suffisants et que cette dernière avait fait preuve de partialité.

 

[20]           Je reconnais que les questions relatives à la divulgation de la preuve et à la partialité soulèvent des questions d’équité procédurale. Cependant, l’établissement du caractère suffisant des motifs fournis par l’agente relève plutôt du critère de la décision raisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708.

 

[21]           Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, la Cour doit établir si le processus suivi par le décideur répond au degré d’équité requis dans toutes les circonstances : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 43.

 

[22]           Selon la jurisprudence de la Cour, l’obligation d’équité est respectée dans la mesure où le demandeur a l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent des visas : voir, par exemple, Moiseev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 88, par. 28; Jahazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 242, par. 52.

 

[23]           En l’espèce, Mme Vukic savait depuis février 2007 que les fonctionnaires de l’immigration avaient des inquiétudes au sujet des relations passées de son mari avec la SID. Ces préoccupations ont été transmises à M. Vukic au cours des diverses entrevues qu’il a subies et il a amplement eu la possibilité de répondre aux préoccupations des agents dans le cadre de ces entrevues.

 

[24]           Monsieur et Mme Vukic ont aussi eu la possibilité de remettre à l’agente tous les éléments de preuve documentaires qu’ils voulaient transmettre afin d’étayer leur argumentation. De plus, ils ont pleinement tiré profit de cette occasion.

 

[25]           En fait, la demanderesse n’a pu relever aucun élément de preuve ou renseignement sur lequel l’agente des visas s’était fondée pour rendre sa décision dont ils n’avaient pas été informés ou qui aurait pris Mme Vukic ou son mari par surprise. Le couple n’a su relever non plus aucun renseignement sur lequel l’agente s’était fondée qui les aurait privés de la possibilité de répondre.

 

[26]           Madame Vukic allègue aussi que l’agente était partiale et qu’elle [traduction] « essayait volontairement et malicieusement d’inventer des contradictions avec les entrevues précédentes afin de justifier sa décision et de protéger la preuve qu’elle [refusait] de divulguer ». Il est également allégué que l’agente [traduction] « a déformé la vérité et a inventé des mensonges » : voir le mémoire des faits et du droit de Mme Vukic, au paragraphe 37.

 

[27]           Le critère qui permet d’établir s’il y a partialité ou crainte raisonnable de partialité relativement à un décideur est bien connu. La Cour doit se demander à quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Plus précisément, croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? Voir : Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394.

 

[28]           Une allégation de partialité, particulièrement de partialité réelle, par opposition à une crainte de partialité, est une allégation grave. En fait, elle met en cause l’intégrité même du décideur dont la décision est contestée. Par conséquent, il faut faire preuve de beaucoup de rigueur pour tirer une conclusion de partialité : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 113.

 

[29]           Madame Vukic n’a fourni aucune preuve convaincante pour démontrer que l’agente avait fait preuve de partialité en l’espèce. Le fait que Mme Vukic ne souscrit pas à l’évaluation de la preuve par l’agente ou les inférences tirées par cette dernière à partir des éléments de preuve ne prouve pas qu’elle a été partiale. Cependant, ses préoccupations à cet égard seront abordées dans l’examen du caractère raisonnable de la décision de l’agente.

 

[30]           Par conséquent, je ne suis pas convaincue que le processus suivi par l’agente des visas en l’espèce n’était pas équitable.

 

La décision de l’agente des visas était-elle déraisonnable?

 

[31]           Je comprends que les parties conviennent que la conclusion de l’agente relativement à la question du statut de membre d’une organisation est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Étant donné qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, je conviens qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable : voir Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] A.C.F. no 381.

 

[32]           Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, de même que de l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47, et Khosa, ci-dessus, par. 59.

 

[33]           Mme Vukic reproche à l’agente de ne pas avoir défini le terme [traduction] « espionnage » dans sa décision et de ne pas avoir précisé quels actes posés par M. Vukic correspondraient à cette définition.

 

[34]           Cette observation repose sur une mauvaise interprétation de la nature du constat d’interdiction de territoire tirée en l’espèce. En effet, l’agente n’a pas établi que M. Vukic avait été mêlé personnellement à des actes qui constituent de l’espionnage. Elle a plutôt conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Vukic était membre de la SID, ou qu’il avait travaillé en collaboration étroite avec cette dernière, une organisation qui se livrait à l’espionnage.

 

[35]           Madame Vukic n’a pas contesté la conclusion de l’agente selon laquelle la SID était une organisation qui se livrait systématiquement à l’espionnage contre les gouvernements et institutions démocratiques occidentaux à l’époque du communisme. De plus, cette conclusion était nettement étayée par le dossier, où il était précisé que la SID, en tant que service du ministère des Affaires étrangères, était chargée du soutien aux ambassades yougoslaves en matière de cryptage et de communications protégées. Cet élément de preuve établissait également que la SID coordonnait la collecte à l’étranger de renseignements politiques et économiques, de même que de renseignements concernant les émigrés yougoslaves.

 

[36]           Par conséquent, il s’agit uniquement d’établir s’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Vukic était « membre » de la SID aux fins de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

 

[37]           La Cour suprême du Canada a indiqué que la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, exige « davantage qu’un simple soupçon, mais [reste] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile ». La Cour suprême a ensuite conclu que l’existence de motifs raisonnables suppose que « [l]a croyance doit [...] posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi », par. 114.

 

[38]           En ce qui concerne le critère qui permet d’établir le statut de membre, il est clair que l’adhésion effective ou formelle à une organisation n’est pas requise, mais que ce terme est compris au sens large : voir Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642, par. 34. De plus, il y aura toujours des facteurs qui confirmeront une conclusion établissant l’existence d’un statut de membre et d’autres qui s’y opposeront : voir Poshteh, ci-dessus, par. 36.

 

[39]           Madame Vukic soutient que la conclusion de l’agente quant au statut de membre de son mari n’était pas étayée par des éléments de preuve ou des conclusions et que, par conséquent, elle était déraisonnable. Elle allègue de plus que l’agente des visas s’est appuyée sur des renseignements flous ou de caractère douteux et qu’elle a formulé de graves accusations à l’égard du mari de Mme Vukic, qui ont terni la réputation de la famille. Comme il a été souligné précédemment, Mme Vukic soutient aussi que les motifs fournis par l’agente pour justifier son constat d’interdiction de territoire étaient insuffisants.

 

[40]           Je ne souscris à aucun de ces arguments.

 

[41]           Une bonne partie de la preuve soumise par M. Vukic a démontré qu’il était un employé du ministère des Affaires étrangères. L’agente a tenu compte de ces éléments de preuve, soulignant que le fait que M. Vukic avait travaillé pour le ministère des Affaires étrangères ne l’empêchait pas de travailler en plus pour la SID. J’estime qu’il s’agissait d’une conclusion raisonnable.

 

[42]           Outre le fait que l’organigramme fourni par M. Vukic révèle que la SID était en fait une composante du ministère des Affaires étrangères, il a aussi reconnu lors de son entrevue de décembre 2006 que la SID et le ministère des Affaires étrangères étaient des organisations [traduction] « intimement liées ».

 

[43]           Monsieur Vukic affirme aussi que l’agente a commis une erreur en établissant que son prédécesseur travaillait pour la SID. Selon la version de M. Vukic, donnée au cours de son témoignage, son prédécesseur n’a travaillé pour la SID qu’après son retour à Belgrade. I est vrai que M. Vukic a déclaré pendant une partie de son entrevue de février 2011 que son prédécesseur était allé travailler pour la SID après son retour à Belgrade, mais son témoignage sur ce point n’était pas complètement clair ou cohérent.

 

[44]           En fait, plus loin au cours de son entrevue de février 2011, M. Vukic semble avoir reconnu le fait qu’une personne pouvait à la fois travailler pour la SID et le ministère des Affaires étrangères. Il semblait donc reconnaître qu’un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères à l’ambassade pouvait aussi avoir travaillé pour la SID pendant qu’il se trouvait à Ottawa. Il n’est pas établi clairement si cette personne était le prédécesseur de M. Vukic ou une autre personne.

 

[45]           Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincue que l’erreur qu’aurait pu commettre l’agente à cet égard avait un poids suffisamment important dans son constat d’interdiction de territoire pour justifier l’annulation de la décision. Comme il sera expliqué plus loin, l’agente possédait bon nombre d’autres motifs pour conclure que M. Vukic était interdit de territoire et chacun d’entre eux peut résister à un examen approfondi.

 

[46]           L’agente a examiné les éléments de preuve relatifs à la nature de l’emploi de M. Vukic à l’ambassade de Yougoslavie à Ottawa. Étant donné que M. Vukic a reconnu qu’il était le seul responsable de l’envoi et de la réception des messages cryptés entre l’ambassade et Belgrade, il était raisonnable que l’agente conclue que M. Vukic avait participé à la transmission de messages en direction et en provenance de la SID.

 

[47]           Étant donné le sens très large, nuancé par aucune restriction, du terme « membre » tel qu’il figure à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, il était raisonnable que l’agente estime que le soutien aux activités de la SID fourni par M. Vukic était suffisant pour qu’il soit visé par la disposition.

 

[48]           De plus, il était loisible à l’agente d’évaluer la crédibilité de la déclaration de M. Vukic à son entrevue de février 2011 selon laquelle il n’avait jamais vu de communications en direction ou en provenance de la SID au cours de la période où il a travaillé pour l’ambassade. La conclusion de l’agente selon laquelle cette allégation n’était pas crédible était raisonnable, particulièrement vu le fait que M. Vukic a lui‑même décrit son rôle comme celui d’un [traduction] « préposé au cryptage » et qu’il avait reconnu jouer un rôle dans la transmission et la réception de messages cryptés, dont certains, avait‑il reconnu, étaient [traduction] « secrets ».

 

[49]           L’agente a pris note de l’allégation de M. Vukic selon laquelle les messages en direction et en provenance de la SID auraient transité par l’intermédiaire du conseiller politique plutôt que par celui de M. Vukic lui‑même. Cependant, comme l’agente l’a souligné, M. Vukic a aussi déclaré que le conseiller avait quitté l’ambassade quelques années après que M. Vukic eut commencé à y travailler. Monsieur Vukic a déclaré qu’il ne savait pas qui était responsable des communications avec la SID après le départ du conseiller politique, même s’il a dit qu’il avait une hypothèse à ce sujet.

 

[50]           Il était aussi raisonnable que l’agente des visas remette en question la crédibilité de la déclaration de M. Vukic selon laquelle il n’avait jamais vu de communications en direction ou en provenance de la SID, compte tenu des notes au dossier indiquant que M. Vukic avait déjà admis que certains des messages qu’il avait envoyés à Belgrade auraient très bien pu avoir été destinés à la SID.

 

[51]           Enfin, les motifs fournis par l’agente expliquent clairement les fondements du constat d’interdiction de territoire. Ils satisfont aux critères de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité qui doivent se rattacher à une décision raisonnable.

 

[52]           Étant donné que la conclusion de l’agente selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que M. Vukic était interdit de territoire au Canada pour avoir été membre de la SID était en elle‑même raisonnable, il s’ensuit que la conclusion selon laquelle Mme Vukic était interdite de territoire au Canada en vertu de l’article 42 de la LIPR en tant que conjointe d’une personne interdite de territoire était aussi raisonnable.

 

Conclusion

 

[53]           Pour ces motifs, je suis convaincue que le processus suivi en l’espèce n’était pas inéquitable. Je suis de plus convaincue que la conclusion de l’agente selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que M. Vukic était interdit de territoire au Canada pour avoir été membre d’une organisation qui se livrait à l’espionnage était raisonnable. Il était donc raisonnable de conclure que Mme Vukic était elle‑même interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 42a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[54]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification

 

[55]           Aucune question ne sera certifiée, les parties n’en ayant proposé aucune.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1651‑11

 

 

INTITULÉ :                                       ZORICA VUKIC c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET AUTRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 28 mars 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              la juge MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                      le 29 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Zarko Tatomirovic‑Manula

POUR LA DEMANDERESSE

 

Max Binnie

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

TATOMIROVIC MANULA LAW OFFICE

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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