Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 Date : 20120328


Dossier : IMM-4895-11

Référence : 2012 CF 359

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MIRASH SELMANAJ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 19 juillet 2011 par laquelle l’agente de soutien au programme (l’agente) a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

 

 

Les faits         

[2]               Le demandeur, Mirash Selmanaj, est un citoyen de l’Allemagne. Il a présenté une demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), dans la catégorie CNP‑7625 (soudeurs) en avril 2011. Le demandeur avait un avis sur un emploi réservé (AER) pour un poste à Bordeaux Welding X‑Perts Ltd, une entreprise pour laquelle le demandeur a déjà travaillé comme soudeur.

 

[3]               Dans les observations écrites qu’il a présentées à l’appui de sa demande, le demandeur a reconnu qu’il n’avait pas le nombre minimum de points requis, mais il a présenté les arguments suivants pour appuyer la substitution de l’appréciation en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227) (le Règlement) :

a.       Les exigences en matière de compétences linguistiques étaient en train d’être modifiées afin de préciser qu’il n’était pas nécessaire que le niveau des compétences linguistiques des ouvriers qualifiés, comme le demandeur, soit élevé.

b.      Le demandeur a déjà travaillé avec succès au Canada pendant trois ans et la même société lui a offert un emploi.

c.       Le demandeur avait été jugé admissible pour subir un examen en vue de l'obtention du Sceau rouge, qui est un certificat de qualification de soudeur qui permet à son titulaire de travailler dans toutes les provinces.

d.      Les instructions ministérielles du 26 juin 2010 indiquent que le métier de soudeur est un emploi à forte demande.

 

[4]               Dans une lettre datée du 19 juillet 2011, l’agente a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la résidence permanente. Au vu des résultats de tests linguistiques dans le dossier, l’agente a accordé au demandeur 1 point sur 24 pour ses compétences dans les langues officielles. Elle a accordé 19 points sur 21 pour les antécédents professionnels, parce que la majeure partie de la documentation portant sur les emplois du demandeur,

[traduction]

[…] ne démontrait pas avec suffisamment de force que [le demandeur] avait accompli les tâches décrites dans l’énoncé principal sur la profession ou qu’il avait accompli un nombre important des fonctions principales de la profession selon la description de la profession de la CNP‑7265, y compris les fonctions essentielles.

 

 

[5]               L’agente a refusé de substituer son appréciation en faveur du demandeur conformément au paragraphe 76(3) du Règlement. Elle a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

J’estime que les points reflètent de manière exacte votre aptitude à réussir votre établissement économique au Canada. Je suis parvenue à cette conclusion parce que les facteurs que vous avez fait valoir à l’appui d’une appréciation de substitution en votre faveur, les années d’expérience et le travail antérieur au Canada, ont déjà été considérés et que des points ont été accordés à leur égard. En conséquence, je ne substituerai pas mon appréciation conformément au paragraphe 76(3).

 

 

Les questions en litige

 

[6]               Les questions en litige soulevées en l’espèce consistent à savoir si la décision de l’agente était raisonnable et si l’agente a entravé son pouvoir discrétionnaire en concluant que tout facteur pour lequel des points sont accordés en vertu de l’alinéa 76(1)a) ne pouvait pas être considéré de nouveau en vertu du paragraphe 76(3).

 

L’analyse

 

Première question : la décision de l’agente est‑elle raisonnable?

 

[7]               Les parties ont convenu que le caractère suffisant des motifs devait être évalué dans le cadre de l’analyse de la raisonnabilité et que la Cour pouvait se reporter au dossier pour déterminer la raisonnabilité de la décision, comme la Cour l’a récemment déclaré dans Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 39 au paragraphe 6 :

L’adéquation des motifs est assujettie à la norme de la raisonnabilité. Pour y satisfaire, les motifs doivent expliquer, avec un minimum de force persuasive, le raisonnement sur lequel les constatations et les conclusions reposent. Ils doivent être transparents, ce qui veut dire que l’analyse factuelle et juridique qui sous-tend la conclusion ou le résultat doit être discernable. Il n’est pas nécessaire pour cela que tous les arguments, la jurisprudence et la preuve soient mentionnés, mais les motifs, pris comme un tout et lus dans le contexte du dossier, doivent attester la raisonnabilité de la décision : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

 

 

[8]               Si l’on applique cette analyse, la décision faisant l’objet du contrôle comporte une justification raisonnable de l’issue et rien dans le dossier n’étaye la conclusion portant que l’issue était déraisonnable.

 

[9]               Comme le demandeur le reconnaît, la Cour a maintes fois statué que l’agent n’était pas tenu de motiver son refus d’exercer le pouvoir discrétionnaire visé au paragraphe 76(3). Le juge Maurice Lagacé a déclaré ce qui suit dans Budhooram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 18, au paragraphe 31 : « Rien dans les règlements, les lignes directrices ou la jurisprudence n’oblige les agents des visas à motiver leur refus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire. Cependant, il ressort clairement des notes du STIDI au dossier que l’agente n’était pas convaincue que les points reflétaient mal l’aptitude du demandeur à réussir son établissement. » Voir aussi Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 418; Mina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1182.

 

[10]           Le demandeur s’appuie sur les commentaires de la juge Judith Snider dans Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 617 au paragraphe 59, selon lesquels lorsqu’un demandeur présente des observations précises sur la raison pour laquelle une appréciation de substitution serait justifiée, l’agent « [serait obligé] de fournir une analyse et des motifs plus élaborés ». Cependant, la juge Snider souligne ensuite au paragraphe 61 que la Cour avait maintes fois statué que les agents ne sont pas tenus de fournir des motifs dans ce contexte particulier.

 

[11]           Les deux arrêts sur lesquels le demandeur s’appuie, soit Beryl Abro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada), 2009 CF 1258, et Choi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada), 2008 CF 577, ne lui sont d’aucun secours. Dans chacune de ces affaires, le refus d’accorder une appréciation de substitution a été jugé raisonnable sur le fondement des faits de l’espèce.

 

[12]           Dans Choi, la demanderesse avait un AER et les fonds dont elle disposait pour s’établir s’élevaient à 700 000 $. L’agent dans cette affaire a refusé d’accorder des points pour l’emploi réservé parce que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences en matière de compétence linguistique pour le poste; la Cour a toutefois statué que cette conclusion ne tenait pas compte de la lettre de l’employeur selon laquelle il pensait que la demanderesse pouvait s’acquitter de l’emploi malgré ses compétences linguistiques. Dans Beryl Abro, la demanderesse avait également un AER et disposait de fonds considérables pour s’établir. L’agente a toutefois refusé de substituer son appréciation, car la demanderesse avait exploité sa propre entreprise et n’avait pas travaillé pour un employeur depuis 1986. La Cour a conclu que rien au dossier ne permettait d’étayer cette conclusion.

 

[13]           Dans chacune de ces affaires, la Cour a donc fondé sa conclusion selon laquelle l’issue était déraisonnable sur le dossier dont l’agent disposait. L’agent avait fondé sa décision sur des considérations non pertinentes ou n’avait pas tenu compte des facteurs convaincants présentés par le demandeur.

 

[14]           Par contraste, j’estime qu’en l’espèce la conclusion de l’agente est raisonnable compte tenu du dossier. La plus grande partie des considérations présentées par le demandeur à l’appui d’une appréciation de substitution avaient déjà été prises en compte dans ses résultats : l’appréciation régulière avait pris en compte son expérience de travail au Canada, sa formation ainsi que son emploi réservé. Le paragraphe 76(3) vise à permettre à l’agent de substituer d’autres considérations pouvant également démontrer la probabilité que le demandeur réussisse son établissement au Canda.

 

[15]           Dans Raquidan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 237, le juge Michael Kelen, comparant l’affaire sur laquelle il devait statuer avec l’affaire dans Choi, a déclaré au paragraphe 31 :

En l’espèce, il n’existe pas de tel facteur clairement déraisonnable dont l’agent des visas n’a pas tenu compte et qui, si l’agent des visas l’avait pris en compte, montrerait de manière convaincante que le demandeur avait l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Je suis convaincu qu’il était raisonnablement loisible à l’agent des visas de tirer la conclusion qu’il a tirée, à savoir que les points attribués reflètent la « capacité d’établissement » du demandeur.

 

 

[16]           De même dans la présente espèce, je conclus que les facteurs invoqués par le demandeur ne constituent pas des circonstances suffisamment probantes pour que le défaut de les considérer rende déraisonnable la décision de l’agente. L’existence d’une forte demande de soudeurs ne justifie pas à elle seule une substitution d’appréciation. Toutes les professions dans le programme des travailleurs qualifiés sont par définition recherchées, autrement le Canada ne serait pas à la recherche de travailleurs pour ces professions. De plus, le demandeur avait déjà établi qu’il avait une offre d’emploi, ce qui démontrait également que ses compétences étaient recherchées. Si cela suffisait sans plus à justifier une issue favorable aux demandeurs, alors il suffirait d’avoir seulement un emploi réservé pour obtenir la résidence permanente au titre de cette catégorie.

 

[17]           S’agissant de ses observations écrites sur ses compétences linguistiques, le demandeur soutient que l’on prévoyait modifier le système de points sur les compétences linguistiques et que, selon les modifications proposées, les ouvriers qualifiés seraient assujettis à une norme moins sévère que les professionnels parce qu’une compétence linguistique forte n’est pas nécessaire pour ces emplois. Cependant, le document d’information fourni par le défendeur indique ce qui suit :

CIC mènera des consultations sur les changements proposés, qui auraient pour effet de faire passer le maximum pour la compétence dans la première langue officielle de 16 à 20 points, et d’établir des exigences minimales relatives à la langue selon l’emploi que l’immigrant a l’intention d’exercer. Par exemple, les exigences ne seraient pas les mêmes pour un gestionnaire ou un professionnel et un ouvrier qualifié.

 

 

[18]           Il est en fait proposé de rendre plus sévères les normes relatives aux compétences linguistiques, au moins pour certaines professions, et d’imposer une exigence minimale en matière de compétences linguistiques pour les métiers. Dans le cas le plus favorable, cette modification n’aurait aucun effet sur les demandes comme celle de l’espèce. Par conséquent, le fait pour l’agente de ne pas avoir explicitement abordé cette observation ne rend pas sa décision déraisonnable.

 

[19]           Enfin, en ce qui a trait au fait que le demandeur était admissible à subir un examen en vue d’obtenir le Sceau rouge, les faits qui ont été présentés à l’agente n’allaient pas plus loin. Rien ne démontrait qu’il avait fait l’examen.

 

[20]           Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que l’appréciation de l’expérience de travail du demandeur faite par l’agente était raisonnable. Il est clairement précisé que les lettres présentées pour démontrer l’expérience de travail doivent inclure [traduction] « tous les détails sur les responsabilités et tâches pour chaque poste ». Le demandeur était au courant des éléments que ces lettres devaient contenir et, par conséquent, comme le fait valoir le défendeur, il [traduction] « doit assumer tous les risques » d’avoir présenté des lettres insuffisantes. Par conséquent, rien ne justifie l’intervention de la Cour.

 

Deuxième question : l’agente a‑t‑elle entravé son pouvoir discrétionnaire?

 

[21]           Le demandeur ne m’a pas convaincu que l’agente a entravé son pouvoir discrétionnaire, car elle n’a pas conclu qu’un facteur pour lequel des points étaient accordés en vertu de l’alinéa 76(1)a) ne pouvait pas être considéré de nouveau en vertu du paragraphe 76(3).

 

[22]           Il est utile de fournir le texte du paragraphe 76(3) :

Substitution de l’appréciation de l’agent à la grille

 

76. (3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

Circumstances for officer's substituted evaluation

 

76. (3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

[23]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la loi permet à l’agent de considérer l’ensemble des circonstances, y compris celles qui ont déjà été évaluées dans le cadre du système de points. Par conséquent, la substitution de l’appréciation est justifiée lorsque les points reçus par le demandeur en vertu de l’alinéa 76(1)a) ne reflètent pas exactement son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Cependant, comme le défendeur le fait valoir, l’agente n’a pas déclaré qu’il lui était interdit de considérer les critères pour lesquels des points avaient été accordés, mais elle a plutôt raisonnablement conclu qu’aucun élément qui n’avait pas été pris en compte dans les points reçus par le demandeur ne démontrait qu’il réussirait son établissement économique au Canada. Essentiellement, l’argument selon lequel l’agente a entravé son pouvoir discrétionnaire n’a aucun fondement factuel.

 

[24]           Les décisions invoquées par le demandeur, dans lesquelles il a été conclu à une entrave de la discrétion, ne s’appliquent donc pas à l’espèce, car l’agente a tenu compte de tous les facteurs, que le demandeur eût « obt[enu] ou non » des points à leur égard.

 

[25]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune n’est soulevée.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4895-11

 

INTITULÉ :                                       MIRASH SELMANAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

POUR LE DEMANDEUR

 

Jelena Urosevic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bellissimo Law Group
Avocats
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.