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Date : 20120327


Dossier : T-1067-11

Référence : 2012 CF 361

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2012  

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

MICHAEL HADDAD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi), quant à une décision d’un juge de la citoyenneté. Monsieur Michael Haddad (M. Haddad) conteste le rejet de sa demande, consigné dans une lettre datée du 27 avril 2011, parce qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.  

 

I.          Les faits

 

[2]               Le demandeur est devenu résident permanent du Canada le 14 octobre 2003. Il a présenté une demande de citoyenneté le 24 octobre 2007. La période de résidence pertinente est donc celle comprise entre le 24 octobre 2003 et le 24 octobre 2007. Il a déclaré 351 jours d’absence, ce qui lui laissait 1 109 jours de présence physique.

 

[3]               Le demandeur a comparu devant un juge de la citoyenneté le 11 avril 2011. On lui a donné la possibilité de déposer des éléments de preuve additionnels. Il a produit diverses factures provenant d’une station-service.

 

[4]               Le juge de la citoyenneté a rendu sa décision le 27 avril 2011. Cependant, le dossier certifié du tribunal contient deux lettres adressées au demandeur qui renferment toutes deux les mêmes motifs globaux de décisions. Cependant, l’exposé des faits de l’une de ces lettres est erroné.

 

[5]               Je laisse de côté pour l’instant le fait que l’une des décisions contient un exposé des faits erroné et je m’attarderai, pour les besoins du contrôle judiciaire, aux motifs de rejet de la demande, puisque ceux‑ci sont identiques dans les deux lettres.

 

II.         La décision quant à la citoyenneté

 

[6]               Le juge de la citoyenneté a relevé que le principal problème de la demande était [traduction] « le manque d’éléments de preuve au sujet de la présence physique continue ainsi que des doutes concernant la crédibilité des témoignages du demandeur à cet égard ».

 

[7]               Le juge de la citoyenneté a eu de la difficulté à croire qu’un jeune ingénieur en mécanique avait mis sept ans à apprendre comment exploiter une station-service. Les réponses vagues que le demandeur avait données au sujet de ce qu’il faisait comme tâche dans le jour laissaient planer des soupçons quant à sa situation d’emploi au Canada.

 

[8]               Les dossiers bancaires du demandeur soulevaient des doutes supplémentaires, cette fois à l’égard de sa résidence. Il a déclaré qu’il vivait et qu’il travaillait avec son frère. Une lettre provenant de la société chargée de l’administration de l’immeuble mentionnait que le demandeur vivait avec son frère, mais le juge de la citoyenneté n’a pas attribué une grande force probante à cette lettre, car celle-ci renvoyait à la résidence en termes généraux. Le demandeur n’a pas fourni de reçus de loyers, de baux ou de lettres de voisins pour démontrer qu’il subvenait à ses besoins au Canada.

 

[9]               Le demandeur a aussi omis de mentionner, dans son Questionnaire sur la résidence, qu’il avait reçu des prestations d’assurance‑emploi (AI) vers la fin de la période de résidence pertinente.

 

[10]           Le demandeur, malgré qu’il ait prétendu qu’il avait vécu au Canada pendant toute la période pertinente, a dû consulter son permis de conduire pour donner son code postal.

 

[11]           Le juge de la citoyenneté a conclu ainsi :

[traduction]

Je ne peux pas déterminer, selon la prépondérance des probabilités, combien de jours le demandeur a été physiquement présent au Canada, car il n’y a pas suffisamment de preuve de sa présence physique continue au Canada au cours des périodes où il prétend avoir été au présent au Canada.

 

Je conclus aussi que les prétentions du demandeur et les éléments de preuve qu’il a présentés au sujet de son travail et de sa vie au Canada – dont s’occupe son frère, d’une manière ou d’une autre – constituent une source de préoccupation, en plus d’être peu crédibles.

 

III.       Les questions en litige

 

[12]           Voici les questions en litige soulevées par la présente demande :

 

a)         Compte tenu de l’existence de deux ensembles de motifs de décision, lequel de ces ensembles fait l’objet du contrôle judiciaire pour les besoins de la présente demande?

 

b)         Le demandeur peut-il soumettre une nouvelle preuve par affidavit dans le cadre de la présente demande?

 

c)         Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à l’exigence de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c)?

 

d)         Le juge de la citoyenneté a-t-il manqué à l’équité procédurale ou à la justice naturelle?

 

IV.       La norme de contrôle applicable

 

[13]           La décision d’un juge de la citoyenneté quant à savoir si le nombre de jours de présence physique au Canada satisfait aux exigences de l’alinéa 5(1)c) est examinée selon la norme de la raisonnabilité (Ghahremani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 411, [2009] ACF no 524, au paragraphe 19; Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 763, [2008] ACF no 964, au paragraphe 5).

 

[14]           Selon la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel posent problème ou que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).  

                                               

[15]           Par contre, la norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’équité procédurale et à la justice naturelle est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, au paragraphe 43).

 

V.        Analyse

 

[16]           Le demandeur se dit préoccupé, avec raison, par le fait qu’il existe deux motifs de décisions. Cela se conçoit encore mieux lorsque l’on constate que l’un des exposés des faits ne correspond pas à sa situation et renvoie à des dates erronées en ce qui concerne la période pertinente de résidence. Cet exposé des faits erroné contenait aussi des mentions concernant des absences du Canada non déclarées et différentes déclarations.

 

[17]           La deuxième lettre faisait état des faits exacts, mais n’expliquait pas l’erreur. Le demandeur n’a jamais reçu cette lettre et n’en a pris connaissance que lorsqu’on lui a transmis le dossier certifié du tribunal. En conséquence, le demandeur conteste la même conclusion, tirée à partir des faits exacts, qu’il a menti dans sa demande.

 

[18]           Le défendeur reconnaît qu’il y a eu erreur en l’espèce. Il a fourni un affidavit souscrit par Mme Kamesh Yeleswarapu, dans lequel cette dernière indique qu’elle a commis une erreur de formatage attribuable à une inattention et qu’elle avait initialement intégré l’exposé factuel erroné dans la décision qu’elle a envoyée au demandeur.

 

[19]           Selon le défendeur, la deuxième lettre, celle qui contient l’ exposé des faits exact, devrait être la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire pour les besoins de la présente demande. Subsidiairement, le défendeur prétend que l’erreur contenue dans le premier ensemble de motifs est sans conséquence et que les motifs fournis au demandeur sont adéquats si on se fie aux principes mentionnés dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2010] ACF no 809. À l’exception de la brève partie des faits, l’analyse du juge de la citoyenneté et les conclusions auxquelles il est parvenu ont manifestement trait à la situation du demandeur. Il est évident que le juge de la citoyenne a rejeté la demande en raison de ses doutes à l’égard de la crédibilité du demandeur.

 

[20]           Je ne peux pas souscrire à la thèse du défendeur. La confusion engendrée par l’existence des deux lettres justifie l’intervention de la Cour. Le demandeur n’a reçu que la première lettre, dont la conclusion principale était qu’il n’était pas crédible, mais cette lettre renvoyait aussi a un exposé des faits qui était à la fois erroné et défavorable. Cette situation a sans contredit soulevé des doutes dans l’esprit du demandeur quant au caractère équitable et raisonnable du processus décisionnel. Seul un réexamen, par un autre juge de la citoyenneté, peut permettre de régler ce problème.    

 

[21]           Sans égard à la question de savoir si l’erreur était une erreur d’écriture, comme le prétend le défendeur, le demandeur aurait dû recevoir une explication au sujet de ce qui s’était produit, et ce, dès que le juge de la citoyenneté en fut informé. La réception, après le fait, du dossier certifié du tribunal contenant la deuxième lettre, ainsi que l’affidavit tardif, ne permettaient pas au demandeur de comprendre ce qui s’était passé.

 

[22]           Je ne suis pas disposé à conclure qu’une décision de refuser la citoyenneté à un demandeur, fondée sur le fait que celui-ci ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence, soit raisonnable dans un cas où elle s’appuie sur une lettre erronée et sur une correction qui n’a pas été envoyée au demandeur. Il n’est donc pas nécessaire que je tranche les autres questions soulevées par la présente demande.

 

VI.       Conclusion

 

[23]           Compte tenu des préoccupations soulevées par l’existence de deux ensembles de motifs, l’appel interjeté par le demandeur est accueilli. L’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvelle décision.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre juge de citoyenneté pour nouvelle décision

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1067-11

 

INTITULÉ :                                       HADDAD

                                                            c

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 FÉVRIER 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 27 MARS 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Haddad

 

LE DEMANDEUR

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Haddad

Mississauga (Ontario)

 

LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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