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 Date : 20120412


Dossier : IMM-4694-11

Référence : 2012 CF 415

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MOHAMED SALAHUDEEN KHAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), en date du 15 juin 2011, qui a rejeté son appel formé, en application du paragraphe 63(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), contre le rejet de la demande de résidence permanente déposée par son épouse, Bibi Razela Khan (Razela). Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur, un Guyanien, est un résident permanent du Canada qui a été parrainé par sa fille. Il a quatre enfants de son ex-conjointe de fait. Le demandeur affirme qu’il a rencontré Razela le 15 juin 2004 en Guyane. Ils ont commencé à converser au téléphone et à faire des promenades ensemble. Leurs rapports sont devenus intimes en février 2005. Elle a emménagé en août 2005 dans un appartement plus proche de son domicile à lui, et ils se voyaient plus souvent. Après qu’il y ait eu entrée par effraction dans son appartement en septembre 2005, elle a emménagé au domicile du père du demandeur, où le demandeur vivait également. Cependant, même s’ils avaient des rapports intimes, ce n’était pas des rapports exclusifs et, selon le témoignage donné à la Commission par le demandeur, Razela correspondait plutôt à la définition de colocataire, non à celle de compagne. Tous deux avaient d’autres partenaires.

 

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada le 16 juin 2006. Avant son arrivée, il a aidé Razela à trouver un nouvel appartement pour lequel il a versé un dépôt correspondant à trois mois de loyer. Elle a demandé à un imam de bénir l’appartement, ce que l’imam a accepté de faire uniquement si le couple s’engageait l’un envers l’autre et si elle demandait pardon, au cours d’une cérémonie Nikkah (mariage religieux), pour avoir mené une vie licencieuse. Ainsi, 12 jours avant le départ du demandeur pour le Canada, ils ont procédé à la cérémonie, mais n’ont jamais officiellement enregistré le mariage ni ne se considéraient mariés à ce moment-là.

 

[4]               Le demandeur a déclaré qu’il se sentait seul à son arrivée au Canada et que Razela lui manquait. Ses enfants en Guyane lui ont dit qu’elle sortait avec d’autres hommes, ce qui le rendait jaloux. Il a alors demandé à trois autres femmes qu’il avait connues auparavant si elles voudraient l’épouser et le rejoindre au Canada. Deux ont refusé, mais Lilowtie Mohabir a accepté, et ils se sont mariés en décembre 2006. Cependant, leur relation a pris fin après moins d’un mois, et le demandeur affirme qu’il avait encore des sentiments pour Razela.

 

[5]               En février 2007, le demandeur a fait part à Razela des rumeurs selon lesquelles elle avait vu d’autres hommes, et elle l’a assuré que ce n’était pas vrai. Ils sont redevenus amis, et il a commencé à la considérer comme une épouse possible. Ils sont restés en communication après son retour au Canada et, en mai 2007, il l’a demandée en mariage. Ils se sont mariés le 15 octobre 2007.

 

[6]               Le demandeur a demandé à parrainer Razela, et cette demande a été refusée en février 2009. Il a fait appel du refus, et l’appel a été instruit le 8 octobre 2010 et le 3 juin 2011. Razela n’a pas été appelée à témoigner bien que la transcription d’un bref entretien mené au Haut-Commissariat fût soumis à la Commission.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]               La Commission a estimé que le demandeur n’était pas crédible car il avait donné un témoignage contradictoire, incohérent et confus. Selon elle, il avait embelli et adapté son témoignage pour rendre logique sa version des faits.

 

[8]               Dans sa décision, la Commission s’est attardée sur la manière selon laquelle le demandeur avait décrit la nature de sa relation avec Razela; il avait dit qu’ils étaient seulement des amis qui dormaient ensemble, ce que la Commission a jugé incompatible avec le fait que la cérémonie Nikkah avait eu lieu. Elle n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle la cérémonie visait à apaiser l’imam de Razela.

 

[9]               La Commission a trouvé déroutant d’entendre le demandeur affirmer que, s’il avait épousé une autre femme, c’était parce que la relation avec Razela avait été rompue, alors que, selon ses dires, leur relation à l’époque n’était pas une relation sérieuse. La Commission n’a pas cru non plus que le demandeur avait remis à Razela une procuration en février 2007, si peu de temps après leur prétendue réconciliation. Elle a aussi relevé que le demandeur et Razela s’appelaient mutuellement mari et femme dans leur correspondance avant qu’ils ne soient officiellement mariés. La Commission a rejeté l’explication selon laquelle ce n’était là que du badinage, et elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur.

 

[10]           La Commission a pris acte de la preuve faisant état des voyages du demandeur en Guyane, des factures de téléphone et des attestations de biens communs et de transferts d’argent. Cependant, elle a estimé que les contradictions et divergences l’emportaient sur les éléments de preuve en question et conclu que le demandeur n’avait pas prouvé que le mariage était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR. L’appel a donc été rejeté.

 

La question en litige

[11]           L’unique point soulevé par cette demande est de savoir si la décision de la Commission était raisonnable.

 

 

Analyse

 

[12]           Nonobstant quelques erreurs dans le raisonnement de la Commission, et malgré l’argumentation très habile de l’avocat du demandeur, j’arrive à la conclusion que la Commission a rendu une décision globalement raisonnable, et la demande doit donc être rejetée.

 

[13]           La Commission a commis une erreur dans sa manière d’apprécier certains des éléments de preuve produits. Par exemple, elle s’est fondée sur des pièces de correspondance entre le demandeur et Razela pour conclure que le mariage n’était pas authentique parce que le couple se désignait mutuellement comme « mari » et « femme » avant d’être légalement mariés. La Commission écrivait ce qui suit, au paragraphe 18 de sa décision :

Mis en présence de cette contradiction, l’appelant a déclaré qu’ils se désignaient l’un et l’autre de cette façon [traduction] « pour le plaisir uniquement ». Bien que l’appelant ait maintenu qu’ils étaient seulement des amis avant son arrivée au Canada, il n’a pas expliqué d’une manière cohérente et satisfaisante pourquoi alors ils se désignaient l’un et l’autre sous l’appellation mari et femme dans les lettres qu’ils se sont écrites avant leur mariage présumé du 15 octobre 2007. Les divergences dans les témoignages minent la crédibilité de l’appelant. Il n’est pas complètement sincère et direct, et ces divergences sont inconciliables et touchent au cœur de ce mariage […]

 

 

[14]           Le demandeur affirmait que lui et Razela étaient « seulement des amis » l’année avant l’échange de correspondance dans laquelle ils se désignent comme « mari » et « femme ». La Commission s’est donc méprise sur la séquence des événements, ce qui l’a amené à conclure qu’il y avait une incohérence quand il n’y en avait aucune. Elle a aussi évoqué le « mariage présumé » du couple, sans jamais dire clairement que le couple ne s’était pas marié le 15 octobre 2007.

 

[15]           Cependant, même si la Commission a commis certaines erreurs dans son raisonnement, il m’est impossible de conclure que ces erreurs rendent la décision déraisonnable. Autrement dit, même si les erreurs en question, ou certaines d’entre elles, n’avaient pas été commises, il m’est impossible d’affirmer que le résultat aurait été autre, surtout parce que la Commission a conclu que le témoignage du demandeur n’était pas crédible.

 

[16]           La Commission a estimé que le demandeur manquait de sincérité et de franchise et qu’il avait adapté son témoignage pour rendre logique sa version des faits. Puisque la commissaire a eu l’avantage d’entendre le témoignage du demandeur et d’observer son comportement, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de ses conclusions sur la crédibilité du demandeur, dans la mesure où il lui était loisible de tirer telles conclusions. Vu le caractère inusité du récit présenté par le demandeur, et vu la conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage du demandeur avait été décousu et incohérent, la Commission pouvait fort bien rejeter les preuves produites par le demandeur et conclure qu’il n’avait pas prouvé l’authenticité du mariage. La Cour n’a donc pas de raison d’intervenir et la demande doit être rejetée.

 

[17]           Finalement, comme la Cour l’a indiqué à l’issue de l’audience, le système contradictoire requiert une participation active des deux parties. Il ne suffit pas d’indiquer la norme de contrôle applicable et d’espérer que la retenue judiciaire l’emportera. La Cour dépend, tant pour les plaidoiries que pour les arguments écrits, de la volonté des deux parties de contribuer au bon fonctionnement du système contradictoire.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que  la demande de contrôle judiciaire est rejetée, Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune question du genre ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4694-11

 

 

INTITULÉ :                                       MOHAMED SALAHUDEEN KHAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

 

DATE DES MOTIFS 

ET DU JUGEMENT:                        Le 12 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Alesha Green

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Alesha A. Green
Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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