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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120320


Dossier : T-387-10

Référence : 2012 CF 332

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

ALLEN TEHRANKARI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Allen Tehrankari, purge une peine relativement à une condamnation pour meurtre au premier degré prononcée en février 2009 à Ottawa (Ontario). Il a introduit la présente demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, notamment pour contester la décision du Service correctionnel du Canada de le détenir dans un établissement à sécurité maximale.

 

[2]               M. Tehrankari s’est représenté lui-même dans le cadre de la présente demande.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

 

LE CONTEXTE :

 

[4]               Le demandeur a des antécédents criminels graves et un dossier institutionnel qui s’y rattache. Le 21 septembre 1992, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 ans dans un pénitencier fédéral. Pendant qu’il purgeait cette peine d’emprisonnement, il a déposé deux demandes de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions concernant sa cote de sécurité, entre autres instances dont la Cour a été saisie.

 

[5]               Dans la décision Tehrankari c Canada (Service correctionnel), 188 FTR 206, [2000] ACF no 495 (ci-après la « décision Tehrankari c Canada (2000) »), la Cour a conclu que le Service correctionnel avait commis une erreur en refusant de corriger des renseignements erronés figurant dans le dossier du demandeur. L’affaire a été renvoyée pour réexamen. Dans la décision Tehrankari c Canada (Service correctionnel), 2001 CFPI 845, les questions soulevées ont été déclarées questions théoriques puisque le demandeur avait déjà été mis en liberté. Toutefois, la Cour a examiné le bien-fondé de la demande et l’a rejetée.

 

[6]               À la suite de la condamnation pour meurtre du demandeur en 2009, des agents du Service correctionnel du Canada (le SCC) ont procédé à une évaluation de la sécurité requise pour sa détention. Ils ont établi que la sécurité maximale était le niveau adéquat. Divers facteurs ont été pris en compte pour en arriver à une telle cote, notamment l’adaptation à l’établissement, le risque d’évasion et la sécurité du public.

 

[7]               Le demandeur a contesté la décision relative à sa cote de sécurité et à son placement pénitentiaire. Il a également soulevé d’autres préoccupations concernant le traitement que lui a réservé le SCC, l’utilisation de certains éléments de preuve par le SCC dans sa décision relative à sa cote de sécurité, le caractère équitable de la procédure de règlement des griefs et des plaintes non reliées concernant d’autres incidents. Le grief a été rejeté au troisième palier par le sous‑commissaire principal Marc-Arthur Hyppolite. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[8]               Le demandeur a présenté plusieurs requêtes dans le cadre de la présente demande. Une requête en production de dossiers relatifs à 76 incidents d’inconduite en établissement pendant la période de détention qui a précédé sa déclaration de culpabilité a été rejetée par la protonotaire Tabib. Cette décision a été confirmée en appel : Tehrankari c Canada (Procureur général), 2010 CF 1302. 

 

[9]               Le 21 avril 2011, la Cour a ordonné la divulgation d’autres documents demandés par le demandeur et a également ordonné au SCC de veiller à ce que le demandeur dispose de suffisamment de matériel, d’espace et de temps pour pouvoir bien se préparer à l’audience. Avec l’aide de l’avocate du défendeur, des mesures ont ensuite été prises pour veiller à ce que le demandeur ait accès à un dossier complet. Ces mesures ont été confirmées par M. Tehrankari à l’audience. Par conséquent, il a déposé environ 700 pages de documents.

 

[10]           L’audition de la présente instance a commencé par vidéoconférence le 7 novembre 2011. À cette date, la Cour a appris que les exemplaires de M. Tehrankari du dossier de la demande et de la jurisprudence du défendeur, entre autres documents, avaient été égarés lors des déménagements d’une cellule à l’autre. En réponse aux appels de M. Tehrankari, l’avocate du défendeur lui a fourni des copies additionnelles des documents manquants. Il ne lui a pas précisé qu’il lui manquait le dossier de la demande et la jurisprudence du défendeur.

 

[11]           Au début de l’audience du 7 novembre 2011, M. Tehrankari m’a demandé d’ajourner l’instance jusqu’à ce que soit tranché l’appel de sa condamnation, qui était alors en instance devant la Cour d’appel de l’Ontario.

 

[12]           J’ai répondu à M. Tehrankari que, plutôt que de reporter l’audience à une date ultérieure, je préférais faire usage du temps prévu pour entendre ses observations et celles de l’avocate du défendeur et ensuite ajourner l’audience pour lui permettre de produire une réponse lorsqu’il aura obtenu tous les documents du défendeur. Nous avons procédé de cette façon et avons conclu l’audience par vidéoconférence le 1er février 2012. Dans l’intervalle, l’avocate du défendeur a fourni à M. Tehrankari de nouvelles copies de son dossier et de la jurisprudence. Ni l’une ni l’autre des parties ne s’est opposée à ce que l’on procède de cette manière. Au cours de l’audience du 1er février 2012, M. Tehrankari a bénéficié d’une grande latitude et a pu revenir sur les questions qu’il avait déjà soulevées pendant son argument principal.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE :

 

[13]           La décision du sous-commissaire principal porte sur trois points soulevés par le demandeur dans ses griefs : 1) la cote du demandeur qui exige sa détention dans un établissement à sécurité maximale; 2) les renseignements figurant au dossier du demandeur qui seraient inexacts; 3) son placement dans un couloir de cellules où logeaient d’autres détenus avec lesquels on l’avait déjà déclaré incompatible. Le sous-commissaire principal a rejeté le grief sur chacun des trois points.

 

[14]           Concernant le premier point, le sous-commissaire principal a indiqué qu’un examen des documents concernant le « niveau de dangerosité du détenu » (le NDD) a révélé que le processus de placement avait été mené conformément aux politiques applicables.

 

[15]           Les facteurs pris en compte dans le processus de placement sont l’adaptation institutionnelle, le risque d’évasion et la sécurité du public. Le sous-commissaire principal a conclu que la décision du SCC de déclarer que le demandeur devait être placé dans un établissement à sécurité maximale était fondée sur son dossier institutionnel antérieur, sa peine, sa conduite, l’évaluation de son agent de libération conditionnelle, l’échelle de classement par niveau de sécurité, le jugement clinique d’employés expérimentés et spécialisés, son NDD et des incidents signalés au Centre de détention d’Ottawa-Carleton. Tous ces renseignements ont été jugés pertinents quant à la détermination de la cote de sécurité conformément à la directive du commissaire sur la Cote de sécurité et le placement pénitentiaire (la directive CD 705-7).

 

[16]           Concernant le deuxième point, le sous-commissaire principal a estimé que le grief portant sur le placement n’était pas le moyen approprié de corriger des renseignements pouvant être faux dans le dossier d’un détenu. À son avis, cette question aurait dû faire l’objet d’un grief distinct. Le sous-commissaire principal a signalé que les renseignements portant sur les 76 incidents survenus au Centre de détention d’Ottawa-Carleton ne relevaient pas de sa compétence et qu’il ne pouvait pas les examiner. Il a signalé que les renseignements provenaient de sources fiables. Toutefois, le sous-commissaire principal a indiqué que cela ne signifiait pas qu’un éventuel grief portant sur des renseignements inexacts serait rejeté.

 

[17]           En ce qui a trait au dernier point, le sous-commissaire principal a conclu que la question des détenus incompatibles avait déjà été réglée puisque le demandeur avait été séparé de ces détenus.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE :

 

[18]           La Cour a eu de la difficulté à limiter les préoccupations de M. Tehrankari à des questions qui sont susceptibles de contrôle judiciaire par la Cour. Il a soulevé un certain nombre de questions qui dépassent le cadre de la présente demande, notamment son opinion à l’égard du SCC. La question dont la Cour est saisie peut être décrite dans les termes suivants :

 

La décision du sous-commissaire principal était-elle raisonnable?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES :

 

[19]           Les articles 23, 24 et 30 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, (la LSCMLC) s’appliquent à la présente instance :

23. (1) Le Service doit, dans les meilleurs délais après la condamnation ou le transfèrement d’une personne au pénitencier, prendre toutes mesures possibles pour obtenir :

 

a) les renseignements pertinents concernant l’infraction en cause;

 

b) les renseignements personnels pertinents, notamment les antécédents sociaux, économiques et criminels, y compris comme jeune contrevenant;

 

c) les motifs donnés par le tribunal ayant prononcé la condamnation, infligé la peine ou ordonné la détention — ou par le tribunal d’appel — en ce qui touche la peine ou la détention, ainsi que les recommandations afférentes en l’espèce;

 

d) les rapports remis au tribunal concernant la condamnation, la peine ou l’incarcération;

 

e) tous autres renseignements concernant l’exécution de la peine ou de la détention, notamment les renseignements obtenus de la victime, la déclaration de la victime quant aux conséquences de l’infraction et la transcription des observations du juge qui a prononcé la peine relativement à l’admissibilité à la libération conditionnelle.

 

 

(2) Le délinquant qui demande par écrit que les renseignements visés au paragraphe (1) lui soient communiqués a accès, conformément au règlement, aux renseignements qui, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l’accès à l’information, lui seraient communiqués.

 

(3) Aucune disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur l’accès à l’information n’a pour effet d’empêcher ou de limiter l’obtention par le Service des renseignements visés aux alinéas (1)a) à e).

 

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

 

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.

 

 

 

 

 

 

 

[...]

 

30. (1) Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96z.6).

(2) Le Service doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l’appui de l’assignation d’une cote de sécurité ou du changement de celle-ci.

23. (1) When a person is sentenced, committed or transferred to penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to obtain, as soon as is practicable,

 

(a) relevant information about the offence;

 

(b) relevant information about the person’s personal history, including the person’s social, economic, criminal and young-offender history;

 

(c) any reasons and recommendations relating to the sentencing or committal that are given or made by

 

(i) the court that convicts, sentences or commits the person, and

 

(ii) any court that hears an appeal from the conviction, sentence or committal;

 

(d) any reports relevant to the conviction, sentence or committal that are submitted to a court mentioned in subparagraph (c)(i) or (ii); and

 

(e) any other information relevant to administering the sentence or committal, including existing information from the victim, the victim impact statement and the transcript of any comments made by the sentencing judge regarding parole eligibility.

 

(2) Where access to the information obtained by the Service pursuant to subsection (1) is requested by the offender in writing, the offender shall be provided with access in the prescribed manner to such information as would be disclosed under the Privacy Act and the Access to Information Act.

 

(3) No provision in the Privacy Act or the Access to Information Act shall operate so as to limit or prevent the Service from obtaining any information referred to in paragraphs (1)(a) to (e).

 

 

 

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

 

 

(2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

 

(a) the offender may request the Service to correct that information; and

 

(b) where the request is refused, the Service shall attach to the information a notation indicating that the offender has requested a correction and setting out the correction requested.

 

[...]

 

30. (1) The Service shall assign a security classification of maximum, medium or minimum to each inmate in accordance with the regulations made under paragraph 96(z.6).

(2) The Service shall give each inmate reasons, in writing, for assigning a particular security classification or for changing that classification.

 

[20]           L’article 18 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, est aussi pertinent :

18. Pour l'application de l'article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas :

 

a) la cote de sécurité maximale, si l'évaluation du

Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un risque élevé d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une grande menace pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

 

b) la cote de sécurité moyenne, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un risque d'évasion de faible à moyen et, en cas d'évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

 

c) la cote de sécurité minimale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un faible risque d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une faible menace pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un faible degré de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier.

 

18. For the purposes of section 30 of the Act, an inmate shall be classified as

 

(a) maximum security where the inmate is assessed by the Service as

 

 

(i) presenting a high probability of escape and a high risk to the safety of the public in the event of escape, or

 

(ii) requiring a high degree of supervision and control within the penitentiary;

 

(b) medium security where the inmate is assessed by the Service as

 

 

(i) presenting a low to moderate probability of escape and a moderate risk to the safety of the public in the event of escape, or

 

 

(ii) requiring a moderate degree of supervision and control within the penitentiary; and

 

(c) minimum security where the inmate is assessed by the Service as

 

 

(i) presenting a low probability of escape and a low risk to the safety of the public in the event of escape, and

 

 

(ii) requiring a low degree of supervision and control within the penitentiary.

 

 

L’ANALYSE :

           

            La norme de contrôle :

 

[21]           Selon les directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, la première étape visant à établir la bonne norme de contrôle consiste à vérifier la jurisprudence. Si la norme a été établie de manière satisfaisante dans la jurisprudence, il n’est pas nécessaire d’entreprendre une analyse de la norme de contrôle.

 

[22]           Dans ce contexte, le juge François Lemieux a statué dans une décision antérieure à Dunsmuir relative au même demandeur et précitée, Tehrankari c Canada (2000), au paragraphe 44, que la norme de contrôle applicable à l’interprétation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la LSCMLC) était la norme de la décision correcte et que la norme serait celle de la décision raisonnable en ce qui concerne l’application de la loi aux faits ou la décision dans son ensemble (voir aussi Russell c Canada (Procureur général), 2006 CF 1209, au paragraphe 11; et Bégin c Canada (Procureur général), 2008 CF 89, aux paragraphes 16 à 18). En l’espèce, je ne vois aucune raison de m’écarter de l’analyse de la norme faite par le juge Lemieux.

 

[23]           La norme de la décision raisonnable a été décrite comme suit : « [elle] tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

La décision du sous-commissaire principal était-elle raisonnable?

 

[24]           M. Tehrankari fait valoir que la cote établie par le SCC est fondée sur de faux renseignements et que le SCC n’a pas respecté l’obligation que lui impose le paragraphe 24(1) de la LSCMLC de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets. Selon lui, comme la décision du sous‑commissaire principal est fondée sur des renseignements qu’il estime faux, elle est déraisonnable. M. Tehrankari souhaite qu’on lui redonne la cote de sécurité moyenne et que les renseignements qu’il estime faux soient rayés de son dossier.

 

[25]           Les renseignements que le demandeur estime être faux sont les suivants :

a.       renseignements fournis au SCC par le ministère des Services correctionnels de l’Ontario concernant 76 incidents d’inconduite en établissement pendant que M. Tehrankari était incarcéré au Centre de détention d’Ottawa-Carleton en attendant d’être jugé relativement à l’accusation de meurtre au premier degré;

b.      renseignements recueillis par le SCC indiquant que M. Tehrankari a refusé de participer à une évaluation de délinquant sexuel et a été impliqué dans des conflits au sein du système pénitentiaire;

c.       références relatives au risque d’évasion.

 

[26]           Monsieur Tehrankari soutient qu’en vertu de l’article 23 de la LSCMLC, le SCC avait l’obligation de prendre toutes les mesures possibles pour obtenir des éléments de preuve concernant les 76 incidents d’inconduite institutionnelle dont il a été accusé pendant qu’il était incarcéré au Centre de détention d’Ottawa-Carleton afin qu’il puisse contester la validité de ces accusations. Il affirme que ces accusations étaient fausses et qu’elles ont été portées avec malveillance contre lui pour dissimuler les mauvais traitements qu’il a subis au Centre. Il veut obtenir des copies de photographies, de vidéos et d’autres éléments de preuve afin de démontrer qu’il n’a rien fait et qu’il a été sauvagement battu pendant qu’il était en détention.

 

[27]           Le demandeur affirme que son refus de participer à une évaluation de délinquant sexuel du SCC est faux. Il a d’abord refusé, mais affirme qu’il a changé d’avis et a dit qu’il ferait l’évaluation. Il prétend qu’il n’était pas coupable d’agression sexuelle et que ce renseignement, qui est fondé sur une mauvaise interprétation de la preuve au procès, devrait être retiré de son dossier.

 

[28]           Le demandeur fait valoir que les renseignements relatifs au risque d’évasion qu’il représente sont fondés sur des renseignements qui ont été déclarés inexacts et que le juge Lemieux a ordonné de les retirer de son dossier dans la décision Tehrankari c Canada (2000), précitée.

 

[29]           Il soutient ne pas être responsable des incidents qui sont survenus au service d’évaluation de Millhaven parce qu’il avait été attaqué par d’autres détenus sans raison. Le demandeur affirme également que le SCC ne s’est pas conformé à une ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario concernant sa préparation en vue de l’appel de sa condamnation. Il prétend également que le SCC a entravé sa préparation en vue de l’audience de la présente demande.

 

[30]           Le demandeur fait valoir qu’il est déraisonnable et injuste que le sous-commissaire principal exige qu’il présente un autre grief afin de faire corriger des erreurs figurant à son dossier. Il soutient également que le SCC fait preuve de partialité à son égard.

 

[31]           L’article 30 de la LSCMLC exige que le SCC assigne une cote de sécurité aux détenus conformément au Règlement. Les sous-alinéas 18a)(i) et (ii) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement) prévoit que le détenu reçoit la cote de sécurité maximale s’il présente « un risque élevé d’évasion et, en cas d’évasion, une grande menace pour la sécurité du public » ou exige « un degré élevé de surveillance et de contrôle à l’intérieur du pénitencier ». L’évaluation du détenu est effectuée conformément aux directives du commissaire concernant le Processus d’évaluation initiale et la Cote de sécurité (les directives CD-705 et CD-705-7).

 

[32]           Dans sa décision, le sous-commissaire principal a cité la politique applicable et a expliqué l’évaluation en détail. Il y précise que l’évaluation a révélé que le demandeur avait obtenu les cotes suivantes : cote d’adaptation à l’établissement élevée, cote de risque d’évasion moyenne et cote de sécurité publique élevée. L’une des évaluations effectuées conformément à la directive CD-705-7 est l’Échelle de classement par niveau de sécurité. Le demandeur a obtenu un pointage de 145 au chapitre du risque pour la sécurité et de 64 pour l’adaptation à l’établissement (Échelle de classement par niveau de sécurité du demandeur, p. 207-208 du dossier certifié du tribunal). Si le détenu obtient un pointage de 134 ou plus à la sous-échelle du risque pour la sécurité, on lui attribue une cote de sécurité maximale : CD-705-7, au paragraphe 51 c).

 

[33]           L’un des facteurs pris en compte dans l’établissement du pointage sur l’Échelle de classement par niveau de sécurité est la nature de l’infraction dont le détenu a été reconnu coupable et la durée de la peine : CD-705-7, au paragraphe 52, et article 18 du Règlement. Le demandeur a obtenu 69 points pour la gravité de l’infraction et 65 points pour la durée de la peine, ce qui donne un total de 134 points : Échelle de classement par niveau de sécurité du demandeur, p. 208 du dossier certifié du tribunal.

 

[34]           Monsieur Tehrankari reconnaît que, sur l’échelle de classement, sa condamnation pour meurtre au premier degré et sa peine d’emprisonnement pour une telle infraction l’ont placé au seuil de la cote de sécurité maximale. Il affirme que le SCC peut déroger de l’échelle de classement et attribuer aux « condamnés à perpétuité » une cote de sécurité moyenne ou minimale et qu’il lui arrive de le faire. Il soutient que le SCC le traite de manière inéquitable en se fondant sur des renseignements erronés concernant ses antécédents en établissement et antérieurs à sa condamnation.

 

[35]           Monsieur Tehrankari a raison d’affirmer que le paragraphe 24(1) de la LSCMLC oblige le SCC à « veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets ». Toutefois, cela ne veut pas dire que le SCC doit à nouveau faire enquête sur des renseignements obtenus de sources fiables, comme les ministères provinciaux, les services de police et les tribunaux. Le Manuel sur le règlement des plaintes et des griefs des délinquants indique que les affaires de compétence provinciale, les affaires relatives à des condamnations et à des peines infligées par les tribunaux, les affaires relatives à l’administration de la justice, y compris les tribunaux et les services de police, et les affaires relatives au traitement par des organismes autres que le SCC ne peuvent faire l’objet d’un grief dans le cadre du processus de règlements des griefs au niveau des établissements.

 

[36]           En l’espèce, conformément à la norme établie au paragraphe 24(1), soit de « veiller, dans la mesure du possible », le SCC était en droit de se fonder sur les renseignements qu’il a obtenus des services correctionnels de l’Ontario concernant la détention de M. Tehrankari avant sa condamnation. Le SCC n’était pas tenu d’obtenir les éléments de preuve sur lesquels se sont fondés les membres du personnel du Centre de détention d’Ottawa-Carleton dans les 76 procédures d’inconduite en établissement pour aider M. Tehrankari à contester l’exactitude des renseignements.

 

[37]           Le demandeur fait valoir que les faits sur lesquels a été fondée l’évaluation de son risque d’évasion ont été déclarés non fondés dans la décision Tehrankari c Canada (2000), précitée. Selon mon interprétation, le juge Lemieux n’est pas allé aussi loin dans sa décision. Il a conclu que le SCC avait commis une erreur en faisant référence à l’évasion du demandeur de l’Iran, sans expliquer le contexte, et en affirmant qu’il avait effectivement tenté de s’évader. Ce n’est pas le fait qu’on a trouvé des lames de scie à métaux dans sa cellule qui semble avoir été une erreur, mais plutôt l’inférence que le SCC a tirée de ce fait. Les faits connus figurent maintenant dans le dossier sans aucune inférence.

 

[38]           De toute façon, l’évaluation du risque d’évasion n’a pas eu d’incidence réelle sur la cote de sécurité du demandeur. Dans le cadre de l’évaluation, on a établi que son risque d’évasion était « moyen » compte tenu d’un certain nombre de facteurs, comme son dossier institutionnel antérieur. Comme il a déjà été mentionné, le facteur le plus important était la nature de l’infraction pour laquelle il a été condamné en 2009 et la peine infligée à l’égard de cette infraction.

 

[39]           La plainte du demandeur concernant les mauvais traitements que lui auraient fait subir d’autres détenus a été traitée et les « personnes incompatibles » ont été transférées dans un autre couloir afin de protéger le demandeur, comme le mentionne le sous-commissaire principal dans sa décision.

 

[40]           Dans son témoignage, le demandeur a indiqué qu’il a accepté de prendre part à une évaluation de délinquant sexuel après avoir d’abord refusé d’y participer. Son dossier institutionnel renferme des renseignements selon lesquels il aurait d’abord refusé, ce qui est exact dans le contexte. D’après les documents sur lesquels le demandeur a attiré mon attention, le dossier indique également qu’il a changé d’avis. Le dossier n’indique pas clairement si ce changement d’avis a été pris en compte par les décideurs pendant que son grief gravissait les échelons institutionnels. Selon mon interprétation du dossier, cet élément n’aurait pas modifié le résultat de manière importante.

 

[41]           Dans sa décision, le sous-commissaire principal affirme qu’il a tenu compte des condamnations passées et présentes du demandeur, de la gravité des crimes et du refus du demandeur d’accepter la nature sexuelle de son infraction. En ce qui concerne le dernier facteur, le demandeur soutient que le rapport d’autopsie déposé en preuve à son procès n’étayait pas la conclusion selon laquelle une agression sexuelle aurait été commise en plus du meurtre. Il dit que c’est pour cette raison qu’il a refusé de participer à une évaluation de délinquant sexuel.

 

[42]           Bien que la perception du demandeur à l’égard de la preuve déposée au procès, qu’il conteste en appel, puisse expliquer la raison pour laquelle il a refusé de participer à une évaluation de délinquant sexuel, elle ne modifie en rien la nature de l’infraction décrite dans les renseignements fournis au SCC par les policiers et le tribunal de première instance à la suite de la condamnation du demandeur. À la lumière de ces renseignements, il était raisonnable que le sous-commissaire principal estime que le meurtre puisse présenter un aspect sexuel et prenne en compte le refus du demandeur d’accepter ce fait dans son examen du grief.

 

[43]           Le demandeur soulève d’autres plaintes concernant des décisions antérieures et non reliées du SCC et d’autres événements qui n’étaient pas visés par le grief au troisième palier et qui ne relèvent pas de la compétence du SCC. Comme l’a affirmé le juge Lemieux dans la décision Tehrankari c Canada (2000), précitée, au paragraphe 30 :

[...] Le demandeur ne peut, par la voie du contrôle de la décision du commissaire, attaquer indirectement des décisions antérieures qu’il a eu l’occasion de contester directement au moment approprié, sous réserve des délais prescrits à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

[44]           La décision du sous-commissaire principal au troisième palier de la procédure de grief est claire, transparente, intelligible et justifiable en ce qui concerne les faits et le droit. Elle appartient aux issues possibles acceptables exigées pour établir que la décision est raisonnable selon la norme de contrôle établie dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Par conséquent, la présente demande est rejetée.

 

[45]           Normalement, la Cour adjugerait des dépens suivant l’issue de la demande, mais je ne vois aucune raison d’en adjuger en l’espèce.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Chaque partie doit assumer ses propres dépens.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-387-10

 

INTITULÉ :                                       ALLEN TEHRANKARI

 

                                                            et

 

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                                                            DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

                                                            (par vidéoconférence)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Allen Tehrankari

 

LE DEMANDEUR

 

Korinda McLaine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ALLEN TEHRANKARI

Kingston (Ontario)

 

LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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