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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120417

Dossier : IMM-5601-11

Référence : 2012 CF 440

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

GUIKUN LIU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Guikun Liu, demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 28 juillet 2011. La Commission a statué que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

I.          Les faits

 

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il est arrivé au Canada le 30 novembre 2008. Il a déposé une demande d’asile fondée sur ses liens allégués avec des églises chrétiennes clandestines. Il a prétendu que sa sœur l’avait convaincu de fréquenter son église, dans la province du Fujian, en 2003, avant qu’elle soit découverte par le gouvernement et que sa sœur soit forcée de partir en 2004. Le demandeur a également affirmé qu’il s’était joint à une autre église en janvier 2008 et qu’il avait été détenu à cause de cette activité.

 

 

II.        La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[4]               La Commission a relevé des contradictions quant au lieu de l’arrestation alléguée du demandeur et au nombre de personnes arrêtées avec lui. Les explications du demandeur relatives à ces contradictions n’ont pas été considérées comme « raisonnables ni persuasives ». La Commission, s’appuyant sur des connaissances spécialisées, a émis des doutes quant à la raison pour laquelle l’expérience de la sœur du demandeur n’avait pas été évoquée durant l’arrestation et la détention de celui‑ci. Il a négligé de mentionner les démêlés de sa sœur avec le gouvernement dans sa déclaration. La Commission a aussi tiré une inférence défavorable du défaut du demandeur de mentionner dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) était allé chez lui pour l’arrêter de nouveau, après qu’il eut quitté la Chine, et de l’incapacité du demandeur à se souvenir du nombre de fois où sa mère lui avait dit qu’ils étaient allés chez lui à sa recherche. Selon la Commission, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’un mandat d’arrestation ou une sommation ait été laissé à la famille du demandeur.

 

[5]               La Commission a ainsi résumé son appréciation :

En me fondant sur les problèmes importants et cumulatifs susmentionnés, je conclus que je ne dispose pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et convaincants qui démontrent que le demandeur d’asile a déjà fréquenté une maison-église clandestine en Chine ou qu’il a été placé en détention ou recherché par les autorités dans ce pays. J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, il n’était pas un chrétien authentique en Chine et il n’est pas un témoin crédible.

 

[6]               Puisque la Commission n’était pas persuadée que le demandeur était un chrétien authentique, elle a également conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait participé à des activités chrétiennes à Toronto pour étayer une revendication bidon du statut de réfugié au sens de la Convention.

 

[7]               La Commission a examiné les éléments de preuve documentaire selon lesquels, bien qu’il y ait de la persécution en rapport avec les maisons-églises chrétiennes, en fonction de facteurs comme des liens avec l’Occident ou si une personne est dirigeante d’une église, cette persécution n’a pas un caractère généralisé. Le demandeur pourrait « retourner chez lui au Fujian et pratiquer sa prétendue foi librement et ouvertement ».

 

III.       Les questions en litige

 

[8]               Les questions soulevées par la présente demande peuvent être abordées ainsi :

 

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

 

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la demande d’asile du demandeur présentée sur place?

 

c)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son examen de la preuve documentaire?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[9]               Toutes ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple, Triana Aguirre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, aux paragraphes 13 et 14; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 46).

 

[10]           La raisonnabilité tient à la « justification […], à la transparence et à l’intelligibilité » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).


V.        Analyse

 

A.        La crédibilité

 

[11]           Le demandeur affirme que la Commission a procédé à une analyse microscopique de son arrestation et a tiré déraisonnablement des inférences défavorables de certaines contradictions. En particulier, le demandeur a modifié son FRP afin de préciser qu’il avait été arrêté sur le chemin du retour de l’église à la maison, et non alors qu’il assistait au service. Il a expliqué cette modification en invoquant sa propre définition de ce qui constituait le « service ». Selon le demandeur, la Commission aurait aussi dû tenir compte de son affirmation au point d’entrée faisant allusion à d’autres personnes qui avaient été arrêtées avec lui avant de centrer son attention sur une omission dans son FRP.

 

[12]           Le défendeur soutient que la Commission pouvait s’appuyer sur ces contradictions et omissions pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur et rejeter des éléments majeurs de son récit. Je suis d’accord.

 

[13]           La nature de l’arrestation alléguée constituait un aspect crucial de la prétention du demandeur selon laquelle les autorités gouvernementales le cibleraient en raison de ses croyances religieuses. La Cour a admis qu’une modification apportée à un FRP n’éliminera pas toujours les réserves concernant la crédibilité (Aragon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 144, [2008] ACF no 173, au paragraphe 19). La Commission a expressément mentionné l’explication du demandeur selon laquelle il considérait que son retour à la maison après le service faisait partie des activités liées à l’église, mais elle l’a trouvée inadéquate, affirmant « soit l’on assiste au service soit on n’y assiste pas ». Après avoir examiné cette explication, il était raisonnablement loisible à la Commission de douter que l’arrestation ait eu lieu en se fondant en partie sur la contradiction et la modification s’y rapportant.

 

[14]           De même, il est bien établi que la Commission peut s’appuyer sur des incohérences, des contradictions ou des omissions dans les déclarations au point d’entrée, le FRP et le témoignage de vive voix pour apprécier la crédibilité en l’espèce (voir, par exemple, Eustace c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1553, [2005] ACF no 1929, au paragraphe 6). Les notes consignées au point d’entrée donnent à penser que d’autres avaient été arrêtés avec le demandeur, et il y a été fait allusion plus tard dans le témoignage de vive voix, mais le FRP n’en faisait pas état. La Commission a raisonnablement considéré que cette omission était importante, puisque les faits omis aidaient à cerner la nature de l’arrestation et de l’intérêt que le gouvernement portait à leur église. Le défaut d’inclure ces détails dans le FRP a accentué l’incertitude quant à la crédibilité du récit du demandeur.

 

[15]           En outre, le demandeur prétend que la Commission s’est livrée à de la spéculation lorsqu’elle a conclu que le demandeur mentait au sujet d’un interrogatoire par le BSP, puisque son témoignage portait à croire qu’il n’avait pas été interrogé au sujet des activités religieuses de sa sœur. Le demandeur conteste également la pertinence de la documentation citée par la Commission dans cette partie de ses motifs.

 

[16]           Je ne puis qualifier de spéculative l’analyse de cette question par la Commission, puisqu’elle était fondée sur des connaissances spécialisées. L’alinéa 170i) de la LIPR permet à la Commission de s’appuyer sur ce type de connaissances.

 

[17]           Comme le souligne le défendeur, la Commission a expressément soumis cette question au demandeur à l’audience et lui a donné l’occasion de s’expliquer. Cela s’accorde avec l’avis exigé lorsque la Commission s’appuie sur des connaissances spécialisées, conformément à la décision Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 595, [2007] ACF no 807, aux paragraphes 9 et 10.

 

[18]           Je ne vois pas non plus en quoi les conclusions de la Commission ne s’accordent pas avec l’analyse faite dans la décision Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1526, [2005] ACF no 1883, au paragraphe 16, citée par le demandeur. Cette décision ne fait que réitérer que les conclusions quant à la crédibilité et les conclusions d’invraisemblance doivent clairement identifier les faits qui servent de fondement à une conclusion défavorable. La Commission a satisfait à cette exigence en l’espèce en précisant, à la lumière du témoignage du demandeur, qu’elle s’appuyait sur ses connaissances spécialisées selon lesquelles le BSP aurait normalement interrogé davantage le demandeur au sujet de sa famille.

 

[19]            Les conclusions de la Commission à cet égard étaient également étayées par une brève mention d’éléments de preuve documentaire. Bien que ceux-ci mentionnent les adeptes du Falun Gong plutôt que les églises chrétiennes chinoises, ils donnaient certaines indications quant aux méthodes employées par le BSP lorsque celui-ci a affaire à des groupes religieux. Lorsque l’on ajoute à cela le fait que la Commission s’est appuyée sur ses connaissances spécialisées, la démarche était justifiable.

 

[20]           En ce qui concerne les conclusions défavorables que la Commission a tirées du fait qu’aucune sommation n’avait été laissée à la famille du demandeur, celui-ci avance encore une fois que la démarche est spéculative et fait fi d’éléments de preuve contradictoires selon lesquelles la primauté du droit n’est pas respectée en Chine.

 

[21]           Je suis néanmoins convaincu que la Commission a suffisamment tenu compte des éléments de preuve contradictoires. En effet, elle a expressément reconnu la nature mixte des éléments de preuve dont elle disposait. La Commission pouvait soupeser ces éléments de preuve et conclure, comme elle l’a fait, qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une sommation soit laissée à la famille du demandeur.

 

[22]           La Commission a généralement donné des motifs clairs au soutien de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité en l’espèce. Elle a également souligné que ses conclusions étaient fondées sur « les problèmes importants et cumulatifs susmentionnés » lors de l’appréciation des éléments de preuve présentés par le demandeur. Pour ces motifs, je dois conclure que la démarche de la Commission appartient aux issues possibles acceptables.

 

[23]           Comme la Cour suprême l’a récemment confirmé dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. »

 

B.        La demande d’asile présentée sur place

 

[24]           J’ai aussi du mal à admettre la position du demandeur selon laquelle la Commission a laissé ses conclusions quant à la crédibilité de l’identité religieuse du demandeur à l’arrivée influer sur une appréciation distincte de la question centrale de savoir si le demandeur était un chrétien authentique au moment de l’audience.

 

[25]           La Commission a examiné cette question et les éléments de preuve pertinents. Toutefois, puisqu’elle était convaincue que le demandeur n’était pas un chrétien authentique, la Commission a accordé peu de poids aux photos et aux documents de l’église à Toronto. Elle a considéré que le demandeur avait participé à ces activités et obtenu ces documents pour bonifier sa demande d’asile. Comme la Commission l’a raisonnablement conclu, « [ces documents] ne prouvent pas en soi que le demandeur d’asile est, ou a déjà été, un chrétien authentique. ».

 

[26]           Le demandeur invoque les conclusions du juge James O’Reilly dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 132, [2008] ACF no 164, au paragraphe 8. Dans cette affaire, on avait reproché à la Commission de ne pas avoir tiré de conclusion définitive portant que le demandeur n’était pas un vrai chrétien. Elle avait « omis d’examiner la question de savoir si M. Huang risquait d’être persécuté du fait de sa religion s’il était renvoyé en Chine, qu’il ait ou non auparavant été membre d’une église clandestine ». Toutefois, ce n’est pas ce qui est arrivé en l’espèce. La Commission a procédé à une analyse de la preuve documentaire relative à la persécution dans la province du Fujian, laquelle sera examinée ci-dessous.

 

C.        La preuve documentaire

 

[27]           Le demandeur soutient que la Commission a traité de manière sélective la preuve documentaire, et il souligne ce qu’il considère comme des passages contradictoires dont les motifs n’ont tenu aucun compte.

 

[28]           Je considère que l’appréciation détaillée de cette preuve par la Commission est raisonnable dans les circonstances. La Commission a soupesé les éléments de preuve et a conclu que, bien que des incidents de persécution surviennent en fonction de différents facteurs, ils n’ont pas un caractère généralisé. Par exemple, on a laissé entendre que le demandeur pouvait pratiquer ouvertement sa foi dans la province du Fujian, car des documents indiquaient que les groupes chrétiens ne menaient plus leurs activités en secret. Les arguments du demandeur se résument à un désaccord avec la pondération de cette preuve par la Commission, chose qui ne peut justifier l’intervention de la Cour.

 

[29]           Je me dois de souligner que la Commission est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait, sauf preuve du contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA). Rien n’oblige la Commission à mentionner expressément chaque élément de preuve documentaire (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (CA). La pondération des éléments de preuve doit simplement satisfaire aux critères de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité.

 

VI.       Conclusion

 

[30]           Les appréciations que la Commission a faites de la crédibilité, de la demande présentée sur place et de la preuve documentaire étaient raisonnables. En conséquence, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5601-11

 

INTITULÉ :                                      GUIKUN LIU c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 20 MARS 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 17 AVRIL 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jayson Thomas

 

POUR LE DEMANDEUR

Evan Duffy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shelley Levine

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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