Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20120417

Dossier : IMM-6268-11

Référence : 2012 CF 443

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

CLAUDIA MARGARI OLIVARES SANCHEZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 22 août 2011, dans laquelle elle a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée ni de personne à protéger. Les deux questions déterminantes ont trait à la protection de l’État et à la possibilité d’un refuge interne (PRI).

 

I. Contexte

[2]               La demanderesse est citoyenne mexicaine. Elle est arrivée au Canada le 26 janvier 2009 et a demandé l’asile dès son arrivée. Sa demande est fondée sur les allégations suivantes.

 

[3]               La demanderesse a travaillé comme caissière au bar Unicornio dans la ville de Tijuana de février 2007 au 19 décembre 2008, date à laquelle elle a été licenciée pour manque de travail. Lors de son licenciement, son patron lui aurait confirmé qu’elle recevrait les sommes auxquelles elle avait droit à titre de salaire et d’indemnité de départ. L’employeur ne lui a toutefois pas remis la totalité du montant auquel elle avait droit. La demanderesse a contacté un avocat qui a déposé en son nom une plainte auprès du Secrétariat du travail et prévention sociale (le Secrétariat du travail) afin de récupérer le montant qui lui était dû.

 

[4]               Le 12 janvier 2009, la demanderesse s’est présentée au bar pour remettre à son ex‑employeur un avis de convocation à une audience de conciliation et arbitrage devant le Secrétariat du travail. Le 15 janvier 2009, la demanderesse a été abordée par trois individus qui l’ont sommée de retirer la plainte qu’elle avait déposée contre son employeur si elle tenait à sa vie. Craignant pour sa vie, la demanderesse a tenté de retirer sa plainte le lendemain. On l’aurait toutefois informée qu’elle ne pouvait retirer sa plainte puisque le processus était engagé. Le 16 janvier 2009, la demanderesse a été abordée par deux autres individus qui l’ont menacée de mort si elle ne retirait pas sa plainte auprès du Secrétariat du travail. La même journée, la demanderesse a déposé une plainte auprès du ministère public relativement aux menaces qu’elle avait reçu le 15 janvier 2009. Elle a alors été informée qu’une enquête serait menée et la preuve démontre qu’une enquête préliminaire a été ouverte.

[5]               La demanderesse n’est pas retournée au ministère public après avoir été menacée le 16 janvier 2009. Elle a plutôt fait des arrangements pour quitter le Mexique, ce qu’elle a fait le 26 janvier 2009.

 

II. La décision contestée

[6]               La Commission a d’abord jugé que la demande d’asile ne découlait pas de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi] et elle a analysé la demande en vertu du paragraphe 97(1)(b) de la Loi.

 

[7]               La Commission n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse. Elle a par ailleurs conclu qu’elle n’avait pas renversé la présomption de protection de l’État et qu’il existait pour elle une PRI.

 

[8]               La demanderesse a attaqué la décision de la Commission à trois égards. Elle a d’abord soulevé que la Commission a erré en n’évaluant pas sa demande d’asile sous l’angle de l’article 96 de la Loi. Elle a également invoqué que les conclusions de la Commission relativement à la protection de l’État et à la PRI étaient déraisonnables.

 

[9]               Les conclusions de la Commission quant à la présomption de la protection de l’État et l’existence d’une PRI étaient toutes deux déterminantes, et ce, que la demande soit envisagée sous l’angle des articles 96 ou 97 de la Loi. Il suffit donc qu’une seule de ces conclusions soit raisonnable pour faire échec à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[10]           Pour les motifs qui suivent, je considère que la conclusion de la Commission relativement à l’existence d’une PRI était raisonnable et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que je poursuive l’examen de la conclusion de la Commission relativement à la protection de l’État.

 

III. Norme de contrôle

[11]           Il est bien établi que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à l’égard des conclusions de la Commission relativement à l’existence d’une PRI (Sanchez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 926 (disponible sur CanLII); Lebedeva c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1165 (disponible sur CanLII)). Pour savoir si la décision de la Commission est raisonnable, la Cour s'attardera à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

[12]           Au début de l’audience, la Commission a identifié le District fédéral de Mexico et Mérida dans le Yucatan comme PRI. Au cours de l’audience, la Commission a aussi invoqué la ville de Puebla comme PRI puisque la mère et le fils de la demanderesse y habitent depuis 2001 et qu’ils n’ont eu aucun problème en lien avec la demanderesse.

 

IV. Analyse

[13]           La Commission a analysé les deux volets du test pour déterminer l’existence d’une PRI.    

 

[14]           Relativement au premier volet, la demanderesse a déclaré qu’elle ne pourrait pas vivre ailleurs au Mexique parce que son agent persécuteur, qui travaille pour une entreprise qui a des bars dans d’autres villes du Mexique, finirait par la retrouver à l’aide des bases de données gouvernementales. La Commission a rejeté cet argument et conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’il était probable que sa vie soit en danger dans les endroits établis comme PRI. La Commission a retenu de la preuve documentaire qu’il était difficile d’être retracé au Mexique à l’aide des bases de données gouvernementales (onglets 2.4, 3.4 et 3.6). La Commission a jugé insuffisante l’allégation de corruption au Mexique pour conclure que l’agresseur de la demanderesse avait des liens tels qu’il aurait accès aux banques de données. La Commission a également jugé que la demanderesse n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son agresseur aurait accès aux banques de données ni qu’il aurait l’intérêt de la poursuivre.

 

[15]           Quant au deuxième volet de la PRI, la Commission a déterminé que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il était déraisonnable pour elle de s’installer dans les endroits identifiés comme PRI. La Commission a noté que la demanderesse était jeune, qu’elle n’avait aucun empêchement à se déplacer ailleurs au pays et qu’il était probable qu’elle puisse se trouver du travail dans les endroits identifiés.

 

[16]           Je considère que la décision de la Commission est tout à fait raisonnable eu égard à la preuve.

 

[17]           La question de savoir s'il existe ou non une PRI fait partie intégrante de la décision relative à une demande d'asile (Rasaratnam c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706, 31 ACWS (3d) 139 (CA)). Lorsqu'une PRI est invoquée, il appartient alors à la partie demanderesse de prouver que cette PRI n'existe pas ou qu'elle est déraisonnable compte tenu de sa situation (Thirunavukkarasu c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), [1994] 1 CF 589 au para 12, 109 DLR (4th) 682 (CA)). La décision relative à l’existence ou non d’une PRI implique une évaluation des circonstances relatives aux conditions prévalant dans le pays d’origine de la partie demanderesse, mais également une appréciation des circonstances propres à sa situation. Les conditions de sécurité prévalant au pays sont certes un des éléments à considérer, mais cette évaluation ne peut pas se faire de façon générale et abstraite; elle doit être mise en contexte avec la situation particulière de la partie demanderesse  pour déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il existe ou non une PRI pour une personne qui demande l’asile. L'examen d'une PRI comporte deux parties. D'abord, la Commission doit être persuadée, selon la prépondérance de la preuve, qu'il n'est pas vraisemblable que la personne en cause sera persécutée, exposée à la torture, à une menace pour sa vie, ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités dans la région envisagée comme PRI. Deuxièmement, il doit être raisonnable pour la personne en cause de trouver refuge dans ladite région, compte tenu des conditions de la PRI envisagée (arrêt Rasaratnam, précité; arrêt Thirunavukkarasu, précité).

 

[18]           En l’espèce, il était tout à fait raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse ne s’était pas déchargée de son fardeau, et ce à l’égard des deux volets d’analyse de la PRI.

 

[19]           Les allégations de la demanderesse quant aux possibilités que son agent persécuteur ait l’intérêt et la capacité de la retrouver partout au Mexique sont générales et purement hypothétiques. Il était nettement insuffisant d’invoquer le fait que le propriétaire du bar où elle travaillait possédait d’autres bars ailleurs au pays et que s’il transférait son gérant, il se pouvait qu’on puisse la retrouver. De plus, la demanderesse ne connaît pas le résultat de la plainte qu’elle a déposée et a prétendu ne plus être en mesure de rejoindre son avocat. Dans ce contexte, il était totalement hypothétique d’invoquer que son avocat avait dû accepter un pot-de-vin de son agent persécuteur. Il était tout aussi hypothétique de soutenir que son ancien patron était une personne rancunière qui a des relations avec des « personnes qui font des choses illégales ».

 

[20]           Les menaces reçues par la demanderesse l’ont été dans le contexte de la plainte qu’elle a déposée et qui, dans les faits, n’a pas abouti. L’agent persécuteur de la demanderesse a obtenu ce qu’il recherchait (que la plainte ne procède pas) et aucune preuve n’indique qu’il a continué de chercher la demanderesse; il était donc tout à fait raisonnable de penser qu’elle puisse trouver refuge dans une autre région sans y être persécutée. La preuve a démontré que la mère de la demanderesse et le fils de cette dernière sont demeurés à Tijuana après le départ de la demanderesse sans être importunés.

 

[21]           Quant au deuxième volet de la PRI, la demanderesse ne s’est aucunement déchargée du fardeau qui lui appartenait de démontrer qu’il était déraisonnable qu’elle puisse se relocaliser dans les endroits invoqués. Qu’il suffise de penser à Puebla où la demanderesse pourrait vivre avec son fils et sa mère. Elle n’a pas démontré en quoi il était déraisonnable de penser qu’elle pourrait s’y installer et y trouver du travail.

 

[22]           Dans Ranganathan c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 2 CF 164 aux para 15-16 (disponible sur CanLII) (CA), la Cour d’appel a rappelé la norme rigoureuse relativement à ce deuxième volet de l’examen d’une PRI :

15        Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d'appel, indique qu'il faille placer la barre très haute lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions. L'absence de parents à l'endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d'autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d'un emploi ou d'une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d'une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d'une personne.

 

16        Il y a au moins deux motifs qui font qu'il est important de ne pas baisser la barre. Premièrement, comme notre Cour l'a dit dans Thirunavukkarasu, la définition de réfugié au sens de la Convention exige que "les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu'ils craignent d'être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d'origine et ce, dans n'importe quelle partie de ce pays". En d'autres mots, ce qui fait qu'une personne est un réfugié au sens de la Convention, c'est sa crainte d'être persécutée par son pays d'origine quel que soit l'endroit où elle se trouve dans ce pays. Le fait d'élargir ou de rabaisser la norme d'évaluation du caractère raisonnable de la PRI dénature de façon fondamentale la définition de réfugié: on devient un réfugié sans avoir la crainte d'être persécuté et du fait que la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays.

 

 

[23]           Compte tenu de ces principes et de la preuve au dossier, je considère que la décision de la Commission ne comporte aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour.

 

[24]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et le présent dossier ne comporte aucune question susceptible d’être certifiée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6268-11

 

INTITULÉ :                                       CLAUDIA MARGARI OLIVARES SANCHEZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Elie Mackaridze

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Soury Phommachakr

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Alain Joffe et Me Soury Phommachakr

Montréal, Québec

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.