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Date : 20120411


Dossier : T-697-11

Référence : 2012 CF 408

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

GORDON DOYLE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (LE CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE)

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 28 mars 2011 par le Chef d’état-major de la Défense (le CEMD), par laquelle celui-ci a rejeté sa requête en prorogation du délai qui lui était imparti pour exercer son choix d’un domicile projeté (DP) et recevoir des indemnités de réinstallation.

 

[2]               Le demandeur a allégué plusieurs manquements à l’équité procédurale ainsi que le caractère déraisonnable de la décision, compte tenu de la politique des Forces canadiennes (les FC) concernant les indemnités de réinstallation. Le défendeur a reconnu que la Cour devrait casser la décision du CEMD, mais a formulé des observations concernant le décideur à qui l’affaire devrait être renvoyée, en s’opposant à la requête du demandeur qui souhaitait une décision imposée.

 

[3]               Je ferai donc droit à cette demande et examinerai plus en détail ci-après le recours qui s’impose.

 

I.          Le contexte

 

[4]               Le demandeur, Gordon Doyle, un ancien officier des FC, a sollicité, par lettre adressée au CEMD le 1er février 2011, une prorogation du délai d’utilisation de ses indemnités de réinstallation, en raison de circonstances exceptionnelles.

 

[5]               Avant de se voir signifier la décision officielle du CEMD, le demandeur avait reçu une décision imminente du major Farrell. Les 24 et 25 mars, il a envoyé des renseignements complémentaires pour examen.

 

[6]               Le 28 mars 2011, cependant, le CEMD a rejeté sa requête, dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Je voudrais bien établir un programme qui s’accorde explicitement avec votre cas, permettant ainsi une prorogation du délai d’un DP au‑delà de la période de trois ans, mais cela m’est impossible.

 

Toutes les indemnités de réinstallation sont approuvées par le Conseil du Trésor (CT) et administrées par l’entremise du Programme de réinstallation intégrée des FC. Votre réinstallation n’a pas commencé, mais pour l’heure nous sommes liés par la politique officielle du CT et il nous est impossible de faire davantage à l’intérieur même du système militaire. Je relève que, d’après votre dossier, vous avez jusqu’au 11 août 2011 pour choisir un DP et vous y installer. Je vous encourage à recourir sans délai au réseau et aux ressources d’appui de votre emplacement actuel pour être en mesure d’obtenir une réinstallation avant l’expiration de vos indemnités de DP.

 

[7]               Le demandeur a réagi en introduisant la présente procédure de contrôle judiciaire et en présentant au défendeur, en vertu de l’article 13 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21, une nouvelle demande de communication de documents.

 

II.         Le cadre législatif et stratégique

 

[8]               L’article 35 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, dispose que les taux et conditions de versement de la solde des membres des FC, ainsi que les indemnités qui leur sont payables au titre soit des frais de déplacement ou autres, soit des dépenses ou conditions inhérentes au service, sont régis par le Secrétariat du Conseil du Trésor (le SCT). La politique officielle du SCT applicable aux membres des FC en matière de réinstallation figure dans la Directive du Programme de réinstallation intégrée des Forces canadiennes (la Directive du Programme de réinstallation).

 

[9]               La section 2.1.01 de la Directive du Programme de réinstallation – Période active des affectations, PAA 2008, désigne ainsi les pouvoir en matière d’indemnités de réinstallation :

Le secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) a le pouvoir :

 

•     d’approuver le remboursement d’une partie ou de la totalité des dépenses raisonnables engagées qui se rattachent directement à la réinstallation des membres des FC mais qui ne sont pas spécialement prévues dans la présente politique ou qui peuvent être reliées à une circonstance exceptionnelle.

 

 

Le Directeur – Rémunération et avantages sociaux (Administration) (DRASA), a le pouvoir :

 

•     d’approuver le remboursement d’une partie ou de la totalité des dépenses raisonnables engagées qui se rattachent directement à la réinstallation des membres des FC mais qui ne sont pas spécialement prévues dans la présente politique.

 

 

Le Directeur – Gestion des activités de réinstallation (D Gest AR) a le pouvoir :

 

•     d’approuver le remboursement ou le recouvrement d’une partie ou de la totalité des dépenses raisonnables encourues qui se rattachent directement à la réinstallation des membres des FC qui sont décrites dans cette politique ou qui sont autorisées par le SCT ou le DRASA.

 

 

Les commandants des bases (cmdt B) ou les officiers d’administration de la base (O Admin B) ont le pouvoir :

 

•     de rendre des décisions au sujet des indemnités ou avantages prévus dans la Politique du PRIFC.

 

[10]           Les responsabilités attribuées comprennent notamment les suivantes :

 

Les responsabilités du DRASA sont les suivantes :

 

•     surveiller l’administration du PRIFC;

•     proposer au besoin des changements à apporter à la politique au Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) lorsque requis.

 

 

Les responsabilités des cmdt B et O Admin B sont les suivantes :

 

•     veiller à ce que des renseignements validés et des documents à l’appui soient remis aux membres des FC, afin qu’ils soient transmis au fournisseur de services dans le but de garantir un remboursement adéquat.

 

Le fournisseur de services est chargé d’aider les membres des FC en offrant :

 

·           des renseignements sur le programme dans un format compréhensible;

·           l’aide à laquelle ils ont droit à chaque étape de leur déménagement;

·           des références appropriées au sujet du remboursement des dépenses de réinstallation.

 

Les responsabilités des coordonnateurs des réinstallations des FC sont les suivantes :

 

·           offrir de l’orientation aux membres des FC au sujet de toute précision sur la politique et assurer la liaison avec le fournisseur de services au sujet des questions de réinstallation;

·           prendre en considération le demandes de remboursement qui respectent l’intention de la politique et, s’il y lieu, transmettre les demandes à l’autorité approbatrice.

 

Les responsabilités des membres des FC sont les suivantes :

 

·           communiquer avec le fournisseur de services dans les 21 jours suivant la réception de l’ordre d’affectation;

·           demander une confirmation par écrit de l’information transmise par le fournisseur de services;

·           envoyer au coordonnateur des réinstallations des FC les demandes d’arbitrage; comprendre les conditions et les restrictions des indemnités de réinstallation qui s’appliquent à leur cas, car les dépenses faites à la suite d’une mauvaise interprétation ou d’une erreur ne seront pas nécessairement remboursables;

·           examiner les renseignements transmis, demander des précisions et prendre des décisions en temps utile au sujet des avantages;

·           assurer un déménagement d’une résidence à l’autre en coordonnant :

o                    la vente du logement,

o                    l’acquisition du nouveau logement,

o                    la date d’occupation du nouveau logement,

o                    la date de début du service,

o                    l’expédition des AM et EP,

o                    le voyage jusqu’au nouveau lieu.

 

 

 

[11]           Selon le chapitre 14, section 14.1.02 de la Directive du Programme de réinstallation, PAA 2008, un membre des FC avait trois ans après la date de sa libération pour exercer son choix concernant un DP, comme il suit :

Dans tous les cas, la période maximale de trois ans après la date de la libération, y compris le choix et le recours à toutes les indemnités quant au choix du DP (ce qui comprend le déménagement lui-même), ne peut pas être dépassée, sauf dans des circonstances exceptionnelles et sur approbation du DRASA.

 

[12]           Dans la Directive du Programme de réinstallation, PAA 2009, cependant, le délai fixé pour réclamer des indemnités de réinstallation était ramené à deux ans après la date de libération. On peut y lire ce qui suit :

Le Directeur – Rémunération et avantages sociaux (Administration) (DRASA) peut exercer l’autorité qui lui est conférée par le Ministre pour prolonger d’un maximum d’un an le délai limite de deux ans au cours duquel un membre des FC doit exercer son choix pour le DP, lorsque des circonstances hors de contrôle du militaire l’empêchent d’exercer ce choix à temps.

 

[13]           Le Bulletin de clarification 3 du PRIFC 2009 précisait que ce nouveau délai indiqué dans la Directive du Programme de réinstallation, PAA 2009, serait maintenu, comme il suit :

Les membres des FC dont la date de libération officielle se situe entre le 1er avril 2000 et le 31 mars 2009 et dont le délai d’admissibilité n’a pas expiré demeurent autorisés à se prévaloir de leurs indemnités de déménagement vers le DP dans les trois qui suivent la date de leur libération.

 

[14]           Puisque la date de libération du demandeur était en août 2008, le défendeur reconnaît que le délai de trois ans et la possibilité d’une prorogation dans des circonstances exceptionnelles selon la Directive du Programme de réinstallation, PAA 2008, s’appliquent au demandeur.

 

[15]           Également pertinente est la section 1.3.02 de la Directive du Programme de réinstallation, PAA 2008, qui autorise les membres des FC à exercer un recours concernant les indemnités de réinstallation :

Les demandes peuvent être soumises au DRASA par l'intermédiaire du coordonnateur des réinstallations des FC dans les cas où les membres des FC :

 

•     ont engagé des dépenses raisonnables découlant de situations ou circonstances exceptionnelles ou voudraient faire une demande qui n'est pas conforme à la politique du PRIFC;

•     ne sont pas d'accord avec l'application ou l'interprétation de la politique du PRIFC par le fournisseur de services.

 

Toutes les demandes doivent comprendre les éléments suivants :

 

•     une description écrite de la décision ou de la situation qui donne lieu à la demande et tous les faits connus de la part des membres des FC;

•     la raison de la demande comportant un énoncé clair de toutes les indemnités demandées, c.-à-d. quelles indemnités les membres des FC s'attendent-ils à recevoir;

•     les documents à l'appui (facture, déclaration de médecin, énoncés du conseiller des réinstallations, etc.).

 

III.       Les points litigieux

 

[16]           Le demandeur a d’abord soulevé les points suivants :

 

·                      Le CEMD a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

·                      Le CEMD a-t-il commis une erreur parce qu’il n’a pas renvoyé au SCT, pour décision, la requête du demandeur?

·                      Quelle année de la Directive du Programme de réinstallation s’applique au demandeur?

·                      Le CEMD a-t-il commis une erreur en affirmant que la disposition sur la prorogation de délai n’existait pas?

·                      La décision du CEMD de rejeter la requête du demandeur était-elle raisonnable?

 

[17]           Cependant, vu la position du défendeur pour qui la décision du CEMD devrait être cassée, seuls deux points relatifs au redressement qui s’impose doivent être décidés par la Cour :

 

a)         À supposer que le dossier du demandeur soit renvoyé pour nouvelle décision, qui est le décideur compétent?

 

b)         Une décision imposée devrait-il elle être rendue dans la présente instance?

 

IV.       Analyse

 

[18]           Le demandeur voulait que l’affaire soit renvoyée au CEMD. Il a aussi prié la Cour d’être précise dans ses motifs, voire de rendre une décision portant que son cas constituait des « circonstances exceptionnelles » aux termes de la section 14.1.02 de la Directive du Programme de réinstallation, PAA 2008, et justifiait une prorogation de délai. Il soutient que son cas est un cas particulier parce que, se fondant sur les observations faites par le lieutenant-colonel Jones au Directeur – Rémunération et avantages sociaux (Administration) (le DRASA), il dit avoir des raisons de craindre la partialité.

 

[19]           Il est clair pour la Cour que les observations du lieutenant-colonel Jones ont été peu judicieuses, qu’elles manquent de professionnalisme et qu’elles portent atteinte à sa réputation ainsi qu’à celle des FC.

 

[20]           Malgré les doutes du demandeur, cependant, la Cour « n’a habituellement pas, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le pouvoir de substituer son opinion sur les faits à celle du décideur, ou de tirer des conclusions de fait indépendantes lorsque le décideur ne l’a pas fait » (arrêt Callaghan c. Canada (Directeur général des élections), 2011 CAF 74, [2011] ACF n° 199, au paragraphe 124). Pareillement, la Cour d'appel fédérale avait souligné, dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Rafuse, 2002 CAF 31, [2002] ACF n° 91, aux paragraphes 13 et 14, que « le rôle de la Cour à l’égard des conclusions de fait d’un tribunal est rigoureusement circonscrit ». S’agissant de la notion de décision imposée, elle donnait les précisions suivantes :

[14]      Bien que la Cour puisse donner des directives quant à la nature de la décision à rendre lorsqu'elle annule la décision d'un tribunal, il s'agit d'un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs : Xie, précité, au paragraphe 18. Ce pouvoir doit rarement être exercé dans les cas où la question en litige est de nature essentiellement factuelle (Ali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 73 (C.F. 1re inst.)), surtout lorsque, comme en l'espèce, le tribunal n'a pas tiré la conclusion pertinente.

 

[21]           La question de savoir si le cas du demandeur constitue des « circonstances exceptionnelles » justifiant une prorogation de délai est éminemment discrétionnaire et tributaire des faits. La Cour devrait donc s’abstenir d’exercer le pouvoir exceptionnel de prescrire la décision à rendre.

 

[22]           Je dois également me ranger à l’avis du défendeur pour qui le décideur compétent dans la présente instance est le DRASA plutôt que le CEMD. La responsabilité des décisions administratives se rapportant aux indemnités de réinstallation est déléguée en vertu de la section 14.1.02 de la Directive du Programme de réinstallation, PAA 2008. Le DRASA peut, dans des « circonstances exceptionnelles », approuver une requête en prorogation de la période de trois ans après la date de libération. Cette décision n’a pas encore été évoquée directement auprès du DRASA, ni n’a été prise par lui.

 

[23]           La possibilité d’une prorogation pour le demandeur doit donc être dûment examinée par le DRASA avant que des mesures additionnelles ne soient prises par le CEMD ou par la Cour. Il convient de souligner que le demandeur aurait pu procéder de cette manière dès le départ.

 

V.        Conclusion

 

[24]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du CEMD est annulée. La question du droit du demandeur à une prorogation du délai d’utilisation de ses indemnités de réinstallation, en raison de « circonstances exceptionnelles », est renvoyée au décideur compétent, le DRASA, pour nouvelle décision.

 

[25]           La Cour dit que, en application de la Directive du Programme de réinstallation, PAA 2008, aucune limite de temps n’est imposée quant à la durée possible d’une telle prorogation.

 

[26]           Il ne sera pas adjugé de dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE CE QUI SUIT : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du Chef d’état-major de la Défense est annulée. La question du droit du demandeur à une prorogation du délai d’utilisation de ses indemnités de réinstallation, en raison de « circonstances exceptionnelles », est renvoyée au décideur compétent, à savoir le Directeur – Rémunération et avantages sociaux (Administration). La Cour conclut que, en application du Programme de réinstallation, PAA 2008, aucune limite de temps n’est imposée quant à la durée possible d’une telle prorogation. Il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

« D. G. Near »”

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-697-11

 

INTITULÉ :                                       DOYLE c. PGC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 FÉVRIER 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 11 AVRIL 2012

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Gordon Doyle

 

LE DEMANDEUR

Sharon Johnston

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Gordon Doyle

Ottawa (Ontario)

 

LE DEMANDEUR

Sharon Johnston

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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