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Date : 20120418


Dossier : IMM-2508-11

Référence : 2012 CF 447

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), ce 18e jour d’avril 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

VENITA WALKER

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, (la Loi), en vue du contrôle judiciaire de la décision qu’un agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a rendue le 28 mars 2011, et dans laquelle l’agent a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse (la décision). L’agent en est arrivé à cette conclusion après avoir déterminé qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier que l’on fasse une exception permettant à la demanderesse de présenter sa demande de résidence permanente au Canada.

 

[2]               La demanderesse demande que la décision de l’agent soit annulée et que sa demande soit renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour qu’un autre agent rende une nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]               La demanderesse, Venitia Walker, est citoyenne de la Jamaïque. Au Canada, elle a deux sœurs qui vivent à Montréal ainsi qu’une fille et deux petits‑enfants (nés en 1994 et en 2002) qui demeurent à Toronto. La fille et les petits‑enfants de la demanderesse sont citoyens canadiens. La demanderesse a une autre fille en Jamaïque.

 

[4]               Le 7 mai 2007, la demanderesse a présenté une demande de dispense de l’application des exigences relatives au visa de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Dans une lettre datée du 29 mai 2007, cette demande a été renvoyée à la demanderesse au motif qu’elle était incomplète.

 

[5]               La demanderesse est arrivée au Canada le 26 juin 2007. Depuis son arrivée au Canada, elle s’occupe de ses deux petits‑enfants pendant que sa fille, mère célibataire, effectue des quarts de travail dans un refuge.

 

[6]               Par lettre datée du 20 septembre 2007, la demanderesse a été avisée du fait que sa demande de résidence permanente présentée au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire avait été transférée au centre de CIC, à Etobicoke, pour appréciation plus poussée.

 

[7]               Dans une lettre datée du 3 février 2011, un agent d’immigration a demandé à ce que la demanderesse présente une demande à jour. Avec l’assistance d’un avocat, la demanderesse a produit une demande actualisée le 3 mars 2011.

 

La décision de l’agent

 

[8]               Le 25 mars 2011, l’agent a examiné la demande de la demanderesse. Les constatations de l’agent ont été consignées dans le formulaire d’exposé circonstancié de la demande de résidence permanente, lequel fait partie de la décision.

 

[9]               L’agent a apprécié quatre facteurs pour en arriver à la conclusion qu’il n’existait pas de motifs pour lesquels l’exigence de présenter, à l’extérieur du Canada, une demande de résidence permanente représenterait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives pour la demanderesse.

 

[10]           En premier lieu, l’agent a rejeté l’affirmation de la demanderesse, selon laquelle elle était une dispensatrice de soins essentielle pour ses petits‑enfants, au motif qu’une preuve insuffisante avait été produite quant à la non‑disponibilité d’autres services de garde d’enfants. L’agent a également estimé que l’intérêt supérieur des enfants était protégé du fait qu’ils vivaient avec leur mère, soit la personne qui en est principalement responsable. L’agent a donc accordé peu de poids à ce facteur.

 

[11]           En deuxième lieu, l’agent a estimé que la preuve n’était pas suffisante pour corroborer l’affirmation de la demanderesse selon laquelle, depuis son arrivée, l’état de son petit‑fils souffrant du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (le THADA) s’était amélioré. L’agent a souligné le manque d’éléments de preuve médicale démontrant que le petit‑fils était atteint du THADA. L’agent n’a donc pas accordé de poids à ce facteur.

 

[12]           En troisième lieu, l’agent a qualifié de crainte ressentie par la population en général, plutôt que de crainte personnelle, l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle courait un risque accru d’être victime d’un crime violent si elle retournait en Jamaïque, du fait que, là‑bas, on s’imaginerait qu’elle est riche parce qu’elle a passé du temps à l’étranger. L’agent a pris acte du fait que la criminalité en Jamaïque n’était pas un phénomène nouveau ou récent et qu’il devait y en avoir lorsque la demanderesse habitait encore dans ce pays. Par conséquent, l’agent a également accordé peu de poids à ce facteur.

 

[13]           Enfin, l’agent a reconnu qu’il y avait un certain degré d’établissement, parce que la demanderesse était une paroissienne à l’église locale, qu’elle faisait du bénévolat pour les services d’action sociale de l’église et pour une banque alimentaire communautaire et que sa fille établie au Canada subvenait à ses besoins du fait que la demanderesse était sans emploi. Cependant, l’agent n’a pas été convaincu que ce degré d’établissement était suffisant pour compenser le manque d’autres facteurs d’ordre humanitaire.

 

[14]           À la lumière de cette analyse, l’agent a estimé qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée. Il n’y a eu aucune entrevue.

 

[15]           L’agent a avisé la demanderesse de la décision par lettre datée du 28 mars 2011. Cette lettre indiquait aussi que la demanderesse se trouvait au Canada sans aucun statut valide de résidente temporaire.

 

Les questions en litige

 

[16]           La demanderesse soumet la question en litige qui suit :

            L’agent a‑t‑il commis des erreurs de droit susceptibles de contrôle en rejetant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse?

 

[17]           Je formulerais les questions en litige dans les termes suivants :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande de la demanderesse?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[18]           La demanderesse soutient que la norme de contrôle d’une décision qu’un agent d’immigration rend au sujet d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est la raisonnabilité. La demanderesse soutient en outre que les motifs d’un refus ne sauraient être incompatibles avec les valeurs sous‑jacentes à l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire.

 

[19]           La demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur de droit en effectuant une appréciation tout à fait inadéquate de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision. La demanderesse soutient que l’agent a fait fi de la preuve démontrant la dépendance de sa fille envers elle ainsi que les liens étroits qui l’unissent à ses petits‑enfants.

 

[20]           La demanderesse affirme que l’agent a également omis d’analyser et d’apprécier ce qui serait dans l’intérêt supérieur des enfants, puis de soupeser cela au regard des autres facteurs d’ordre humanitaire. Au lieu de prendre en considération l’intérêt supérieur des enfants, l’agent, d’affirmer la demanderesse, n’a tenu compte que de leur intérêt tout juste suffisant. La demanderesse soutient que l’agent n’a fait qu’énumérer les facteurs pertinents, plutôt que de les faire intervenir activement en vue d’apprécier l’intérêt global des enfants. Ce faisant, l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[21]           La demanderesse fait aussi valoir que l’agent a commis une erreur de droit au moment d’apprécier la crainte qu’elle avait d’être victime d’un crime violent en Jamaïque. L’agent aurait dû se demander si cette crainte équivalait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[22]           Enfin, la demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur de droit en ne faisant pas mention de la preuve qui suit :

                    l’engagement signé de sa fille à la parrainer;

                    l’explication de sa fille que le parrainage d’un parent est un processus long (qui peut prendre plus de cinq ans);

                    le fait qu’elle a diligemment maintenu son statut légal et valide de résidente temporaire tout au long de son séjour au Canada.

 

[23]           Puisque l’agent n’a pas fait mention de cette preuve pertinente, on doit présumer, selon la demanderesse, que l’agent n’en a pas tenu compte dans sa décision.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[24]           Le défendeur affirme qu’une décision d’un agent d’immigration quant à l’existence de difficultés commande l’application de la norme de contrôle de la raisonnabilité.

 

[25]           Le défendeur soutient que l’examen d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire offre à un demandeur une possibilité spéciale et additionnelle de dispense d’application des lois canadiennes sur l’immigration. Néanmoins, la décision de ne pas accorder pareille dispense à un demandeur ne le prive d’aucun droit.

 

[26]           De l’avis du défendeur, les observations de la demanderesse sur la prise en compte de facteurs favorables, sur l’abstraction faite d’éléments de preuve et sur l’omission de prêter suffisamment attention à certains facteurs se rapportent en fait à l’appréciation des différents facteurs. Le défendeur soutient que cela est visé par le pouvoir discrétionnaire de l’agent et que la demanderesse n’a pas démontré que l’agent avait exercé ce pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable. Plutôt, l’agent a bel et bien pris en considération et soupesé tous les facteurs pertinents et en est arrivé à une conclusion étayée par la preuve dans son ensemble.

 

[27]           Le défendeur soutient aussi que la conclusion à laquelle l’agent est arrivé quant à l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable. Si la jurisprudence exige des agents d’immigration qu’ils prennent toujours cet intérêt en considération, il est aussi clairement établi que cet aspect n’a pas d’effet déterminant et ne l’emporte pas toujours sur tous les autres facteurs.

 

[28]           Enfin, le défendeur soutient que la défenderesse n’a pas démontré que l’agent avait commis quelque erreur que ce soit dans l’évaluation de son risque allégué d’éprouver des difficultés si elle retournait en Jamaïque.

 

[29]           En résumé, le défendeur soutient que, dans son examen de la preuve qui lui a été présentée, l’agent a maintes fois appliqué la bonne norme applicable dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

 

Analyse et décision

 

[30]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question dont la Cour est saisie a été établie dans des décisions antérieures, la cour de révision peut faire sienne cette norme‑là (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[31]           Il est établi en droit que les conclusions qu’un agent d’immigration a tirées dans sa décision portant sur une demande de résidence permanente présentée au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire sont susceptibles d’être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (voir Garcia De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, [2010] ACF no 868, au paragraphe 13; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1193, [2009] ACF no 1489, au paragraphe 14; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713, au paragraphe 18).

 

[32]           Lorsqu’elle examine la décision de l’agent selon la norme de la raisonnabilité, la Cour ne devrait intervenir que si l’agent en est arrivé à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui ne fait pas partie des issues acceptables, compte tenu de la preuve dont il disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59). Ainsi que la Cour suprême l’a statué dans l’arrêt Khosa, précité, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer sa propre opinion d’une issue préférable à celle qui a été retenue, pas plus qu’il n’entre dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (aux paragraphes 59 et 61).

 

[33]           Deuxième question

            L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande de la demanderesse?

            Le paragraphe 11(1) de la Loi exige des personnes désireuses de solliciter un statut de résident permanent au Canada qu’elles le fassent à l’extérieur du Canada. Le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit une dérogation possible à cette règle lorsque des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Toutefois, il s’agit d’une mesure de redressement exceptionnelle et discrétionnaire, et les agents d’immigration doivent apprécier et soupeser les facteurs pertinents, eu égard à la situation personnelle de chaque demandeur (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, [2002] ACF no 457, aux paragraphes 11 et 15 à 17; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, au paragraphe 34; Gonzales Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009, CF 409, [2009] ACF no 543, au paragraphe 11).

 

[34]           Les simples difficultés inhérentes au départ d’une personne qui a séjourné un certain temps au Canada ne suffisent pas à justifier la prise d’une mesure de dispense sous le régime du paragraphe 25(1) de la Loi. Cette dispense ne s’adresse qu’au demandeur qui subirait des « difficultés inhabituelles, injustes ou excessives » s’il devait quitter le Canada pour présenter sa demande de l’étranger de la façon habituelle (voir Pashulya c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1275, [2004] ACF no 1527, au paragraphe 43).

 

[35]           En l’espèce, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation et la pondération de plusieurs facteurs se rapportant à sa situation personnelle, notamment l’intérêt supérieur des enfants et sa crainte d’être victime d’un crime violent en Jamaïque.

 

[36]           L’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants sous le paragraphe 25(1) de la Loi est une question que traite une abondante jurisprudence. Les décisions dans lesquelles l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada, ont été jugées déraisonnables (voir Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 73 et 75).

 

[37]           L’appréciation doit être effectuée avec soin et compassion, d’une manière qui démontre que l’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants touchés. On ne peut se contenter de déclarer que cet intérêt a été pris en compte ou faire simplement mention de l’intérêt des enfants ou des relations avec les enfants touchés (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555, au paragraphe 32). L’intérêt des enfants doit être bien identifié et doit être défini et examiné avec beaucoup d’attention (voir Hawthorne, précité, au paragraphe 32; Legault, précité, aux paragraphes 12 et 31).

 

[38]           L’intérêt supérieur dont il faut tenir compte est celui d’un « enfant directement touché ». L’appréciation ne se limite donc pas aux enfants d’un demandeur, mais peut aussi, par exemple, comprendre les petits‑enfants du demandeur (voir Afocha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 240, [2008] ACF no 300, au paragraphe 7).

 

[39]           C’est à la demanderesse qu’il incombe de fournir la preuve des effets dommageables que son départ aurait sur les enfants. L’agent a l’obligation de prendre en considération toute preuve présentée en ce sens (voir Liniewska c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 291, [2006] ACF 779, au paragraphe 20).

 

[40]           Dans Castillo, précitée, le juge suppléant Lagacé a estimé que des lettres mal étoffées émanant des enfants adultes de la partie demanderesse dans lesquelles ces derniers disent se fier aux demandeurs pour recevoir un soutien moral et considérer comme important que leur propre enfant connaisse ses grands‑parents et grandisse auprès d’eux constituaient une preuve insuffisante. Dans cette affaire, il aurait fallu que l’agente sache de façon concrète en quoi et pourquoi l’intérêt supérieur du petit‑fils eut été mieux servi par la constante présence de ses grands‑parents (au paragraphe 15). Les seuls motifs de la réunification familiale ne suffisent pas. Les demandeurs auraient dû démontrer que le fait de déposer une demande de résidence permanente à l’étranger les aurait exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives (au paragraphe 21).

 

[41]           Enfin, pour important que soit ce facteur, la mention des enfants n’entraîne pas pour autant une présomption prima facie selon laquelle l’intérêt des enfants devrait prévaloir et l’emporter sur les autres considérations (voir Legault, précité, au paragraphe 13; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Okoloubu, 2008 CAF 326, [2008] ACF no 1495, au paragraphe 48).

 

[42]           En l’espèce, la demanderesse affirme que l’agent a fait erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de ses petits‑enfants nés au Canada. Dans sa décision, l’agent a reconnu le rôle de dispensatrice de soins qu’assumait la demanderesse à l’égard des enfants pendant que sa fille était au travail, de même que l’amélioration alléguée de la condition du petit‑fils (relativement à son THADA) depuis l’arrivée de sa grand‑mère. Toutefois, étant donné que les petits‑enfants vivent avec la personne qui en est principalement responsable (leur mère) et qu’aucune preuve n’a été produire quant à l’absence d’autres options possibles pour faire garder les enfants ni au sujet du trouble médical du petit‑fils, l’agent a accordé peu de poids à ces observations. Il convient également de souligner que la fille de la demanderesse a reconnu l’importance de l’aide et du soutien que sa mère lui avait apportés lorsqu’elle fréquentait l’école. Cependant, la fille a depuis obtenu son diplôme et, quoique l’aide qu’elle reçoit de sa mère pour les enfants demeure importante, étant donné qu’elle a un horaire de travail irrégulier, la question d’obtenir un soutien de la part de sa mère pendant qu’elle étudie ne se pose plus.

 

[43]           La jurisprudence analysée plus haut accentue l’importance de déposer une preuve suffisante pour étayer une demande. Je conviens avec le défendeur que les observations de la défenderesse sur ce point se rapportent majoritairement à l’appréciation de la preuve par l’agent. Bien que l’agent n’ait pas explicitement fait mention des lettres émanant de la fille et des petits‑enfants de la demanderesse, il a tenu compte de leur contenu dans la décision qu’il a rendue. Rappelant que la déférence est de mise envers un agent d’immigration lorsqu’il s’agit d’apprécier la preuve, je ne considère pas ici que l’agent a tiré une conclusion déraisonnable en l’espèce. Je suis convaincu que l’agent a été suffisamment réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants à la lumière de la preuve au dossier. Si l’existence de liens étroits unissant la grand‑mère et ses petits‑enfants a été démontrée, cette dimension ne justifie pas à elle seule qu’on dispense la demanderesse de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente à partir de l’étranger.

 

[44]           La demanderesse affirme aussi que l’agent a omis de tenir dûment compte de sa crainte d’être la cible de crimes violents si elle retournait en Jamaïque après avoir vécu plusieurs années à l’étranger. Dans Nazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 125, [2005] ACF no 159, le juge Paul Rouleau a expliqué qu’il appartenait au demandeur de prouver aux agents d’immigration qu’il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l’exercice favorable de leur pouvoir discrétionnaire (au paragraphe 15). Dans la présente affaire, l’agent a pris en considération la crainte alléguée de la demanderesse, mais n’a pas été convaincu du caractère personnel de cette crainte. La seule observation de la demanderesse au sujet de sa crainte était consignée dans un formulaire de renseignements supplémentaires qui a apparemment été rempli en 2007. Aucun autre élément de preuve n’a été déposé pour corroborer la crainte personnelle de la demanderesse. Il s’agit donc aussi d’un facteur à l’égard duquel la Cour devrait faire preuve de retenue quant aux conclusions tirées par l’agent et à son appréciation de la preuve.

 

[45]           En dernier lieu, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en ne faisant pas mention de l’engagement signé de sa fille à la parrainer, du temps qu’il faut pour parrainer un parent et du fait qu’elle a toujours maintenu la validité de son statut de résidente temporaire. Cependant, dans l’ensemble, je trouve que l’agent a exposé des motifs détaillés, clairs et bien organisés, et qu’il a adéquatement soupesé les différents facteurs avant d’en arriver à une conclusion. Les facteurs additionnels mentionnés par la demanderesse ne suffisent pas à rendre déraisonnable la décision de l’agent.

 

[46]           En résumé, je conclus que la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. La décision de l’agent était transparente, justifiable et intelligible et elle s’inscrivait dans les limites des issues acceptables sur la base de la preuve produite. Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[47]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2508-11

 

INTITULÉ :                                      VENITIA WALKER

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             15 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE.

 

DATE DU JUGEMENT :               18 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul VanderVennen

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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