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Date : 20120418


Dossier : IMM-3079-11

Référence : 2012 CF 448

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

RAMI HANNOON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 14 avril 2011, qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention, selon les termes de l’article 96 de la Loi, et la qualité de personne à protéger, selon les termes du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[2]               La Commission a estimé que le demandeur n’avait pas une crainte fondée de persécution d’après un motif prévu par la Convention et qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que son renvoi en Palestine l’exposerait à un risque de torture ou, selon la prépondérance des probabilités, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités.

 

[3]               Le demandeur prie la Cour d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer l’affaire à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour suite à donner à sa demande de résidence permanente.

 

Contexte

 

[4]               Le demandeur, le Dr Rami Hannoon, vient de la ville palestinienne de Nablus, en Cisjordanie. Il détient un passeport délivré par l’Autorité palestinienne (AP). Ses parents vivent en Cisjordanie, et sa fiancée vit en Jordanie.

 

[5]               Le demandeur, un médecin, a étudié en Russie et en Jordanie. Avant de venir au Canada, il a exercé au Service médical de l’armée à Ramallah, une ville qui sert de centre administratif de l’AP en Cisjordanie. À Ramallah, il soignait les soldats de l’AP et leurs familles. Il soignait aussi des prisonniers civils et il lui revenait de décider s’ils étaient ou non médicalement aptes.

 

[6]               En Cisjordanie, le Hamas et le al‑Jihad al‑Islami (les anti-AP) s’opposent à l’AP.

 

[7]               En mars 2008, le demandeur a reçu un appel téléphonique d’un représentant des anti-AP. L’auteur de l’appel invitait le demandeur à coopérer en déclarant les éventuels détenus inaptes à la détention, leur permettant ainsi d’être remis en liberté ou envoyés à l’hôpital plutôt qu’en prison. Le demandeur n’a pas répondu à l’invitation de l’auteur de l’appel, ce qui, a-t-il dit, signifiait un refus de sa part d’y accéder. Plus tard, il en a référé à sa hiérarchie (des officiers de l’armée), qui lui ont dit d’être prudent, mais aussi de ne pas se soucier de l’appel.

 

[8]               En mai 2008, le demandeur a reçu un autre appel du même individu. Celui-ci était irrité de constater que le demandeur n’avait pas répondu favorablement à sa requête antérieure. Il l’accusait d’avoir commis une faute médicale et d’être partie à un complot visant à éliminer un détenu qui était un partisan des anti-AP. Encore une fois, le demandeur en a référé à sa hiérarchie, mais celle-ci a simplement répété son avis antérieur.

 

[9]               En juin 2008, des assaillants inconnus ont tiré sur le domicile du demandeur alors qu’il s’y trouvait. Le lendemain, le demandeur a reçu un appel menaçant du même individu, qui lui disait que, s’il avait survécu cette fois-ci, il n’en réchapperait pas la prochaine fois. Le demandeur en a référé une troisième fois à sa hiérarchie; encore une fois, celle-ci n’a, semble-t-il, rien fait.

 

[10]           Le demandeur a donc pris des dispositions pour quitter le pays. Il avait déjà des visas du Canada et des États-Unis qu’il avait sollicités en décembre 2007 quand il avait songé à visiter des proches vivant dans ces pays.

 

[11]           Le 25 juin 2008, le demandeur a quitté la Cisjordanie pour le Canada.

 

[12]           Au Canada, le demandeur s’est trouvé aux prises avec des troubles psychiatriques et cognitifs. On lui a conseillé de déposer une demande d’asile fondée sur sa crainte de devoir retourner en Cisjordanie. Le 1er août 2008, le demandeur a déposé une demande d’asile depuis le Canada.

 

[13]           L’audition de la demande d’asile a eu lieu le 14 mars 2011.

 

Décision de la Commission

 

[14]           La Commission a rendu sa décision le 14 avril 2011. Elle a admis que le demandeur était un ressortissant de la Palestine et un médecin qui avait travaillé pour l’armée. Cependant, elle a rejeté sa demande d’asile parce que, selon elle, il n’était pas crédible et parce qu’il pouvait obtenir de l’État une protection.

 

[15]           Aux termes de l’article 96 de la Loi, la Commission a reconnu que la crainte du demandeur d’être assassiné par des membres des anti-AP équivalait à une persécution selon la Convention, au titre de prétendues opinions politiques, si sa crainte était fondée.

 

[16]           La Commission a pris acte de la perte de poids évidente du demandeur et de l’évaluation psychiatrique d’après laquelle il souffrait d’anxiété et de dépression et présentait des symptômes de stress post‑traumatique. Cependant, selon la Commission, le demandeur ne présentait pas de troubles de mémoire ou de concentration.

 

[17]           La Commission a estimé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible quand il disait craindre des militants anti-AP. Elle a observé une incohérence à propos du groupe que le demandeur disait craindre dans ses notes du point d’entrée (groupes islamistes) par rapport à l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et à son témoignage (représentant du Hamas et du al‑Jihad al‑islami).

 

[18]           La Commission a aussi mis en doute la crédibilité du demandeur parce qu’il était un employé du gouvernement de l’AP et qu’il travaillait au sein de l’armée lorsque les difficultés avaient surgi. Selon la Commission, la description que le demandeur avait donnée de la réaction de ses supérieurs à ses inquiétudes, qui selon la Commission étaient à l’origine de sa demande d’asile, n’était ni convaincante ni crédible. La Commission a aussi relevé que le récit du demandeur n’était pas confirmé par la preuve documentaire, ni par une quelconque preuve émanant de son ancienne hiérarchie.

 

[19]           La Commission a ajouté que le demandeur aurait dû faire davantage que simplement informer sa hiérarchie des appels qu’il avait reçus et des coups de feu tirés sur son habitation. Il y avait maintes choses que le demandeur aurait pu faire avant de quitter la Palestine. La Commission a donc estimé qu’il ne s’était pas prévalu de la protection de l’AP.

 

[20]           La Commission a examiné l’évaluation psychiatrique du demandeur ainsi que les documents médicaux produits avec sa demande d’asile. Cependant, elle n’a pu conclure que la dépression du demandeur résultait des désagréments auxquels, selon lui, il avait dû faire face en Cisjordanie. Selon la Commission, il pouvait y avoir de multiples raisons à l’origine de la dépression et de l’anxiété du demandeur, notamment des raisons liées à l’isolement et à l’hostilité dont il souffrait au Canada. La Commission a accordé peu de poids aux conclusions du psychiatre parce qu’elles étaient principalement fondées sur ce que le demandeur, qu’elle avait jugé non crédible, avait dit à celui-ci.

 

[21]           Examinant la demande d’asile selon le paragraphe 97(1) de la Loi, la Commission a considéré les épreuves que le demandeur disait craindre. Comme elle n’avait pas la preuve de ses affirmations, elle a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas exposé à une menace pour sa vie ni à un risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités. La Commission était confortée dans son analyse par le fait que la famille du demandeur vivait à Ramallah et qu’il n’était pas établi qu’elle était pour cette raison en proie à la tyrannie.

 

[22]           Pour ces motifs, la Commission a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger.

 

Points litigieux

 

[23]           Selon le demandeur, le point litigieux est le suivant :

            1.         Existe-t-il des preuves appuyant les observations du demandeur sur les questions déterminantes exposées ci‑après, et ces questions, séparément ou ensemble, sont-elles des questions sérieuses?

                        a.         En négligeant d’évaluer la demande de réfugié sur place, la Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle?

                        b.         La Commission a-t-elle apprécié la preuve d’une manière telle que ses conclusions de fait étaient manifestement erronées?

 

[24]           Je formulerais ainsi les points litigieux :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas évalué la demande de réfugié sur place?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur parce qu’elle a rejeté la demande d’asile?

 

Observations écrites du demandeur

 

[25]           Selon le demandeur, la Commission a commis plusieurs erreurs graves dans sa décision.

 

[26]           D’abord, il dit que la Commission a commis une erreur parce qu’elle a totalement laissé de côté l’aspect « sur place » de la demande d’asile. C’est là une erreur de droit qui doit être revue d’après la norme de la décision correcte.

 

[27]           Le demandeur affirme que l’aspect « sur place » de sa demande d’asile découle d’un article accessible en ligne publié par le Hamilton Spectator, et daté du 14 septembre 2010, qui fait de lui une cible possible de l’AP. Il affirme que l’article en question le désigne comme un dissident politique originaire de Palestine, en révélant les choses suivantes à son sujet : photo de profil; nom; ville de résidence; demandeur d’asile originaire de Palestine; date d’arrivée au Canada; âge; raison du départ de la Palestine (« querelles politiques »); perte de poids; éducation (études en Russie); et expérience professionnelle (a exercé comme médecin en Palestine durant trois ans).

 

[28]           Selon le demandeur, la demande de réfugié sur place a été évoquée à l’audience et la Commission savait donc que c’était une question à trancher. Cependant, même si la demande de réfugié sur place n’avait pas été évoquée, la Commission était tenue de l’examiner parce qu’elle découlait de la preuve qu’elle avait devant elle.

 

[29]           Le demandeur affirme aussi que, en disant qu’il avait désigné d’une manière incohérente les agents de persécution qu’il craignait, la Commission a commis une grave erreur de fait dans sa décision. Il dit que, au mépris de la jurisprudence, la Commission ne lui a jamais demandé de s’expliquer sur cette prétendue incohérence.

 

[30]           Néanmoins, le demandeur affirme qu’il n’existait en fait aucune incohérence du genre. Il se réfère à des extraits de ses notes du point d’entrée, où il affirmait que l’auteur des appels faisait partie [traduction] « d’un groupe islamiste ou du Hamas ». Il se réfère aussi à l’affidavit d’un autre interprète qui avait relevé une erreur de taille dans l’interprétation de son témoignage. Au lieu de dire que l’auteur des appels appartenait [traduction] « à des groupes musulmans/au Hamas » comme l’avait déclaré l’interprète au cours de l’audience, le demandeur avait en réalité dit [traduction] « à des groupes islamistes, notamment le Hamas ».

 

[31]           Le demandeur se réfère à une preuve relative au pays, qui, affirme-t-il, confirme l’idée selon laquelle le mot « islamiste » et le mot « Hamas » sont employés indifféremment pour décrire la mouvance extrémiste islamiste en Palestine, et selon laquelle le Hamas et le al‑Jihad al‑islami sont reconnus comme des groupes islamistes. Pour ces raisons, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en refusant de le croire sur cet aspect, parce qu’il n’y avait aucune contradiction dans ses affirmations à propos des agents de persécution qu’il disait craindre.

 

[32]           Le demandeur affirme aussi que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée en disant que le psychiatre avait décelé chez lui une dépression, alors qu’en réalité il avait décelé un état de stress post‑traumatique (ESPT). Le demandeur soutient que ces deux diagnostics cliniques sont très différents. Plus précisément, l’ESPT, contrairement à la dépression, atteste une torture psychologique.

 

[33]           Le demandeur soutient aussi que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas considéré l’évaluation psychiatrique en même temps que les observations médicales faites par le chirurgien généraliste qui avaient été rapportées dans l’article du Hamilton Spectator. Il ajoute que la Commission a commis une erreur en évoquant d’autres raisons pour sa dépression, compte tenu du diagnostic posé par le psychiatre à partir des renseignements que celui-ci avait obtenus et à partir de sa propre observation du demandeur. La Commission a donc injustement et cavalièrement récusé le rapport du psychiatre, commettant de ce fait une erreur susceptible de contrôle.

 

[34]           En résumé, le demandeur dit que la Commission a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui avait été soumise.

 

Observations écrites du défendeur

 

[35]           Selon le défendeur, la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est la décision raisonnable.

 

[36]           Il dit que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne considérant pas la demande de réfugié sur place. Dans certains cas, une demande de réfugié sur place peut être prise en compte même lorsqu’elle n’a pas été explicitement évoquée, mais le défendeur affirme que, en l’espèce, le dossier ne renfermait rien qui pût conduire la Commission à se considérer saisie d’une demande de réfugié sur place. En outre, contrairement à ce que prétend le demandeur, le dossier certifié du tribunal ne révèle pas qu’il a soulevé auprès de la Commission la question d’une demande de réfugié sur place. La seule intention de l’avocat du demandeur, lorsqu’il avait évoqué l’article du Hamilton Spectator durant l’audience, était d’établir que le demandeur se trouvait dans un état psychologique fragile et que la Commission devrait donc se montrer patiente au moment de l’interroger.

 

[37]           Le défendeur souligne aussi que le demandeur n’a produit aucune preuve documentaire confirmant le risque et la persécution qu’il allègue. Durant son interrogatoire, le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas cherché à se procurer des preuves corroborantes. Selon le défendeur, il n’était donc pas déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable de cette absence de documents.

 

[38]           Selon le défendeur, le fait que la Commission ait accordé peu de poids à la preuve médicale était conforme à la jurisprudence et n’était pas déraisonnable. En outre, le défendeur affirme que le demandeur est simplement en désaccord avec l’importance accordée par la Commission à la preuve médicale, ce qui en soi ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

 

[39]           Le défendeur reconnaît que le demandeur, dans ses notes au point d’entrée, dans son FRP et au cours de l’audience, avait désigné le Hamas comme le groupe islamiste qu’il craignait.

 

[40]           Finalement, le défendeur relève que, puisque le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la Commission relative à la protection offerte par l’État, on peut en déduire qu’il reconnaît que la conclusion de la Commission sur ce point était raisonnable.

 

Analyse et décision

 

[41]           Point n° 1

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière qui lui est soumise est déjà établie par la jurisprudence, alors la juridiction de contrôle peut adopter cette norme (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[42]           Selon la jurisprudence, si la Commission néglige de traiter l’un des aspects d’une demande d’asile, par exemple la question de « réfugié sur place », elle commet une erreur de droit qui doit être revue selon la norme de la décision correcte (voir la décision Mohajery c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 185, [2007] ACF n° 252, au paragraphe 26). La Cour n’est pas tenue de faire preuve de déférence à l’égard du décideur et doit se faire sa propre opinion sur cet aspect (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[43]           En revanche, les conclusions touchant la crédibilité, que l’on décrit comme « l’essentiel de la compétence de la Commission », sont fondamentalement de pures conclusions de fait, qui doivent donc être revues d’après la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS n° 12, au paragraphe 46; Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, [2011] ACF n° 786, au paragraphe 23; et Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF n° 162, au paragraphe 7).

 

[44]           Il est constant en droit également que la question de savoir si la protection offerte par l’État est ou non suffisante est une question mixte de droit et de fait, qui doit être revue selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] ACF n° 584, au paragraphe 38; et James c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 546, [2010] ACF n° 650, au paragraphe 16).

 

[45]           Lorsqu’elle examine une décision de la Commission en se fondant sur la norme de la décision raisonnable, la Cour s’abstiendra d’intervenir à moins que la Commission ne soit arrivée à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables au regard de la preuve qui lui a été soumise (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59). Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, il n’appartient pas à la juridiction de contrôle de substituer à l’issue en cause celle qui serait à son avis préférable, et elle n’a pas non plus pour fonction d’apprécier à nouveau la preuve (voir les paragraphes 59 et 61).

 

[46]           Point n° 2

            La Commission a-t-elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas évalué la demande de réfugié sur place?

            Un réfugié sur place est défini ainsi dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR (le Guide du HCNUR) : « une personne qui n’était pas réfugié lorsqu’elle a quitté son pays, mais qui devient réfugié par la suite ».

 

[47]           Il est de jurisprudence constante que, même si un demandeur ne présente pas explicitement une demande de réfugié sur place, sa demande doit néanmoins être examinée en tant que demande de réfugié sur place si le dossier laisse voir d’une manière perceptible que des activités susceptibles d’engendrer des conséquences négatives en cas de retour ont eu lieu au Canada (voir Mohajery, précité, au paragraphe 31; et Mbokoso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF n° 1806, au paragraphe 10). Si la demande de réfugié sur place est appuyée par une preuve digne de foi, cette analyse doit être faite, quand bien même le décideur jugerait-il le demandeur non crédible (voir Mohajery, précité, au paragraphe 32).

 

[48]           Le Guide du HCNUR décrit deux cas où une personne peut devenir un réfugié sur place :

            1.         changement de circonstances dans son pays d’origine pendant son absence, ou

            2.         de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu’elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou en raison des opinions politiques qu’elle a exprimées dans le pays où elle réside.

 

[49]           C’est le deuxième cas qui est allégué ici. Pour l’évaluation de ce cas, le Guide du HCNUR recommande aux décideurs de vérifier si les actes de la personne en question sont arrivés à la connaissance des autorités de son pays d’origine et, dans l’affirmative, de quelle manière ils pourraient être jugés par elles. Le décideur doit expressément prendre en considération « la preuve crédible des activités d’un demandeur au Canada susceptibles d’attester le risque d’un préjudice dès son retour » (voir Ejtehadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 158, [2007] ACF n° 214, au paragraphe 11).

 

[50]           En l’espèce, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas évalué la demande de réfugié sur place qui était apparue à la suite de l’article du Hamilton Spectator accessible en ligne. Cet article contenait des renseignements qui l’identifiaient et qui l’exposeraient à un risque accru d’être fiché par les AP comme dissident politique en cas de retour en Palestine. Le défendeur, quant à lui, soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur en s’abstenant d’évaluer la demande de réfugié sur place puisqu’elle n’avait pas été évoquée au cours de l’audience ni ne ressortait du dossier.

 

[51]           L’examen des transcriptions de l’audience de la Commission révèle que la demande de réfugié sur place fut évoquée en partie durant l’audience. Dans ses observations finales, l’avocat du demandeur affirmait que l’article du Hamilton Spectator mettait clairement son client dans la catégorie des réfugiés sur place. La Commission avait réagi en disant qu’elle ne voyait pas comment une telle demande pouvait résulter de la preuve produite, et elle avait donc demandé de nouveaux éclaircissements. L’avocat du demandeur avait répondu qu’il apporterait des éclaircissements plus tard dans ses observations. Il avait alors entrepris d’expliquer les difficultés auxquelles devait faire face le demandeur en raison de son état de santé qui se détériorait. Cependant, cette preuve médicale seule ne suffit pas à attester l’existence d’une demande de réfugié sur place selon la description figurant dans le Guide du HCNUR. Les observations restantes de l’avocat avaient porté sur la crédibilité du demandeur et sur l’instabilité politique et les violences y afférentes en Cisjordanie. L’avocat du demandeur n’a jamais apporté de nouveaux éclaircissements concernant la demande de réfugié sur place, comme l’en avait prié la Commission.

 

[52]           Il n’est pas contesté que la Commission n’a pas traité dans sa décision la demande de réfugié sur place.

 

[53]           Je suis d’avis que la Commission a commis une erreur de droit en négligeant de traiter la demande de réfugié sur place. Dès lors qu’il existait une telle demande, il était du devoir de la Commission de la traiter. Cette demande aurait peut-être été admise, ou peut-être ne l’aurait-elle pas été, je ne le sais pas, puisque la Commission s’est abstenue de la traiter. La Commission aurait dû considérer les preuves et arguments présentés. Ne l’ayant pas fait, elle a commis une erreur susceptible de contrôle, et sa décision doit donc être annulée, et l’affaire renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision.

 

[54]           Il ne m’est pas nécessaire d’aborder le point restant.

 

[55]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


ANNEXE

 

Dispositions applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3079-11

 

INTITULÉ :                                       RAMI HANNOON

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 18 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Omar Shabbir Khan

 

POUR LE DEMANDEUR

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Omar S. Khan Professional

Hamilton (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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