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Date : 20120319


Dossier : T‑484‑11

Référence : 2012 CF 324

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

 

SOCIÉTÉ CAMECO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « MCP ALTONA », LE NAVIRE « MCP ALTONA »,

MS MCP ALTONA GMBH & CO KG, HARTMANN SCHIFFAHRTS GMBH & CO, HARTMANN SHIPPING ASIA PTE LTD., FRASER SURREY DOCKS LP et

PACIFIC RIM STEVEDORING LTD.

 

 

 

défendeurs

 

 

et

 

 

 

THE CONTAINER GUY LTD.

 

 

 

 

mise en cause

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La saga du désastreux dernier voyage du MCP Altona a donné lieu à beaucoup de mesures devant notre Cour, où presque toutes les parties à la présente instance et dans d’autres instances jettent le blâme sur quelqu’un d’autre.

 

[2]               En décembre 2010, le MCP Altona, appartenant à MS MCP Altona GmbH & Co. KG et géré par Hartmann Schiffahrts GmbH & Co. KG, a quitté Vancouver pour se rendre en Chine et en Australie avec deux cargaisons à son bord. Expédiée par Cameco, la cargaison chinoise se composait de concentré de minerai d’uranium en fûts rangés dans des conteneurs maritimes. La cargaison australienne se composait d’une installation de forage pétrolier. Au cours du voyage, pour des raisons encore inconnues de la Cour, les conteneurs se sont écroulés et une partie de l’uranium s’est déversée. La cargaison d’uranium était radioactive et la situation est devenue dangereuse. Le navire a dû retourner à Vancouver.

 

[3]               La Commission canadienne de sûreté nucléaire a été alertée. Il a fallu décharger la cargaison d’uranium de manière sécuritaire et le navire a été décontaminé. La tâche est revenue à l’expéditeur Cameco qui détenait les connaissances spécialisées requises pour exécuter ces travaux. Les travaux devaient durer plusieurs mois.

 

[4]               Il était inévitable que le MCP Altona soit saisi. Il a été ensuite vendu par la Cour. Les parties ayant un droit sur l’uranium ont blâmé celles qui avaient un droit sur le navire. Les parties ayant un droit sur l’installation de forage pétrolier ont blâmé celles qui avaient un droit sur le navire et sur l’uranium. En revanche, les parties ayant un droit sur le navire, en plus d’alléguer les périls de la mer, ont blâmé les parties ayant un droit sur l’uranium.

 

[5]               En vue de garantir leur créance contre Cameco sans avoir à saisir sa cargaison qui était actuellement ou auparavant à son bord, les propriétaires du MCP Altona auraient, par l’entremise de leurs gestionnaires, chargé leurs conseillers juridiques de Vancouver, du cabinet Borden Ladner Gervais, d’obtenir une garantie volontaire. Ils sont parvenus à obtenir une garantie de l’ordre de 4 600 000 $. Le problème est qu’au moment où la garantie a été versée, les propriétaires des navires avaient fait faillite en Allemagne, ce qu’ignoraient les avocats, ainsi que Cameco et ses avocats. Ce fait n’a été connu au Canada que quelques mois plus tard.

 

[6]               Cameco tente maintenant de récupérer sa garantie. Elle a exposé à la Cour que le contrat était nul dans la mesure où il n’existait plus de partie avec laquelle elle pourrait contracter : les avocats des propriétaires n’avaient plus de mandat puisque la considération principale n’existait plus et le syndic de faillite n’avait pas pu et ne pourrait pas ratifier le contrat qui avait de toute façon été vicié en raison d’erreurs communes.

 

[7]               À titre subsidiaire, Cameco soutient que la garantie a été accordée en vertu du pouvoir de surveillance de la Cour, que le montant est par conséquent excessif et qu’il devrait être réduit.

 

[8]               N’eût été la déclaration de faillite, les ententes conclues par les parties étaient assez courantes et exécutoires. Une garantie est souvent accordée pour éviter la saisie d’un bien maritime, que ce soit un navire, une cargaison ou un fret. Un demandeur, qui pourrait autrement demander la saisie d’un bien, pourrait exiger une garantie, en s’appuyant sur la meilleure cause raisonnablement défendable, pour couvrir le montant de sa réclamation majoré des intérêts et des frais, jusqu’à concurrence de la valeur des biens visés (The « Moschanthy », [1971] 1 Lloyd’s Rep 37, et Amican Navigation Inc. c Densan Shipping Co. (1997), 137 F.T.R. 132, ACF no 1538 (QL)).

 

DÉCISION

 

[9]               À l’heure actuelle, il n’y a simplement pas assez d’éléments de preuve au dossier me permettant d’annuler les ententes relatives à la garantie. Bien que le montant de 4 600 000 $ de la garantie exigée et obtenue initialement n’était pas déraisonnable au départ, il est maintenant excessif à la lumière des circonstances. J’ordonne que la garantie soit réduite à 1 500 000 $ et que le solde détenu en fiducie par les avocats de Cameco soit restitué à Cameco, y compris les intérêts accumulés sur ce montant.

 

ANALYSE

 

[10]           La garantie exigée par les propriétaires du navire comportait deux composantes. La première était que le MCP Altona, un bien qui génère des revenus, ne pouvait générer aucun revenu pendant la décontamination. La garantie exigée et obtenue était de 1 500 000 $, le capital, les intérêts et les coûts compris. L’autre composante était que les propriétaires prévoyaient recevoir une réclamation de la part des parties ayant un droit sur l’installation de forage pétrolier. Ils ont exigé une garantie, intérêts et coûts en sus, de 2 600 000 $ afin de couvrir le montant que Cameco pourrait devoir payer pour l’indemniser. Étant donné que montant total de la garantie fournie était de 4 600 000 $, j’estime que le montant de 3 100 000 $ couvrait l’installation de forage pétrolier. En effet, les parties qui disaient avoir un droit sur l’installation de forage pétrolier, Saxon Energy Services Inc. et Saxon Energy Services Australia Pty Ltd., ont intenté une action devant la Cour (dossier no T‑2081‑11), pour obtenir des dommages‑intérêts généraux et spéciaux de plus de 2 000 000 $, et ITAC Services (Aust) Pty Ltd. a intenté une action dossier no T‑2082‑11) pour obtenir un montant supérieur à 1 000 000 $. Bien que les deux parties soutiennent que les ententes relatives à la garantie étaient partiellement conclues dans leur intérêt et qu’elles avaient le droit de réaliser cette garantie, aucune d’entre elles n’a comparu dans le cadre de la requête de Cameco, même si elles en avaient été avisées.

 

[11]           À mon avis, la partie de la garantie relative à l’installation de forage pétrolier profitait uniquement aux propriétaires du navire dans l’éventualité où ils seraient condamnés à l’issue d’une action intentée par Saxon et ITAC, et qu’ils auraient droit à des dommages‑intérêts de la part de Cameco. Saxon et ITAC n’ont saisi ni la cargaison de Cameco ni le navire. Elles ont intenté des actions personnelles seulement. Si la Cour prononce un jugement à l’encontre des propriétaires en leur faveur, ou s’ils présentent une réclamation dans la procédure de faillite, elles n’obtiendront rien. Le rapport présenté par le syndic de faillite montre que les passifs dépassent de beaucoup les actifs. Étant donné qu’aucun dividende ne sera versé à Saxon et ITAC, il est inutile que le syndic tente de réaliser la garantie. Par conséquent, la partie de la garantie relative à l’installation de forage pétrolier n’est plus justifiée.

 

[12]           Les deux parties se sont appuyées de manière excessive sur les formalités procédurales et le fardeau de la preuve. L’article 3 des Règles des Cours fédérales prévoit qu’il faut interpréter et appliquer celles‑ci de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste, et la plus expéditive et économique possible. Comme monsieur le juge Pigeon a affirmé dans l’arrêt Hamel c Brunelle, [1971] 1 RCS 147, à la page 156 : « […] [Q]ue la procédure reste la servante de la justice et n’en devienne jamais la maîtresse ».

 

[13]           La première question en litige porte sur l’incidence de la faillite. En droit canadien, et il n’a pas été démontré que le droit allemand était différent, les biens du failli sont dévolus au syndic (art. 71 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité). L’article 117 des Règles des Cours fédérales prévoit qu’en cas d’une dévolution d’une partie à une instance à une autre personne, p. ex., le syndic, cette personne doit signifier et déposer un avis et un affidavit énonçant les motifs de la dévolution. Or, ces mesures n’ont pas été prises dans la présente affaire, selon les avocats des « propriétaires », car la dévolution a eu lieu avant que Cameco intente son action. Toutefois, Cameco avait parfaitement le droit de poursuivre les propriétaires, car les avocats qui affirmaient agir pour le compte des propriétaires ne l’ont pas informé de la faillite. En fait, ces avocats ne l’ont appris que quelques mois plus tard. Au mieux, ce sont des questions de procédures qui peuvent être corrigées.

 

[14]           La question en litige suivante est celle de savoir si le syndic aurait pu autoriser la poursuite des procédures. À mon avis, il le pouvait, mais il est plus important de savoir s’il l’a fait. Le syndic, un avocat de Hambourg nommé Burkhardt Reimer, s’est montré très prudent dans ses rapports avec la Cour. Il a seulement comparu une fois au moyen d’une requête afin d’obtenir une suspension interlocutoire en attendant l’issue d’une demande présentée devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans laquelle il tente d’obtenir la reconnaissance et l’exécution d’une ordonnance rendue par le tribunal de la faillite à Hambourg. Cette requête n’a pas encore été instruite au fond.

 

[15]           Néanmoins, ses premiers rapports ont été déposés devant la Cour et divers éléments ont été invoqués à cet égard par Cameco et les « propriétaires ». Les « propriétaires » soulignent qu’on ne peut séparer la garantie accordée par Cameco des autres mesures qui ont été prises en leur nom, à la suite de la faillite, comme divers consentements et ordonnances de la Cour pour déplacer le navire alors qu’il faisait l’objet d’une saisie et avant qu’il ne soit vendu. Je suis d’accord.

 

[16]           Cameco soutient que le syndic avait autorisé les gestionnaires du navire à prendre certaines mesures, mais pas pour accepter la garantie. À mon avis, on accorde trop d’importance aux rapports. Il aurait été nettement préférable que Me Reimer dépose un affidavit en réponse à la requête, mais il n’était pas obligé de le faire. Il ne s’agit pas d’une requête en jugement sommaire où le défendeur doit présenter ses meilleurs arguments. En fait, la présente requête s’apparente davantage à une requête en radiation. La Cour ne privera pas trop hâtivement une partie d’un jugement.

 

[17]           Borden Ladner Gervais affirme que la source de son mandat est protégée par le secret professionnel liant l’avocat à son client. Dans son rapport, le syndic renvoie au fait que les propriétaires avaient souscrit une assurance couvrant les pertes d’exploitation. Évidemment, il se peut que les assureurs soient la partie réellement intéressée en ce qui concerne la garantie de 1 500 000 $. Selon l’usage de la Cour, l’assureur doit utiliser le nom de l’assuré (Simpson v Thomson (1877), 3 App Cas 279 (HL)). Toutefois, la Cour a aussi permis aux assureurs d’utiliser leurs propres noms (R c Nord‑Deutsche Versicherungs‑Gesellschaft, [1971] RCS 849, 20 DLR (3d) 444 et Switzerland General Insurance Co v Logistec Navigation Inc, 7 FTR 196, [1986] FCJ no 750 (QL)). Par conséquent, je ne suis pas en mesure de me prononcer, d’après le dossier actuel, sur les permutations et les combinaisons qui se sont produites dans le mandat de Borden Ladner Gervais.

 

[18]           J’estime également ne pas avoir suffisamment d’éléments de preuve à ma disposition pour déterminer si l’entente doit être déclarée nulle en raison d’erreurs communes.

 

[19]           Toutefois, les « propriétaires » ou le « syndic » ou les « assureurs de l’assurance des pertes d’exploitation » tournent autour du pot depuis bien trop longtemps. À moins que la véritable partie titulaire d’un droit intente une action à l’encontre de Cameco pour les pertes ou dommages allégués sous son propre nom au cours des 45 prochains jours devant la Cour, la Cour ordonne que le solde de la garantie soit retourné.

 

[20]           Cameco demande l’adjudication de dépens sur une base avocat‑client à l’encontre de Borden Ladner Gervais personnellement. Toutefois, elle a demandé que la question soit déférée jusqu’à ce que les présents motifs de l’ordonnance et l’ordonnance soient rendus. Je suis d’accord. Dans les circonstances, la question sera reportée jusqu’à ce qu’une personne se manifeste ou non selon les échéances établies.

 

[21]           Une copie des présents motifs doit être mise dans le dossier de la Cour portant le numéro T‑424‑11.


ORDONNANCE

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS;

            LA COUR ORDONNE:

1.                  La requête de demanderesse en vue d’obtenir une ordonnance visant à lui restituer la garantie qu’elle a fournie est accordée en partie.

2.                  La garantie est réduite de 4 600 000 $ à 1 500 000 $. La somme de 3 100 000 $, y compris les intérêts accumulés sur ce montant, détenue actuellement dans le compte en fiducie spécial des avocats de la demanderesse, peut lui être restituée.

3.                  Les dépens seront adjugés ultérieurement.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Elise Colas

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑484‑11

 

INTITULÉ :                                      CAMECO CORPORATION c

                                                            LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « MCP ALTONA », LE NAVIRE « MCP ALTONA »”, MS MCP ALTONA GMBH & CO KG, HARTMANN SCHIFFAHRTS GMBH & CO, HARTMANN SHIPPING ASIA PTE LTD., FRASER SURREY DOCKS LP ET PACIFIC RIM STEVEDORING LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

                                                            (Vidéoconférence/téléconférence à    Ottawa/Toronto/Saskatoon et Vancouver)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 7 MARS 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE PHELAN

 

DATE :                                              LE 19 MARS 2012

 

ONT COMPARU :

 

William Sharpe

Marc Isaacs

 

POUR LA DEMANDERESSE

Graham Walker

Dionysios Rossi

POUR LES DÉFENDERESSES

MS MCP ALTONA GMBH & CO KG,

HARTMANN SCHIFFAHRTS GMBH & CO ET HARTMANN SHIPPING ASIA PTE LTD.

 

Bridget Gilbride

 

POUR LES DÉFENDERESSES

FRASER SURREY DOCKS LTD. ET

PACIFIC RIM STEVEDORING LTD.

 

Deidre Aldcorn

POUR LA MISE EN CAUSE

THE CONTAINER GUY LTD.

 


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Isaacs & Co.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDERESSES

MS MCP ALTONA GMBH & CO KG,

HARTMANN SCHIFFAHRTS GMBH & CO ET HARTMANN SHIPPING ASIA PTE LTD.

 

Fasken Martineau

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDERESSES

FRASER SURREY DOCKS LTD. ET

PACIFIC RIM STEVEDORING LTD.

 

Scharfstein Gibbings Walen Fisher LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LA MISE EN CAUSE

THE CONTAINER GUY LTD.

 

 

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