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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120418

Dossier : T-2022-10

Référence : 2012 CF 451

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2012  

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

TADELE WOROTA ADMASU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE  

 

 

 

défendeur

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) de refuser d’annuler la confiscation, décision qu’il a prise en vertu de l’article 29 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 (la Loi). La demande sera rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Les faits

[2]               Le demandeur avait été arrêté par une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) le 2 avril 2009, au moment de son embarquement sur un vol à destination d’Amsterdam, puis de l’Éthiopie. L’agente lui avait expliqué que toutes les personnes transportant des espèces valant plus de 10 000 $CAN devaient en faire déclaration aux agents des services frontaliers. Selon l’agente, le demandeur avait déclaré que la valeur des espèces qu’il transportait était inférieure à 10 000 $CAN. Une fouille subséquente avait cependant révélé qu’il transportait des espèces canadiennes, américaines et européennes dont la valeur totale s’élevait à 14 277,44 $CAN. L’agente avait conclu qu’il y avait des motifs de soupçonner que les espèces étaient des produits de la criminalité et les avait donc saisies. Voici les motifs pour lesquels l’agente en était arrivée à cette conclusion :

a)      L’omission du demandeur de déclarer les espèces;

b)      Le comportement trompeur du demandeur et son omission de remettre toutes les espèces après qu’on lui en avait fait la demande;

c)      L’incapacité du demandeur à expliquer la provenance et la destination de la somme d’argent qu’il détenait;

d)      Les explications vagues et contradictoires du demandeur concernant ses plans de voyage et le fait que son billet d’avion avait été acheté par un tiers au cours de la semaine précédente;

e)      Le fait que la somme que le demandeur transportait n’était pas compatible avec son revenu et ses épargnes.

[3]               Le 6 avril 2009, le demandeur a présenté une demande de révision ministérielle de la confiscation, en vertu de l’article 25 de la Loi. Il a mentionné qu’il était sous forte médication (en raison d’une grave blessure à un bras découlant d’un accident au travail), ce qui expliquait pourquoi il n’avait pas fait preuve d’une plus grande diligence en ce qui concerne les espèces et qu’il n’avait pas été capable d’en expliquer leur provenance. On a découvert, lors de la fouille, des médicaments qui étaient compatibles avec cette explication, bien que l’agente n’en ait pas tenu compte lorsqu’elle est parvenue à sa conclusion. Le demandeur a aussi expliqué qu’une grande partie de la somme  provenait d’amis qui lui avaient demandé de transmettre cet argent à des membres de leur famille, en Éthiopie. Le demandeur a joint à sa demande des billets médicaux ainsi que des lettres rédigées par ses amis de Vancouver, qui visaient à expliquer la provenance de parties des espèces saisies.

 

[4]               L’adjudicateur a écrit au demandeur pour lui faire part des motifs de la saisie et l’a invité à lui envoyer davantage de renseignements et de documents pouvant établir que les espèces qui avaient été saisies étaient de provenance légitime. La lettre mentionnait qu’il devait indiquer le lien entre les espèces et la provenance de celles-ci, ainsi qu’établir le caractère légal de cette provenance.

 

[5]               Le demandeur et l’adjudicateur ont communiqué ensemble, et ce, pendant plusieurs mois, alors que l’adjudicateur tentait d’obtenir les renseignements nécessaires. Le demandeur n’a pas convaincu l’adjudicateur de la provenance légitime de toutes les espèces, malgré les demandes de documentation additionnelle qu’on lui a formulées. Le demandeur a aussi omis de fournir quelque preuve que ce soit pour étayer sa prétention que certaines des espèces provenaient de ses économies.

 

[6]               L’adjudicateur a fourni, en date du 17 août 2010, un résumé de l’affaire ainsi qu’une recommandation à la déléguée du ministre. L’adjudicateur a résumé l’historique des faits et a conclu qu’il y avait clairement eu contravention à la Loi. L’adjudicateur a examiné les renseignements et la documentation fournie par le demandeur. Puisque ces renseignements n’établissaient pas que toutes les espèces saisies étaient de provenance légitime, l’adjudicateur a recommandé que les espèces saisies demeurent confisquées.

 

[7]               La déléguée du ministre a informé le demandeur, par une lettre datée du 4 novembre 2010, de sa décision portant qu’il y avait eu contravention à la Loi et que la confiscation des espèces saisies serait maintenue. La lettre passait en revue les faits et les motifs pour lesquels les espèces avaient été saisies. Elle résumait aussi les observations que le demandeur avait présentées pour appuyer la restitution des espèces saisies.

 

[8]               La déléguée du ministre a relevé que le demandeur avait omis de fournir des éléments de preuve étayant la provenance légitime de toutes les espèces saisies. Elle a aussi expliqué que le demandeur n’avait pu expliquer comment une somme de plus de 3 000 $CAN aurait pu provenir de ses économies, puisque les relevés bancaires du demandeur n’avaient jamais fait état d’épargne et que sa marge de crédit était entièrement utilisée. Par conséquent, la déléguée du ministre a refusé de restituer les espèces saisies. 

 

La norme de contrôle et la question en litige

[9]               La question soulevée dans la présente affaire est de savoir si la décision du ministre est raisonnable : Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2008] ACF no 1267 (CA), au paragraphe 25.

 

[10]           La norme de contrôle est en partie orientée ou encadrée par la disposition législative permettant au ministre d’annuler la confiscation. L’alinéa 29(1)a) de la Loi n’ouvre pas la porte à une réparation partielle en ce qui concerne les espèces saisies :

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut, aux conditions qu’il fixe :

 

 

a) soit restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux-ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

 

[…]

 

c) soit confirmer la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

 

29. (1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister may, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

 

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

[…]

 

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

 

 

[11]           L’alinéa 29(1)b) contraste avec l’alinéa 29(1)a), car il ouvre la porte à une réparation partielle à l’égard d’une pénalité versée :

29. (1) 

[…]

 

b) soit restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

 

[…]

 

29. (1) 

[…]

 

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

 

[…]

 

[12]           Le demandeur laisse entendre que, puisqu’il a fourni la preuve qu’une partie des espèces saisies était de provenance légitime, cette partie devrait lui être restituée. Comme le soutient le défendeur, la Loi n’envisage pas la restitution d’une partie des espèces saisies. L’alinéa 29(1)a) prévoit que la ministre peut soit « restituer les espèces ou effets », soit « confirmer la confiscation des espèces ou effets ». En comparaison, l’alinéa 29(1)b) permet au ministre de restituer « tout ou partie de la pénalité ». [Non soulignée dans l’original.]

 

[13]           La décision du ministre se veut, par conséquent, une décision sans nuance. Il n’existe pas de restitution partielle des espèces confisquées. Le caractère raisonnable de la décision doit être apprécié à l’égard de cette limite prévue dans la loi.

 

Analyse

[14]           La plupart des observations que le demandeur a formulées à la Cour portaient sur le traitement que lui avaient réservé les agents de l’ASFC lorsqu’ils avaient procédé à la saisie des espèces à l’aéroport. En ce qui concerne la question déterminante, soit celle de savoir si la décision du ministre était déraisonnable, le demandeur réitère son allégation que les espèces lui avaient été données par des amis, dans le but qu’il les remette à leurs parents dès son arrivée en Éthiopie. Le demandeur fait aussi remarquer qu’on ne lui a restitué aucune somme d’argent, malgré que l’adjudicateur ait reconnu qu’une somme de 5 000 $CAN était de provenance légitime.

 

[15]           Le pouvoir discrétionnaire de restituer les espèces saisies, qui est prévu à l’article 29 de la Loi, n’entre en jeu que lorsque le ministre a conclu qu’il y avait eu contravention à l’article 12 de la Loi. Par conséquent, comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale au paragraphe 34 de l’arrêt Sellathurai : « le point de départ de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est le fait que les devises confisquées […] sont, à toutes fins que de droit, la propriété de l’État ».

 

[16]           La Loi ne prévoit pas les facteurs dont le ministre doit tenir compte lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire. Compte tenu des objectifs de la Loi ainsi que des dispositions régissant la confiscation, il ne fait aucun doute que le demandeur doit convaincre le ministre que les espèces ne découlent pas du recyclage de produits de la criminalité. Comme il était mentionné au paragraphe 50 de l’arrêt Sellathurai :

[…] La question à trancher [est] uniquement celle de savoir si le demandeur est en mesure de convaincre le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation en lui démontrant que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité. Sans exclure la possibilité de convaincre par d’autres moyens le ministre à cet égard, la démarche qui s’impose consiste à démontrer la légitimité de la provenance des fonds. C’est bien ce que le ministre a réclamé en l’espèce et, vu l’incapacité de M. Sellathurai de lui faire cette démonstration, le ministre avait le droit de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation.

 

[17]           La Cour d’appel a aussi mis l’accent, au paragraphe 53, sur le fait que les modalités d’exercice de ce pouvoir discrétionnaire étaient variées, mais qu’il n’y a pas de motifs pour intervenir dans la mesure où ce pouvoir a été exercé de façon raisonnable : pour des applications de ce principe, voir Yang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2008] ACF no 1321 (CA); Qasem c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2008] ACF no 1489 (CA).

 

[18]           À la lumière des principes formulés par la Cour d’appel fédérale, je conclus que la décision du ministre dans la présente affaire est raisonnable. Comme le fait observer le défendeur, le demandeur n’a pu convaincre le ministre que les espèces étaient de provenance légitime, de sorte qu’il était loisible au ministre de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler la confiscation.

 

[19]           L’adjudicateur a clairement expliqué au demandeur ce qui lui était demandé. Il devait indiquer la provenance de toutes les espèces et fournir une preuve liant les devises à leur provenance légitime (à titre d’exemple, un revenu d’emploi). Il n’était pas suffisant de seulement fournir des déclarations de personnes ou de prouver seulement la provenance d’une partie des espèces. Bien que des éléments de preuve aient été fournis en ce qui concerne une somme de 7 200 $US et une autre de 1 200 $CAN, la provenance de l’ensemble des fonds n’a pas été établie à la satisfaction du ministre. À cet égard, l’on doit rappeler que 9 908 $US, 1 500 $CAN et 150 euros ont été saisis. Le refus d’annuler la confiscation, dans les circonstances de la présente affaire, où la provenance d’une partie importante de la somme n’avait pas été expliquée, était raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande contrôle judiciaire est, par les présentes, rejetée.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2022-10

 

INTITULÉ :                                       TADELE WOROTA ADMASU

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 avril 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 18 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Tadele Worota Admasu

LE DEMANDEUR

 

Mme Sarah-Dawn Norris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

s.o.

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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