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Date : 20120423

Dossier : IMM‑7184‑10

Référence: 2012 CF 469

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

RAHELA HAQUE

SHAHIDUL HAQUE

RAFIA HAQUE

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu général

 

[1]               Mme Rahela Haque et son époux, Shahidul, sont des citoyens du Bangladesh. Leur fille, Rafia, est née aux États‑Unis. Les membres de cette famille sont arrivés au Canada en 2005 et ils ont demandé l’asile, mais un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié les a déboutés de leur demande. Ils ont alors présenté une demande d’examen des risques avant le renvoi [ERAR], mais un agent d’immigration a rejeté leur demande. Ils ont ensuite réclamé une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire, mais le même agent a estimé qu’il n’existait pas de raisons suffisantes pour conclure que les demandeurs subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils devaient retourner au Bangladesh pour y présenter leur demande de résidence permanente.

 

[2]               Les demandeurs affirment que leur demande d’ERAR et leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’auraient pas dû être examinées par le même agent. Ils soutiennent que cette façon de procéder était injuste. Ils ajoutent que la décision de l’agent est déraisonnable et qu’elle est incompatible avec les décisions favorables rendues à l’égard d’autres membres de leur famille. Ils me demandent d’annuler la décision de l’agent.

 

[3]               Il n’existe à mon avis aucune raison qui justifierait l’annulation de la décision de l’agent. L’agent n’a pas traité les demandeurs inéquitablement. Il a par ailleurs tenu compte des divers moyens invoqués par les demandeurs à l’appui de leurs arguments, à savoir le risque auquel seraient exposés les membres de la famille au Bangladesh, l’intérêt supérieur des enfants et le degré d’établissement au Canada, pour conclure qu’ils ne subiraient pas de difficultés graves s’ils retournaient au Bangladesh pour y demander la résidence permanente selon la procédure habituelle. Il n’y a selon moi aucune raison de conclure que la décision de l’agent était déraisonnable. Je dois par conséquent rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Il y a deux questions à trancher :

 

            1.         L’agent a‑t‑il traité les demandeurs inéquitablement?

            2.         La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?

 

II.         Contexte factuel

 

[5]               Le demandeur affirme qu’il risque d’être soumis à de mauvais traitements au Bangladesh en raison des activités politiques du père de Mme Haque, M. Golam Faruque. Ce dernier était un membre de haut rang de la Ligue Awami et il a été persécuté par le Parti national du Bangladesh, qui a été porté au pouvoir à la suite des élections de 2011. Les membres de la famille, y compris Rahela, se sont enfuis aux États‑Unis en 2002. L’année suivante, Rahela est revenu au Bangladesh pour épouser Shahidul. Après leur mariage, ils se sont rendus aux États‑Unis, où Rafia est née, en 2004. Les membres de la famille sont arrivés au Canada en 2005 et ils ont demandé l’asile. Une seconde fille, Rahema, est née au Canada plus tard la même année.

 

[6]               M. Faruque, sa femme et deux autres enfants se sont rendus au Canada où ils ont demandé l’asile. La qualité de réfugiés au sens de la Convention leur a été reconnue en 2007. Une autre de leurs filles, Nahida Majib, a également demandé l’asile pour elle‑même et pour les membres de sa famille, mais elle a été déboutée de sa demande. Elle a ensuite présenté une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. L’agent d’immigration a refusé la demande, mais la Cour fédérale a fait droit à la demande de contrôle judiciaire dont cette décision a fait l’objet. À la suite du réexamen de l’affaire, un autre agent a accueilli la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

III.       Décision de l’agent

 

[7]               L’agent a d’abord examiné le risque auquel les demandeurs pourraient être exposés au Bangladesh. L’agent a fait observer que Rahela était retournée au Bangladesh en 2003 pour s’y marier, ce qui permettait de penser que ni elle ni son père n’estimaient qu’elle y était exposée à un grave danger. L’agent a également fait observer que les demandeurs n’avaient pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis.

 

[8]               Quant à la question de savoir si les demandeurs seraient encore exposés à un risque de persécution politique au Bangladesh, l’agent a examiné la preuve documentaire et a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur profil politique attirerait l’attention sur eux.

 

[9]               L’agent était conscient du fait que certains des proches des demandeurs avaient réussi à se faire reconnaître la qualité de réfugiés et que d’autres avaient obtenu gain de cause dans leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a toutefois estimé que chaque cas était un cas d’espèce.

 

[10]           L’agent a examiné les conséquences qu’un retour au Bangladesh aurait sur Rafia et Rahema. Il a constaté qu’elles étaient toutes les deux citoyennes du Bangladesh et qu’elles étaient respectivement citoyennes américaine et canadienne. Il a examiné la situation des enfants au Bangladesh, notamment au chapitre de l’éducation. Il a fait observer que la langue maternelle des enfants était le bengali, et qu’elles avaient une famille élargie au Bangladesh, où la famille possédait encore des propriétés.

 

[11]           Quant à leur degré d’établissement au Canada, l’agent a fait observer que M. Haque avait une entreprise au Canada, mais qu’il ne disposait d’aucun élément de preuve au sujet des répercussions que son retour au Bangladesh aurait sur ses employés ou sur d’autres personnes. Comme nous l’avons déjà mentionné, les demandeurs ont de la famille au Canada. L’agent a toutefois estimé que le fait de rompre les liens en question ne causerait pas de difficultés sérieuses aux demandeurs.

 

[12]           L’agent a admis que les demandeurs avaient été soumis à une tension psychologique. Rien ne permettait toutefois de penser qu’ils ne pourraient recevoir l’appui et les soins dont ils auraient besoin au Bangladesh. De façon générale, l’agent a conclu que les demandeurs pouvaient retourner au Bangladesh sans être exposés à des difficultés majeures. Il a par conséquent rejeté leur demande.

 

IV.       Première question : l’agent a‑t‑il traité les demandeurs inéquitablement?

 

[13]           Les demandeurs soutiennent que leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’aurait pas dû être examinée par le même agent que celui qui avait rejeté leur demande d’ERAR, d’autant plus que c’était le même agent qui avait également tranché la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Nahida ayant par la suite été annulée par notre Cour.

 

[14]           Rien n’empêche que le même agent se prononce sur une demande d’ERAR et une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il n’y a aucune raison non plus pour laquelle le même agent ne pourrait se prononcer sur une question touchant deux branches de la même famille. Ainsi que l’agent l’a souligné : [traduction] « chaque cas est un cas d’espèce et doit être jugé en fonction des faits propres à chaque demande individuelle ». Il n’y a rien d’intrinsèquement inéquitable dans cette façon de procéder. La véritable question est celle de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

 

V.        Seconde question : la conclusion de l’agent était‑elle déraisonnable?

 

[15]           Le père et les autres membres de la famille de M. Haque ont obtenu l’asile au Canada. Les membres de la famille de la sœur de Mme Haque ont obtenu gain de cause dans leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs affirment que, dans ces conditions, la décision par laquelle l’agent a rejeté leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est incompatible avec le traitement dont les autres membres de leur famille ont bénéficié ainsi qu’avec la politique canadienne en matière d’intégrité familiale.

 

[16]           Plus particulièrement, les demandeurs affirment que l’agent était tenu de faire droit à leur demande, étant donné que notre Cour avait annulé la décision qu’il avait rendue concernant la demande présentée par Nahida Mujib sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire, laquelle demande a par la suite été accueillie.

 

[17]           Les demandeurs maintiennent par ailleurs que l’agent n’a pas accordé suffisamment d’attention à l’intérêt supérieur des enfants, dont l’un est citoyen canadien. Ils affirment notamment que l’agent aurait dû analyser plus en profondeur les possibilités limitées offertes au Bangladesh en matière d’éducation. Les demandeurs affirment également que l’agent aurait dû accorder davantage de poids au fait que, si leur demande était rejetée, leur fille née au Canada se verrait contrainte de quitter le Canada, où elle a légalement le droit de rester, ou serait séparée de sa famille élargie vivant au Canada. Les demandeurs qualifient de déraisonnable l’observation de l’agent suivant laquelle il revenait aux parents de l’enfant de choisir.

 

[18]           À mon avis, la situation des demandeurs est différente de celle de leurs proches. Ces différences justifiaient la décision de l’agent.

 

[19]           Dès le départ, notre Cour a considéré que la situation des demandeurs était différente de celle de M. Faruque. En conséquence, le fait que M. Faruque et les autres membres de la famille se sont vu reconnaître la qualité de réfugiés ne signifie pas pour autant que les demandeurs étaient tous exposés à un risque semblable au Bangladesh (Haque c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 702).

 

[20]           Qui plus est, la décision de la Cour d’accueillir la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Nahida Mujib de la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire était fondée sur le fait que l’agent n’avait pas tenu compte des éléments de preuve documentaires se rapportant au risque auquel seraient exposés les membres de la famille au Bangladesh. Dans le cas qui nous occupe, l’agent a tenu compte des éléments de preuve pertinents. Il était conscient du fait que Mme Mujib avait franchi avec succès la première étape du processus d’examen de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais aucun document n’a été soumis à son attention pour étayer ladite demande, de sorte qu’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir tenu compte des motifs pour lesquels elle a en bout de ligne été accueillie.

 

[21]           De plus, l’agent a de toute évidence tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants visées par la décision. Il a examiné et soupesé les éléments de preuve pertinents présentés sur cette question et a spécifiquement relevé la présence d’autres membres de la famille au Canada et d’une famille élargie au Bangladesh. L’agent a tenu compte des éléments de preuve documentaires se rapportant au bien‑être et à l’éducation des enfants au Bangladesh et a conclu que, dans l’ensemble, il était possible de répondre aux besoins des enfants au Bangladesh. Quant au principe de la réunification des familles, l’agent a tenu compte tant du fait que des membres de la famille se trouvaient au Canada que du fait que d’autres membres se trouvaient au Bangladesh.

 

VI.       Conclusion et dispositif

 

[22]           À mon avis, l’agent a traité les demandeurs équitablement et a rendu une décision raisonnable vu l’ensemble de la preuve dont il disposait. Je dois par conséquent rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a demandé la certification d’une question grave de portée générale et aucune ne sera donc énoncée.


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

2.                  N’ÉNONCE aucune question grave de portée générale.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7184‑10

 

 

INTITULÉ :                                                   RAHELA HAQUE et autres c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 23 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Rosenblatt

 

POUR LES DEMANDEURS

 

A. Leena Jaakkimainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mark Rosenblatt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POU LE DÉFENDEUR

 

 

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