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Date : 20120425


Dossier : IMM-6930-11

Référence : 2012 CF 486

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

SIVATHARAN SIVAPATHASUNTHARAM

 

 

 

demandeur

 

and

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur conteste la légalité de la décision défavorable rendue à son égard par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] en date du 2 septembre 2011. La SPR a alors rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur en qualité de réfugié au sens de la Convention visé à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], ou en qualité de personne à protéger visée à l’article 97 de la LIPR. Pour les motifs qui suivent, la Cour estime que son intervention est nécessaire et elle accueille la demande de contrôle judiciaire.

 

LE CONTEXTE FACTUEL

[2]               Le demandeur est un Tamoul sri‑lankais âgé de 34 ans, originaire de la province du Nord du Sri Lanka. Il allègue craindre avec raison d’être persécuté par l’armée sri‑lankaise et par des groupes paramilitaires tamouls. Il s’est marié en 2008 et a une fillette de trois ans.

 

[3]               Le demandeur allègue que, pendant l’attaque militaire survenue en 1995, il a déménagé à Kilinochchi et a commencé à travailler sur une ferme. Il a alors été harcelé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET], qui se sont emparés de parties de ses récoltes. Le demandeur allègue qu’il vivait dans la peur et que, à l’instar d’autres fermiers, il a donné son accord parce que la région était contrôlée par des membres armés des TLET. Il allègue également qu’après que la guerre a éclaté entre les TLET et l’armée en octobre 2008 il a déménagé à Vavuniya en raison de son problème de santé (asthme), sa femme enceinte demeurant avec ses beaux‑parents dans un camp près de cette ville.

 

[4]               Le demandeur allègue que, lorsqu’il se trouvait à Vavuniya dans la région de Vanni, il a été accusé d’avoir des liens avec les TLET et il a été arrêté, battu et interrogé par les forces militaires à deux reprises en février et en avril 2009. Chaque fois, il a été détenu pendant plusieurs jours et a obtenu sa libération en versant un pot‑de‑vin. Il allègue également avoir été enlevé par des militants de l’Organisation populaire de libération de l’Eelam tamoul [l’OPLET] en juin 2009. Il a dû encore une fois verser un pot‑de‑vin pour obtenir sa libération. Sa fille est née en mai 2009, au plus fort de la guerre. À l’époque, sa femme et sa fille étaient détenues dans un camp avec d’autres Tamouls qui avaient fui la zone de guerre. Le demandeur allègue qu’avec l’aide de son frère vivant en Europe il a été en mesure de verser une somme d’argent aux autorités en échange de la libération de sa famille. Il s’est ensuite enfui en Inde avec sa femme et sa fille en passant par Colombo. La famille est arrivée au Canada le 17 mai 2010.

 

[5]               Le demandeur a déclaré devant la SPR que son frère avait été arrêté et détenu à plusieurs reprises par les forces de sécurité depuis son départ. Il a déclaré aussi que son frère avait fui le Sri Lanka et demandait maintenant l’asile au Canada. Il a ajouté que son frère et lui avaient payé un agent pour obtenir des passeports et pour franchir les contrôles afin de pouvoir quitter le pays en toute sécurité.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]               Dans une décision de deux pages, le membre de la SPR a conclu que le récit du demandeur était crédible, mais que l’élément déterminant de sa demande d’asile était le fait que sa crainte n’avait pas de fondement objectif puisque la guerre civile au Sri Lanka était terminée depuis mai 2009 et que cela constituait un changement durable.

 

[7]               La SPR s’est référée à deux nouvelles de la BBC datées du 19 mai et du 5 avril 2010 pour conclure que, même si l’on craint toujours que des problèmes surgissent si le gouvernement ne prend pas de mesures d’accommodement de nature politique à l’égard des minorités tamoules, la défaite militaire des TLET a été totale, de sorte qu’il est peu probable qu’il y ait un autre conflit armé dans un proche avenir.

 

[8]               La SPR a aussi fait référence à un rapport d’information du Home Office du Royaume‑Uni daté du 18 février 2010 (Cartable national de documentation, Sri Lanka, 13 août 2010, onglet 2.7), selon lequel le nombre d’exécutions sommaires et de violations des droits de la personne dans le district de Jaffna et dans la province de l’Est du Sri Lanka a diminué. Ce rapport indique également que l’armée semble maîtriser les paramilitaires depuis la fin de la guerre civile.

 

[9]               La SPR a également fait remarquer que des changements survenus récemment dans la province du Nord avaient amené le HCR à modifier ses Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka [Directives d’admissibilité pour l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka], datées du 15 juillet 2010. La SPR a cité le passage suivant :

[traduction] Avec l’arrêt des hostilités, les Sri‑lankais originaires du Nord du pays n’ont plus besoin de la protection internationale selon des critères plus larges pour les réfugiés ou des formes complémentaires de protection fondés uniquement sur le risque de dommages infligés sans discernement.

 

 

[10]           La SPR a déclaré que ce que le demandeur avait vécu était survenu pendant les mois où la guerre était à son paroxysme. Par conséquent, le demandeur ne devait pas craindre de retourner au Sri Lanka puisqu’il n’était pas personnellement visé pour une autre raison que son profil démographique général – il est un Tamoul du Nord. La SPR a ajouté que le fait que le demandeur possède un passeport sri‑lankais avec lequel il a transité par Colombo en se rendant en Inde indique qu’il n’est pas recherché par les autorités sri‑lankaises.

 

[11]           La SPR a ajouté également que, comme le demandeur n’a jamais été membre d’un groupe de combattants ou d’une organisation politique et qu’il est maintenant marié et a un enfant, son profil ressemble moins à celui des personnes qui sont le plus en danger (c.‑à‑d. les jeunes hommes tamouls célibataires du Nord) et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’il serait exposé à davantage qu’un simple risque de persécution au Sri Lanka.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Le demandeur conteste la légalité de la décision de la SPR pour deux raisons principales. Les questions soulevées par le demandeur, qui ont été débattues dans un ordre différent à l’audience, peuvent être résumées logiquement de la manière suivante :

·        La conclusion de la SPR selon laquelle un changement de situation durable est survenu au Sri Lanka a‑t‑elle été tirée sans égard à la preuve dans son ensemble, de sorte qu’elle est déraisonnable?

·        La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne déterminant pas si le demandeur avait des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection de son pays?

 

[13]           Il n’est pas contesté que, depuis Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, c’est la norme de contrôle de la raisonnabilité qui s’applique généralement aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit. En conséquence, la Cour doit examiner la justification de la décision ainsi que la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59.

 

[14]           La norme de la décision correcte peut avoir été appliquée avant Dunsmuir : Decka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 822; Nagaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1208, au paragraphe 17). Selon la jurisprudence la plus récente de la Cour toutefois, la question de savoir si la SPR a commis une erreur en n’appréciant pas l’exception relative aux raisons impérieuses prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR est une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de la raisonnabilité (Alharazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1044, au paragraphe 25; SA c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 344, au paragraphe 22). Quoi qu’il en soit, la Cour doit intervenir peu importe la norme qui s’applique, compte tenu de l’analyse qui suit.

 

ANALYSE

[15]           En ce qui concerne l’applicabilité de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, le demandeur fait valoir en particulier que la SPR n’a pas effectué l’analyse approfondie et complète de la preuve des changements fondamentaux survenus dans le pays qui est exigée par le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCR, Genève, janvier 1988, au paragraphe 135, et par la Cour (Tariq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 822, au paragraphe 31; Kifoueti v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 197, au paragraphe 15).

 

[16]           Le demandeur mentionne, à titre d’exemple, que les directives d’admissibilité du HCR auxquelles se réfère la SPR dans sa décision indiquent que la situation des Tamouls au Sri Lanka [traduction] « évolue toujours » et que les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET sont susceptibles d’être en danger :

[traductionDans la période qui a suivi le conflit, il y a eu des allégations de disparitions forcées de personnes soupçonnées d’être liées aux LTTE.

 

[…]

Parmi les éléments qui sont pertinents aux fins de la détermination de l’admissibilité d’une personne à l’asile, mentionnons les allégations émanant d’un certain nombre de sources au sujet de la torture de personnes détenues qui sont soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET; de la mort, pendant leur détention, de personnes soupçonnées de faire partie des TLET; des mauvaises conditions de vie dans les prisons, notamment la surpopulation et le manque d’hygiène, de nourriture, d’eau et de traitements médicaux adéquats. Selon certains rapports, les jeunes hommes tamouls, en particulier ceux originaires du Nord et de l’Est du pays, peuvent être touchés de manière disproportionnée par l’application des mesures de sécurité et de lutte contre le terrorisme parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET.

 

À la lumière de ce qui précède, les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET sont susceptibles d’être en danger en raison de leur appartenance à un groupe social. Il pourrait cependant être nécessaire d’examiner la question de savoir si elles sont exclues de l’asile.

 

                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[17]           La Cour conclut que les éléments de preuve documentaire examinés par la SPR dont il est question dans la décision contestée ont été choisis et qu’ils ont été analysés très rapidement. La conclusion selon laquelle la situation existant au Sri Lanka traduit un changement durable est déraisonnable vu la preuve produite en l’espèce. Cela est d’autant plus évident que le demandeur a été accusé d’avoir des liens avec les TLET, qu’il a été arrêté pour cette raison à deux reprises en 2009 et que le membre de la SPR ne met pas en doute la crédibilité de son récit ou le fait qu’il a été l’objet de persécution personnelle.

 

[18]           Le défendeur attire mon attention sur Selvalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 251 [Selvalingam], où la Cour a récemment décidé, aux paragraphes 24 et 25, que la rencontre du demandeur tamoul avec les TLET et ses arrestation et détention subséquentes devaient être examinées dans le contexte politique actuel du Sri Lanka, de sorte que le risque auquel il était exposé n’était pas prospectif. La SPR avait toutefois considéré dans cette affaire que les incidents vécus par le demandeur n’équivalaient pas à de la persécution, et la Cour a estimé que cette conclusion était raisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait. En outre, au paragraphe 21 de la décision, la Cour précise que la SPR a jugé que le demandeur n’était pas crédible et que celui‑ci contestait principalement les conclusions défavorables tirées par la SPR relativement à la crédibilité. J’estime qu’une distinction nette peut être faite entre Selvalingam et la présente affaire.

 

[19]           En l’espèce, un examen de la preuve documentaire révèle que différentes sources d’information sont moins unanimes sur la question de la durabilité des changements survenus depuis la fin de la guerre sri‑lankaise que ce que la décision de la SPR semble laisser croire. Une réponse récente à une demande d’information, datée du 21 février 2011, qui se trouve dans le Cartable national de documentation, Sri Lanka, 13 avril 2011, onglet 13.1, contient des renseignements qui contredisent clairement la conclusion de fait de la SPR, à tout le moins en ce qui concerne une personne ayant précédemment été soupçonnée d’avoir des liens avec les TLET et d’espionner pour leur compte.

 

[20]           Les extraits suivants du rapport mentionné ci‑dessus sont pertinents :

[…] deux agrégés de recherches indépendants et deux universitaires ont soutenu, dans les communications écrites qu’ils ont envoyées à la Direction des recherches, que le gouvernement continue de chercher des présumés membres des TLET au sein de la population tamoule […]

 

La CIJ signale que la méthode utilisée pour vérifier si les personnes ont un lien avec les TLET fait non seulement défaut en matière de [traduction] « responsabilité » et de « transparence », mais aussi au chapitre de la « crédibilité » puisqu’elle est fondée sur « des allégations faites par d’autres personnes déplacées et par des groupes paramilitaires dans les camps de détention » […] Tout récemment, en janvier 2011, l’Observatoire des situations de déplacement interne (Internal Displacement Monitoring Centre - IDMC) du Conseil norvégien pour les réfugiés (Norwegian Refugee Council) a tenu un discours semblable, soulignant que la méthode de contrôle [traduction] « demeure floue », tout comme les critères de détention et de libération (14 janv. 2011, 5). En fait, trois organisations internationales de défense des droits de la personne soulignent que certaines des personnes déplacées qui ont été séparées avaient en fait été forcées de combattre pour les TLET (CIJ sept. 2010, 9; MRG janv. 2011, 26; Radio Australia 9 déc. 2009), et selon le MRG, certaines des personnes déplacées [traduction] « n’exerçaient qu’un rôle marginal auprès des rebelles, comme en construisant des repaires fortifiés dans les derniers stades de la guerre, en cuisinant, en soignant les blessés, etc. » (janv. 2011, 26).

 

[…]

 

Un des deux universitaires avec qui la Direction des recherches a communiqué - un professeur auxiliaire de sciences politiques à l’Université Temple de Philadelphie - considère le contrôle comme une sorte de stratégie préventive utilisée pour décourager les Tamouls de se lancer dans [traduction] « une nouvelle vague de radicalisation tamoule » (professeur auxiliaire 13 janv. 2011), alors que l’autre chercheur - un agrégé supérieur de recherche au Centre d’études sur les guerres terrestres (Center for Land Warfare Studies) de New Delhi - le décrit comme un moyen de nettoyer la population tamoule des derniers militants des TLET (agrégé supérieur de recherche 28 déc. 2010). […]

 

Le professeur auxiliaire a expliqué que les méthodes servant à dépister les membres [traduction] « cachés » des TLET qui, selon le gouvernement, courent toujours, consistent en de la [traduction] « surveillance, des arrestations arbitraires et des vérifications aléatoires » (13 janv. 2011). L’autre universitaire avec qui la Direction des recherches a communiqué, un professeur de droit à l’Université York qui est aussi membre du conseil consultatif de la Campagne du Sri Lanka pour la paix et la justice (Sri Lanka Campaign for Peace and Justice), dit sensiblement la même chose, soit que les Tamouls partout au pays, en particulier les jeunes hommes dans le nord ou l’est, se font arrêter et sont maintenus en détention parce qu’ils sont soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET, une pratique qui, selon le professeur, s’apparente à du [traduction] « profilage "ethnique" ou "racial" » (professeur 20 janv. 2011). L’officier supérieur de l’armée aurait dit au reporter du New Yorker que l’armée construit de grands camps militaires dans le nord et qu’elle recueille des renseignements grâce à des espions au sein de la population tamoule et à des systèmes de surveillance électronique (The New Yorker 17 janv. 2011, 49).

 

En raison des efforts déployés par le gouvernement pour trouver les membres présumés des TLET, il n’y a pas que dans les camps pour personnes déplacées que l’on fait subir des contrôles (agrégé supérieur de recherche 28 déc. 2010; agrégé de recherche 30 déc. 2010). Comme l’explique le professeur en droit, le gouvernement croit qu’un [traduction] « assez grand nombre » d’acteurs importants des TLET sont toujours en liberté; il est donc [traduction] « très activement à [leur] recherche » (20 janv. 2011). Selon l’agrégé supérieur de recherche, comme le gouvernement est encore préoccupé par le fait de séparer tout militant des TLET des citoyens tamouls, il fait subir des contrôles dans [traduction] « des secteurs résidentiels partout au pays » (28 déc. 2010).

 

[…]

 

L’agrégé de recherche explique qu’au Sri Lanka, l’armée et les groupes paramilitaires effectuent des vérifications dans les voitures et les maisons dans la province du Nord, à la recherche de membres et de partisans des TLET (agrégé de recherche 30 déc. 2010). De même, le professeur auxiliaire signale que ce sont principalement les Tamouls des provinces du Nord et de l’Est qui doivent se soumettre à des contrôles (13 janv. 2011).

 

D’après l’agrégé de recherche, des contrôles sont aussi exercés à l’aéroport (30 déc. 2010). Le professeur en droit affirme de même qu’il tient de source sûre que le gouvernement utilise [traduction] « des chefs des TLET qui ont été capturés comme guetteurs au bureau des passeports de Colombo ainsi qu’à l’aéroport » (20 janv. 2011). Il explique que le gouvernement [traduction] « "interroge" systématiquement » les demandeurs d’asile tamouls déboutés qui sont de retour au pays et, selon des [traduction] « normes vraisemblablement minimales », procède à l’arrestation et à la mise en détention de quiconque est soupçonné d’avoir un lien avec les TLET (professeur 20 janv. 2011). Il ajoute que les Tamouls arrivant par avion à l’aéroport de Colombo qui ne sont pas des demandeurs d’asile déboutés ni des personnes expulsées sont aussi [traduction] « aléatoirement soumis à un contrôle et interrogés » (ibid.).

 

 

[21]           De même, selon un rapport du service de l’immigration danois sur les droits de la personne et la sécurité des Tamouls au Sri Lanka (du 19 juin au 3 juillet 2010), qui se trouve dans le Cartable national de documentation, Sri Lanka, 13 avril 2011, onglet 2.5, les forces militaires sont encore très présentes partout dans le Nord et le gouvernement a mis en place un système d’inscription des résidents tamouls dans certaines parties de Colombo où ils forment une grande partie de la population. Le rapport indique que l’obligation de s’inscrire est appliquée de manière discriminatoire exclusivement aux personnes d’origine tamoule et que des opérations de recherche ont été menées.

 

[22]           Il s’avère que la SPR a omis de prendre en considération la preuve documentaire la plus récente – tirée des versions d’avril 2011 et d’août 2010 du Cartable national de documentation – à laquelle elle avait accès au moment de l’audience. Or, il ressort clairement de la jurisprudence que la SPR doit examiner les plus récentes sources d’information lorsqu’elle apprécie la preuve, même lorsque les rapports à jour sur le pays ne sont pas produits par le demandeur (Hassaballa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] ACF no 658, aux paragraphes 33 à 35; Jessamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 20, au paragraphe 81).

 

[23]           En passant, le demandeur affirme qu’il a aussi produit d’autres éléments de preuve documentaire, à savoir différents extraits d’articles publiés dans des journaux ou sur Internet, ainsi qu’un DVD sur des attaques récentes de Tamouls par les forces de sécurité sri‑lankaises. Le membre de la SPR a refusé de regarder le DVD même si des dispositions avaient été prises pour que le demandeur puisse présenter cet élément de preuve à l’audience. Le membre de la SPR a indiqué qu’il prendrait le temps de le regarder après l’audience. Or, la décision contestée passe totalement sous silence la preuve la plus pertinente produite par le demandeur puisqu’on y verrait des membres de sa famille.

 

[24]           En concluant que la décision contestée est déraisonnable, j’ai à l’esprit l’argument avancé par le défendeur selon lequel le fait que le membre de la SPR ne traite pas de manière approfondie de chaque élément de preuve dans ses motifs ne signifie pas qu’il n’en a pas tenu compte et ne vicie généralement pas sa décision finale. Il s’agit toutefois d’une présomption réfutable (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598) et la SPR avait l’obligation de traiter de cette preuve importante qui contredit directement ses conclusions de fait (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17). La SPR devait donc, à tout le moins, reconnaître cette preuve défavorable concernant la durabilité et l’efficacité de la défaite des TLET et la fin de la guerre civile au Sri Lanka et expliquer pourquoi elle l’a rejetée ou ne l’a pas jugée pertinente.

 

[25]           Au risque de me répéter, les contradictions ou les mises en garde manifestes contenues dans la preuve documentaire étaient suffisamment importantes et pertinentes pour que la SPR fasse une appréciation plus complète afin de déterminer si, compte tenu de sa situation particulière, le demandeur pourrait être exposé à un risque personnel de persécution à son retour au Sri Lanka. En conséquence, j’estime que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur ne courait pas le risque d’être de nouveau agressé était déraisonnable dans les circonstances. À cette erreur déterminante s’ajoute le fait que la SPR n’a pas bien analysé l’exception relative aux raisons impérieuses prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR. Le ministre n’a pas réellement contesté le fait que l’obligation de procéder à une analyse à cet égard est une condition préalable au rejet d’une demande d’asile fondé, selon l’alinéa 108(1)e), sur le fait que les raisons pour lesquelles le demandeur a demandé l’asile n’existent plus, que la question ait été soulevée par ce dernier ou non (Yamba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 457, au paragraphe 6 (CAF)).

 

[26]           Il faut déterminer si, compte tenu de l’ensemble de la situation, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures justifient que l’asile soit accordé au demandeur en dépit du changement de situation survenu dans son pays. La décision, comme toutes les décisions de nature contraignante, doit s’appuyer sur l’opinion selon laquelle c’est l’état d’esprit du demandeur qui crée le précédent – pas nécessairement le pays, les conditions ou l’attitude de la population, même si ces facteurs peuvent jouer un rôle (Suleiman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1125, aux paragraphes 15 à 21).

 

[27]           Non seulement l’exception relative aux raisons impérieuses a été invoquée en bonne et due forme par le demandeur (transcription de l’audience, dossier du tribunal, aux pages 209, 210, 214, 216 et 252), mais le fait que celui‑ci ne serait pas personnellement visé aujourd’hui – une question qui peut fournir matière à débat, comme il a été démontré ci‑dessus – n’est pas pertinent dans le cadre d’une analyse relative au paragraphe 108(4) de la LIPR. Bien que le membre de la SPR ait jugé le demandeur crédible et ait donc implicitement admis qu’il avait été persécuté dans son pays, il n’a pas procédé à une analyse relative au paragraphe 108(4) de la LIPR. Même si l’on convient que les changements sont durables, cette erreur rend l’ensemble de la décision déraisonnable (Gorria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 457, 254 NR 388, au paragraphe 6 (CAF)). Il s’agit d’une raison supplémentaire d’annuler la décision contestée et de renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué.

 

[28]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Aucune question de portée générale n’a été formulée par les avocats et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contestée est annulée et l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                IMM-6930-11

 

INTITULÉ :                                              SIVATHARAN SIVAPATHASUNTHARAM c

                                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                      Le 17 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                    LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                             Le 25 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Viken G. Artinian

 

                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Charles Junior Jean

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Allen et associés

Montréal (Québec)

 

                                 POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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