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Date : 20120430

Dossier : IMM-6727-11

Référence : 2012 CF 493

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2012

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

JOSE ISAIAS AREVALO PINEDA

MONICA BANNESA GARCIA SANTOS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Jose Isaias Arevalo Pineda (le demandeur) et Mme Monica Bannesa Garcia Santos (la demanderesse) sont des citoyens du Guatemala qui demandent l’asile au Canada. La présente demande de contrôle judiciaire portait le nom des deux demandeurs à l’origine, mais seuls des arguments concernant le demandeur ont été présentés.

 

[2]               Le demandeur dit qu’il conduisait des autobus au Guatemala lorsqu’il a fait l’objet d’extorsion de la part de membres d’un gang. Il a été agressé en guise de représailles après en avoir informé la police. Il est venu au Canada parce qu’il craint d’être à nouveau victime de représailles ou d’être tué. Dans une décision rendue en date du 6 septembre 2011, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], ni celle de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR. En résumé, pour ce qui est du demandeur, la Commission a ajouté foi à son récit, mais a conclu que la prétendue crainte de persécution que lui inspiraient des membres d’un gang au Guatemala : a) n’avait aucun lien avec un motif prévu par la Convention et b) constituait un risque généralisé envisagé par l’article 97 de la LIPR.

 

[3]               Les demandeurs cherchent à faire annuler cette décision relativement au demandeur. Pour les motifs qui suivent, cette décision sera annulée en ce qui concerne le demandeur.

 

[4]               La seule question en litige en l’espèce consiste à déterminer si la décision de la Commission selon laquelle le demandeur était exposé à un risque généralisé et non à un risque personnel était raisonnable. Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur :

 

1.                  en ne définissant pas le risque auquel le demandeur était exposé, en ne tenant pas compte de certains faits et en ne les interprétant pas correctement;

 

2.                  en n’appliquant pas correctement le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) à la situation du demandeur.

 

[5]               La question en l’espèce – la détermination d’un risque généralisé – est une question mixte de fait et de droit à laquelle la norme de la raisonnabilité s’applique (voir, par exemple, Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, [2009] ACF no 270 [Acosta]). Comme nous l’enseigne la Cour suprême du Canada, la Cour ne devrait pas intervenir, dans les cas où la norme de la raisonnabilité s’applique, lorsque la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Cour doit s’intéresser à cet égard à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

 

[6]               Comme le prévoit l’article 97 de la LIPR et comme la Cour fédérale l’a précisé dans de nombreuses décisions, une personne exposée à un risque généralisé dans son pays n’a pas droit à la protection de l’article 97. L’arrêt de principe sur cette question est Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, 387 NR 149, où la Cour d’appel fédérale a dit au paragraphe 7 :

Pour décider si un demandeur d’asile a qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi, il faut procéder à un examen personnalisé en se fondant sur les preuves présentées par le demandeur d’asile « dans le contexte des risques actuels ou prospectifs » auxquels il serait exposé […]

 

[Souligné dans l’original.]

 

[7]               En d’autres termes, chaque affaire doit être examinée en fonction de ses faits. La jurisprudence peut cependant offrir certaines indications et certains principes.

 

[8]               En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas défini et décrit le risque auquel le demandeur était exposé et qu’elle n’a pas reconnu dans sa décision que le demandeur était ciblé et craignait de retourner au Guatemala parce qu’une plainte déposée à la police avait mené au meurtre de son employeur et à la disparition manifeste de son frère. À mon avis, ces allégations sont justifiées.

 

[9]               Si elle a reconnu disposer d’éléments de preuve concernant le meurtre de l’employeur du demandeur et la disparation de son frère au paragraphe 26 de sa décision, la Commission n’a pas, de toute évidence, tenu compte du fait que le demandeur avait été menacé de mort, une allégation qu’elle mentionne au paragraphe 15 de sa décision. La Commission a reconnu implicitement que le demandeur avait été la cible du gang, comme le montre le fait qu’elle s’est référée à Acosta au paragraphe 31 de sa décision, au soutien du principe selon lequel une personne peut être victime de violence généralisée même si ses agresseurs connaissent son identité. La Commission semble toutefois avoir fondé son analyse uniquement sur l’hypothèse que le demandeur avait été visé à des fins d’extorsion. Par exemple, au début de son analyse de cette question, la Commission affirme :

[…] son témoignage révèle essentiellement qu’il représentait un intérêt pour les gangs de la même manière que toute autre personne qui gagne de l’argent ou qui est considérée comme riche au pays représenterait un intérêt pour eux. […] J’estime que la nature du risque auquel est exposé le demandeur d’asile ne change pas du simple fait qu’il pratique une occupation que les criminels semblent trouver plus intéressante que certaines autres.

 

[10]           Elle ajoute au paragraphe 28 :

Les documents sur le pays font essentiellement état de taux de criminalité et de violence élevés. Les documents indiquent que les gangs criminels visent les autobus et obligent les chauffeurs à payer un impôt journalier si ceux-ci veulent éviter les attaques. Le même document explique comment les gangs et leurs méthodes d’extorsion ont forcé des gens à abandonner leur résidence ou même des écoles. Bien que la cohérence entre les expériences vécues par le demandeur d’asile et la preuve documentaire renforce la crédibilité de ce dernier, cela montre qu’il faisait face à un problème généralisé.

 

[Non souligné dans l’original; notes de bas de page omises.]

 

[11]           Le passage souligné laisse croire que la Commission a considéré que les « expériences » vécues par le demandeur étaient des actes d’extorsion. Dans son analyse, elle ne mentionne pas les menaces de représailles dont le demandeur a été victime.

 

[12]           Lorsqu’elle traite de la preuve relative à l’employeur et au frère au paragraphe 26 de ses motifs, la Commission fait disparaître en quelque sorte la distinction entre l’extorsion initiale et les représailles auxquelles le demandeur était exposé :

Il a ajouté que les gangs connaissent des personnes dans la police, car dans son cas, les membres du gang savaient qu’il s’était adressé à la police et l’ont battu particulièrement pour cette raison. Ils ont aussi tué son patron, qui était allé voir la police. J’estime que les moyens qu’utilisent les criminels pour intimider leurs victimes ne changent pas la nature du risque auquel ils les exposent. Le demandeur d’asile a également indiqué que son frère, qui travaillait comme aide-chauffeur d’autobus, a disparu. Aussi navrant que cela puisse être, je suis d’avis que ces faits concordent avec l’existence d’un risque généralisé.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           Le défendeur s’appuie sur un certain nombre de décisions judiciaires, dont Acosta, précitée, et DFR c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 772, 392 FTR 248, pour avancer que le fait qu’une personne est connue des individus qui s’en prennent à elle ou qu’une menace est exécutée ne signifie pas que cette personne est victime d’un risque généralisé. Je souscris à cette proposition, mais celle‑ci ne change rien au fait que la Commission n’a pas défini et analysé de manière exhaustive le risque auquel le demandeur craignait d’être exposé.

 

[14]           Par conséquent, j’estime que la décision de la Commission ne satisfait pas à la norme de la raisonnabilité et que la décision qu’elle a rendue à l’égard du demandeur devrait être infirmée. Pour que ma décision soit complète, je précise que la décision rendue par la Commission à l’égard de la demanderesse est maintenue.

 

[15]           Le demandeur m’a soumis une question très sérieuse à trois volets afin que je la certifie :

 

a)                  L’actualisation du risque sous la forme d’attaques ou de menaces réelles contre une personne est‑elle suffisante pour que celle‑ci ne soit pas visée au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR?

 

b)                  Dans la négative, les agissements réels ou perçus de la personne qui entraînent le risque visé à l’article 97 ou l’augmentent suffisamment sont‑ils suffisants pour que la personne ne soit pas visée au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR?

 

c)                  Dans la négative, les agissements réels ou perçus de la personne qui entraînent le risque visé à l’article 97 ou l’augmentent suffisamment sont‑ils des facteurs qui permettent de conclure que la personne n’est pas visée au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR?

 

[16]           L’application du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) est un exercice difficile pour la Commission et pour la Cour, mais je crois que la position adoptée par la Cour d’appel dans Prophète peut être très utile. Il incombe à la Commission de décider, en tenant compte des faits de chaque cas, si un risque généralisé peut exister même si la personne concernée est exposée à un risque personnel. Tout ce qu’on peut dire, c’est, comme le juge James Russell l’a affirmé dans Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 11, [2012] ACF no 6 (QL), que, « dans certains cas, il y a lieu d’accorder une protection lorsque quelqu’un est pris pour cible, dans d’autres, non ». Je considère toujours favorablement la possibilité de soumettre une affaire à la Cour d’appel. Malheureusement, celle‑ci ne sera pas mise à contribution en l’espèce. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est rejetée relativement à la demanderesse et accueillie relativement au défendeur.

 

2.                  La décision rendue par la Commission relativement au demandeur est infirmée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

 

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                IMM-6727-11

 

INTITULÉ :                                              JOSE ISAIAS AREVALO PINEDA et

                                                                   MONICA BANNESA GARCIA SANTOS c

                                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                      Le 24 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                     LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                             Le 30 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Catalin Mitelut

 

                            POUR LES DEMANDEURS

 

Helen Park

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Catalin C. Mitelut

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

                            POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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