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Date : 20120502

Dossier : IMM-2877-12

Référence : 2012 CF 504

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2012

En présence de Mme la juge Mactavish

 

ENTRE :

 

RUSTEM TURSUNBAYEV

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Rustem Tursunbayev sollicite le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé de le mettre en liberté.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que la Commission a commis plusieurs erreurs tant en ce qui concerne son appréciation du risque de fuite que présentait M. Tursunbayev qu’en ce qui a trait à son appréciation des solutions de rechange à la détention que celui-ci a proposées. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l'affaire sera renvoyée à la Commission pour qu'elle procède à un nouveau contrôle de la détention.

 

1.         Contexte

 

[3]               M. Tursunbayev est un citoyen du Kazakhstan et un résident permanent du Canada. Il est également l’ancien vice-président de Kazatomprom, une société d’État œuvrant dans le secteur de l’uranium au Kazakhstan.

 

[4]               Par suite de la réception d’une « notice rouge » d’Interpol, d’un rapport du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et de deux constats d’interdiction de territoire établis en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, M. Tursunbayev a été arrêté et détenu par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) en vertu d’un mandat délivré par les autorités de l’immigration.

 

[5]               Dans le premier rapport d’interdiction de territoire, il était allégué qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Tursunbayev devait être interdit de territoire au Canada parce qu’il appartenait à une organisation criminelle qui était responsable d’un stratagème complexe visant à frauder systématiquement Kazatomprom et ses filiales en les frustrant d’importants actifs monétaires.

 

[6]               Dans le second rapport d’interdiction de territoire, il était allégué que M. Tursunbayev se serait servi d’une série de sociétés étrangères et de comptes bancaires pour transférer des sommes d’argent considérables hors du Kazakhstan. Suivant ce rapport, ces fonds étaient de provenance criminelle.

 

[7]               M. Tursunbayev a déjà fait l’objet de deux contrôles des motifs de sa détention. Le premier contrôle a eu lieu dans les 48 heures suivant son arrestation, et le deuxième a été effectué sept jours plus tard. Les deux fois, le commissaire a ordonné que M. Tursunbayev soit maintenu en détention au motif qu’il se soustrairait vraisemblablement à l’enquête.

 

[8]               Le troisième contrôle des motifs de la détention a eu lieu quelques semaines plus tard. M. Tursunbayev a soumis lors de cette audience une abondante preuve documentaire à la Commission. Il a également témoigné de vive voix pour justifier sa demande de remise en liberté.

 

[9]               La Commission a néanmoins conclu que M. Tursunbayev devait être gardé en détention. La présente demande de contrôle judiciaire vise cette décision.

 

2.         Genèse de l’instance

 

[10]           La genèse de la présente instance est quelque peu inusitée. La décision à l’examen est datée du 21 mars 2012. Le prochain contrôle des motifs de la détention de M. Tursunbayev était prévu pour le 18 avril 2012.

 

[11]           M. Tursunbayev craignait que sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du 21 mars 2012 de la Commission devienne sans objet si elle n'était pas examinée avant le prochain contrôle des motifs de sa détention. Par conséquent, il a présenté une requête visant à obtenir l'instruction accélérée de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[12]           Par ordonnance datée du 4 avril 2012, le protonotaire Milczynski a ordonné l'instruction accélérée de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire et a inscrit l'affaire au rôle des séances générales du lundi 16 avril 2012.

 

[13]           À la suite de l'examen de la demande, et à la demande de M. Tursunbayev, j'ai ordonné qu'il soit sursis provisoirement au prochain contrôle des motifs de sa détention en attendant que je rende une décision en l'espèce.

 

3.         Légalité de l'arrestation de M. Tursunbayev

 

[14]           M. Tursunbayev a affirmé devant la Commission que son arrestation et sa détention étaient illégales, étant donné qu'aucune directive n'avait encore été donnée pour la tenue d'une enquête au moment où le mandat d'arrestation a été délivré. Par conséquent, il n'y avait aucun motif légitime, sur le plan de l'immigration, pour justifier son arrestation ou sa détention.

 

[15]           Bien que M. Tursunbayev ait avancé des arguments détaillés à ce sujet dans son mémoire des faits et du droit, il a reconnu à l'audience que cette question était présentement soumise au juge Russell dans une instance connexe. M. Tursunbayev a expliqué qu'il ne débattrait pas davantage cette question devant moi et je ne tire aucune conclusion à cet égard.

 

[16]           M. Tursunbayev maintient toutefois encore que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il se soustrairait vraisemblablement à l'enquête et en concluant qu'il n'existait pas de solution de rechange viable à son maintien en détention. M. Tursunbayev affirme également que les observations formulées par le représentant du ministre lors du dernier contrôle des motifs de sa détention ont induit la Commission en erreur, de sorte que la décision qu’elle a rendue à l'issue de cette audience devrait être annulée.

 

4.         Norme de contrôle

 

[17]           La plupart des arguments invoqués par M. Tursunbayev concernent l'appréciation que la Commission a faite de la preuve ainsi que les conclusions de fait qu'elle a tirées.

 

[18]           Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572, au paragraphe 10, les décisions rendues à l'égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits qui commandent habituellement la retenue.

 

[19]           Cela dit, comme le droit à la liberté de l’intéressé est en jeu lors d'une audience relative à un contrôle de la détention, les décisions relatives à sa détention doivent être rendues en prenant en compte l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (Thanabalasingham, précité, au paragraphe 14).

 

[20]           Il n’y a pas lieu d’appliquer une norme différente du fait que la Charte est en cause : la norme applicable demeure celle de la décision raisonnable (Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] A.C.S. no 12 (QL), au paragraphe 45). Dans le contexte d’un contrôle judiciaire, il s’agit donc de déterminer si — en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel — la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte (Doré, au paragraphe 57).

 

[21]           Dès lors que M. Tursunbayev affirme qu'il a été traité injustement par la Commission, il incombe à la Cour de décider si le processus suivi par l'auteur de la décision satisfaisait aux critères d'équité que dictaient les circonstances (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

 

[22]           Il incombe également à notre Cour de déterminer si les observations faites par le représentant du ministre lors du contrôle de la détention de M. Tursunbayev ont induit la Commission en erreur ou ont occasionné un manquement aux principes de justice naturelle.

 

5.         Présumées fausses déclarations en ce qui concerne la demande d'extradition

 

 

[23]           M. Tursunbayev affirme que le représentant du ministre a présenté de façon erronée des faits importants lors du contrôle de sa détention. Il soutient que la Commission a ajouté foi à ces fausses déclarations. M. Tursunbayev affirme que ces fausses déclarations constituent un manquement aux principes de justice naturelle ainsi qu'un abus de procédure et il ajoute que la décision de la Commission devrait être annulée pour cette seule raison.

 

[24]           Les déclarations reprochées au représentant du ministre sont celles qu'il aurait faites au sujet de la question de savoir si le gouvernement du Canada avait reçu ou non une demande d'extradition pour M. Tursunbayev. Le représentant du ministre n'est pas un avocat, mais il est très expérimenté en la matière.

 

[25]           Il est indiqué dans la « notice rouge » publiée par Interpol au sujet de M. Tursunbayev que le Kazakhstan [traduction] « a fourni l’assurance que l’arrestation de l’intéressé sera suivie d’une demande d’extradition ». L’avocat de M. Tursunbayev a soulevé cette question lors du contrôle des motifs de la détention de ce dernier, en faisant observer qu’on n’avait soumis à la Commission aucun élément de preuve tendant à démontrer que le Kazakhstan avait demandé son extradition, ce qui, à son avis, permettait de mettre en doute la crédibilité du gouvernement du Kazakhstan.

 

[26]           L'avocat de M. Tursunbayev a également fait observer que si le Kazakhstan avait effectivement demandé l'extradition de son client, il plaiderait que M. Tursunbayev est victime d'un abus de procédure du fait qu'il doit faire face simultanément à deux instances différentes qui visent toutes deux à le renvoyer du Canada sur le fondement des mêmes allégations.

 

[27]           Au cours de cette discussion, l'échange suivant a eu lieu :

[traduction]

L'AVOCAT DU MINISTRE : Je dois m'insurger contre cette façon de procéder, Madame la Commissaire. Il ne s’agit pas d’une instance en extradition et on ignore si une demande d'extradition a été présentée ou non. À moins que l'avocat n'ait des éléments de preuve contraires, j'estime que nous devrions poursuivre parce qu'il plaide de toute évidence l'extradition alors qu'il ne s'agit pas d'une instance en extradition.

 

L'AVOCAT : D'accord, eh bien...

 

LA COMMISSAIRE : Eh bien...

 

L'AVOCAT DU MINISTRE : Et l'avocat n'a présenté aucun élément de preuve pour démontrer qu'une demande avait été présentée.

 

LA COMMISSAIRE : Eh bien, je ne vois pas où est le problème – Me Waldman se demande seulement pourquoi les autorités n'ont pas demandé l'extradition.

 

L’AVOCAT DU MINISTRE : Est-ce qu'il est au courant qu'elles ont présenté ou non une demande? Est‑ce qu'il peut l'affirmer en toute certitude? Pas moi en tout cas.

 

LA COMMISSAIRE : Je n'ai pour le moment aucune preuve qu'une telle demande a été faite.

 

L’AVOCAT DU MINISTRE : Et rien ne permet non plus de penser qu'ils n'ont pas présenté de demande d'extradition.

 

LA COMMISSAIRE : Et je ne tire pas nécessairement de conclusion précise à ce sujet; je me contente d'écouter ce que Me Waldman a à dire à ce sujet.

 

Procès-verbal de l'audience sur le contrôle de la détention du 2 mars 2012, aux pages 65 et 66, dossier de la demande, volume 2 [Non souligné dans l'original].

 

[28]           Le représentant du ministre a par la suite fait de nouveau observer qu’on n’avait soumis à la Commission aucun élément de preuve quant à l'existence d'une demande d'extradition. Dans ses observations finales, il revient une fois de plus sur l’absence de preuve confirmant ou infirmant l'existence d'une telle demande : [traduction] « On ne sait pas si l'extradition a été demandée en vertu d'un autre traité. Il est prématuré de la part de l'avocat de formuler de telles hypothèses sans preuve » (procès-verbal de l'audience du contrôle de la détention du 6 mars 2012, dossier de la demande, volume 3, à la page 49).

 

[29]           Le représentant du ministre a déposé à l'appui de la présente demande un affidavit dans lequel il reconnaît qu'au moment du contrôle de la détention de M. Tursunbayev, il était au courant que le gouvernement du Canada avait effectivement reçu une demande d'extradition du gouvernement du Kazakhstan.

 

[30]           Suivant le représentant du ministre il s'agissait de « renseignements fournis par des tiers » qu'il avait reçus à titre confidentiel du Groupe d'entraide internationale du ministère de la Justice. Aucun arrêté introductif d'instance n'avait été pris pour donner suite à cette demande d'extradition et le représentant du ministre n'était pas autorisé à révéler l'existence de la demande d'extradition lors du contrôle de la détention de M. Tursunbayev.

 

[31]           Le représentant du ministre affirme que les déclarations qu'il a faites lors du contrôle de la détention de M. Tursunbayev visaient uniquement à faire des commentaires sur l'état du dossier et sur l’absence d’éléments de preuve quant à la question de savoir si le Kazakhstan avait ou non demandé l'extradition de M. Tursunbayev. Rien de ce que le représentant du ministre a dit lors du contrôle de la détention ne visait à déclarer à la Commission que le gouvernement du Canada n'avait pas reçu de demande d'extradition du Kazakhstan.

 

[32]           Enfin, le défendeur soutient que l'existence de la demande d'extradition aurait en fait affaibli les arguments invoqués par M. Tursunbayev en vue d'obtenir sa mise en liberté étant donné qu'elle lui aurait fourni une raison de plus de se soustraire à son enquête.

 

[33]           Je ferais observer, d'entrée de jeu, que M. Tursunbayev ne m'a pas convaincue que le représentant du ministre était formellement tenu de révéler l'existence de la demande d'extradition au cours du contrôle de la détention de mars 2012. À défaut d'arrêté introductif d'instance, rien ne permettait de penser que M. Tursunbayev ferait effectivement l'objet d'une procédure d'extradition au Canada.

 

[34]           J'ai lu attentivement le procès-verbal de l'audience relative au contrôle de la détention de M. Tursunbayev et je suis d'accord avec le défendeur pour dire que plusieurs des déclarations faites par le représentant du ministre au cours de la partie de l'audience consacrée à la preuve se rapportaient nettement à l'état du dossier soumis à la Commission et à l'absence d'éléments de preuve confirmant ou infirmant l'existence d'une demande d'extradition.

 

[35]           Je crois également comprendre qu’en déclarant : [traduction] « On ne sait pas si l'extradition a été demandée en vertu d'un autre traité », le représentant du ministre ne cherchait qu'à rendre compte de l'état du dossier soumis à la Commission et n’entendait pas faire une déclaration sur ce que lui ou son client savait au sujet de la demande d'extradition.

 

[36]           Il y a toutefois une observation du représentant du ministre qui pose problème. Le représentant du ministre a déclaré en effet : [traduction] « Est-ce qu'il [l’avocat de M. Tursunbayev] est au courant qu'elles ont présenté ou non une demande [d’extradition]? Est‑ce qu'il peut l'affirmer en toute certitude? Pas moi en tout cas ».

 

[37]           Dans la mesure où elle peut être interprétée comme une affirmation quant à ce que le représentant du ministre savait personnellement en ce qui concerne l'existence d'une demande d'extradition, cette déclaration est inexacte. Le représentant du ministre a admis qu'au moment où il a tenu ces propos, il savait que le gouvernement du Canada avait reçu une demande du gouvernement du Kazakhstan en vue d'obtenir l'extradition de M. Tursunbayev. Il pouvait donc affirmer ce fait avec une certitude absolue au moment du contrôle de la détention de M. Tursunbayev et l'on pourrait affirmer que la déclaration susmentionnée était de nature à induire en erreur.

 

[38]           Il faut toutefois replacer cette déclaration dans son contexte. Elle intervient après plusieurs observations non ambiguës formulées par le représentant du ministre au sujet de l'absence de preuves au dossier. Dans ce contexte, on pourrait également prétendre que le représentant du ministre affirmait qu'il ne pouvait déclarer avec une certitude absolue qu'une demande d'extradition avait été présentée suivant la preuve soumise au tribunal. 

 

[39]           Il ressort en fait de ce qui suit que c'est bien la façon dont la Commission a interprété cette affirmation, étant donné que la commissaire a formulé plusieurs observations à la suite de l'échange en question au sujet de l’absence d’éléments de preuve au dossier confirmant ou infirmant l'existence d'une demande d'extradition.

 

[40]           La conclusion qu'un représentant de Sa Majesté a intentionnellement induit un tribunal administratif en erreur est une chose très sérieuse. Bien que les propos relatés soient troublants, j’ai décidé en l’espèce d'accorder le bénéfice du doute au représentant du ministre. Je tiens toutefois à signaler qu’il s’agit d’un cas limite et à inviter le représentant du ministre à être plus prudent à l'avenir lorsqu'il fait des déclarations devant la Commission.

 

[41]           Je tiens également à signaler que, pour répondre aux allégations que M. Tursunbayev a formulées au sujet des fausses déclarations faites par le représentant du ministre, l'avocat du ministre a fait valoir, dans le cadre de la présente demande, que les propos qu'avaient tenus le représentant du ministre lors du contrôle de la détention de M. Tursunbayev n'étaient que des arguments et non un témoignage fait sous serment.

 

[42]           J'ai de sérieuses réserves au sujet de cet argument. Les personnes qui représentent Sa Majesté devant les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs ont toujours l'obligation d'être honnêtes et franches dans leurs rapports avec les plaideurs et les tribunaux. Le fait que les propos en question aient été formulés par le représentant du ministre sous forme d'observations plutôt que dans le cadre de la preuve ne diminue en rien l'obligation de franchise à laquelle est astreint le représentant du ministre.

 

6.         Conclusion que M. Tursunbayev se soustraira vraisemblablement à l'enquête

 

[43]           L'article 58 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés dispose que la Commission prononce la mise en liberté du détenu sauf sur preuve, notamment, qu'il se soustraira vraisemblablement à l'enquête dont il fait l'objet.

[44]           Les facteurs dont la Commission doit tenir compte pour déterminer si un individu se soustraira vraisemblablement à l'enquête sont énumérés à l'article 245 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Parmi ces facteurs, mentionnons la qualité de fugitif à l'égard de la justice d'un pays étranger, le fait de s'être conformé aux mesures et conditions dont il a fait l'objet, le fait de s'être dérobé au contrôle, ou toute tentative à cet égard, et l'appartenance réelle de l'intéressé à une collectivité au Canada.

 

[45]           Il est par ailleurs raisonnable, de la part de la Commission, d’évaluer la solidité des allégations du gouvernement pour déterminer si l’individu en cause risque de prendre la fuite (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B188, 2011 CF 94, 383 F.T.R. 114, au paragraphe 44).

 

[46]           M. Tursunbayev reproche plusieurs erreurs à la Commission dans le cas qui nous occupe. Comme il fera encore l'objet d'un ou de plusieurs autres contrôles des motifs de sa détention, il m'a demandé d'examiner chacun des arguments qu'il invoque pour guider ceux qui seront appelés à se prononcer sur son cas. Par conséquent, je vais examiner à tour de rôle chacun des arguments invoqués par M. Tursunbayev.

 

a)          La Commission a‑t‑elle déplacé à tort le fardeau de la preuve sur M. Tursunbayev?

 

[47]           Il incombait au ministre de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que M. Tursunbayev se soustrairait vraisemblablement à l'enquête dont il faisait l'objet (Thanabalasingham, précité, au paragraphe 15).

 

[48]           L'ASFC a offert de retirer les accusations dont M. Tursunbayev faisait l'objet si ce dernier expliquait la provenance de sa fortune. Jusqu'à maintenant, M. Tursunbayev a refusé de le faire.

 

[49]           M. Tursunbayev soutient que la Commission a commis une erreur de droit en considérant le fait qu'il avait choisi de garder le silence comme une preuve de sa culpabilité. Je ne suis pas d'accord avec lui pour dire que c'est ce que la Commission a fait.

 

[50]           La Commission a reconnu que M. Tursunbayev n'était nullement tenu de fournir aux autorités canadiennes des renseignements au sujet de la provenance de son argent. Elle a toutefois fait observer que M. Tursunbayev avait déjà de solides raisons qui l'incitaient à fournir des renseignements disculpatoires compte tenu du fait qu'il était détenu. La Commission a estimé que, comme M. Tursunbayev n'avait pas communiqué ces renseignements alors que sa liberté était en jeu, il n'était pas crédible que M. Tursunbayev soit motivé à se présenter à son enquête pour se disculper.

 

[51]           Il faut situer les propos de la Commission dans leur contexte. Contrairement à ce que M. Tursunbayev prétendait, la Commission n'a pas déplacé le fardeau de la preuve sur lui ou tiré une conclusion négative en ce qui concerne sa culpabilité parce qu'il revendiquait son droit de garder le silence. La question à laquelle la Commission cherchait à répondre était celle de savoir si M. Tursunbayev serait motivé à se présenter à son enquête ou s'il risquait de s'enfuir. Dans ces conditions, l'inférence tirée par la Commission faisait partie de celles que le dossier lui permettait raisonnablement de tirer.

 

b)         La Commission a-t-elle appliqué le mauvais critère pour apprécier la solidité des arguments invoqués contre M. Tursunbayev?

 

[52]           La Commission a fait observer que M. Tursunbayev affirmait que les accusations portées contre lui n’étaient pas fondées. Pour évaluer la solidité de la thèse du ministre, la Commission a déclaré que « [s]i les allégations du ministre n’étaient pas fondées, ceci jouerait en faveur d’une mise en liberté, mais ce n’est pas le cas ici » (Motifs, au paragraphe 47). [Non souligné dans l’original]

 

[53]           Je suis d'accord avec M. Tursunbayev pour dire que la Commission a commis une erreur en l'obligeant à démontrer que les allégations du ministre « n'étaient pas fondées » avant de pouvoir conclure que la relative solidité des arguments du ministre penchait en faveur de sa remise en liberté.

 

[54]           La jurisprudence de notre Cour a établi, comme nous l'avons déjà expliqué, que la solidité des arguments du ministre peut constituer un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer si l’intéressé risque de s'enfuir, et ce, parce que la solidité ou la faiblesse relative des arguments invoqués contre l'intéressé peut avoir une incidence sur la motivation de celui‑ci à se présenter ou non à son enquête.

 

[55]           De toute évidence, lorsque le détenu peut démontrer que les allégations portées contre lui n'ont aucun fondement, ce facteur peut jouer en faveur de sa remise en liberté. Il ne s'ensuit toutefois pas pour autant qu'on ne doive accorder aucune importance à ce facteur si le détenu est seulement en mesure de démontrer que les arguments du ministre sont très faibles. La solidité ou la faiblesse relative des allégations du ministre doit être évaluée au cas par cas et être ensuite examinée à la lumière de l'ensemble des autres facteurs pertinents en l'espèce pour déterminer si les conditions prévues par la loi et le règlement pour justifier le maintien en détention sont respectées.

 

c)         M. Tursunbayev avait-il la qualité de fugitif à l’égard de la justice?

 

[56]           Je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur en concluant que M. Tursunbayev avait la qualité de fugitif à l’égard de la justice.

 

[57]           L’expression « fugitif à l’égard de la justice » n’est pas définie dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, ou dans le Règlement. Il faut donc attribuer son sens courant à cette expression.

 

[58]           Je ne suis pas d'accord avec M. Tursunbayev pour dire qu'un individu ne peut être considéré comme un « fugitif à l'égard de la justice » que s'il s'est enfui de son pays d'origine après qu'une instance judiciaire a été officiellement introduite. L'expression est suffisamment large pour englober les individus qui sont recherchés par la police dans leur pays d'origine, qui sont au courant qu'une enquête en cours pouvait les incriminer au moment où ils ont quitté le pays et qui n'ont aucune intention de retourner de plein gré dans leur pays d'origine pour répondre aux accusations portées contre eux.

 

[59]           En l’espèce, M. Tursunbayev a pris la fuite deux jours après l’arrestation du président de Kazatomprom, Mukhtar Dzhakishev.

 

[60]           M. Tursunbayev expliquait qu’il avait quitté le pays parce qu’il craignait que les autorités ne le soumettent à la torture afin de recueillir des éléments de preuve à l’encontre de M. Dzhakishev. Il faisait par ailleurs valoir que, comme au moment de s’enfuir du Kazakhstan, il n’avait été accusé d’aucune infraction, il ne pouvait être considéré comme un fugitif à l’égard de la justice.

 

[61]            La Commission a rejeté cette explication. Elle a conclu que M. Tursunbayev s’était enfui du Kazakhstan sachant que les autorités faisaient enquête sur des infractions en rapport avec Kazatomprom et qu’il avait pris la fuite afin d’éviter d’être questionné quant à son rôle dans cette affaire. La Commission n’a pas cru qu’un homme d’affaires « aussi futé » que M. Tursunbayev aurait ignoré que les autorités du Kazakhstan voudraient vraisemblablement le poursuivre lui aussi en justice pour ses agissements en tant que vice-président de Kazatomprom. Il s’agit d’une conclusion qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer, compte tenu du dossier qui lui était soumis.

 

d)         L'utilisation d'éléments de preuve généraux concernant la corruption

 

[62]           Je ne suis pas d'accord non plus avec M. Tursunbayev pour dire que la Commission a commis une erreur en se servant de renseignements sur la situation au Kazakhstan qui faisaient état de l'omniprésence de la corruption dans ce pays pour conclure que M. Tursunbayev devait lui-même s'être livré à de la corruption.

 

[63]           Je suis d'accord pour dire que la Commission ferait erreur si elle concluait que, du simple fait que la corruption est endémique dans un pays, l'intéressé doit nécessairement s'être lui-même livré à de la corruption. Ce n'est toutefois pas ce que la Commission a conclu en l'espèce.

 

[64]           Là encore, il faut situer les propos de la Commission dans leur contexte. La Commission a fait observer qu’alors qu’il était vice-président de Kazatomprom, M. Tursunbayev avait été directeur de fondations qui relevaient de Kazatomprom ou qui s’y rattachaient. Même s’il se qualifiait lui-même d’homme d’affaires et fonctionnaire prospère, la Commission a fait observer que rien dans le dossier ne permettait d’expliquer l’extrême richesse de M. Tursunbayev, mis à part son emploi antérieur.

 

[65]           C’est donc dans le contexte de ses constations quant à l’immense richesse inexpliquée de M. Tursunbayev que la Commission a fait observer qu’il était « raisonnable de conclure qu’il a grandement bénéficié de sa participation au système kazakh » et qu’il n’était pas crédible « qu’une personne puisse tirer autant parti d’un tel système de corruption, sans l’avoir facilité ou y avoir contribué » (Motifs, au paragraphe 41). Il n’y a rien de déraisonnable dans cette conclusion.

 

e)         Traitement par la Commission des éléments de preuve relatifs aux poursuites intentées contre Mukhtar Dzhakishev

 

[66]           M. Tursunbayev a fait valoir devant la Commission qu’on ne devait accorder aucun poids au fait que Mikhatar Dzhakishev avait fait l’objet de déclarations de culpabilité relativement à des infractions en rapport avec Kazatomprom. Il a soutenu que ces condamnations constituaient un piètre indicateur de la solidité de la cause du ministre, étant donné que les tribunaux kazakhs s’appuient systématiquement sur des éléments de preuve obtenus au moyen de la torture.

 

[67]           La Commission a conclu que, même si les renseignements relatifs à la situation au Kazakhstan il était probable que les tribunaux de ce pays se soient fondés sur des éléments de preuve obtenus par la torture, « rien n’indique que cela s’est produit dans le cas de M. Dzhakishev ».

 

[68]           Pour arriver à cette conclusion, la Commission s’est fondée sur un extrait du U.S. Department of State 2009 Human Rights Report qui citait expressément le cas de M. Dzhakishev et qui mentionnait les difficultés qu’il avait eues à recruter l’avocat de son choix. Ainsi que la Commission l’a fait observer, il n’était aucunement question dans ce rapport de torture ou d’éléments de preuve qui auraient été soutirés à M. Szhakishev sous la torture, bien qu’on y trouve une section portant sur le recours fréquent à la torture par les autorités du Kazakhstan.

 

[69]           La Commission n'a toutefois pas mentionné les renseignements contenus dans le rapport publié en mars 2010 par Amnistie internationale intitulé « Kazakhstan: No Effective Safeguards against Torture » dans lequel le cas de M. Dzhakishev était analysé assez longuement.

 

[70]           Ce rapport explique que la police du Kazakhstan arrête systématiquement des personnes qui sont ensuite détenues sans possibilité de contact avec l'extérieur pour diverses périodes de temps au cours desquelles on leur extorque des aveux sous la torture.

 

[71]           Suivant le rapport d'Amnistie internationale, dans les jours précédant l'arrestation de M. Dzhakishev, sept des autres dirigeants et membres du personnel de son entreprise ont été détenus par des agents du Service de sécurité nationale. On a expliqué à ces individus qu'ils faisaient l'objet d'un « programme de protection des témoins » et qu'on les conduirait en lieu sûr. On les a plutôt menottés et on leur a bandé les yeux pour ensuite les amener par avion à un autre endroit. Leurs familles n'ont pas été mises au courant de l'endroit où ils se trouvaient et les avocats engagés par leurs familles n'ont pas pu rencontrer les détenus, qui étaient représentés par des avocats choisis par l’État.

 

[72]           Les épouses des détenus ont finalement été autorisées à rencontrer leur mari après deux semaines de détention. Ces rencontres n'ont pas eu lieu en privé et il a été impossible de savoir si les hommes avaient subi de mauvais traitements. Certaines des épouses ont exprimé leur crainte que leur mari ait été [traduction] « sinon soumis à des mauvais traitements physiques, à tout le moins intimidés pour les dissuader de porter plainte ». Le rapport d'Amnistie internationale signale que les hommes étaient toujours détenus dans un établissement de détention non officiel au moment de la publication du rapport, une dizaine de mois plus tard.

 

[73]           Il est vrai que la Commission est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve soumis (voir, par exemple, l'arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992), 36 A.C.W.S. (3d) 635, 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Cela dit, plus les éléments de preuve que la Commission ne mentionne pas et n'analyse pas expressément dans ces motifs sont importants, plus une cour de justice sera disposée à en déduire que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve soumis (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264, aux paragraphes 14 à 17).

 

[74]           Les éléments de preuve contenus dans le rapport d'Amnistie internationale se rapportaient directement à une conclusion cruciale tirée par la Commission au sujet de la légitimité des accusations portées contre M. Tursunbayev. Qui plus est, ces éléments de preuve semblent contredire la conclusion de la Commission suivant laquelle il n'y avait « aucun élément de preuve » permettant de penser que la condamnation de M. Dzhakishev était fondée sur des preuves obtenues par la torture. Le défaut de la Commission de mentionner, et encore moins d'analyser, ces éléments de preuve, constitue donc une erreur importante qui rend sa décision déraisonnable.

 

f)          Fiabilité de la « notice rouge » d'Interpol

 

[75]           M. Tursunbayev affirme également que la Commission a commis une erreur en concluant que rien ne permettait de penser que la « notice rouge » d'Interpol n'était pas fiable dans le cas qui nous occupe. Je ne suis pas de cet avis.

 

[76]           Il ressort à l'évidence du paragraphe 46 de ses motifs que la Commission comprenait les éléments de preuve présentés par M. Tursunbayev au sujet des preuves suivant lesquelles Interpol était exposé aux abus des États où sévit la corruption. La Commission a également bien compris qu'Interpol ne « vérifie pas » les allégations, pas plus qu'il n'authentifie les éléments de preuve sur lesquels un État se fonde pour formuler des allégations contre ses citoyens. Néanmoins, la Commission a conclu que les éléments de preuve soumis n'étaient pas suffisants pour démontrer que de tels abus avaient été commis dans le cas qui nous occupe. M. Tursunbayev ne m'a pas convaincue que cette conclusion était déraisonnable.

 

g)         Défaut de la Commission de confronter M. Tursunbayev à une présumée contradiction

 

[77]           La Commission a également exprimé des réserves au sujet de la crédibilité de M. Tursunbayev en raison de la présumée incohérence constatée dans les renseignements qu'il avait fournis aux autorités de l'immigration canadienne. M. Tursunbayev soutient que les renseignements qu'il a communiqués ne comportaient aucune incohérence flagrante et que, de toute façon, il était injuste de la part de la Commission de ne pas lui faire part de ses réserves et de lui offrir l'occasion d'y répondre. Je suis d'accord avec M. Tursunbayev sur ces deux points.

 

[78]           Les renseignements en question concernent le poste de vice-président de Kazatomprom de M. Tursunbayev. Dans sa demande de résidence permanente, M. Tursunbayev déclarait qu'il n’en était plus le vice-président depuis novembre 2004. Toutefois, les notes prises par l'agent des visas relativement à la demande de visa de résident temporaire présentée par M. Tursunbayev en 2008 portent la mention « vice-président de Kazatomprom ».

 

[79]           De la présence de ces mots dans le dossier d’immigration de M. Tursunbayev, la Commission a conclu qu’il était « donc probable qu’il se soit identifié comme tel dans sa demande » (Motifs, au paragraphe 53). Après avoir fait observer que M. Tursunbayev avait affirmé ailleurs qu’il avait quitté son poste en novembre 2004, la Commission a déclaré que « [l]’emploi d’une personne constitue un fait fondamental, et, en l’absence de quelque explication que ce soit pour cette incohérence, je conclus que cela soulève des préoccupations relativement à la crédibilité de M. Tursunbayev » (Motifs, au paragraphe 53).

 

[80]           Il est toutefois loin d'être évident que les renseignements fournis par M. Tursunbayev en rapport avec ses diverses demandes comportaient des incohérences. S'agissant du poste qu'occupe présentement M. Tursunbayev, l'agent des visas signale dans ses notes relatives à la demande de visa de 2008 que M. Tursunbayev [traduction] « est un des dirigeants d'une fondation d'entreprise appelée « Demur » depuis mai 2006 […] », ce qui confirme les renseignements que M. Tursunbayev avait fournis à l'appui de sa demande de résidence permanente.

 

[81]           Plus loin dans ses notes, l'agent des visas explique que M. Tursunbayev [traduction] « s'est bien établi au Kazakhstan ». On trouve ensuite des renseignements concernant les antécédents personnels de M. Tursunbayev, notamment son adresse, sa date de naissance, son état civil, le nom de son épouse, et ainsi de suite. C'est au milieu de ces renseignements que l'on trouve la mention [traduction] « vice-président de Kazatomprom ».

 

[82]           La période pendant laquelle il a été vice-président de Kazatomprom n'est pas précisée dans les notes de l'agent des visas, qui ne permettent par ailleurs pas de penser que M. Tursunbayev affirmait qu'il était toujours vice-président de Kazatomprom en 2008. D'ailleurs, il est précisé dans les notes que le poste qu'occupe actuellement M. Tursunbayev est celui de dirigeant de Demur. Compte tenu du fait que cette mention figure dans le contexte de renseignements concernant les antécédents personnels de M. Tursunbayev, il semble plus probable que l’agent évoquait le poste antérieurement occupé par M. Tursunbayev par la mention « vice-président de Kazatomprom ».

 

[83]           Il était par ailleurs injuste de la part de l'agent de tirer une telle conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de M. Tursunbayev sans avoir accordé à ce dernier la possibilité d'aborder la question de la présumée incohérence.

 

[84]           La Commission n'est pas tenue d'appeler l'attention de l'intéressé sur une incohérence évidente constatée dans sa preuve ou de lui accorder l'occasion d'expliquer le problème. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, le dossier soumis à la Commission comptait plusieurs centaines de pages. Les trois mots en cause ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan que constituait le dossier et il n'en a pas été question lors du contrôle de la détention de M. Tursunbayev. Qui plus est, comme nous l'avons déjà expliqué, cette présumée incohérence n'était pas évidente au vu du dossier. Dans ces conditions, l'obligation d'équité exigeait que la Commission fasse part de ses préoccupations à M. Tursunbayev et qu'elle lui accorde la possibilité d'expliquer son point de vue à cet égard.

 

[85]           En conséquence, je suis convaincue qu'il était déraisonnable et injuste de la part de la Commission de tirer une conclusion négative au sujet de la crédibilité en se fondant sur cette présumée incohérence.

 

h)         La présumée fausse déclaration quant à la valeur nette de M. Tursunbayev

 

[86]           Bien que la Commission n'ait pas accordé beaucoup de poids à cette conclusion, il était néanmoins déraisonnable de sa part de conclure que M. Tursunbayev avait fait une fausse déclaration au sujet de sa valeur nette aux autorités canadiennes de l'immigration lors de l’examen de sa demande de résidence permanente.

 

[87]           À l'époque où M. Tursunbayev et les membres de sa famille cherchaient à obtenir la résidence permanente au Canada, on lui a demandé de fournir la preuve qu'il disposait d'au moins 20 654 $ comme fonds d'établissement. M. Tursunbayev a produit un relevé bancaire qui indiquait un solde d'environ 50 000 $ dans un compte bancaire canadien.

 

[88]           Tout en précisant qu’elle « ignorait » si M. Tursunbayev était légalement tenu de divulguer entièrement l’étendue de sa richesse, la Commission a déclaré ce qui suit : « toujours est-il qu’il a présenté un portrait financier qui était loin d’être vrai » (Motifs, au paragraphe 52). Après avoir fait observer que la divulgation de l’ampleur de sa richesse aurait sans doute suscité des questions, la Commission déclare : « [i]l semble donc plus probable que M. Tursunbayev a préféré éviter d’attirer l’attention ». Il s’agit, à mon avis, d’une conclusion déraisonnable.

 

[89]           Il ressort à l'évidence de l'examen des documents afférents à la demande de résidence permanente de M. Tursunbayev qu’on lui avait seulement demandé de confirmer qu'il possédait une quantité suffisante de fonds d'établissement. C'est ce qu'il a fait. Aucun élément de preuve ne permettait à la Commission de penser qu'au cours de l'examen du traitement de sa demande, on l'avait interrogé au sujet de sa valeur nette, et M. Tursunbayev n'a d'ailleurs jamais laissé entendre de quelque façon que ce soit que l'argent qu'il avait dans son compte bancaire représentait la totalité de ses actifs. La conclusion négative tirée par la Commission à cet égard était tout simplement déraisonnable.

 

i)          Autres indicateurs du risque de fuite

 

[90]           M. Tursunbayev ne m'a pas convaincue qu'il était déraisonnable de la part de la Commission de se fonder sur le fait qu'il s'était déjà enfui du Kazakhstan, sur la mobilité que lui procurait son immense richesse et sur la débrouillardise dont il avait fait preuve lorsqu'il s'était agi d'acquérir la citoyenneté à Saint-Kitts-et-Nevis pour conclure qu'il s'agissait là d'indicateurs de ses risques éventuels de fuite.

 

7.         Solutions de rechange à la détention

 

[91]           Je suis toutefois convaincue que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle s’est penchée sur la question de l’existence de solutions de rechange au maintien en détention de M. Tursunbayev.

 

[92]           L'alinéa 248e) du Règlement prévoit que, dès lors qu'elle constate qu'il existe des motifs de détention, la Commission doit se demander s'il existe des solutions de rechange à la détention de l'intéressé.

 

[93]           Dans le cas qui nous occupe, M. Tursunbayev a soumis à la Commission un projet détaillé qui, selon lui, permettait de gérer tout risque de fuite. M. Tursunbayev a offert de fournir plusieurs garanties et proposé d'être assujetti à des conditions strictes de mise en liberté. Les conditions en question prévoyaient notamment que M. Tursunbayev porterait à la cheville un bracelet relié à un système de surveillance par GPS. Il retiendrait également les services d'une entreprise d'agents de sécurité privés qui seraient chargés de le surveiller jour et nuit et il ferait installer des caméras de surveillance chez lui pour qu’on puisse le suivre dans tous ses déplacements.

 

[94]           L'évaluation du choix des cautions est une question qui relève carrément de la compétence et des connaissances spécialisées de la Commission. M. Tursunbayev ne m'a pas convaincue que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de l'aptitude des trois cautions proposées par M. Tursunbayev ou dans son appréciation de la suffisance du montant du cautionnement offert par deux d’entre elles.

 

[95]           Je suis toutefois d'accord avec M. Tursunbayev pour dire que la Commission ne semble pas avoir compris la nature de l'engagement offert par le chef de l'entreprise d'agents de sécurité privés comme moyen de s'assurer que son entreprise respecte les obligations qui lui étaient imposées pour surveiller les allées et venues de M. Tursunbayev.

 

[96]           Je suis également convaincue que la Commission a commis une erreur en n'examinant pas comme elle aurait dû le faire l'acceptabilité de l'offre globale soumise par M. Tursunbayev comme solution de rechange à sa détention.

 

[97]           Bien qu’elle discute assez longuement des limites que comporte le port d'un bracelet émetteur à la cheville, la Commission n'aborde pas dans ses motifs l'efficacité des caméras vidéo comme moyen de surveiller les allées et venues de M. Tursunbayev.

 

[98]           Mais ce qui est probablement plus important, c'est le fait que la Commission n'aborde pas dans ses motifs la question de savoir si la surveillance physique jour et nuit de M. Tursunbayev serait suffisante pour gérer les risques de fuite.

 

[99]           M. Tursunbayev a soumis à la Commission une offre qui comportait plusieurs volets en vue d'assurer sa surveillance après sa remise en liberté. La Commission devait évaluer individuellement chacun des éléments du plan de remise en liberté proposé et les analyser en combinaison avec les autres méthodes proposées pour assurer la conformité afin de déterminer s'il existait des solutions de rechange au maintien en détention de M. Tursunbayev. Le défaut de la Commission d'examiner comme elle le devait certains des éléments du plan proposé par M. Tursunbayev rend déraisonnable l'appréciation que la Commission a faite de la justesse du plan de mise en liberté proposé dans son ensemble.

 

8.         Conclusion

 

[100]       M. Tursunbayev ne m'a pas convaincue que le représentant du ministre a induit la Commission en erreur au sujet de l'existence d'une demande d'extradition ou encore que certaines des conclusions contestées tirées par la Commission étaient déraisonnables. J'ai toutefois conclu que plusieurs des conclusions de la Commission étaient erronées et que M. Tursunbayev a été traité injustement en ce qui concerne une de ces conclusions.

 

[101]       Ces erreurs sont suffisamment graves pour justifier que la Cour fasse droit à la demande de contrôle judiciaire. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il procède à un nouveau contrôle des motifs de la détention. Ce contrôle devra avoir lieu dans les sept jours suivant la date de la présente décision.

 

[102]       Aucune des parties n'a proposé de question à certifier et je suis convaincue que la présente décision est une décision d’espèce rendue en fonction des faits particuliers de la présente affaire. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

 

9.         Dépens

 

[103]       M. Tursunbayev affirme qu'il devrait avoir droit à ses dépens avocat-client en ce qui concerne la présente demande de contrôle judiciaire en raison de la fausse déclaration qu'aurait faite le représentant du ministre au sujet de l'existence d'une demande d'extradition.

 

[104]       Des dépens ne sont généralement pas accordés dans les instances en matière d'immigration qui se déroulent devant notre Cour. L'article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, prévoit que « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d'autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l'appel introduit en application des présentes règles ne donne pas lieu à des dépens ».

 

[105]       Comme je ne suis pas convaincue que le représentant du ministre a induit la Commission en erreur au sujet de l'existence de la demande d'extradition, il n'y a pas lieu d'adjuger des dépens.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR :

 

1.                  ACCORDE à M. Tursunbayev l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision du 21 mars 2012 par laquelle la Commission a refusé de le remettre en liberté;

 

2.                  ACCUEILLE la présente demande de contrôle judiciaire et RENVOIE l'affaire à un tribunal constitué différemment pour qu'il procède à un nouveau contrôle de la détention de M. Tursunbayev. Ce contrôle devra avoir lieu dans les sept jours suivant la date de la présente décision.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L., réviseure

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2877-12

 

INTITULÉ :                                       RUSTEM TURSUNBAYEV c.

                                                            MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 16 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Lorne Waldman

 

Me Brian Heller

Me Murray H. Shore

 

POUR LE DEMANDEUR

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WALDMAN & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

HELLER, RUBEL

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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