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Cour fédérale

 

Federal Court

 Date : 20120502


Dossier : IMM-3074-11

Référence : 2012 CF 513

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2012 

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

Ever Hernand HERNANDEZ BOLANOS

Diano Rocio CORTES ALARCON

Estaban Felipe HERNANDEZ CORTES

Oscar Mauricio HERNANDEZ CORTES

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), par laquelle les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 9 août 2011 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a rejeté la demande des demandeurs pour se faire reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont tous des citoyens de la Colombie. Les demandeurs secondaires dans la présente affaire sont l’épouse du demandeur principal (Diano) ainsi que leurs deux fils. Ils craignent tous les guérilleros des FARC, en Colombie, et vivent actuellement à Toronto; ils sont au Canada depuis le 14 juin 2010, soit la date de leur arrivée.

[3]               Le demandeur principal affirme qu’un membre des FARC lui avait téléphoné en décembre 2009 et lui avait alors mentionné de s’attendre à recevoir d’autres nouvelles. Les FARC avaient tenu parole et lui avaient envoyé une lettre en février 2010, dans laquelle elles lui demandaient de leur verser la somme de 20 millions de pesos, soit environ 10 000 $, à titre de « taxe ». Dans la lettre, les FARC rappelaient au demandeur principal qu’elles avaient tué son beau‑frère, car celui-ci n’avait pas acquiescé à leurs demandes, et lui ordonnaient de se tenir tranquille, s’il tenait à assurer la sécurité de sa famille. Les demandeurs ont fourni à la SPR une copie de cette lettre (la lettre des FARC), qui apparaît à la page 466 du dossier certifié du tribunal (le DCT).

[4]               Après avoir reçu la lettre des FARC, le demandeur principal s’était mis à craindre pour sa vie et pour celle des membres de sa famille. Il avait cherché des moyens de ramasser assez d’argent pour payer les FARC. Il espérait que s’il leur versait le montant exigé, elles le laisseraient tranquille. Il affirme qu’un membre des FARC l’avait appelé à son travail le 21 mars 2010 et lui avait dit que, s’il ne leur donnait pas l’argent demandé, les FARC kidnapperaient ses enfants à l’école.

[5]               Pour répondre aux demandes des FARC, le demandeur principal avait emprunté 10 millions de pesos à sa belle-mère. Le 26 mars 2010, il s’était rendu en voiture à Alban, en Colombie, pour donner l’argent aux FARC. Deux hommes armés à moto l’avaient rencontré sur la route menant à Alban et l’avaient escorté jusqu’à une maison abandonnée. Les hommes armés avaient sommé le demandeur principal de sortir de son véhicule, ce qu’il avait fait. Deux autres hommes étaient alors sortis de la maison et lui avaient pris l’argent.

[6]               Lorsque les hommes avaient découvert, à la maison, que le demandeur principal avait seulement apporté la moitié du montant exigé, ils avaient projeté le demandeur au sol, lui avaient attaché les mains et les pieds et lui avaient bandé les yeux. Ils l’avaient menacé de le tuer, de sorte que le demandeur principal les avait suppliés de le laisser en vie, en leur disant qu’il leur donnerait la somme entière s’ils lui laissaient plus de temps. Les hommes l’avaient épargné, mais ils l’avaient abandonné dans la maison, ligoté et étendu sur le sol. Le demandeur principal s’était par la suite libéré et était retourné chez lui.

[7]               Après ces incidents, le demandeur principal et Diano avaient discuté de la possibilité de s’enfuir de la Colombie, mais ils n’avaient toutefois pas assez d’argent pour payer les billets d’avion pour l’ensemble de la famille. Le demandeur principal avait quitté son emploi et avait commencé à reconduire ses enfants à l’école et à aller les chercher à la fin de la journée, pour les protéger des FARC. Les demandeurs avaient aussi commencé à vendre leurs biens pour amasser des fonds, dans le but de quitter la Colombie.

[8]               Le demandeur principal et Diano avaient aussi décidé de signaler la demande des FARC aux autorités colombiennes. Le demandeur principal était allé, le 5 avril 2010, au bureau du procureur général de Madrid, la ville où il résidait. Les fonctionnaires du bureau de Madrid l’avaient renvoyé à un bureau de Facatativá, une ville située à environ 20 kilomètres de là. Les fonctionnaires du bureau de Facatativá avaient communiqué avec ceux du bureau de Bogota, qui leur avaient mentionné qu’ils allaient envoyer des agents pour faire enquête.

[9]               Le 14 avril 2010, les FARC avaient de nouveau communiqué avec le demandeur principal, pour lui dire qu’il allait devoir leur donner 40 millions de pesos, parce qu’il n’avait pas payé la totalité de la somme exigée dans la première demande. Ils lui avaient donné jusqu’au 26 juin 2010 pour payer cette somme, à défaut de quoi elles lui avaient dit qu’elles enlèveraient Diano, ou un de ses enfants.

[10]           Deux agents du Groupe d’action unifiée pour la liberté individuelle (le GAULA) s’étaient présentés au domicile du demandeur le 7 mai 2010. Les unités du GAULA sont composées de membres de l’armée colombienne et sont chargées de faire enquête sur les cas d’enlèvement et d’extorsion en Colombie, ainsi que de les prévenir. Ces agents avaient suggéré un plan au demandeur : le demandeur allait verser l’argent aux FARC comme il était prévu, mais les agents lui donneraient toutefois une veste pare-balles, le suivraient en voiture lorsqu’il irait donner l’argent et arrêteraient les membres des FARC au cours de la remise de l’argent. Le demandeur principal n’avait pas voulu exécuter le plan élaboré par les agents, de sorte que ces derniers avaient seulement pris la déclaration du demandeur. Ils lui avaient dit qu’ils lui en donneraient une copie, mais seulement après avoir procédé à une arrestation. Le demandeur principal était ensuite allé au bureau du procureur général de Bogota, où les fonctionnaires de ce bureau lui avaient seulement donné un avis de sa plainte, et non la déclaration même. L’avis provenant du bureau du procureur général figure à la page 474 du DCT et indique que le dossier était toujours ouvert et qu’il faisait l’objet d’une enquête au moment où l’avis avait été délivré.

[11]           Le demandeur principal se sentait sans protection après ces incidents. Il avait fait un compte rendu de son expérience avec les agents du GAULA au Bureau de l’ombudsman à Bogota – une division du ministère public (l’ombudsman) – le 1er juin 2010. Le demandeur principal a donné à la SPR une copie de la lettre qu’il avait fournie à l’ombudsman, copie qui figure à la page 472 du DCT. Cette lettre porte l’estampille de la Sous-direction administrative du Bureau de l’ombudsman, qui indique que la lettre avait été reçue le 1er juin 2010.

[12]           Après s’être plaint auprès de l’ombudsman, le demandeur principal avait déménagé sa famille à Granada, une ville située à environ 230 kilomètres de Madrid. Les demandeurs avaient ensuite jugé que la mesure la plus sécuritaire pour eux était de quitter la Colombie. Ils disposaient tous de visas pour venir au Canada et étaient donc venus ici. Diano avait pris un vol en direction de Toronto le 13 juin 2010, et le demandeur principal ainsi que ses deux fils avaient fait de même le 14 juin 2010. Les demandeurs avaient demandé l’asile au Canada le 29 juin 2010.

[13]           La SPR a joint les demandes d’asile des demandeurs, en application du paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS 2002-228, et a instruit les demandes conjointement, le 8 juillet 2011. Les demandeurs se sont tous fondés sur l’exposé circonstancié du demandeur principal, de sorte que leurs demandes d’asile dépendaient toutes du sort de celle du demandeur principal. La SPR a aussi désigné le demandeur principal comme représentant de ses fils. La SPR a examiné les demandes d’asile des demandeurs après l’audience, a rendu sa décision le 9 août 2011 et a avisé les demandeurs de sa décision le 31 août 2011.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[14]           La SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou qu’il soit exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités en Colombie. Par conséquent, elle a rejeté la demande d’asile. Elle a aussi rejeté la demande, car les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

[15]           La SPR s’est d’abord penchée sur les allégations du demandeur principal au sujet de l’extorsion dont il avait été victime aux mains des FARC, de son récit concernant le paiement du montant exigé et la détention dont il avait fait l’objet, de son interaction avec les autorités colombiennes ainsi que de sa fuite au Canada.

La guérilla et les activités paramilitaires en Colombie

[16]           La SPR a conclu que la Colombie était en proie, depuis 40 ans, à un conflit armé mettant aux prises les forces de l’État, les guérilleros (y compris les FARC) et les organisations paramilitaires. Ce conflit a fait un grand nombre de victimes civiles et a causé le déplacement interne d’un grand nombre de citoyens colombiens. Tous les acteurs de ce conflit sont impliqués dans des violations des droits de la personne, y compris des meurtres, des enlèvements, des déplacements forcés, de la violence envers les femmes ainsi que de l’intimidation. La SPR a aussi relevé que plusieurs groupes en Colombie étaient davantage exposés à un risque de préjudice.

La crédibilité et la crainte subjective

[17]           La SPR a affirmé, lorsqu’elle a procédé à l’analyse de la crédibilité du demandeur principal, qu’elle a été guidée par l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF), qui avait établi que le témoignage d’un demandeur d’asile est présumé véridique. Elle a aussi invoqué l’arrêt Orelien c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1158 (CAF), selon lequel la SPR ne peut juger que « les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi sans être convaincu[e] qu’il est probable qu’ils le sont, et non simplement possible ». La SPR a aussi indiqué qu’elle avait apprécié l’ensemble des témoignages et de la preuve documentaire, mais qu’elle ne renverrait qu’aux éléments de preuve qui sont, selon elle, pertinents.

[18]           La SPR a conclu qu’elle ne croyait pas que les demandeurs avaient été menacés par qui que ce soit en Colombie et que le demandeur principal avait complètement inventé les menaces, les actes d’extorsion ainsi que les agressions qu’il avait relatées dans son récit, dans le but de renforcer sa demande d’asile frauduleuse.

[19]           La SPR a relevé que le demandeur principal avait relaté dans son témoignage qu’il connaissait les FARC ainsi que leurs activités; il a affirmé qu’il avait été personnellement touché par les activités des FARC, car elles avaient tué son beau‑frère. La SPR a demandé au demandeur principal pourquoi il n’avait pas quitté la Colombie immédiatement après que les FARC lui avaient proféré des menaces, puisque, selon sa connaissance des FARC, il savait que cette organisation était dangereuse. Il a répondu qu’il croyait qu’elles ne l’ennuieraient plus, une fois l’argent versé. La SPR a rejeté cette explication, en mentionnant que le demandeur savait que les FARC étaient une organisation dangereuse, puisque ses membres avaient tué son beau‑frère. La SPR a conclu que sa croyance selon laquelle les FARC ne l’ennuieraient plus une fois qu’il aurait payé la moitié du montant exigé était déraisonnable, compte tenu de ce qui était arrivé à sa sœur et à son neveu.

[20]           Lorsque la SPR a demandé au demandeur principal pourquoi il n’avait pas quitté la Colombie sur-le-champ après que des membres des FARC l’avaient ligoté et battu, il a répondu qu’il était difficile de prendre la décision de quitter son domicile et sa famille. La SPR a mentionné que, bien qu’il soit difficile de quitter son domicile, c’est plus facile que de rester dans son pays et d’être battu, enlevé ou même tué. Cette explication minait la crédibilité du demandeur principal. La SPR a conclu que, si le demandeur principal avait eu une crainte réelle, il aurait quitté la Colombie immédiatement après avoir reçu les menaces.

[21]           La SPR a conclu que le demandeur principal aurait pu fuir la Colombie immédiatement après que les FARC lui ont exigé de l’argent. Elle a conclu que le demandeur pouvait fournir 20 millions de pesos et que tous les membres de sa famille possédaient des visas pour entrer au Canada. La SPR a aussi conclu que, dans l’éventualité où elle avait accepté les explications du demandeur principal, la croyance de celui-ci selon laquelle les FARC ne l’auraient plus ennuyé s’il leur avait donné l’argent n’avait aucun sens et était déraisonnable; la preuve fournie par le demandeur principal à la SPR démontrait que les FARC exigeaient souvent plus d’argent après que les demandes d’extorsion avaient été satisfaites. Le demandeur principal ne pouvait pas non plus s’attendre à ce que les FARC ne l’ennuient plus, puisqu’il leur avait promis qu’il verserait la deuxième moitié de la somme de 20 millions de pesos qu’on lui avait exigée.  

[22]           La SPR a fait remarquer que le demandeur principal n’avait pas signalé quoi que ce soit aux autorités avant le 5 avril 2010, soit après que les FARC l’avaient appelé, lui avaient écrit, l’avaient battu ainsi que ligoté, et après qu’il leur avait donné l’argent. Il a expliqué son retard à communiquer avec les autorités en déclarant que, lorsqu’il avait reçu les premières menaces, il avait pris une décision hâtive, quoiqu’il n’était pas certain si la décision qu’il avait prise hâtivement était de verser l’argent aux FARC ou d’aller voir les autorités. Il a aussi déclaré qu’il n’était pas allé voir la police au départ, car la personne qui l’avait appelé et la lettre lui avaient mentionné qu’on lui ferait du mal le cas échéant; il s’était adressé à la police le 5 avril 2010, parce qu’il croyait que les policiers pourraient le protéger. 

[23]           La SPR a conclu que le témoignage du demandeur principal à ce sujet était confus. Elle a mentionné qu’il n’y avait pas de preuve que le risque avait diminué parce que les menaces étaient répétées. De plus, la SPR s’est demandé pourquoi le demandeur ne s’était pas adressé aux autorités lorsqu’il avait été exposé à un risque en raison des menaces antérieures, mais qu’il avait décidé de le faire une fois que les menaces avaient été répétées. Elle a aussi mentionné que le demandeur principal avait produit un document qui démontrait que des membres de sa famille n’avaient reçu aucune protection des autorités, en dépit du fait qu’ils avaient signalé des incidents.

[24]           La SPR a conclu que, bien qu’il ait tenté d’expliquer son récit, le demandeur avait livré un témoignage confus. Même s’il s’était présenté aux autorités, comme il l’a affirmé, la seule raison pour laquelle il l’avait fait était pour obtenir une preuve qu’il avait demandé une protection et que cette protection ne lui avait pas été offerte. La SPR a relevé qu’il avait seulement eu des contacts avec les autorités à deux reprises, soit le 5 avril et le 7 mai 2010. Elle a aussi relevé que les agents du GAULA avaient dit au demandeur, après que ce dernier avait refusé de suivre leur plan, qu’ils ne lui remettraient pas le rapport avant d’avoir procédé à une arrestation. La SPR a inféré, à partir de la réponse de l’agent, que les policiers ne croyaient pas que le demandeur avait été victime d’extorsion de la part des FARC et qu’ils voulaient s’assurer que sa plainte était authentique avant de lui remettre une copie. La SPR a conclu que le demandeur principal voulait seulement de la documentation démontrant qu’il était allé voir les autorités et qu’il avait signalé les incidents.

[25]           La SPR a conclu que le demandeur principal s’était adressé aux autorités colombiennes dans le seul but de créer des éléments de preuve visant à renforcer sa demande d’asile frauduleuse. Elle a mentionné que le demandeur avait relaté dans son témoignage qu’il s’était rendu au Bureau du procureur général à Bogota dans le but d’obtenir la preuve qu’il avait signalé l’incident, et non pour se plaindre de la conduite de la police. Le demandeur a aussi relaté qu’il voulait cet élément de preuve pour le montrer à l’ombudsman, et qu’il s’était ensuite rendu au Bureau de l’ombudsman pour demander de l’aide, car il n’en recevait aucune de la police. 

[26]           La SPR a aussi conclu que le demandeur principal n’avait pas donné assez de temps aux organisations non policières auxquelles il s’était adressé pour qu’elles fassent enquête relativement à ses plaintes. Il a affirmé, au cours de son témoignage, qu’il avait communiqué avec l’Action sociale, le représentant de la ville de Grenada, l’ombudsman et le Bureau du procureur. La SPR a fait remarquer qu’il avait pris contact avec les policiers le 7 mai 2010, puisqu’il s’était adressé à des organisations non policières pour obtenir de l’aide, avant de quitter la Colombie le 14 juin 2010. Bien que le demandeur principal ait relaté dans son témoignage que, lorsque l’ombudsman recevait une plainte, celui-ci envoyait habituellement une réponse écrite, mais qu’il n’en avait reçu aucune, la SPR a conclu que la croyance du demandeur selon laquelle sa plainte n’avait pas fait l’objet d’une enquête était conjecturale. Sa plainte à l’ombudsman avait reçu une attention adéquate; toutefois, les demandeurs avaient quitté la Colombie avant que l’enquête ne soit terminée, car le demandeur avait inventé ses allégations dans le but d’étayer une demande d’asile.

[27]           La SPR a aussi fondé sa conclusion, selon laquelle le demandeur principal s’était adressé aux autorités en invoquant des allégations de persécution sans fondement uniquement dans le but de renforcer sa demande d’asile, sur le fait qu’il a relaté, dans son témoignage, qu’il allait subir un préjudice s’il attendait que l’enquête ait lieu. Lors de l’audience, la SPR lui a demandé pourquoi il avait porté plainte s’il avait l’intention de quitter la Colombie, et il a répondu qu’il voulait demander une protection, pour voir s’il allait l’obtenir avant son départ. La SPR a mentionné qu’il n’y avait aucune preuve convaincante démontrant qu’il avait demandé la protection de l’État de manière sérieuse. Le demandeur principal a relaté que la police n’avait jamais communiqué avec lui. La SPR a conclu que le demandeur ne souhaitait pas obtenir de l’aide en Colombie. Sa crainte de persécution n’était pas fondée, car il n’avait pas été persécuté en Colombie.

[28]           La SPR a aussi conclu que le demandeur principal n’était pas crédible en raison des incohérences contenues dans son témoignage. Il a relaté que les FARC avaient commencé à manifester un intérêt à son égard lorsqu’il avait fondé une entreprise de transport. L’échange suivant a eu lieu au cours de l’audience :

[traduction]

 

SPR :   À quel moment avez-vous commencé à faire du transport public? Je crois que vous avez mentionné à (inaudible) lettre que vous aviez deux taxis publics sur la route?  

 

DP :     Oui, c’est exact. J’ai donné à mon avocat un certificat, concernant un des véhicules, lequel a commencé à être exploité en 2009, et auparavant, j’avais lancé une autre société en 2009, mais je n’avais pu obtenir le certificat à temps. 

 

SPR :   Vous possédiez des véhicules ou des sociétés?

 

DP :     Des véhicules, des véhicules.

 

SPR :   Vous possédiez des véhicules?

 

DP :     Deux véhicules.

 

[...]

 

SPR :   Donc, au total, combien de voitures possédiez-vous?

 

DP :     Deux.

 

SPR :   Possédiez-vous des camions ou des fourgonnettes?

 

DP :     Non.

 

[...]

 

SPR :   Quelle voiture conduisiez-vous?

 

DP :     Une toute petite voiture, une Renault Twingo, une très petite Twingo.

 

SPR :   S’agit-il de la voiture mentionnée à la [pièce] C-7?

 

DP :     Non, ce n’est pas la même.

 

SPR :   S’agit-il de la voiture pour laquelle vous n’aviez pas été capable d’obtenir de documentation?

 

DP :     Non, ce n’est pas le même, c’est la petite voiture que j’utilisais à Madrid pour me rendre au travail.

 

SPR :   Je vous ai demandé plus tôt combien de voitures vous aviez, et vous avez répondu deux, mais maintenant, il semblerait que vous en aviez au moins trois? Pouvez-vous m’expliquer cela?

 

DP :     Oui, c’est vrai, j’ai fait mention des deux véhicules précédemment, celles que j’avais pour le travail dans la région des plaines de l’Est. Celui-là, c’était mon véhicule personnel.

 

SPR :   La raison pour laquelle vous croyiez que c’était le cas, lorsque je renvoyais à ce petit véhicule que vous aviez à Madrid, lorsque je vous ai demandé il y a de cela une minute combien de voitures vous possédiez ---

 

Conseil : Monsieur, j’ai écrit votre question, qui était la suivante : [traduction] « À quel moment avez-vous commencé à faire du transport public, une couple de voitures de taxi. » La question que vous posiez portait sur les voitures utilisées pour le transport public.

 

SPR :   Bien, laissez-moi examiner mes notes, maître. Voici ma question : [traduction] « Au total, combien de voitures possédiez-vous? » [traduction] « Deux. » [traduction] « Possédiez-vous des camions ou des fourgonnettes? » [traduction] « Non. » 

           

            Je n’ai pas posé de questions au sujet des taxis et, si je l’ai fait, alors je ne m’en souviens plus. Je crois que cela avait été abordé, mais c’était – mais c’était plus tôt, le cas échéant. Je ne pourrais vous répondre sans examiner mes notes, mais je peux vous dire clairement que je voulais savoir ---

           

 

[29]           La SPR a fait remarquer que, lorsque le demandeur principal a décrit la manière dont il était allé porter le montant d’argent aux FARC en mars 2010, il a affirmé qu’il conduisait une troisième voiture, qui était sa voiture personnelle. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur principal était incohérent quant à cette question et a rejeté son explication. Elle a affirmé qu’il croyait que la question portait sur un document qu’il lui avait soumis, lequel portait sur un véhicule qu’il possédait. La SPR a fait remarquer qu’elle lui avait demandé combien de véhicules il possédait et qu’il avait répondu qu’il en possédait deux. La SPR a conclu, en se fondant sur cette incohérence, que le demandeur principal n’avait pas donné d’argent aux FARC et que ces dernières n’avaient pas communiqué avec lui.

[30]           La SPR a conclu que la crainte subjective du demandeur principal d’être persécuté ne reposait sur aucun fondement. Elle a conclu qu’il s’était adressé à plusieurs autorités en Colombie; son conseil a affirmé, lors de l’audience, que la SPR utilisait ce fait contre lui et que cela le mettait dans une situation impossible. La SPR a fait remarquer que les demandeurs d’asile sont encouragés à présenter des éléments de preuve documentaires à l’appui de leur demande d’asile, mais que, lorsqu’un demandeur d’asile n’est pas crédible, elle doit apprécier la valeur probante de la preuve documentaire en question. La SPR a conclu que le demandeur principal s’était adressé aux autorités colombiennes dans le but de laisser une trace écrite, et non pas parce qu’il était persécuté par les FARC.

[31]           La SPR a aussi jeté un coup d’œil sur les documents que le demandeur avait déposé et qui provenaient du procureur général, de l’ombudsman et des FARC. Elle a fait remarquer que la valeur probante des documents dépendait de leur auteur, des compétences de celui-ci, de la corroboration et des motifs pour lesquels les documents avaient été rédigés. La SPR a aussi mentionné que, dans la décision Syed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 597 (CF), le juge Pierre Blais avait confirmé la décision de la SPR, alors que celle‑ci avait accordé peu de poids à un rapport d’un médecin, dans un cas où elle estimait que le demandeur d’asile n’était pas crédible, en raison des incohérences et des invraisemblances relatées par ce dernier.

[32]           La SPR a conclu que le demandeur principal manquait en général de crédibilité, compte tenu des problèmes relativement aux questions importantes. Elle n’a tout simplement pas cru que les incidents relatés par le demandeur s’étaient réellement produits.

            La protection de l’État

[33]           Subsidiairement à sa conclusion générale quant à la crédibilité, la SPR a examiné la question de savoir si le demandeur principal pouvait se réclamer de la protection de l’État en Colombie

[34]           La SPR a conclu que le demandeur principal s’était adressé aux autorités colombiennes pour obtenir une protection, mais qu’il n’avait plus communiqué avec elles après l’incident du 7 mai 2010 – alors qu’il avait refusé de participer au plan élaboré par les agents du GAULA pour confronter les FARC. Le demandeur a aussi relaté dans son témoignage qu’il s’était rendu au Bureau de l’ombudsman – et a fourni une lettre en ce sens – et qu’il s’était adressé à trois autres organismes, mais la SPR a conclu qu’il n’avait pas fourni de preuve convaincante démontrant qu’il s’était adressé à d’autres organismes pour obtenir de l’aide. Si le demandeur s’était adressé à qui que ce soit d’autre pour obtenir une protection, il l’aurait fait après s’être rendu au Bureau de l’ombudsman, le 1er juin 2010. Il avait ensuite quitté la Colombie le 14 juin 2010, laissant ainsi seulement deux semaines aux autres organismes pour mener une enquête relativement à ses plaintes. 

[35]           La SPR a mentionné que la décision Romero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immmigration), 2008 CF 997, établit que, lorsqu’un demandeur d’asile choisit de fuir avant que la police n’ait eu l’occasion de mener une enquête, il n’est pas possible de conclure à l’absence de protection de l’État. Elle a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve convaincant qui démontrait que la police ne menait pas une enquête quant à sa plainte, et que le fait que le demandeur avait quitté la Colombie pouvait avoir contrecarré cette enquête.

[36]           La SPR a aussi fait référence à la présomption relative à la protection de l’État, établie dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. Elle a conclu que, bien que le demandeur eût usé d’un stratagème élaboré pour ce qui est des organismes de protection auxquels il disait s’être adressé, il n’avait pas laissé suffisamment de temps à ces organismes pour traiter sa plainte. Le demandeur principal avait relaté dans son témoignage que la police n’avait rien fait après qu’il eut formulé sa plainte, mais avait aussi relaté que les policiers étaient venus à son domicile et avaient suggéré une marche à suivre, qu’il avait refusé, car il la jugeait trop risquée. De plus, il n’avait pas donné à l’ombudsman, ainsi qu’aux autres organismes auxquels il s’était adressé, le temps de mener une enquête quant à sa plainte. La SPR a conclu qu’il n’y avait pas de preuve démontrant que la police ne faisait pas enquête quant à sa plainte. De plus, elle a conclu que la création des unités du GAULA démontrait que le gouvernement prenait des mesures dans le but de protéger les groupes pris pour cible et qu’il fallait présumer de l’efficacité de cette protection. Après l’intervention des agents du GAULA, les FARC ne l’avaient effectivement plus sollicité.

[37]           La SPR a affirmé que l’efficacité de la protection de l’État était un facteur pertinent à considérer, mais que la Cour avait conclu que le critère applicable n’était pas celui de l’efficacité, mais plutôt celui du caractère adéquat. La SPR a conclu que la Colombie avait reconnu ses problèmes passés et qu’elle déployait des efforts sérieux pour protéger ses citoyens. Le gouvernement de la Colombie fait des efforts pour combattre les violations des droits de la personne et a mis sur pied plusieurs organismes dont la mission consiste à lutter contre l’extorsion et les enlèvements. Au vu de l’ensemble de la preuve, la SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante.

[38]           La SPR a conclu son analyse relative à la protection de l’État en passant en revue la jurisprudence quant à cette question. Elle a relevé que le fardeau de réfuter la protection de l’État, dont les demandeurs d’asile doivent s’acquitter, est proportionnel au degré de démocratie de l’État dont ils se réclament de la protection. Bien que les demandeurs aient demandé la protection de la Colombie, la SPR a mentionné que la preuve documentaire dont elle disposait indiquait que le Mexique [sic] est un État démocratique tenant des élections libres et équitables. La SPR a conclu que, dans les pays comme le Mexique [sic], les demandeurs d’asile doivent en faire davantage pour démontrer qu’ils se sont adressés à la police pour obtenir une protection et que leurs démarches se sont avérées infructueuses.

[39]           La SPR a conclu que les demandeurs étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger et a, par conséquent, rejeté leur demande d’asile.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[40]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans leur demande :

a)                  La SPR a-t-elle commis une erreur en ne tirant aucune conclusion quant à l’article 97?

b)                  La conclusion tirée par la SPR quant à la crédibilité était-elle raisonnable?

c)                  La conclusion tirée par la SPR quant à la protection de l’État était-elle raisonnable?

d)                 La conclusion tirée par la SPR quant au fait que le demandeur n’avait aucune crainte subjective était-elle raisonnable?

e)                  La SPR a-t-elle appliqué le bon critère en ce qui a trait à la protection de l’État?

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[41]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé que l’analyse relative à la norme de contrôle ne s’impose pas dans tous les cas. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs formant l’analyse relative à la norme de contrôle. 

[42]           Dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a statué que les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité sont au cœur même de ses conclusions de fait, et qu’elles doivent par conséquent être appréciées eu égard à la norme de contrôle de la raisonnabilité. Finalement, dans la décision Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, le juge Michael Kelen a conclu, au paragraphe 17, que la norme de contrôle applicable à une conclusion en matière de crédibilité est la raisonnabilité. La norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige est la raisonnabilité.

[43]           Dans l’arrêt Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 36, que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la protection de l’État était la raisonnabilité. Cette approche a été suivie par le juge Leonard Mandamin dans la décision Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17. De plus, dans la décision Chaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, la juge Danièle Tremblay-Lamer a conclu, au paragraphe 11, que la norme de contrôle applicable à une conclusion concernant la protection de l’État était la décision raisonnable simpliciter. La norme de contrôle applicable à la troisième question en litige est la raisonnabilité.

[44]           Dans la décision Cornejo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 261, le juge Kelen a conclu, au paragraphe 17, que la norme de contrôle applicable à l’appréciation de la crainte subjective de persécution était la raisonnabilité. Le juge John O’Keefe a tiré une conclusion similaire, au paragraphe 20 de la décision Brown c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 585. La norme de contrôle applicable à la quatrième question en litige est la raisonnabilité.

[45]           Lorsque la Cour contrôle une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse aura trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait seulement intervenir si la décision est déraisonnable, au sens où elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[46]           Dans la décision Uwase c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 1332, le juge Yves de Montigny a statué que « la SPR est tenue d’évaluer les menaces et les risques objectifs mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR lorsque les éléments de preuve qui ont été présentés sont susceptibles d’étayer une telle conclusion quant au risque, et ce, même si elle a rejeté une demande fondée sur l’article 96 pour des motifs de crédibilité » (voir aussi Bouaouni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, au paragraphe 41). En ce qui concerne la première question en litige, la cour de révision doit tirer sa propre conclusion quant à savoir si la SPR s’est acquittée de cette obligation (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 50). La norme de contrôle applicable à la première question en litige est la décision correcte.

[47]           Quant à la cinquième question en litige, dans la décision Saeed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1016, le juge Yves de Montigny a statué, au paragraphe 35, que le contrôle de l’application du critère de la protection de l’État par la SPR devait se faire suivant la norme de la décision correcte. Le juge Paul Crampton a tiré une conclusion similaire dans la décision Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 30. La norme de contrôle applicable à la cinquième question en litige est la décision correcte.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[48]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

           

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[...]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.


[...]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[...]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[...]

LES ARGUMENTS

Les demandeurs

            La conclusion quant à la crédibilité était déraisonnable

                        Les récits des neveux

 

[49]           Les demandeurs prétendent que la conclusion générale de la SPR quant à leur crédibilité était déraisonnable, car elle avait omis de tenir compte de la preuve liée aux demandes d’asiles au Canada que les neveux du demandeur principal avaient présentées. Une partie de la crainte du demandeur principal envers les FARC repose sur le fait que son beau-frère – le père de ses neveux – avait été tué par les FARC, parce qu’il ne leur avait pas donné l’argent qu’elles exigeaient. La SPR avait, en raison de cet événement, accueilli leurs demandes d’asile; dans la présente affaire, la SPR disposait de leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP). D’autres commissaires de la SPR avaient conclu que les versions des faits présentées par les neveux étaient crédibles; celles-ci comprenaient des aspects du récit du demandeur principal. De plus, dans la présente affaire, la SPR disposait d’autres éléments de preuve documentaire qui établissaient la véracité des récits des neveux. La SPR a commis une erreur en concluant que le récit du demandeur principal était totalement invraisemblable, alors qu’elle n’a invoqué aucun des motifs ou des éléments de preuve qu’elle ne croyait pas dans les demandes d’asiles des neveux.

La demande d’argent

[50]           Les demandeurs prétendent aussi que la manière dont la SPR a traité la version des faits du demandeur principal, selon laquelle il avait donné aux FARC seulement la moitié de la somme d’argent qu’elles exigeaient, était déraisonnable. La SPR a conclu à la présence d’une contradiction interne dans ce récit : elle a mentionné que la croyance du demandeur principal, selon laquelle les FARC ne l’ennuieraient plus une fois qu’il leur avait versé seulement la moitié de la somme exigée, n’avait aucun sens. Cette conclusion fait abstraction du témoignage du demandeur principal, dans lequel il a relaté qu’il leur avait promis de leur donner la moitié de la somme d’argent seulement après que les membres des FARC lui avaient dit qu’ils allaient le tuer. La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était déraisonnable, car elle a omis de tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

L’inférence à caractère conjectural

[51]           L’inférence de la SPR selon laquelle les policiers n’avaient pas remis au demandeur principal une copie de sa plainte, car ils voulaient voir si sa plainte était authentique, était une conjecture. La décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131, au paragraphe 7, énonce que les conclusions d’invraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents et qu’elles ne peuvent avoir un caractère conjectural. L’inférence quant au motif pour lequel la police n’avait pas donné au demandeur principal une copie de sa plainte ne répond pas à ces deux critères.

L’appréciation microscopique

[52]           La SPR s’est livrée à une appréciation microscopique de la preuve en se fondant sur une incohérence apparente dans le nombre de voitures que le demandeur principal possédait pour remettre en question la crédibilité de celui-ci. Le nombre de voitures qu’il possédait n’était pas une question fondamentale à l’égard de sa demande d’asile, et cette incohérence ne pouvait démontrer qu’il n’avait pas donné d’argent aux FARC. En se livrant à une telle appréciation microscopique, la SPR a commis l’erreur au sujet de laquelle la décision Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 20, faisait une mise en garde.

Le traitement incohérent de la preuve

[53]           De plus, la SPR a déraisonnablement eu recours à la preuve présentée par la sœur du demandeur principal dans le but de miner sa crédibilité, tout en concluant en même temps que cette preuve n’était pas crédible. La SPR a souligné l’expérience que sa sœur avait eue avec les FARC – lorsqu’elles avaient tué l’époux de celle-ci – pour démontrer que les FARC avaient continué d’ennuyer sa sœur et la famille de celle-ci, même après que ces dernières avaient payé la somme exigée. Ce fait a ensuite été employé pour établir que la croyance du demandeur principal, suivant laquelle les FARC ne l’ennuieraient plus une fois qu’il leur aurait donné la somme d’argent exigée, était déraisonnable. La SPR a aussi mentionné que le demandeur principal savait que les FARC commettaient des meurtres, parce qu’elles avaient tué son beau-frère. Parallèlement, la SPR a conclu que l’exposé circonstancié du demandeur principal, dans lequel le meurtre de son beau-frère occupait une place importante, était une pure invention. La manière dont la SPR a traité cet élément de preuve confère un caractère abusif et arbitraire aux conclusions qu’elle a tirées.

L’omission de tirer une conclusion quant à l’article 97

[54]           La SPR n’a pas tiré de conclusions quant à la demande fondée sur l’article 97 de la Loi, parce qu’elle a conclu que l’absence de crainte subjective du demandeur principal était suffisante pour trancher les deux demandes. Bien que la crainte subjective soit un élément de toutes les demandes fondées sur l’article 96 de la Loi, les demandeurs affirment que cette crainte ne fait pas partie d’une demande d’asile fondée sur l’article 97. La SPR n’a pas tiré de conclusion quant au lien avec la Convention, ce qui laissait la porte ouverte à une demande d’asile fondée sur l’article 97. La SPR a ensuite commis une erreur, en omettant de tirer une conclusion quant à l’article 97.

                        La crainte subjective

[55]           Les demandeurs prétendent aussi que la conclusion de la SPR à l’égard de la crainte subjective, que cette dernière a invoquée pour passer outre à l’analyse fondée sur l’article 97, était déraisonnable. En concluant que l’omission des demandeurs de quitter la Colombie démontrait que ceux-ci n’avaient aucune crainte subjective, la SPR a fait fi de la jurisprudence établissant qu’il n’existe aucune règle stricte quant au moment où les demandeurs d’asile doivent quitter leur pays pour établir une crainte subjective. Le retard doit être apprécié à la lumière des faits de chaque affaire. La SPR n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur principal, dans lequel ce dernier a relaté que les FARC lui avaient donné jusqu’au 26 juin 2010 pour leur verser l’argent, à défaut de quoi elles enlèveraient son épouse ou un de ses fils. Les demandeurs avaient quitté la Colombie deux semaines avant la date limite imposée par les FARC. La SPR n’a pas non plus tenu compte du témoignage du demandeur principal selon lequel il avait retardé son départ de la Colombie, car ce n’était pas facile à faire.

La conclusion quant à la protection de l’État

                        Le fardeau inapproprié

 

[56]           Les demandeurs prétendent que la SPR leur a imposé un fardeau trop lourd quant à la présomption relative à la protection de l’État qu’ils devaient réfuter. Ils devaient effectivement démontrer qu’ils avaient épuisé tous les recours qui s’offraient à eux afin de réfuter la présomption relative à la protection de l’État. L’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, enseigne que, en ce qui a trait aux États-Unis (les É.-U.), les demandeurs d’asile doivent démontrer qu’ils ont épuisé tous les recours par lesquels ils pouvaient se prévaloir de la protection de l’État. Dans des pays comme la Colombie, où les institutions démocratiques ne sont pas aussi fortes qu’elles le sont aux É.-U., les demandeurs d’asile n’ont pas à démontrer qu’ils avaient épuisé l’ensemble des recours dont ils pouvaient se prévaloir. En exigeant aux demandeurs de satisfaire au critère applicable aux demandeurs d’asile provenant des É.-U., plutôt qu’à celui qui est propre à la Colombie, la SPR leur a imposé un fardeau trop lourd.

[57]           De plus, la SPR a renvoyé à la preuve relative à la situation existant au Mexique, plutôt qu’en Colombie. La preuve relative au Mexique ne pouvait démontrer le fardeau de preuve dont les demandeurs devaient s’acquitter. Cela rend déraisonnable la conclusion de la SPR concernant la protection de l’État.

[58]           De plus, lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État, la SPR a omis de tenir compte de la preuve fournie par la sœur du demandeur principal. Les FARC avaient tué le beau-frère du demandeur, ce qui démontrait que ce dernier ainsi que sa famille, y compris la sœur du demandeur principal, ne pouvaient se réclamer de la protection de l’État. La SPR disposait d’une preuve en ce sens. La sœur et le beau-frère du demandeur principal étaient dans la même situation que les demandeurs, de sorte que la SPR aurait dû tenir compte de la preuve qui démontrait qu’ils ne pouvaient se prévaloir de la protection de l’État.  

Le critère inadéquat

[59]           Les demandeurs contestent aussi la conclusion tirée par la SPR concernant la protection de l’État, au motif qu’elle n’a pas appliqué le bon critère à cet égard. Dans la décision Bautista c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 126, le juge Michel Beaudry avait annulé une décision de la SPR, dans laquelle elle avait employé le même langage que celui qu’elle avait utilisé dans la présente affaire. Le juge Beaudry a statué que la SPR avait commis une erreur en examinant les structures que le Mexique tentait de mettre en place, plutôt que ce qui s’était réellement produit sur le terrain. La SPR a commis la même erreur en l’espèce.

Le défendeur

[60]           Les conclusions de la SPR portant que le demandeur n’était pas crédible et que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État en Colombie étaient raisonnables. Ces conclusions étaient fondées sur la preuve dont la SPR disposait, de sorte que la Cour ne devrait pas intervenir quant à la décision.

Les conclusions sont fondées sur la preuve

[61]           Lorsque la SPR a conclu que le demandeur principal n’était pas crédible, elle avait fondé cette conclusion sur quatre incohérences principales contenues dans la preuve qu’il avait produite :

a)                  Le demandeur croyait que les FARC ne l’ennuieraient plus, après qu’il aurait payé la moitié de la somme exigée, et ce, malgré le fait qu’il savait de quelle manière les FARC exerçaient leurs activités;

b)                  Son retard à quitter la Colombie n’était pas compatible avec sa crainte subjective;

c)                  Son explication quant à savoir pourquoi il ne s’était pas immédiatement adressé aux autorités lorsqu’il avait été menacé portait à confusion;

d)                 Son témoignage quant au nombre de voitures dont il était propriétaire était contradictoire.

[62]           La SPR est mieux placée que la Cour pour apprécier la crédibilité d’un demandeur d’asile et pour juger la vraisemblance du témoignage de ce dernier, de sorte que la Cour ne devrait pas intervenir à l’égard de ces conclusions. Il est aussi loisible à la SPR de mettre en doute la crédibilité d’un demandeur d’asile en se fondant sur des contradictions, des incohérences et des invraisemblances.

L’inférence de nature conjecturale n’a aucune importance

[63]           L’inférence de la SPR relative aux motifs pour lesquels les agents du GAULA n’avaient pas donné une copie de la plainte au demandeur principal n’a aucune incidence dans la présente affaire. La décision ne devrait pas être annulée pour ce motif.

Le nombre de voitures avait une importance

[64]           Bien que les demandeurs aient qualifié de microscopique la manière dont la SPR avait traité le témoignage du demandeur principal à propos du nombre de voitures qu’il possédait, ce témoignage avait une importance significative. Le demandeur principal a relaté dans son témoignage qu’il avait utilisé sa propre voiture pour aller porter l’argent aux FARC. Si, conformément à ce qu’il a affirmé dans son témoignage, il ne possédait que deux voitures, et que celles-ci étaient utilisées dans l’est du pays, le demandeur principal ne pouvait utiliser sa propre voiture pour aller porter l’argent aux FARC. Il était raisonnable pour la SPR de conclure, pour ce motif, que le demandeur principal n’avait pas donné d’argent aux FARC. La SPR s’est raisonnablement fondée sur les incohérences dans le témoignage et n’a pas fait preuve d’un zèle indu pour les trouver.

La preuve de la sœur

[65]           La SPR a conclu, de manière raisonnable, que le demandeur principal et sa sœur avaient pris les mêmes mesures pour signaler les FARC à la police et pour se plaindre à l’ombudsman. Cette conclusion ne contredisait celle qu’elle avait tirée, selon laquelle le demandeur principal n’avait jamais été menacé par les FARC.

Le retard

[66]           Lorsqu’elle a conclu que le retard du demandeur à quitter la Colombie démontrait qu’il n’avait pas de crainte subjective, la SPR n’a pas fait fi du témoignage du demandeur principal selon lequel le fait de quitter son pays était difficile. La SPR a plutôt examiné, pondéré, puis rejeté cette affirmation. Comme l’ont mentionné les demandeurs, le retard doit être apprécié selon les circonstances propres à chaque affaire. Bien que les demandeurs ne souscrivent pas à la manière dont la SPR a pondéré cet élément de preuve, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dans un contrôle judiciaire.

La SPR n’est pas liée par ses propres décisions

[67]           La conclusion de la SPR eu égard à la crédibilité était raisonnable. Les décisions Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, Cortes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 254, et Noha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 683, établissent toutes que chaque demande d’asile doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres et que la SPR n’est pas tenue de suivre les conclusions de fait qu’elle a tirées antérieurement. La SPR savait qu’elle avait précédemment accueilli les demandes d’asiles présentées par les neveux du demandeur principal, mais il est possible que ces décisions avaient été erronées, de sorte qu’elles ne pouvaient être invoquées pour invalider les conclusions tirées dans la présente affaire.

La SPR a tenu compte de l’article 97

[68]           Lorsque la SPR a conclu que le demandeur principal n’avait aucune crainte subjective, elle a clairement mentionné qu’elle avait tiré cette conclusion eu égard à la demande d’asile fondée sur l’article 96, présentée par les demandeurs. Lorsqu’elle a conclu que la protection de l’État était disponible, la SPR a aussi clairement conduit une analyse quant à la demande d’asile fondée sur l’article 97.

La conclusion eu égard à la protection de l’État était raisonnable

[69]           Les demandeurs n’ont pas fourni de preuve convaincante démontrant que les autorités ne faisaient pas enquête quant à la plainte du demandeur principal. Les demandeurs avaient aussi quitté la Colombie seulement deux semaines après que le demandeur principal s’était plaint à l’ombudsman de la conduite de la police. Comme l’ont établi les décisions Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 134, et Romero, précitée, la décision d’un demandeur d’asile de fuir avant que les autorités aient eu assez de temps pour conduire une enquête ne démontre pas que la protection de l’État n’est pas disponible. Les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.  

[70]           La SPR a aussi examiné des documents, provenant de membres de la famille des demandeurs et que ces derniers lui avaient présentés, pour démontrer l’absence de protection de l’État. La SPR a raisonnablement accordé peu de poids à cette preuve, parce que le demandeur principal avait relaté dans son témoignage qu’il s’était adressé à la police, en dépit du fait qu’il savait, selon ce que les membres de sa famille lui avaient dit, que la protection offerte par la police serait inefficace.

La SPR a appliqué le bon critère

[71]           L’arrêt Hinzman, précité, établit que les demandeurs d’asile ont le lourd fardeau de démontrer pourquoi ils n’ont pas poursuivi tous les recours pour se prévaloir de la protection de l’État, dans les cas où ils présentent leur demande à l’encontre d’un État où la démocratie fonctionne bien. La SPR a conclu que la Colombie était l’une de ces démocraties et qu’elle déployait de sérieux efforts pour régler les problèmes passés. Bien que le juge Beaudry ait annulé une conclusion similaire dans la décision Bautista, précitée, cela ne signifie pas que la conclusion tirée dans la présente affaire était déraisonnable. La SPR a renvoyé au Mexique, plutôt qu’à la Colombie, lorsqu’elle a établi le fardeau des demandeurs, mais cela ne rend pas la décision déraisonnable. La SPR n’a pas omis de tenir compte d’éléments de preuve portant sur la protection de l’État, ni mal interprété ceux-ci, de sorte que sa conclusion quant à cet aspect de la demande d’asile des demandeurs était raisonnable. 

La réplique des demandeurs

[72]           Le défendeur a affirmé que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur principal avait quitté la Colombie sans donner le temps à la police de faire enquête était raisonnable; les demandeurs affirment que la date limite fixée par les FARC pour le deuxième paiement explique le moment de leur départ. Le droit n’oblige pas les demandeurs d’asile à mettre leur vie en danger pour la simple possibilité que la protection de l’État leur soit accordée, et, en l’espèce, il y avait des éléments de preuve selon lesquels les autorités n’avaient pas été capables de protéger leur famille par le passé.

[73]           Les demandeurs affirment aussi que l’inférence conjecturale de la SPR quant à la raison pour laquelle les policiers n’avaient pas donné au demandeur principal une copie de sa plainte faisait partie d’un schéma global de conclusions erronées en matière de crédibilité. Cela signifie que, dans son ensemble, la conclusion quant à la crédibilité ne peut être maintenue.

[74]           De plus, la contradiction concernant le nombre de voitures que le demandeur principal possédait ne démontre pas qu’il n’avait pas donné d’argent aux FARC. Le demandeur principal a effectivement relaté dans son témoignage qu’il avait deux véhicules destinés à son entreprise dans l’Est de la Colombie, mais qu’il s’était servi de son véhicule personnel pour livrer l’argent aux FARC.

[75]           Le défendeur a raison lorsqu’il affirme que chaque demande d’asile doit être tranchée selon les circonstances qui lui sont propres et que la SPR n’est pas liée par les conclusions de fond qu’elle a tirées antérieurement. Cependant, cela ne fait pas l’objet d’un litige dans la présente affaire. Les demandeurs contestent plutôt la conclusion de la SPR selon laquelle le récit du demandeur principal était faux, sans qu’elle ait examiné les documents fournis par les neveux. La SPR avait accepté ces documents à d’autres occasions, de sorte qu’il lui incombait de fournir les motifs pour lesquels elle les avaient rejetés dans la présente affaire.

[76]           De plus, les demandeurs ne souscrivent pas à l’interprétation que le défendeur donne à l’arrêt Hinzman, précité. Ils affirment que l’arrêt Hinzman enseigne que c’est seulement dans des pays, comme les États-Unis, où il existe une gamme complète de mécanismes de contrepoids entre les trois branches du gouvernement, que les demandeurs d’asile ont l’obligation d’épuiser l’ensemble des recours pour obtenir une protection. Dans un pays doté d’institutions démocratiques et de mesures de protection plus faibles, les plaignants n’ont pas à démontrer qu’ils avaient exercé autant de recours pour obtenir la protection de l’État. De plus, lorsque la SPR s’est penchée sur la situation de la démocratie au Mexique, elle n’a pas démontré que la Colombie était dans une situation similaire à celle des É.‑U. Par conséquent, le fardeau incombant au demandeur quant à la réfutation de la présomption relative à la protection de l’État en Colombie ne peut être aussi lourd qu’il l’est pour les demandeurs d’asile provenant des É‑U.

ANALYSE

[77]           Les demandeurs ont soulevé un certain nombre de fondements d’une erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et à l’absence de crainte subjective. Cependant, ces conclusions sont soutenues par une conclusion subsidiaire selon laquelle la protection de l’État est adéquate. À moins que les demandeurs puissent établir qu’il existe une erreur susceptible de contrôle eu égard à la conclusion relative à la protection de l’État, leur demande de contrôle judiciaire devra être rejetée.

[78]           Les demandeurs affirment que la SPR a renvoyé aux conditions relatives au Mexique plutôt qu’à la Colombie. Cette erreur s’est bel et bien produite, mais une lecture de la décision dans son ensemble ainsi que de la documentation sur laquelle s’est fondée la SPR démontre clairement qu’il s’agissait d’une erreur typographique commise par inadvertance. Je suis convaincu que l’analyse relative à la protection de l’État a été effectuée à l’égard de la Colombie (voir Portillo Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 648, au paragraphe 12).  

[79]           Les demandeurs affirment que la SPR ne s’est pas penchée sur le degré de démocratie qui prévaut en Colombie et qu’elle a fondée son analyse sur la situation existant aux É.‑U., conformément à l’arrêt Hinzman, précité.

[80]           Il ressort clairement de l’ensemble de la décision que la SPR savait pleinement que le degré de démocratie a une incidence sur ce que l’on s’attend qu’un demandeur d’asile fasse pour réfuter la présomption que la protection de l’État est adéquate (voir paragraphe 57). Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, sans égard à l’erreur typographique concernant le « Mexique », la SPR s’est penchée sur le degré de démocratie qui prévalait en Colombie et qu’elle n’a pas simplement présumé que celui-ci était équivalent à celui des É.‑U. Les demandeurs ont reconnu, au cours de l’audience devant moi, que la Colombie tenait des élections libres et équitables, mais ils affirment que la SPR a fait fi des problèmes touchant l’appareil judiciaire.

[81]           La SPR a affirmé que la Colombie est dotée « d’un appareil judiciaire relativement indépendant et impartial ». Il est donc clair que la SPR savait que l’appareil judiciaire colombien n’était pas entièrement indépendant, mais qu’il ne l’était que « relativement », et que la SPR savait parfaitement qu’elle ne devait pas examiner la Colombie de la même manière qu’elle examinerait les É.‑U.

[82]           Le rapport du Département d’État des É.‑U., intitulé 2009 Human Rights Reports: Columbia (le rapport du Département d’État), dont disposait la SPR dans la présente affaire, contient les renseignements suivants :

[traduction]

 

Bien que l’indépendance du pouvoir judiciaire soit prévue par la loi, une grande partie de l’appareil judiciaire était surchargée, inefficace et entravée par la corruption et l’intimidation des juges, des procureurs et des témoins. Dans ces circonstances, malgré que le gouvernement ait pris des mesures pour régler ces problèmes, l’impunité de ces actes reste un sérieux problème. Le Conseil supérieur de la magistrature (le CSM) a rapporté que l’appareil judiciaire civil était aux prises avec un important arriéré, ce qui faisait en sorte qu’un important nombre de personnes étaient détenues avant leur procès. La mise en œuvre du nouveau régime accusatoire en matière criminelle a réduit de plus de 75 p. 100 le délai de traitement des nouvelles affaires criminelles, et le taux de déclaration de culpabilité est d’environ 60 p. 100 sous le nouveau régime, alors qu’il était de 3 p. 100 sous l’ancien régime inquisitoire. Cependant, un important arriéré subsiste quant aux affaires intentées sous l’ancien régime.

 

Les autorités judiciaires ont été exposées à des menaces et à des actes de violence. Selon le programme de protection en vigueur au sein du Bureau du procureur général, plus de 470 employés de l’appareil judiciaire ont, au cours de l’année, demandé au CSM de leur fournir diverses formes de protection pour plusieurs motifs, y compris les menaces. Bien que le Bureau du procureur général ait offert un programme de protection des témoins dans les affaires criminelles, les témoins qui n’adhéraient pas à celui-ci restaient vulnérables à l’intimidation, et bon nombre d’entre eux ont refusé de témoigner.

 

La rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, Gabriella Carina Knaul de Albuquerque e Silva, a rapporté qu’il existe un haut degré de menaces et d’attaques envers les officiers de justice, tels que les juges, les avocats de la défense, les procureurs et les enquêteurs, ainsi que sur les civils qui jouent un rôle au sein de l’appareil judiciaire, tels que les témoins et les victimes. La rapporteuse spéciale a reconnu que le gouvernement était doté de programmes de protection, mais a tout de même appelé à des mesures accrues pour assurer la protection des officiers de justice. La rapporteuse spéciale a souligné que les menaces contre le personnel judiciaire contribuaient au degré élevé d’impunité, au même titre que l’insuffisance des ressources investies dans l’administration de la justice et le caractère inadéquat des enquêtes initiales.

 

 

[83]           Lorsqu’on lit la décision dans son ensemble, il est clair que la SPR est pleinement consciente des problèmes mentionnés dans le paragraphe précédent et qu’elle en a tenu compte. Par exemple, au paragraphe 50 de la décision, la SPR a mentionné ce qui suit :

[...] Toutefois, les allégations d’impunité sont encore répandues, en raison, dans certains cas, de l’entrave à la justice, d’un manque de ressources pour les enquêtes et la protection des témoins et des enquêteurs, et d’une piètre coordination entre les organismes gouvernementaux. [...]

 

 

[84]           La SPR reconnaît aussi l’existence des mêmes problèmes dans ses conclusions :

Toutefois, il existe parallèlement des éléments de preuve convaincants qui démontrent que la Colombie reconnaît ouvertement les problèmes qu’elle a connus par le passé et fait de sérieux efforts pour enrayer la corruption et l’impunité. Le tribunal reconnaît que la Colombie a de la difficulté à lutter contre la criminalité et la corruption qui existent au sein de ses forces de sécurité. Il reconnaît que plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire comportent des incohérences; cependant, selon la prépondérance des éléments de preuve objectifs concernant la situation actuelle dans le pays, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte aux victimes de criminalité en Colombie est adéquate, la Colombie déploie de sérieux efforts pour enrayer la criminalité et la police est disposée et apte à protéger les victimes.

 

 

[85]           Bien qu’aucune des parties n’ait soulevé cette question lors de l’audience devant moi, le dossier démontre que, lorsque la SPR a instruit l’affaire concernant les demandeurs et a rendu sa décision, une nouvelle version du Cartable national de documentation sur la Colombie de la SPR était disponible, laquelle comprenait le 2010 Human Rights Report du Département d’État des É.‑U. J’ai attentivement comparé les deux rapports et je n’ai trouvé aucune différence importante avec la situation en Colombie sur laquelle la SPR s’était fondée. Par conséquent, je ne considère pas cela comme étant une erreur importante.

[86]           Somme toute, je ne crois pas que l’on puisse affirmer que la SPR n’a pas reconnu et qu’elle n’a pas pris en considération les problèmes minant l’appareil judiciaire de la Colombie, la « criminalité et la corruption qui existent au sein de ses forces de sécurité » et l’« entrave à la justice » lors de son appréciation du caractère adéquat de la protection de l’État que la Colombie offre aux personnes qui sont dans la situation des demandeurs. Les demandeurs ne souscrivent pas aux conclusions tirées par la SPR à cet égard, mais je ne peux dire que ces conclusions n’appartiennent pas aux issues décrites dans l’arrêt Dunsmuir.

[87]           De plus, aucun critère inapproprié n’a été appliqué en l’espèce. La SPR ne s’est pas seulement penchée sur les efforts déployés par les autorités de la Colombie pour offrir une protection, mais aussi sur [traduction] « l’absence de lacunes opérationnelles » (voir Park c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1269, au paragraphe 56). La SPR a reconnu les « sérieux efforts » déployés par la Colombie pour « enrayer la corruption et l’impunité », mais a aussi traité du [traduction] « caractère adéquat » de la protection qui peut être offerte et a conclu que la Colombie possédait une « force policière efficace ». À titre d’exemple, la SPR s’est penchée sur l’expérience qu’avait vécue le demandeur principal avec l’unité du GAULA, qui avait été précisément établie pour lutter contre l’extorsion et les enlèvements :

[...] De l’avis du tribunal, la création et les activités du GAULA démontrent que le gouvernement prend des mesures pour protéger le groupe pris pour cible, et, en l’absence d’une preuve contraire, il faut présumer que ces mesures seront efficaces.

 

 

[88]           Lors de l’audience qui s’est déroulée devant moi, j’ai précisément demandé à l’avocat des demandeurs de me montrer des éléments de preuve ou des arguments figurant au dossier dont la SPR disposait qui donnaient à penser qu’il existait des lacunes opérationnelles ou une conclusion contraire à celle tirée par la SPR. Si on fait abstraction du facteur de l’indépendance de l’appareil judiciaire, que j’ai déjà abordé, l’avocat a mentionné qu’il n’avait pas connaissance de tels éléments de preuve. Cela n’est guère surprenant, compte tenu du témoignage même du demandeur principal devant la SPR quant à la raison pour laquelle il s’était adressé à la police :

[traduction]

 

 

SPR :   Sachant cela, pourquoi avez-vous choisi de vous adresser à la police le 5 avril 2010 pour signaler l’incident?

 

DP :     C’était une décision que mon épouse et moi-même avions prise, après l’ensemble des menaces répétées dont nous avions fait l’objet. Nous croyions que, en nous adressant à la police nationale, aux autorités, que ces dernières pourraient nous offrir une certaine forme de protection.

 

SPR :   Qu’est-ce qui vous faisait croire que vous obtiendriez une protection?

 

DP :     Ce sont les autorités de mon pays, et je crois que leur mission est de protéger la population civile.

 

[89]           La preuve montre également que l’unité du GAULA a répondu lorsque le demandeur principal a demandé à être protégé. Le rapport du Département d’État mentionne que [traduction] « le GAULA (Groupe d’action unifiée pour la liberté individuelle, formé d’unités militaires et des corps de police formés pour lutter contre les enlèvements et l’extorsion) et d’autres éléments des forces de sécurité ont libéré 64 otages au cours de l’année ». D’autres éléments de preuve dont la SPR disposait décrivaient, avec un certain degré de détail, le fonctionnement des groupes faisant partie du GAULA. Rien de tout cela ne porte à croire qu’il existe des lacunes opérationnelles, ou que le gouvernement ne répond pas au problème et ne met pas en œuvre des mesures opérationnelles pour le régler. Quoiqu’il puisse être arrivé aux autres membres de la famille à d’autres occasions, la SPR devait apprécier le récit des demandeurs quant à leur relation avec les autorités ainsi que la preuve relative à la protection de l’État qui avait été produite dans la présente affaire (voir Bakary, précitée, au paragraphe 10, et Noha, précitée, aux paragraphes 102 et 103), ce qu’elle semble avoir fait en l’espèce.

[90]           En la lisant dans son ensemble, je ne crois pas que l’analyse de la SPR quant à la protection de l’État contienne les erreurs susceptibles de contrôle alléguées par les demandeurs, de sorte qu’elle doit être maintenue. Même si les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et la crainte subjective étaient entachées d’erreurs, il resterait que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption du caractère adéquat de la protection de l’État. Il est bien établi qu’une conclusion portant que la protection de l’État était adéquate est fatale pour les demandes d’asiles fondées tant sur l’article 96 que sur l’article 97 de la Loi, de sorte que la décision doit être maintenue (voir Macias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 598, au paragraphe 14).

[91]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :  

 

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3074-11

 

INTITULÉ :                                      EVER HERNAND HERNANDEZ BOLANOS

                                                            DIANO ROCIO CORTES ALARCON

                                                            ESTABAN FELIPE HERNANDEZ CORTES

                                                            OSCAR MAURICIO HERNANDEZ CORTES

                                           

                                                                                                                                    demandeurs               

                                                            -   et   -

 

                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                  

                                                                                                                        défendeur

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 mars 2012

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 2 mai 2012

 

COMPARUTIONS :   

 

Mordechai Wasserman                                                            POUR LES DEMANDEURS

                                                                                               

Marcia Pritzker Schmitt                                                          POUR LE DÉFENDEUR

                            

                                                                                                                                                                                                                                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Mordechai Wasserman                                                            POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

                                                                                         

Myles J. Kirvan                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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