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Date : 20120502


Dossier : IMM-4047-11

Référence : 2012 CF 506

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

LUZ STELLA CASTRO NINO

LUZ STEPHANIE TAMAYO CASTRO

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               Mme Luz Stella Castro Nino et sa fille, Luz Stephanie Tamayo Castro, ont demandé l’asile au Canada, au motif qu’elles craignaient d’être persécutées pour des raisons politiques dans leur pays natal, la Colombie. Mme Castro Nino a prétendu qu’elle avait été menacée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie [les FARC], car son fils et sa belle-fille étaient engagés politiquement. En 2005, les FARC avaient menacé Mme Castro Nino, dans le but de localiser son fils et sa belle-fille qui avaient quitté la Colombie et avaient demandé l’asile aux États-Unis. Pour éviter d’être la cible d’autres menaces, Mme Castro Nino avait déménagé et avait changé de numéro de téléphone. Elle s’était enfuie aux États-Unis en 2006 avec sa fille, où elles avaient vécu illégalement jusqu’à leur venue au Canada en 2010.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a instruit leur demande d’asile et a conclu qu’elles n’étaient ni des réfugiées, ni des personnes à protéger, puisqu’elles pouvaient se prévaloir de la protection de l’État en Colombie. Mme Castro Nino prétend que la conclusion de la Commission était déraisonnable, compte tenu de la preuve dont elle disposait concernant la situation en Colombie. Elle demande à la Cour d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner qu’un autre tribunal de la Commission examine à nouveau sa demande d’asile.

 

[3]               Je ne vois pas de motifs qui justifieraient l’annulation de la décision rendue par la Commission. À mon avis, son analyse de la preuve et ses conclusions n’étaient pas déraisonnables, compte tenu de la preuve dont elle disposait concernant la protection de l’État. La preuve démontrait aussi que Mme Castro Nino n’avait pas pris de mesures pour obtenir la protection de l’État et qu’elle avait réussi à se soustraire aux FARC simplement en déménageant et en changeant son numéro de téléphone.

II.        La décision de la Commission

 

[4]               La Commission a conclu qu’il y avait une protection de l’État adéquate en Colombie. Elle a toutefois fait remarquer que la Colombie continuait d’éprouver des difficultés dans sa lutte contre les FARC. Ces dernières sont toujours actives dans certaines régions, mais elles ont toutefois tendance à conduire des opérations à petite échelle, comme des enlèvements et de l’extorsion, qui visent particulièrement les gens d’affaires et les personnalités.

 

[5]               La Commission a aussi souligné que le gouvernement de la Colombie faisait des progrès significatifs dans la lutte contre ces problèmes. Le gouvernement avait accru ses ressources militaires et policières, et ses tentatives de mettre un frein aux activités des FARC avaient été couronnées d’un certain succès. Il y avait des éléments de preuve contradictoires quant à la question de savoir si les FARC étaient toujours capables de poursuivre des personnes ciblées qui déménageaient dans une autre région, ou de les suivre à la trace pendant une longue période.

 

[6]               La Commission a aussi examiné un rapport du Conseil canadien pour les réfugiés (The Future of Colombian Refugees in Canada: Are We Being Equitable?) [le rapport du CCR], qui concluait que la protection de l’État en Colombie était inadéquate. Cependant, la Commission a préféré les autres éléments de preuve dont elle était saisie, qui témoignaient des réussites importantes de la Colombie en ce qui concerne sa lutte contre les FARC et l’amélioration de la sécurité de ses citoyens.

 

[7]               Après avoir examiné cette preuve, la Commission a conclu que les FARC n’auraient ni la capacité, ni la volonté de poursuivre les demanderesses à leur retour en Colombie. Elles avaient réussi à se soustraire aux FARC de novembre 2005 à avril 2006, simplement en changeant de numéro de téléphone et en vivant pendant de courtes périodes avec des membres de leur famille. De plus, Mme Castro Nino n’avait pas le profil d’une personne envers qui les FARC continueraient d’avoir un intérêt. En fait, elle n’était pas directement une cible; les FARC s’intéressaient à elle seulement en tant que source de renseignements pour savoir où se trouvaient son fils et sa belle‑fille.

 

[8]               De plus, Mme Castro Nino n’avait déployé aucun effort pour obtenir la protection de l’État après avoir reçu des menaces au téléphone. Elle a expliqué qu’elle ne croyait pas que la protection de l’État lui serait offerte, car les messages de menaces étaient [traduction] « tout simplement des appels » et car les FARC avaient infiltré la police. Cependant, elle n’avait pas une connaissance personnelle de ce fait, ni de preuve pour étayer cette croyance.

 

[9]               La Commission, en se fondant sur sa conclusion portant que la Colombie assurerait une protection de l’État adéquate, a conclu que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

III.       La conclusion de la Commission concernant la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

[10]           Mme Castro Nino prétend que la Commission a commis un certain nombre d’erreurs.

 

[11]           Premièrement, la Commission a mentionné que Mme Castro Nino n’était pas une cible directe des FARC. Cependant, celle-ci a relaté dans son témoignage qu’elle avait été menacée personnellement et que, par conséquent, elle était manifestement une cible directe.

 

[12]           Deuxièmement, la Commission a conclu que les FARC n’avaient pas pris la peine de chercher les demanderesses entre novembre 2005 et avril 2006. Cependant, au cours de cette période, Mme Castro Nino avait changé de numéro de téléphone, avait retiré sa fille de l’école et était déménagée. Elle maintient qu’elle a réussi à se soustraire à ses agents de persécution. Il n’y avait pas de fondement permettant à la Commission de conclure que les FARC n’avaient pas d’intérêt à les trouver.

 

[13]           Troisièmement, la Commission a conclu que les FARC visaient principalement les politiciens et les gens d’affaires, et non les citoyens ordinaires. Cependant, la preuve documentaire démontrait que les FARC prenaient pour cible un vaste éventail d’adversaires et qu’elles avaient toujours la capacité de s’en prendre à des personnes. Le rapport Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum Seekers from Colombia [les Directives], du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCR], mentionne que l’on trouve, parmi les personnes à risque, les [traduction] « femmes ayant un certain profil » ainsi que les [traduction] « membres et partisans, anciens et actuels, de l’une des parties au conflit ».

 

[14]           Je suis d’avis que la Commission avait manifestement connaissance du fait que les FARC avaient menacé Mme Castro Nino et sa fille. Cependant, les FARC s’intéressaient surtout à son fils et à sa belle-fille, et leurs menaces envers Mme Castro Nino visaient à leur permettre de déterminer où ils se trouvaient. La Commission a décrit les demanderesses comme étant des cibles [traduction] « indirectes », ce qui, dans le contexte factuel, n’était pas erroné.

 

[15]           Il est vrai que Mme Castro Nino avait pris des mesures pour éviter d’être menacée. Par contre, la Commission ne disposait d’aucune preuve démontrant que les FARC continuaient de poursuivre les demanderesses ou qu’elles auraient maintenant un intérêt envers elles. La Commission n’a pas conclu que la crainte des demanderesses envers les FARC était sans fondement, une conclusion qui serait considérée comme « abusive » dans les circonstances (Sabaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 901 (CA)).

 

[16]           Enfin, la Commission n’a pas conclu que les FARC poursuivaient seulement des cibles ayant un profil précis. Elle a conclu que les FARC s’intéressaient à de nombreux groupes. Cependant, les demanderesses ne semblaient pas appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories, y compris celles mentionnées dans les Directives du HCR.

 

[17]           De plus, la Commission a examiné des éléments de preuve qui appuyaient sa conclusion voulant que la Colombie ait réussi à contrer les opérations des FARC, mais aussi des éléments de preuve qui contredisaient cette conclusion. Elle a toutefois préféré la preuve portant que la Colombie offrait une protection adéquate. Il ne s’agissait pas d'une appréciation déraisonnable de la preuve.

 

[18]           En dernier lieu, Mme Castro Nino n’avait pas réellement fait d’efforts pour obtenir la protection de l’État. Elle a relaté dans son témoignage que les menaces qu’elle avait reçues étaient [traduction] « tout simplement des appels » et qu’elle croyait que la police avait été infiltrée par les FARC. Cependant, aucun élément de preuve n’étayait cette croyance.

 

[19]           À la lumière de la preuve et des motifs de la Commission dans leur ensemble, je ne peux déclarer que ses conclusions étaient déraisonnables.

IV.       Conclusion et décision

[20]           La conclusion de la Commission portant que les demanderesses pouvaient bénéficier de la protection de l’État appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et, par conséquent, était donc raisonnable. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question grave de portée générale en vue de la certification, et aucune ne sera formulée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4047-11

 

INTITULÉ :                                      LUZ STELLA CASTRO NINO et autre

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 2 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

POUR LES DEMANDERESSES

 

Ian Hicks

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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