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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120503


Dossier : IMM-5953-11

Référence : 2012 CF 516

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

ALTION ANDONI

 

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 26 juillet 2011 (la décision), par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, âgé de 37 ans, est un citoyen de l’Albanie qui demande l’asile au Canada à cause d’une vendetta opposant sa famille (les Andoni) à la famille Fezjiu (les Fezjiu).

[3]               Le demandeur dit que ses parents essayaient, depuis février 2000, d’organiser un mariage entre lui et Ela Fezjiu. En avril 2000, ses parents ont convenu de le fiancer à cette dernière. Après une célébration, les deux familles ont été liées l’une à l’autre et ont annoncé publiquement les fiançailles.

[4]               En juin 2000, le demandeur a déclaré à ses parents qu’il ne voulait pas se marier parce qu’il était tombé amoureux d’une autre femme, appelée Kole. Ses parents lui ont toutefois dit qu’il fallait qu’il épouse Ela, parce qu’ils étaient liés par le droit Kanun. S’ils rompaient l’entente, ils courraient un danger aux mains des Fezjiu.

[5]               Kelia, l’un des frères d’Ela, a rencontré le demandeur dans un café, en août 2000, pour parler du mariage. Le demandeur lui a dit qu’il ne voulait plus se marier. Kelia lui a répondu qu’il était jeune et que, une fois marié, il mettrait de côté d’aussi sottes pensées. Quand le demandeur a insisté pour dire qu’il ne voulait pas se marier, Kelia l’a empoigné et a menacé de le tuer, disant que le fait de refuser de se marier revenait au même que de tuer Ela.

[6]               Le lendemain, les parents d’Ela se sont présentés au domicile du demandeur, qu’il partageait avec ses parents. Les parents d’Ela ont relaté aux parents du demandeur la conversation que celui-ci avait eue la veille avec Kelia; ils leur ont aussi dit de faire en sorte que leur fils épouse Ela, parce que, s’il ne le faisait pas, cela détruirait l’avenir de leur fille. Les parents ont parlé à leur fils et lui ont dit qu’il y aurait des problèmes s’il ne se mariait pas. Les parents d’Ela ont téléphoné à ceux du demandeur plusieurs jours plus tard pour confirmer que le mariage allait bien avoir lieu. Les parents du demandeur n’ont pas répondu, car leur fils insistait toujours pour dire qu’il ne voulait pas se marier.

[7]               En septembre 2000, deux frères d’Ela se sont présentés au domicile du demandeur; ils l’ont empoigné et lui ont dit qu’ils voulaient parler à ses parents. Quand il a résisté, Rudi – un autre des frères d’Ela – a projeté le demandeur au sol et lui a asséné un coup de poing. Des voisins, témoins de l’incident, ont appelé la police, qui est arrivée sur les lieux et a séparé le demandeur des frères d’Ela. Quand la mère du demandeur a exigé que la police arrête les deux frères, la police a refusé, disant qu’il s’agissait d’une affaire familiale personnelle. Après cet incident, le demandeur et sa famille ont commencé à recevoir des menaces de mort par téléphone; les auteurs des menaces leur ont dit de faire attention, parce qu’ils avaient déclenché une vendetta.

[8]               Le père du demandeur a rencontré le maire de la municipalité où ils vivaient pour régler la situation opposant sa famille à celle des Fezjiu. Le maire lui a dit d’aller voir un Ancien qui vivait à Borova, en Albanie, et qui s’occupait des vendettas. Cet homme s’est présenté chez les Fezjiu, mais ceux-ci lui ont dit qu’il s’agissait d’un problème entre eux et la famille Andoni, et personne d’autre. L’Ancien a ensuite dit au père du demandeur de tenter une réconciliation pour régler le litige entre les deux familles.

[9]               En janvier 2001, pendant que le demandeur sortait les poubelles au restaurant où il travaillait, une automobile s’est dirigée vers lui et l’a renversé. Les frères d’Ela sont sortis de l’automobile et s’en sont pris au demandeur, mais ses collègues de travail l’ont traîné à l’intérieur du restaurant pour qu’il puisse échapper à l’agression. Les frères d’Ela sont partis et le demandeur s’est rendu à l’hôpital pour obtenir des soins. Son père a téléphoné à la police, mais, une fois de plus, celle-ci a dit qu’elle ne pouvait pas intervenir, parce qu’il s’agissait d’une affaire personnelle. Elle lui a suggéré de s’adresser à la Commission nationale de réconciliation (la CNR) qui l’aiderait. La police n’a pas interrogé le demandeur.

[10]           À cause du danger que la vendetta représentait pour le restaurant, le patron du demandeur lui a donné un peu d’argent et lui a dit de quitter l’Albanie. Le demandeur est rentré chez lui et s’est entretenu avec ses parents. Quelques jours plus tard, une automobile est passée devant le domicile des Andoni et des coups de feu ont été tirés à travers la fenêtre du salon.

[11]           Après cet incident, le demandeur a fui l’Albanie. Il est parti pour Athènes, en Grèce, le 14 janvier 2001 et s’est ensuite rendu à Madrid, en Espagne, le 25 janvier 2001. Depuis Madrid, il est parti pour Sao Paulo, au Brésil, le 29 janvier 2001. Il est ensuite arrivé à Toronto le 14 février suivant. Pendant qu’il se trouvait à Toronto, il a demandé l’asile, mais il est ensuite parti pour Detroit, aux États-Unis, le 16 février 2001. Les parents du demandeur ont quitté l’Albanie pour les États-Unis au courant de l’année 2001. Il affirme que, pendant son séjour aux États-Unis, ses parents ont tenté de le parrainer afin qu’il puisse immigrer dans ce pays. Cependant, en octobre 2009, il a plaidé coupable et a été condamné pour avoir conduit un véhicule en ayant les facultés visiblement affaiblies, ce qui a éliminé toute possibilité de parrainage aux États-Unis.

[12]           Le demandeur est revenu au Canada le 12 mars 2009 et il a redemandé l’asile le 16 mars suivant. Étant donné que le demandeur était parti après avoir demandé l’asile en 2001, la SPR a invité le défendeur à prendre part à l’audience du demandeur. Le défendeur a fourni des observations écrites et a déclaré que la demande initiale du demandeur n’avait pas été déférée à la SPR, parce que celui-ci ne s’était pas présenté à son entrevue de contrôle initiale. La SPR n’ayant pas conclu au désistement de sa demande, il ne lui a pas été interdit de demander l’asile en 2009.

[13]           Le défendeur n’a pas participé à l’audience que la SPR a tenue le 8 avril 2011. Cette dernière a rejeté la demande d’asile le 26 juillet 2011 et elle a fait part au demandeur de sa décision le 11 août suivant.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[14]           La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, parce qu’elle a conclu que ses actes ne concordaient pas avec la crainte dont il faisait état et qu’il n’avait pas établi que l’Albanie ne pourrait pas le protéger s’il y était renvoyé. Elle a conclu aussi que le demandeur n’avait aucun lien avec un motif énoncé dans la Convention, ce qui entraînait le rejet du volet de sa demande d’asile relative à l’article 96 de la Loi.

La crédibilité

[15]           La SPR a examiné le témoignage du demandeur selon lequel ce dernier était allé aux États-Unis parce qu’il croyait qu’on le tuerait s’il restait en Albanie. Elle a fait remarquer qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis au cours des huit années où il y avait vécu et qu’il avait expliqué ce fait en disant que ses amis lui avaient dit que les États-Unis n’acceptaient pas les demandes découlant d’une vendetta. La SPR a signalé que les États-Unis offrent l’asile dans le cadre de leur processus de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, même si les vendettas n’établissent habituellement pas un lien avec un motif énoncé dans la Convention.

[16]           La SPR a conclu que rien ne prouvait que le demandeur avait fait des démarches auprès de personnes ayant une connaissance du processus d’examen des demandes d’asile aux États‑Unis pour se renseigner sur la façon de demander l’asile dans ce pays. Elle a également conclu que, s’il croyait ne pas pouvoir demander l’asile aux États-Unis, il aurait pu revenir au Canada et le faire. Elle a signalé que le Canada offre l’asile à des demandeurs albanais depuis 2002, et elle a ajouté que le fait d’avoir vécu aux États-Unis pendant huit ans sans demander l’asile ne concordait pas avec la crainte dont il faisait état.

[17]           La SPR a également examiné le témoignage du demandeur à propos de la vendetta. Quand elle lui a demandé pourquoi il pensait que sa famille était impliquée dans une vendetta avec les Fezjiu, il a répondu que c’était parce qu’il avait refusé de donner suite au mariage projeté. Il a ajouté que ses voisins lui avaient dit de faire attention, parce qu’il était impliqué dans une vendetta et que les Fezjiu leur avaient dit qu’ils étaient en conflit avec les Andoni. La SPR a signalé que le demandeur n’avait pas mentionné, dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), que les Fezjiu avaient parlé à ses voisins de la vendetta et que, habituellement, pour déclencher une vendetta, on envoie une déclaration officielle par l’entremise d’un émissaire. Elle a conclu qu’étant donné que les voisins n’avaient pas dit qu’ils livraient un message pour les Fezjiu, il n’y avait pas eu de déclaration de vendetta.

[18]           La SPR a conclu que, si le demandeur s’attendait à ce que la police intervienne pour le protéger, il aurait fallu qu’il fasse une déposition. Elle a examiné son témoignage au sujet de l’incident survenu au restaurant en janvier 2001, et a fait remarquer qu’il n’avait pas fait de déposition à la police. Elle a également examiné l’incident survenu au domicile du demandeur en septembre 2000, celui où les frères d’Ela l’avaient agressé, mais où personne n’avait été blessé. Elle a conclu qu’il n’était pas rare que la police ne fasse pas d’arrestation s’il n’y avait pas de blessé. Elle a conclu également que le demandeur n’avait pas signalé à la police ni les menaces que la famille Andoni avait reçues par téléphone, ni les coups de feu tirés à travers leur fenêtre. Ces incidents n’ont pas convaincu la SPR que la police n’aiderait pas le demandeur ou sa famille.

[19]           Le demandeur a déclaré que, lorsqu’il s’était rendu à l’hôpital après avoir été agressé au restaurant, il saignait à cause d’une coupure subie à l’extérieur de l’oreille; la SPR a indiqué qu’il avait écrit dans son FRP qu’il saignait de l’intérieur de l’oreille et qu’il avait été gardé en observation à l’hôpital jusqu’au lendemain. Le demandeur a fait valoir que l’emplacement du saignement n’était pas important, mais la SPR a conclu qu’un saignement à la partie externe de l’oreille n’obligeait habituellement pas à passer la nuit à l’hôpital en observation et, donc, que ce récit n’était pas digne de foi.

[20]           Le demandeur a produit une lettre de Gjin Marku (M. Marku), président de la CNR (la lettre de réconciliation), mais la SPR a accordé à ce document peu de poids pour ce qui était d’établir que le demandeur courait un risque en Albanie. Les détails figurant dans la lettre de réconciliation étaient, selon elle, les mêmes que ceux qui se trouvaient dans le FRP du demandeur, sauf que la lettre ne disait rien à propos des tentatives faites pour prendre contact avec la police. Selon la SPR, la CNR aurait assisté la police s’il y avait eu une preuve que l’on faisait fi de la loi albanaise. Elle a également noté que la lettre de réconciliation n’indiquait pas quelles étaient les sources de ses informations. La SPR a conclu qu’il y avait peut-être des raisons pour lesquelles deux familles avaient induit M. Marku en erreur. Cela s’était déjà produit auparavant.

[21]           La SPR a également conclu que deux lettres (les lettres de vérification) que le demandeur avait produites – l’une du maire de la municipalité d’Ersecke, en Albanie, (le maire) et l’autre des Anciens du village de Borove, en Albanie lui aussi, (les Anciens) – n’étaient pas une preuve suffisante du risque de préjudice auquel il était exposé. Les deux lettres confirmaient l’existence d’une vendetta entre les Andoni et les Fezjiu, laquelle découlait du fait que le demandeur avait annulé son mariage avec Ela, et elles déclaraient que les efforts faits pour réconcilier les familles avaient échoué. La SPR a toutefois indiqué que ces documents ne comprenaient pas de détails sur les efforts de réconciliation qui avaient été faits, ni de quelle façon ses auteurs avaient pris connaissance de la vendetta opposant les Andoni et les Fezjiu.

La protection de l’État

[22]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve probante et digne de foi pour démontrer que la protection de l’État serait insuffisante s’il retournait en Albanie et si les Fezjiu le repéraient et entraient en contact avec lui. Elle a conclu aussi qu’il n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour solliciter la protection de l’Albanie à l’époque où il vivait dans ce pays.

[23]           Au moment d’analyser la question de la protection de l’État, la SPR a d’abord examiné la documentation qu’elle avait en main sur la situation de l’Albanie et qui indiquait que, dans ce pays, le nombre d’assassinats liés à une vendetta diminuait. Dans un rapport intitulé Country Reports on Human Rights Practices for 2009 : Albania (le rapport du Département d’État), le Département d’État des États-Unis a conclu que le nombre d’assassinats dus à une vendetta avait fléchi et qu’un nombre moins élevé de familles se trouvaient en situation d’auto‑confinement dans la région albanaise de Shkoder.

[24]           La SPR a également étudié la réponse à la demande d’information ALB103570.E (la RDI), qui indiquait qu’il y avait parfois de fausses déclarations de vendetta. La RDI comportait aussi des commentaires de M. Marku, qui affirmait que la CNR faisait enquête sur la possibilité d’une médiation quand elle recevait des informations appropriées. La SPR a déclaré qu’il se pouvait que les parties à une médiation induisent la CNR en erreur et que celle-ci n’était pas en mesure de découvrir la supercherie sur le terrain. Elle a déclaré aussi qu’il se pouvait que deux familles créent faussement une apparence de vendetta en vue d’étayer la demande d’asile d’un membre d’une famille, ou qu’elles exagèrent l’ampleur du problème.

[25]           La SPR a conclu que, bien que la CNR fasse un suivi des vendettas, étant donné que les statistiques de cet organisme étaient fondées sur un système d’auto-déclaration et recueillies par des bénévoles, ses informations n’étaient peut-être pas aussi exactes que M. Marku le prétendait. Celui-ci a déclaré dans la lettre de réconciliation que, depuis le mois de décembre 2009, le nombre des assassinats commis par vengeance s’était intensifié. La SPR a accordé peu de poids aux commentaires de M. Marku qui figuraient à la fois dans la RDI 103570.E et dans sa lettre.

[26]           La SPR a également fait référence à un exposé (l’Exposé) émanant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR). Ce document, a-t-elle fait remarquer, était fondé sur des informations qui, même si elles dataient d’un certain temps, étaient généralement acceptées par toutes les sources. L’Exposé relevait qu’un certain nombre d’experts avaient des doutes sur la validité des lettres, comme celle de la CNR que le demandeur avait produite. La SPR a conclu qu’il se pouvait que M. Marku ait été faussement amené à croire que le demandeur était impliqué dans une vendetta.

[27]           La SPR a fait remarquer que l’Exposé comportait des extraits émanant de personnes qui croyaient que les familles impliquées dans une vendetta ne bénéficieraient pas d’une protection adéquate de la part des autorités albanaises, mais que ces extraits semblaient être des opinions et ne comportaient pas d’exemples de défaillances de la protection de l’État. L’Exposé faisait également état des dispositions législatives albanaises qui concernaient expressément les vendettas, dispositions que M. Marku critiquait, parce que les procureurs ne portaient pas toujours des accusations. Par ailleurs, ce document comprenait des extraits cités par M. Marku et selon lesquels une intervention policière aggravait parfois le bain de sang. Il n’y avait toutefois aucun exemple de la manière dont cela se passait.

[28]           En fin de compte, la SPR a dit que l’Exposé s’inspirait de nombreuses sources qui n’étaient pas toujours cohérentes et qui pouvaient servir à étayer n’importe quelle position. Elle a conclu qu’il existait en Albanie de nombreuses familles en situation d’auto‑confinement et qu’il y avait plus de vendettas dans le Nord de l’Albanie que dans d’autres régions du pays. Elle a conclu aussi que les autorités albanaises étaient parvenues à réduire le nombre des vendettas grâce à des poursuites, mais que, parfois, les accusations portées étaient réduites.

[29]           La SPR a conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que la police n’était pas disposée à faire enquête sur les menaces crédibles que l’on proférait dans le cadre d’une vendetta. Quand des personnes ont été témoins d’une menace, comme dans le cas du demandeur, les demandeurs d’asile doivent montrer qu’ils ont sollicité une protection en Albanie avant de pouvoir demander l’asile au Canada. En l’espèce, il ne suffisait pas que le demandeur ait demandé à son père d’aller voir la police, car ce dernier n’avait aucune information de première main sur ce qui arrivait à son fils. Sur ce fondement, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour solliciter la protection de l’Albanie. Elle a également conclu que ce pays faisait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les vendettas. Le demandeur n’a pas établi qu’il serait blessé ou tué en Albanie.

les dispositions législatives applicables

[30]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[...]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

[31]           La disposition suivante des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), s’applique aussi :

18. Avant d’utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d’asile ou la personne protégée et le ministre — si celui-ci est présent à l’audience — et leur donne la possibilité de :

 

 

a) faire des observations sur la fiabilité et l’utilisation du renseignement ou de l’opinion;

 

b) fournir des éléments de preuve à l’appui de leurs observations.

 

 

 

18. Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person, and the Minister

if the Minister is present at the hearing, and give them a chance to

 

(a) make representations on the reliability and use of the information or opinion; and

 

(b) give evidence in support of their representations.

 

 

LES questions EN LITIGE

[32]           Dans la présente demande, le demandeur soulève les questions suivantes :

a)                  La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était‑elle raisonnable?

b)                  La conclusion de la SPR concernant la protection de l’État était‑elle raisonnable?

c)                  La SPR a‑t‑elle motivé adéquatement sa décision?

d)                 La SPR a‑t‑elle appliqué le mauvais critère au sujet de la protection de l’État?

e)                  La SPR a‑t‑elle violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en le privant de la possibilité de répondre, en le privant du droit à l’assistance d’un conseil et en omettant de tenir compte de ses observations?

 

LA norme de contrôle applicable

[33]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à une analyse relative à la norme de contrôle. Si la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière dont le tribunal est saisi est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut plutôt adopter cette norme‑là. Ce n’est que dans les cas où cette recherche s’avère vaine que la cour de révision doit procéder à un examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

[34]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle qui s’applique à une conclusion relative à la crédibilité est la décision raisonnable. De plus, dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a statué que les conclusions quant à la crédibilité se situent au cœur même de la conclusion de fait que tire la SPR et qu’il y a donc lieu de les apprécier en fonction de la norme de la décision raisonnable. Enfin, dans la décision Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, le juge Michael Kelen a déclaré, au paragraphe 17, que la norme de contrôle à appliquer aux appréciations en matière de crédibilité est la raisonnabilité. La norme de contrôle qui s’applique donc à la première question en litige est la raisonnabilité.

[35]           Dans l’arrêt Carillo c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale a jugé, au paragraphe 36, que la norme de contrôle qui s’applique à une conclusion relative à la protection de l’État est la raisonnabilité. Cette optique a été suivie par le juge Leonard Mandamin dans la décision Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17. Par ailleurs, dans Chaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 193, la juge Danièle Tremblay-Lamer a conclu, au paragraphe 11, que la norme de contrôle à laquelle est soumise une conclusion relative à la protection de l’État est la raisonnabilité. La norme de contrôle qui s’applique donc à la deuxième question en litige est la raisonnabilité.

[36]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule d’annuler une décision. Au lieu de cela, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». Il convient donc d’analyser l’insuffisance des motifs en corrélation avec la raisonnabilité de la décision dans son ensemble.

[37]           Quand on contrôle une décision en fonction du critère de la raisonnabilité, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, ainsi que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle se situe en dehors du cadre des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[38]           La possibilité de répondre, le droit à l’assistance d’un conseil et le droit à ce que l’on tienne compte de ses observations sont tous des éléments de l’obligation d’équité procédurale. Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a décrété ce qui suit au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » Par ailleurs, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général) 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a conclu ceci : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle qui s’applique donc à la cinquième question en litige est la décision correcte.

[39]           Dans la décision Saeed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1016, le juge Yves de Montigny a déclaré au paragraphe 35 que, lorsqu’on examine la façon dont la SPR a appliqué le critère relatif à la protection de l’État, la norme de contrôle appropriée est la décision correcte. Le juge Paul Crampton est arrivé à une conclusion semblable dans la décision Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 400, au paragraphe 30. La norme de contrôle qui s’applique à la quatrième question est la décision correcte.

LES ARGUMENTS DES PARTIES

Le demandeur

[40]           Le demandeur soutient que la décision de la SPR est déraisonnable, car aucun tribunal raisonnable ne pourrait conclure, au vu de la preuve soumise à la SPR, qu’il n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention.

Le caractère déraisonnable de la conclusion quant à la crédibilité

[41]           La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas digne de foi était déraisonnable, car elle était fondée sur des erreurs de fait. La SPR s’est fondée sur la disponibilité d’une protection aux États-Unis quand elle a conclu qu’il n’était pas digne de foi, parce qu’il avait vécu huit ans dans ce pays sans demander l’asile. La SPR ne disposait d’aucune preuve qu’il existait, aux États-Unis, une protection pour les victimes de vendetta. La SPR n’a pas fait part au demandeur de la preuve sur laquelle elle s’appuyait pour tirer cette conclusion, et elle l’a donc privé de la possibilité de répondre et de connaître les arguments qu’il lui fallait réfuter.

[42]           Aux termes de l’article 18 des Règles, la SPR peut se fier aux renseignements qui sont du ressort de sa spécialisation pour fonder une conclusion de fait. Elle doit toutefois en faire part au demandeur d’asile et lui donner la possibilité d’y répondre. La SPR n’a pas mentionné à l’audience que la question de la disponibilité d’une protection aux États-Unis était en litige, de sorte qu’elle a contrevenu à l’article 18 des Règles en se fondant sur une information qui était du ressort de sa spécialisation. Si la SPR s’attendait à ce que le demandeur montre que cette protection n’était pas disponible aux États-Unis, il aurait fallu qu’elle le lui en fasse part; comme elle ne l’a pas fait, il y a lieu d’infirmer la décision.

Le temps écoulé avant de demander l’asile

[43]           Le demandeur conteste la conclusion de la SPR selon laquelle il a vécu huit ans aux États-Unis sans demander l’asile. Cette conclusion repose également sur une erreur de fait. Comme le demandeur l’a indiqué dans son FRP, ses parents ont immigré aux États-Unis en juin 2001 et ils essayaient de le parrainer; il a déclaré aussi à l’audience qu’ils vivaient dans ce pays. Le demandeur dit qu’il était au courant des options dont il disposait aux États-Unis et qu’on le parrainait en vue de régulariser son statut. Cependant, dès que son statut d’immigrant aux États-Unis a été mis en question par sa mise en accusation le 24 février 2009, il a rapidement entrepris de demander l’asile au Canada. La conclusion de la SPR au sujet de la crédibilité était déraisonnable, parce qu’elle a été tirée sur le fondement d’une conclusion de fait erronée.

L’absence d’efforts faits aux États-Unis

[44]           La SPR a également commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait fait des démarches auprès de personne pour se renseigner sur les options dont il disposait pour régulariser son statut aux États-Unis. Il a déclaré qu’il s’était informé auprès de ses amis et d’avocats à propos du processus de demande d’asile aux États-Unis.

L’absence de déclaration d’une vendetta

[45]           Quand la SPR a conclu qu’il n’y avait pas eu de déclaration de vendetta, elle a fait abstraction de la preuve dont elle disposait que ce fait avait bel et bien eu lieu. Le demandeur a dit à l’audience que ses voisins avaient parlé de la vendetta à la famille Andoni et qu’ils étaient au courant de la situation, parce que les Fezjiu le leur avaient dit. La SPR n’a pas tenu compte de ce témoignage. Ce sont les voisins qui ont fait la déclaration officielle. La SPR n’a pas non plus fait mention d’une preuve montrant que, pour déclencher une vendetta, il fallait plus que cette déclaration de la part des voisins. Si la SPR se fondait sur sa spécialisation pour montrer qu’il fallait plus que cela, elle devait en faire part au demandeur et lui donner la possibilité d’y répondre. Cette omission, dans les deux cas, constituait une violation du droit du demandeur à l’équité procédurale.

Le saignement de l’oreille

[46]           La SPR a mal interprété la preuve concernant les blessures que le demandeur avait subies après l’attaque à l’hôpital. Il signale avoir écrit dans son FRP qu’il saignait à l’oreille et avoir déclaré que l’hôpital l’avait gardé pour la nuit, parce que le personnel pensait qu’il avait peut-être subi une commotion. La SPR, dans la décision, ne parle que d’égratignures à l’oreille, même si elle savait à l’audience que le personnel hospitalier s’inquiétait d’un risque de commotion. Cela montre que la SPR n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur à propos d’une question directement liée à sa conclusion quant à la crédibilité.

Les documents corroborants

[47]           La SPR a aussi rejeté de manière déraisonnable la lettre de M. Marku. Elle n’a fait référence à aucune preuve selon laquelle le demandeur ou sa famille avaient tenté d’induire M. Marku en erreur, mais elle a dit que cela paraissait être le cas. Les motifs de la SPR sont insuffisants, car ils ne montrent pas comment elle est arrivée à cette conclusion.

[48]           Par ailleurs, quand la SPR a rejeté la lettre de réconciliation, elle s’est fiée à un rapport qui n’avait pas été mis en preuve. Dans la décision, la SPR a fait référence au Report of the Special Rapporteur on Extrajudicial, Summary or Arbitrary Executions, Philip Alston : Preliminary Note on the Mission to Albania (le rapport Alston). Ce rapport, a-t-elle conclu, contenait une preuve que les lettres de la CNR ne sont pas toujours factuelles. Le demandeur affirme que l’auteur de ce rapport, Philip Alston, n’a pas fait les commentaires que la SPR dit qu’il a faits.

[49]           La SPR a allégué aussi que sa famille et lui avaient tenté de commettre une fraude à l’endroit de la SPR, mais elle ne lui a pas fait part de cette allégation à l’audience ou ne lui a pas donné une possibilité d’en traiter. Il déclare qu’il serait impossible de tromper les Anciens, qui ont écrit une lettre en sa faveur. Le fait que la SPR ne lui ait pas fait part de cette allégation est une violation des droits que lui garantit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les Anciens n’ont aucun intérêt à tromper la SPR, et celle-ci n’a pas expliqué pourquoi d’autres familles se mettraient elles-mêmes en danger juste pour soutenir sa demande d’asile.

[50]           Quand la SPR allègue que les documents qu’un demandeur d’asile lui a présentés sont frauduleux, elle se doit de les comparer à quelque chose et de faire état d’une preuve de fraude précise (voir Moin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 473).

L’insuffisance des motifs

[51]           La SPR n’a pas motivé adéquatement le fait d’avoir accordé peu d’importance aux lettres que le demandeur avait produites à l’appui de sa demande. Bien qu’elle ait accordé aux lettres du maire et des Anciens un poids insuffisant pour établir le risque auquel le demandeur était exposé, ces documents établissent tout de même l’existence d’une vendetta, même si on leur accorde moins de poids. D’autres documents dont disposait la SPR établissaient le risque de danger attribuable aux vendettas, de sorte que la SPR était tenue d’apprécier sa demande d’asile en tenant compte du fait que les lettres prouvaient l’existence d’une vendetta. Par ailleurs, la SPR n’avait en main aucune preuve de l’inexistence d’une vendetta et elle était tenue d’expliquer sa conclusion sur ce point. Du fait qu’elle n’a pas expliqué pourquoi elle a décidé qu’il n’existait pas de vendetta, la SPR n’a pas motivé adéquatement sa décision.

Les lettres de vérification

[52]           La SPR a traité les lettres de vérification de manière déraisonnable. Elle a conclu que ces documents ne contenaient pas de détails sur la réconciliation ou sur la façon dont leurs auteurs avaient pris connaissance de la vendetta, mais les faits corroborent la position du demandeur et la conclusion que la SPR a tirée est déraisonnable.

[53]           La SPR s’est également trompée dans la façon dont elle a traité ces lettres quand elle les a rejetées, car elles ne contenaient pas d’informations superflues. Les détails sur les efforts de réconciliation et la façon dont les auteurs de la lettre ont eu connaissance de la vendetta n’ont pas d’incidence sur le poids qui a été accordé à ces documents, et il était injuste de la part de la SPR d’exiger que ceux-ci contiennent de tels détails. La SPR n’a pas non plus expliqué de manière appropriée pourquoi elle s’attendait à ce que ces informations soient incluses.

La protection de l’État

[54]           La SPR a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en concluant qu’il aurait dû faire lui-même une déposition sur ce qui s’était passé au restaurant, de façon à pouvoir obtenir la protection de l’État. La SPR ne disposait d’aucune preuve qu’il était obligatoire en Albanie de faire une déposition personnelle pour que la police intervienne. La SPR n’a pas dit au demandeur quelle était la preuve sur laquelle elle s’appuyait pour établir ce fait, de façon à ce qu’il puisse y répondre. Celui-ci signale que la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF), établit l’existence d’une présomption de véracité en rapport avec le témoignage des demandeurs d’asile.

L’Énoncé

[55]           La SPR a tiré une conclusion déraisonnable quant à la protection de l’État en ne tenant pas compte de l’Énoncé, qui indique ceci : [traduction] « Selon M. Standish, il est relativement rare que les affaires de vendettas se rendent jusqu’en cour, mais celles qui s’y rendent font l’objet de peines particulièrement dérisoires. » Cette phrase, dont la SPR n’a pas tenu compte, établit que les vendettas se déroulent dans l’impunité, ce qui est contraire à la conclusion que tire la SPR. Le fait que cette dernière n’ait pas tenu compte de cette preuve rend sa décision déraisonnable. Dans Salguero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 486, le juge Michel Beaudry a conclu ceci, au paragraphe 13 :

Bien qu'il soit exact de présumer qu’un tribunal a examiné toute la preuve, lorsqu'il existe une preuve importante qui contredit la conclusion de ce dernier, il doit fournir des motifs pour expliquer pourquoi cette preuve n'est pas pertinente ou digne de foi […]

 

Le rapport Alston

[56]           La SPR s’est fondée en partie sur le rapport Alston, mais sans appliquer comme il le fallait les faits que ce document contient. Elle a jugé que ce rapport était exact; ce dernier indique que les vendettas se poursuivent jusqu’à ce que la famille lésée se soit vengée ou qu’elle pardonne à l’autre famille en cause. Ayant conclu que le rapport Alston était exact, la SPR était tenue de considérer que les familles impliquées dans une vendetta n’obtiennent aucune protection de l’État. La SPR n’a pas appliqué les faits qu’elle a relevés dans le rapport et qui étayaient la prétention du demandeur.

Le manquement à l’équité procédurale

[57]           Le demandeur affirme que la SPR a violé son droit à l’équité procédurale en ne motivant pas adéquatement sa décision, en le privant du droit à l’assistance d’un conseil et en ne tenant pas compte de ses observations. La SPR n’a pas traité de toutes les questions qu’il avait évoquées dans ses observations écrites, et ce, même si le rapport Alston étayait sa position. Les motifs de la SPR sont insuffisants, car ils ne montrent pas qu’elle a tenu compte de ses observations. Les motifs d’une décision doivent porter sur les principales questions en litige et traiter en tous points des allégations du demandeur d’asile. Si la SPR ne s’acquitte pas de cette obligation, il y a lieu d’infirmer sa décision. Par ailleurs, en ne tenant pas compte des observations du demandeur, la SPR a éliminé la possibilité d’une représentation efficace, de sorte qu’elle a ainsi violé le droit qu’avait le demandeur à l’assistance d’un conseil.

Le critère relatif à la protection de l’État

[58]           La SPR n’a tiré aucune conclusion à propos de la disponibilité d’une protection de l’État en Albanie, même s’il ressort du rapport Alston que la réaction du gouvernement albanais aux vendettas est inadéquate. Le demandeur invoque la décision Bautista c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 126, et affirme que la SPR doit examiner ce qui se passe sur le terrain, plutôt que les efforts de protection que fait l’État. La SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve substantiels concernant la protection de l’État.

La possibilité de refuge intérieur

[59]           La SPR a fondé sa conclusion relative à la protection de l’État sur la possibilité de trouver refuge à Tirana, capitale de l’Albanie, mais elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve montrant que, dans cette ville, le demandeur s’exposerait à des risques. Celui-ci a déclaré que les Fezjiu avaient, à Tirana, des contacts qui pouvaient lui faire du mal. Il dit que l’omission de la SPR de traiter de cette preuve signifie que sa conclusion relative à la protection de l’État est déraisonnable.

Le défendeur

[60]           Le défendeur déclare que les conclusions que la SPR a tirées au sujet de la crédibilité et de la protection de l’État sont raisonnables, car elles reposent sur la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis. Le demandeur n’a pas établi l’existence d’une erreur quelconque qui soit susceptible de contrôle.

Le caractère raisonnable de la conclusion quant à la crédibilité

L’absence d’une demande d’asile aux États-Unis

[61]           La SPR a conclu raisonnablement que le demandeur n’était pas digne de foi, parce qu’il avait vécu huit ans aux États-Unis sans y demander l’asile. Le demandeur n’a pas fourni de preuve indiquant qu’il avait fait une telle demande aux États-Unis, même s’il lui incombait d’établir qu’il éprouvait une crainte subjective de persécution. La SPR a tiré cinq conclusions de fait raisonnables en rapport avec l’omission du demandeur de présenter une demande d’asile aux États-Unis :

a)                  il a vécu huit ans aux États-Unis sans statut;

b)                  il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis, parce que ses amis ont dit que les demandes comme la sienne n’étaient pas acceptées;

c)                  il n’y avait aucune preuve qu’il avait fait des démarches auprès de personnes ayant des connaissances appropriées en vue de se renseigner sur ses options;

d)                 il a demandé l’asile au Canada en 2001, mais est parti avant que sa demande puisse être étudiée;

e)                  il aurait pu revenir au Canada pour poursuivre l’étude de sa demande s’il croyait que les États-Unis le renverraient en Albanie.

 

[62]           Le défendeur affirme que bien que le demandeur ait juré, dans l’affidavit qu’il a présenté dans le cadre du contrôle judiciaire, qu’il avait consulté un avocat aux États-Unis, la SPR ne disposait d’aucune preuve de ce fait. Il n’a mentionné cet avocat ni dans son FRP ni dans son témoignage de vive voix. Le contrôle judiciaire ne porte que sur le dossier dont disposait le décideur. Il ne convient pas que le demandeur tente de cette façon de renforcer sa demande, surtout que le FRP donne instruction aux demandeurs d’asile d’inclure « tous les événements importants et les raisons qui vous ont amené à demander l’asile au Canada ».

[63]           S’appuyant sur les éléments de preuve dont elle disposait à propos du fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis, la SPR a conclu que ce dernier n’était pas crédible. La SPR a parfaitement compris les faits de l’espèce, mais elle a continué de s’interroger sur le fait qu’il n’avait pas exploré toutes les options à sa disposition pour éviter de retourner en Albanie. Le demandeur n’était pas digne de foi, car le fait de ne pas avoir demandé l’asile aux États-Unis ne cadrait pas avec sa crainte d’être renvoyé en Albanie. Il s’agissait là d’une conclusion raisonnable.

Les incohérences relevées dans la preuve du demandeur

[64]           La SPR a également conclu de façon raisonnable qu’à cause des incohérences relevées dans sa preuve, le demandeur n’était pas crédible. Il était loisible à la SPR de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur des contradictions, des incohérences et des invraisemblances (voir Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 604, et Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 908). Plusieurs incohérences relevées dans la preuve du demandeur ont amené la SPR à conclure que ce dernier n’était pas digne de foi.

[65]           Premièrement, le demandeur a déclaré que des voisins avaient parlé de la vendetta à sa famille, mais son FRP n’incluait pas ce détail. La SPR a conclu à l’inexistence de la vendetta en se basant sur le témoignage du demandeur à propos de la manière dont sa famille en avait entendu parler. Cette dernière, a-t-il dit, avait reçu des appels téléphoniques de menaces et des voisins leur avaient dit de faire attention parce qu’ils étaient impliqués dans une vendetta. Compte tenu de cette incohérence, il était raisonnable que la SPR conclue que le demandeur n’était pas digne de foi.

[66]           Le demandeur affirme, dans l’affidavit qu’il a produit dans le cadre du contrôle judiciaire, que les voisins avaient agi comme émissaires pour informer sa famille que la vendetta était déclenchée, mais cela ne figurait ni dans son FRP ni dans le témoignage qu’il avait fait à l’audience. La Cour ne devrait pas prendre en considération les nouveaux éléments de preuve que le demandeur tente d’introduire à cet égard.

[67]           Deuxièmement, bien que le demandeur ait laissé entendre que l’analyse de la SPR était déraisonnable, parce qu’elle n’accordait pas assez de poids à la lettre de réconciliation, la SPR a considéré cette lettre comme une preuve objective de l’existence d’une vendetta. Cependant, il lui était raisonnable d’y accorder peu de poids, parce que la CNR ne vérifie pas de manière indépendante si des incidents déclencheurs d’une vendetta ont bel et bien eu lieu.

[68]           Troisièmement, il y avait des incohérences dans la preuve du demandeur au sujet des blessures qu’il disait avoir subies lors de l’incident survenu au restaurant. Il a déclaré qu’après l’agression, il saignait à l’arrière de l’oreille, mais, dans son FRP, il avait écrit que le sang coulait de l’intérieur de son oreille. Le demandeur a prétendu qu’on l’avait gardé à l’hôpital jusqu’au lendemain, à cause de ses blessures. C’est donc dire que, pour cet aspect-là de son témoignage, la source du sang de l’oreille était pertinente à l’égard de sa crédibilité.

Le caractère raisonnable de la conclusion relative à la protection de l’État

Le demandeur n’a pas réfuté la présomption

[69]           Le défendeur signale que l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, établit l’existence d’une présomption selon laquelle les États sont capables de protéger leurs citoyens. Cet arrêt établit également qu’un demandeur ne peut pas obtenir l’asile si les efforts qu’il a faits pour obtenir une protection dans son État d’origine sont insuffisants. De plus, il ressort de l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, que les demandeurs d’asile ont le lourd fardeau de réfuter la présomption d’une protection de l’État dans les pays qui disposent d’un appareil de protection bien établi.

[70]           En l’espèce, le demandeur n’en a tout simplement pas fait assez pour solliciter la protection de l’Albanie avant de prendre la fuite. Il a simplement demandé à son père et à des voisins de communiquer avec la police, ce qui est insuffisant. La SPR conclut également que la police albanaise est intervenue quand elle a été appelée au domicile du demandeur, en septembre 2000. Ce dernier n’a pas fait lui-même une déposition à la police après l’agression survenue au restaurant, en janvier 2001. Sa famille n’a pas non plus appelé la police quand des coups de feu ont été tirés à travers la fenêtre de leur salon. Au vu de cette preuve, il était raisonnable que la SPR conclue que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’une protection de l’État.

La SPR a pris en considération la totalité des éléments de preuve

[71]           La SPR n’a peut-être pas mentionné dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui avaient été présentés, mais il ne s’agit pas là d’une erreur qui oblige à réexaminer l’affaire. Il est établi dans l’arrêt Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), qu’il est présumé que la SPR a pris en considération la totalité des éléments de preuve, même si elle ne mentionne pas tout dans ses motifs. En l’espèce, il ressort des motifs de la SPR que celle-ci a saisi les questions en litige ainsi que les éléments de preuve pertinents dont elle disposait. La SPR a étudié le rapport Alston, le rapport du Département d’État des États-Unis et l’édition 2009 de l’European Union Progress Report, de même que la preuve de M. Marku. La SPR a expliqué pourquoi elle avait accordé l’importance qu’elle a accordée à la preuve qui lui avait été présentée. Elle a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que le demandeur, s’il retournait en Albanie, ne bénéficierait pas de la protection de l’État.

La réplique du demandeur

[72]           Répondant à l’objection formulée par le défendeur contre l’introduction de nouveaux éléments de preuve dans son affidavit, le demandeur signale que cet affidavit a été déposé dans le cadre du contrôle judiciaire. C’est donc dire que la SPR n’avait pas cet affidavit en main quand elle a rendu sa décision. Il affirme aussi avoir déclaré à l’audience qu’il avait consulté un avocat au sujet de sa demande d’asile.

[73]           Le demandeur affirme que le fait de ne pas avoir demandé l’asile aux États-Unis ne fait pas partie de [traduction] « l’ensemble des raisons et des événements importants qui [l]’ont amené à présenter une demande d’asile », de sorte qu’il n’était pas tenu d’en parler dans son FRP. Cependant, il dit également avoir mentionné dans son FRP qu’il avait demandé l’asile au Canada une fois que sa déclaration de culpabilité aux États-Unis l’avait privé de toute possibilité de demander l’asile dans ce pays. La SPR avait en main tous les renseignements dont elle avait besoin pour se prononcer sur sa demande. L’objection que le défendeur a formulée à l’égard des renseignements inscrits dans son affidavit montre que la SPR, dans ses motifs, aurait dû traiter de faits additionnels. Le défendeur se fonde sur l’affidavit du demandeur pour justifier le fait que la SPR n’a pas fait référence à des éléments de preuve pertinents, mais ces derniers ont bel et bien été présentés à la SPR, et celle‑ci n’en a pas tenu compte ou n’y a pas fait référence.

Le mémoire additionnel du défendeur

[74]           Le défendeur invoque la décision Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 536, et affirme que l’omission du demandeur d’asile de mentionner des faits importants dans un FRP et de les décrire plus tard dans son témoignage de vive voix était un motif légitime pour que la SPR conclue qu’il n’était pas digne de foi. Bien que le demandeur ait déclaré à l’audience s’être entretenu avec un avocat à propos de sa demande d’asile, il n’en a pas fait mention dans son FRP. De la même façon, il n’a pas mentionné dans son FRP la blessure à la tête qui l’avait amené à passer la nuit à l’hôpital, de sorte qu’il était raisonnable que la SPR conclue que, pour ce motif, il n’était pas digne de foi.

[75]           Le demandeur conteste la conclusion de la SPR selon laquelle les États-Unis offrent deux formes de protection, mais le défendeur affirme que la SPR a simplement décrit les formes de protection qu’offre ce pays. Cette information n’entrait pas dans l’analyse de la SPR et elle n’a pas eu recours à ses connaissances spécialisées. Aucune erreur ne découle de cet aspect-là de la décision.

ANALYse

[76]           Il est difficile de déterminer les véritables motifs de la décision. Les paragraphes qui suivent, qui sont tirés de cette dernière, établissent le cadre de l’affaire de même que les conclusions générales :

4. Les actions prises par le demandeur d’asile aux É.-U. sont incohérentes par rapport à la crainte qu’il dit ressentir. Le demandeur d’asile n’a pas établi que, dans son cas, les efforts déployés par l’État constitueraient une protection inadéquate. Certains aspects de la preuve ne sont pas crédibles. Par conséquent, je rejette la demande d’asile.

 

[…]

 

17. Afin de déterminer quelle protection l’État pourrait offrir au demandeur d’asile si ce dernier habitait aujourd’hui la capitale, j’ai examiné les documents actuels.

 

[…]

 

32. Il y a dix ans, le demandeur d’asile n’a pas fait d’efforts suffisants pour obtenir l’aide de l’État. Aujourd’hui, je suis convaincu que le demandeur d’asile n’a pas démontré par des preuves fiables et convaincantes que l’État ne lui offrirait pas une protection adéquate si ses agresseurs le trouvaient et l’approchaient.

 

RÉSUMÉ :

 

-                      Les actions du demandeur d’asile aux É.-U. sont incohérentes par rapport à la crainte qu’il dit ressentir.

 

-                      Le demandeur d’asile n’a pas fait d’efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État avant de quitter l’Albanie.

 

-                      Le récit du demandeur d’asile en ce qui concerne la déclaration d’une vendetta est incohérent par rapport à la preuve documentaire.

 

-                      Le récit du demandeur d’asile en ce qui concerne ses blessures est incohérent et, par conséquent, non crédible.

 

-                      Les documents actuels sur le pays démontrent que l’Albanie déploie des efforts considérables pour protéger ses citoyens qui craignent de subir un préjudice à la suite d’une déclaration de vendetta. Ces efforts ont été couronnés de succès surtout dans la capitale albanaise.

 

-                      Le lien n’a pas été établi.

 

[77]           Il me semble que la SPR indique ceci :

a)                  le comportement du demandeur aux États-Unis ne cadre pas avec l’existence d’une crainte subjective;

b)                  le demandeur n’a pas réfuté la présomption d’une protection adéquate de l’État;

c)                  certains des éléments de preuve du demandeur ne sont pas dignes de foi.

[78]           Voici les éléments qui ne ressortent pas clairement de la décision dans son ensemble :

a)                  est-il conclu que le demandeur n’éprouvait pas une crainte subjective? Le fait que les mesures qu’il a prises aux États-Unis ne cadraient pas avec la crainte dont il faisait état ne revient pas, selon moi, à dire que le demandeur n’a pas établi qu’il éprouve une crainte subjective au vu de la totalité des éléments de preuve;

b)                  la conclusion relative à une protection de l’État adéquate est-elle fondée sur la présomption théorique que le récit du demandeur est véridique, ou repose-t-elle sur le fait que la SPR a rejeté le récit fait par le demandeur sur ses tentatives antérieures pour obtenir la protection de l’État, soit parce que ces efforts antérieurs sont admis comme véridiques, mais insuffisants pour réfuter la présomption, soit parce que la SPR juge indignes de foi les tentatives faites antérieurement par le demandeur en vue d’obtenir la protection de l’État?

c)                  en examinant de manière prospective la protection actuelle de l’État, la conclusion relative à la non-réfutation de cette protection, telle qu’elle existe aujourd’hui, est‑elle indépendante ou, étant donné qu’il s’est maintenant écoulé un temps considérable, les rapports que le demandeur a eus antérieurement avec la police sont-ils encore un élément pertinent de l’analyse relative au degré actuel de la protection de l’État?

[79]           La SPR ne dit pas si sa conclusion relative à la protection de l’État est un motif déterminant distinct et indépendant pour rejeter la demande d’asile.

[80]           De plus, quand elle dit que les « efforts considérables » déployés en Albanie sont « couronnés de succès surtout dans la capitale », la SPR traite-t-elle de la « suffisance opérationnelle » de ces efforts, et dit-elle que le demandeur ne sera en sécurité que dans la capitale? Ces questions importantes ne sont tout simplement pas claires.

[81]           À mon avis, la décision manque de cadre logique, et ce fait crée de la confusion et la rend difficile à apprécier. Un examen des détails de l’analyse ne dissipe pas cette confusion.

[82]           Par exemple, si j’examine la conclusion selon laquelle « [l]es actions prises par le demandeur d’asile aux É.-U. sont incohérentes par rapport à la crainte qu’il dit ressentir », l’analyse que fait la SPR est la suivante :

[5]        Le demandeur d’asile a déclaré avoir cru, à son arrivée aux É.-U., qu’il aurait été tué s’il était demeuré en Albanie. Il était en situation irrégulière aux É.-U., mais n’a présenté aucune demande de protection. Sa seule explication est que certains de ses amis aux É.-U. lui avaient dit que les É.-U. n’acceptaient pas les demandes de protection rattachées aux vendettas.

 

[6]        Les É.-U. offrent deux types de protection. Bien que la vendetta n’ait habituellement pas de lien avec les motifs prévus par la Convention, ce n’est pas le cas de la forme de protection désignée sous le nom de [traduction] « retrait du statut de personne à renvoyer ».

 

[7]        Rien ne permet de conclure que le demandeur d’asile a effectivement approché une personne connaissant le processus de traitement des réfugiés des É.-U. afin de se renseigner sur les options qui s’offraient à lui. Si, en fait, le demandeur d’asile croyait ne pouvoir présenter aucune forme de demande d’asile aux É.-U., ce qui n’a pas été établi, il a entamé un processus de demande d’asile au Canada qu’il a abandonné avant que celle-ci ne soit renvoyée à la Commission. Si le demandeur d’asile croyait qu’il serait tué s’il était expulsé en Albanie, il aurait pu revenir au Canada et faire une demande d’asile. En 2002, après la mise en œuvre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), le Canada acceptait bel et bien les demandes d’asile de citoyens albanais conformément à l’article 97 de la LIPR. Je ne pense pas que le fait que le demandeur d’asile soit demeuré aux É.‑U. en situation irrégulière pendant huit ans sans explorer toutes ses options, notamment celle d’un retour au Canada, soit incohérent par rapport à la crainte qu’il dit ressentir. Par conséquent, je tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

 

[83]           Ces conclusions présentent un certain nombre de problèmes. Tout d’abord, le demandeur a déclaré ce qui suit à l’audience :

[traduction

Le commissaire :            Alors, pourquoi n’avez-vous rien fait pour obtenir une forme quelconque de statut juridique aux États-Unis?

Le demandeur d’asile :  Je savais que les États-Unis ne prenaient pas – ne prennent pas en considération les demandes d’asile fondées sur des vendettas.

Le commissaire :            Comment le saviez-vous?

Le demandeur d’asile :  J’ai un certain nombre d’amis aux États-Unis qui ont présenté une demande dans des affaires semblables et ils ont été déboutés. Je le savais donc pour le leur avoir demandé, et j’ai posé aussi la question à des avocats.

 

[84]           Il y avait donc une preuve que le demandeur avait non seulement posé la question à ses amis, mais qu’il avait aussi consulté des avocats. La SPR croyait-elle que les avocats n’ont aucune connaissance du droit aux États-Unis? La SPR considère-t-elle comme indigne de foi le fait que le demandeur ait dit avoir consulté des avocats? Le point important est-il le fait que le demandeur ne soit pas venu au Canada? Si oui, dans quelle mesure le fait de ne pas avoir « explor[é] toutes ses options » est-il pertinent, et le fait d’avoir consulté des avocats a-t-il été considéré comme une option qu’il n’a pas envisagée, alors qu’il dit l’avoir fait? Quelle est la preuve (il n’y est pas fait référence) sur laquelle s’appuie la SPR pour dire qu’aux États-Unis le lien n’est habituellement pas établi au sujet des vendettas, mais non sous le [traduction] « retrait du statut de personne à renvoyer », et pourquoi cette question n’a‑t‑elle jamais été soumise au demandeur? Si la SPR se fondait ici sur sa propre spécialisation, l’article 18 des Règles indique qu’elle est tenue de soumettre la question au demandeur afin de lui donner une chance de s’expliquer. Peut-être que les avocats que le demandeur a consultés lui ont donné des conseils sur le sujet. Pourquoi la SPR n’a-t-elle pas traité de l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il était resté huit ans aux États-Unis? Ce dernier est allé aux États-Unis parce que ses parents, qui s’y trouvaient légalement, le parrainaient. Rien ne donne à penser que ce parrainage n’aurait pas été fructueux avant que le demandeur soit accusé et reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies, et, à ce moment, il est allé directement au Canada et a demandé l’asile. Pourquoi cette explication n’est-elle pas jugée raisonnable?

[85]           Il n’était pas nécessaire que la SPR accepte ces dires, mais il est impossible de savoir, à partir de la décision, si l’explication a été prise en considération et, si elle l’a été, pourquoi elle a été rejetée en tant que motif pour tarder à présenter une demande d’asile.

[86]           On peut trouver des problèmes semblables ailleurs dans la décision, des problèmes dont aucun ne serait peut-être important si la conclusion relative à la protection adéquate de l’État était manifestement déterminante et indépendante, mais la SPR omet d’indiquer clairement que c’est le cas, et la lecture que je fais de la décision dans son ensemble ne dissipe pas la confusion.

[87]           Par exemple, si j’examine, d’une part, la question centrale qu’est le fait de savoir comment le demandeur a eu connaissance de la vendetta et, d’autre part, la réponse de la SPR, je relève des problèmes analogues :

Quant aux raisons pour lesquelles le demandeur d’asile soupçonnait que sa famille était visée par une vendetta, il a indiqué qu’il savait qu’une vendetta serait déclarée après son refus de contracter le mariage. De plus, des voisins auraient averti sa famille qu’elle faisait l’objet d’une vendetta. La preuve indique que la famille Fezjiu a proféré des menaces par téléphone, mais qu’elle n’a jamais déclaré de vendetta comme telle. En ce qui concerne les raisons qui portaient les voisins à croire qu’une vendetta avait été déclarée, le demandeur d’asile a répondu que la famille Fezjiu le leur avait dit. Dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur d’asile (pièce C-1), il n’est nulle part fait mention d’une déclaration faite aux voisins de l’existence d’une vendetta. Il est généralement admis qu’il y a vendetta lorsqu’une déclaration officielle est faite par la famille offensée, par l’intermédiaire d’un émissaire. Comme les voisins n’ont pas indiqué qu’ils livraient un message au nom de la famille Fezjiu, je suis convaincu qu’il n’y a eu aucune déclaration de vendetta.

 

 

[88]           Rien n’est dit sur quoi se base la SPR pour déclarer ceci : « Il est généralement admis qu’il y a vendetta lorsqu’une déclaration officielle est faite par la famille offensée, par l’intermédiaire d’un émissaire. » Si la SPR se fonde sur sa propre spécialisation, ce point n’a jamais été soumis au demandeur pour qu’il puisse y répondre.

[89]           Le dossier certifié du tribunal révèle sur ce point l’échange suivant :

[traduction]

Le commissaire :            Bien, monsieur – je vais essayer d’être plus bref. Avant votre départ, est-il arrivé que la famille de votre ex-petite amie ou ex-fiancée entre personnellement en contact avec votre famille ou envoie d’autres personnes pour entrer en contact avec votre famille et lui dire que, parce que vous refusiez leur fille, ils considéraient cela comme une insulte et ils déclaraient une vendetta?

Le demandeur d’asile :  Oui.

Le commissaire :            Quand est-ce arrivé?

Le demandeur d’asile :  En septembre 2000.

Le commissaire :            Et qu’est-il arrivé en septembre 2000?

Le demandeur d’asile :  Il s’agit de l’incident survenu avec les deux frères qui se sont présentés chez nous.

Le commissaire :            Oh, j’ai entendu tout cela. Quelle est la partie de cet incident où ces gens disent que la famille est impliquée dans une vendetta?

Le demandeur d’asile :  Eh bien, juste après cet incident, mon vois… – notre voisin, Pandi Demiri –

L’interprète :                  Pandi Demeri. P-a-n-d-i. Le nom de famille est D-e-m-e-r-i.

Le demandeur d’asile :  – est venu et nous a dit : [traduction] « Faites attention parce que l’autre famille a déclenché une vendetta contre vous. »

Le conseil :                     P-a-n-t-i?

L’interprète :                  Pandi, P-a-n-d-i.

Le conseil :                     Très bien.

L’interprète :                  Et le nom de famille est D-e-m-e-r-i.

Le demandeur d’asile :  Je n’ai pas écrit son nom dans le FRP.

Le conseil :                     Pas de problème.

Le commissaire :            Et comment votre voisin a-t-il su qu’une vendetta avait été déclarée?

Le demandeur d’asile :  Parce que la famille (inaudible) le lui avait dit.

Le commissaire :            Est-ce que c’est de cette manière qu’on déclare habituellement une vendetta?

Le demandeur d’asile :  Je ne sais pas comment cela se fait d’habitude. Je sais comment cela a été fait dans notre cas.

 

[90]           On a l’impression que la SPR relève ici une différence entre l’exposé circonstancié que contient le FRP et le témoignage fait de vive voix. Dans le FRP, le demandeur a écrit, au paragraphe 9 de son exposé circonstancié, que :

[traduction]

 

Après cet incident [c.-à-d. l’agression des deux frères Fezjiu à l’endroit du demandeur], nous avons commencé à recevoir des menaces de mort par téléphone. Des voisins, qui connaissaient nos deux familles, sont venus nous voir. Ils nous ont dit de faire attention, parce que nous étions impliqués dans une vendetta.

 

 

[91]           Il est difficile de savoir comment ou pourquoi la SPR tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur ce point. Selon le FRP, la famille a reçu des menaces de mort par téléphone, mais ce sont les voisins qui lui ont dit qu’elle était impliquée dans une vendetta. Cela ne cadre pas avec le témoignage qui a été fait de vive voix. La SPR rattache donc sa conclusion au fait qu’« il n’est nulle part fait mention d’une déclaration faite aux voisins de l’existence d’une vendetta ». Mais le demandeur explique dans le FRP que les voisins avaient entendu parler de l’altercation entre les familles et que c’était probablement eux qui avaient appelé la police, et que les voisins qui étaient venus leur dire qu’il y avait une vendetta [traduction] « connaissaient nos deux familles ». Le demandeur n’a pas dit carrément que la famille Fezjiu l’avait dit aux voisins, mais s’agit-il réellement d’une omission importante dans le FRP du demandeur ou plutôt d’un enjolivement? Après tout, si les voisins connaissaient les deux familles et étaient au courant du litige les opposant, qui d’autre aurait pu leur dire qu’il y avait une vendetta? Et le demandeur ne présumerait-il pas, si ce qu’il a écrit dans son FRP est vrai, que ce serait assez évident qui l’avait dit aux voisins? Peut-on réellement qualifier cela d’une omission importante dans son FRP? Je ne le crois pas.

[92]           Ou la SPR considère-t-elle que les vendettas ne sont déclenchées qu’à la suite d’une « déclaration officielle » et que ni le FRP ni le témoignage de vive voix ne font mention d’une telle déclaration? Si c’est cela que la SPR voulait dire, il faudrait alors que celle-ci indique sur quelle preuve elle se fonde pour arriver à cette conclusion et, pour faire preuve d’équité procédurale, il aurait fallu qu’elle fasse état de cette preuve au demandeur et lui donne une chance d’y répondre.

[93]           Le rapport de Philip Alston, dont la SPR loue l’objectivité, indique que les vendettas sont régies par des [traduction] « règles culturellement comprises », mais que la teneur de ces règles [traduction] « diffère d’une région à l’autre au fil du temps ». Je ne relève aucune preuve dans le dossier que les règles culturellement comprises dans la région où vivait le demandeur exigent que l’on fasse une déclaration officielle. À mon avis, la conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur sur ce point est à la fois déraisonnable et inéquitable du point de vue procédural.

[94]           La décision n’indique pas clairement la mesure dans laquelle les conclusions défavorables quant à la crédibilité et/ou les tentatives faites antérieurement en vue d’obtenir la protection de la police ont éclairé l’analyse concernant la protection adéquate de l’État. Il est clairement dit dans le FRP que, pour ce qui était des incidents antérieurs, la police avait informé la famille qu’elle n’interviendrait pas dans le litige, parce qu’il s’agissait d’une affaire familiale personnelle. Cela avait eu lieu après l’agression commise par les deux frères Fezjiu et après que le demandeur avait été renversé par une automobile conduite par les mêmes frères et qu’il avait fallu l’hospitaliser. On critique le demandeur pour ne pas être allé voir la police, mais on a appelé cette dernière à ces deux occasions-là, et elle a dit qu’elle n’interviendrait pas. Le fait que la SPR n’ait pas traité de ce point est une omission importante.

[95]           Quand la SPR, au paragraphe 31 de la décision, dit ne pas disposer « d’éléments de preuve suffisants pour [lui] permettre d’établir que la police refuse de faire enquête sur les cas crédibles de menaces dans le cadre de vendettas », il est impossible de dire si le commissaire fait entièrement abstraction de la propre preuve du demandeur sur ce que la police a dit à sa famille dans le passé. La SPR semble certainement avoir le passé à l’esprit pour cette conclusion, car, au même paragraphe 31, elle tire la conclusion suivante :

Le fait que le père du demandeur d’asile, qui ne détenait aucun renseignement de première main, soit allé voir la police plutôt que le demandeur d’asile ou son patron ne permet pas d’établir que la protection de l’État se serait avérée insuffisante.

 

 

[96]           Selon le demandeur, la raison pour laquelle son père était allé voir la police était que le demandeur avait été amené à l’hôpital. La police avait dit à son père qu’il s’agissait [traduction] « d’une chose personnelle, et pas d’une chose dont elle devait se charger ». Après que le père s’était fait dire cela, il aurait été peu utile que le demandeur se présente lui-même à la police. Par ailleurs, il existe une preuve solide dans le rapport Alston, que la SPR qualifie d’objectif, que [traduction] « la croyance en la pratique de venger l’honneur et le sang en dehors du système juridique ordinaire demeure bien ancrée dans certaines parties de la société » [non souligné dans l’original] et que son [traduction] « élimination obligera à prendre des mesures autres que celles qui ont été prises jusqu’ici ». Même si cela ne veut pas dire que l’État n’offrira pas une protection si on la lui demande, cela ne contredit pas la propre expérience que le demandeur a vécue avec la police. Cette dernière a dit à sa mère et à son père, quand ils ont tenté d’obtenir une protection pour leur fils, qui avait été projeté au sol ou s’était retrouvé à l’hôpital après avoir été renversé par une automobile, qu’elle ne voulait pas intervenir parce qu’il s’agissait d’une question familiale personnelle.

[97]           Par ailleurs, je crois que la SPR, dans sa décision, a commis deux erreurs de fait fondamentales qui font que la décision est déraisonnable.

[98]           Premièrement, la SPR a conclu que le récit que le demandeur avait fait des blessures qu’il avait subies en étant heurté par l’automobile des Fezjiu n’était pas digne de foi. La décision indique que [traduction] « le demandeur d’asile a déclaré que, quand il a été amené à l’hôpital, son oreille saignait à cause de coupures et d’égratignures à l’arrière de l’oreille. Selon sa preuve écrite, ce sang provenait de l’intérieur de l’oreille ». D’après la décision, il semblerait qu’il y ait une différence bien nette entre ce que le demandeur a déclaré de vive voix et ce qu’il a écrit dans son FRP. Cependant, si on lit de près le FRP, il n’y a en fait aucune incohérence. Voici ce que le demandeur a écrit : [traduction] « Plus tard, on m’a amené à l’hôpital parce que je saignais, de l’oreille notamment, et que les gens étaient inquiets ». Cela pourrait vouloir dire qu’il saignait soit de l’intérieur de l’oreille, soit de l’extérieur de l’oreille. À l’audience, le demandeur a clarifié ce qu’il avait écrit, mais la SPR n’a même pas traité de cette explication.

[99]           La SPR a jugé cela important, parce qu’elle a manifestement pensé que le fait que le sang provenait de l’intérieur de l’oreille corroborerait le récit du demandeur, à savoir qu’il avait été gardé pour la nuit à l’hôpital pour observation, ce qui n’aurait pas été le cas si le sang provenait de l’extérieur de l’oreille. Cela semble exiger un jugement de nature médicale, et rien n’indique que le commissaire de la SPR est médecin ou qu’il a une expertise quelconque en traumatologie. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà mentionné, si la SPR se fondait sur une information du ressort de sa spécialisation, il fallait qu’elle la présente au demandeur afin qu’il puisse y répondre (voir l’article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés DORS/2002‑228).

[100]       Deuxièmement, la SPR a conclu que les mesures que le demandeur avait prises aux États‑Unis ne cadraient pas avec la crainte dont il faisait état parce qu’« [i]l était en situation irrégulière aux É.-U., mais n’a[vait] présenté aucune demande de protection » et qu’elle « ne pens[ait] pas que le fait que le demandeur d’asile soit demeuré aux É.-U. en situation irrégulière pendant huit ans sans explorer toutes ses options, notamment celle d’un retour au Canada, [était] incohérent par rapport à la crainte qu’il [disait] ressentir ». Comme je l’ai mentionné précédemment, la SPR avait en main une preuve que le demandeur avait tenté de régulariser son statut aux États-Unis au moyen d’une demande de parrainage de la part de ses parents. Si cela était vrai – et la SPR conclut que non – il semblerait alors que les mesures prises par le demandeur aux États-Unis étaient, à tout le moins, non incompatibles avec la crainte qu’il disait ressentir.

[101]       Selon mon interprétation de la décision, la SPR s’est souciée du fait que le comportement du demandeur aux États-Unis montrait qu’il ne craignait pas vraiment d’être persécuté en Albanie; s’il avait réellement eu cette crainte, il aurait tout tenté pour rester aux États-Unis, où il était en sécurité. Cependant, en plus de l’analyse déraisonnable des raisons pour lesquelles le demandeur n’a pas demandé l’asile aux États-Unis, la SPR a présumé que la seule façon de pouvoir obtenir un statut dans ce pays était de présenter une demande d’asile. Elle n’a pas traité du fait de savoir si, à cause de la demande de parrainage en instance de ses parents, il était inutile pour le demandeur de demander l’asile.

[102]       Il importe aussi de signaler que le conseil du demandeur a parlé de la question à l’audience et a expliqué pourquoi son client n’aurait pas demandé l’asile aux États-Unis :

[traduction]

 

Par conséquent, il était inutile de présenter une demande. Cela aurait été déraisonnable, car il n’y avait aucune chance de succès.

 

J’affirme donc, en fait, que, compte tenu des informations qu’il avait, de conseillers juridiques et de personnes se trouvant dans la même situation, de multiples personnes dans la même situation, s’il avait présenté la demande, cela aurait attiré l’attention sur lui‑même et précipité son expulsion ou son renvoi des États-Unis. Agir ainsi aurait donc été contraire à son propre intérêt. À moins d’avoir une chance prévisible de succès, le fait de se présenter aux autorités dans ce cas-là ne lui aurait été que préjudiciable. Il ne voulait pas être renvoyé des États-Unis, et il ne l’a donc pas fait, n’ayant aucune chance prévisible de succès.

 

 

La SPR ne prend pas la peine de traiter de cette explication, et je crois donc que sa conclusion sur ce point est déraisonnable.

[103]       Dans l’ensemble, je considère que le manque de clarté dans les motifs, les problèmes d’équité procédurale et les conclusions déraisonnables qui sont signalés font en sorte que cette décision n’est pas sûre et qu’il convient de renvoyer l’affaire pour nouvel examen.

[104]       Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour y souscrit.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5953-11

 

INTITULÉ :                                      ALTION ANDONI
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 14 MARS 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 3 MAI 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman                                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Teresa Ramnarine                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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