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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120504


Dossier : IMM-5549-11

Référence : 2012 CF 543

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

KULASINGAM, VIMALESWARY
KRISHNAPILLAI, KULASINGHAM

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 21 juillet 2011 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé la demande d’asile des demandeurs en qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Sri Lanka et vivent actuellement à Markham (Ontario). Ils sont tous deux âgés de soixante ans et ont une fille (Subangini) et des petits-enfants qui vivent au Canada, tout comme le frère et la sœur de la demanderesse.

[3]               Le demandeur principal dit qu’à l’époque où il vivait à Trincomalee (Sri Lanka) l’armée et la police nationales se présentaient souvent à son domicile. Lors du conflit opposant les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) et le gouvernement sri-lankais, des membres des TLET se présentaient parfois aussi à son domicile et exigeaient de l’argent. À deux occasions distinctes, il leur aurait remis 10 000 roupies – environ 80 $.

[4]               Le fils des demandeurs, Pradeep, a été enlevé par des inconnus en 2005, et on est sans nouvelles de lui depuis ce temps. Après cet enlèvement, les demandeurs ont envoyé leur autre fils, Prasanna, demander l’asile au Royaume-Uni (le R.-U.). Le dossier n’indique pas clairement quelle est la décision que les autorités ont finalement prise au Royaume-Uni à l’égard de cette demande. Subangini est arrivée au Canada en 2006 et elle a demandé l’asile. La SPR a rejeté sa demande; elle a toutefois été admise à titre de réfugiée le 29 octobre 2010 à la suite d’une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) (voir la page 284 du dossier certifié du tribunal (le DCT)).

[5]               Selon le demandeur principal, des membres de la police et de l’armée sri-lankaises l’ont un jour arrêté sur une route, près de Trincomalee. Ils ont pris de l’argent dans son portefeuille et ont fouillé ses autres bagages. Il dit aussi avoir déjà été détenu par des membres de la faction Karuna – un groupe paramilitaire associé à l’armée sri-lankaise – le 26 novembre 2009, après que le gouvernement eut défait les TLET en 2009. À cette occasion, deux hommes armés de pistolets l’ont enlevé de chez lui, lui ont bandé les yeux et l’ont emmené à bord d’un véhicule jusqu’à une maison située à une certaine distance de chez lui. Les hommes l’ont interrogé sur ses fils et l’ont frappé à coups de bâton et à mains nues. Après l’avoir gardé en captivité pendant deux jours, les hommes l’ont relâché parce que la demanderesse leur avait versé de l’argent.

[6]               Les demandeurs ont décidé de quitter le Sri Lanka et ils ont pris à cet égard les dispositions nécessaires par l’entremise d’un agent. Ils ont vendu leur maison pour payer leur passage et sont partis à Colombo (Sri Lanka) le 5 janvier 2010.

[7]               Lors du séjour des demandeurs à Colombo, des agents de police se sont présentés à l’endroit où ils vivaient et les ont interrogés. Selon le demandeur principal, les agents lui ont posé des questions sur sa carte d’identité nationale et lui ont dit de quitter Colombo. Les demandeurs ont communiqué avec leur agent, qui s’est organisé pour obtenir des visas leur permettant de se rendre aux États-Unis. Ils ont pris l’avion pour le Qatar le 17 janvier 2010 et, ensuite, pour les États-Unis le 18 janvier 2010. Les demandeurs sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile le 1er février 2010.

[8]               Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), la demanderesse a adopté, pour sa demande d’asile, l’exposé circonstancié du demandeur principal. La SPR a joint les demandes d’asile des demandeurs en vertu du paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, et a entendu les demandes ensemble le 14 juillet 2011. Seul le demandeur principal a témoigné à l’audience. La SPR a rendu sa décision le 21 juillet 2011 et a fait part aux demandeurs de l’issue de leur demande le 26 juillet 2011.

décision faisant l’objet du présent contrôle

[9]               La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs parce qu’elle a conclu que ces derniers ne craignaient pas avec raison d’être persécutés au sens de l’article 96 de la Loi. Elle a également conclu qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Colombo. De plus, tout risque auquel les demandeurs étaient exposés était de nature généralisée, ce qui les excluait de la protection que confère l’article 97 de la Loi.

La crédibilité

[10]           La SPR a conclu que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés car le demandeur principal n’était pas digne de foi. Ce dernier avait décrit dans son FRP l’enlèvement qu’il avait subi en novembre 2009, mais ce n’était qu’à l’audience qu’il avait mentionné que ses ravisseurs appartenaient à la faction Karuna. Elle a conclu que ce détail n’était qu’un enjolivement. Elle a également dit que s’il avait été capturé par des éléments paramilitaires travaillant avec les forces de sécurité du Sri Lanka, il aurait été amené à un poste de police ou à un camp de l’armée, et non pas dans une maison, comme il l’avait indiqué dans son FRP.

[11]           La SPR a également conclu que le demandeur principal n’était pas recherché par les forces de sécurité du Sri Lanka. Ses ravisseurs n’étaient pas membres des forces de sécurité et ils l’avaient relâché deux jours après son enlèvement et après que la demanderesse eut versé de l’argent. De plus, la police, après avoir fait un contrôle à l’hôtel où ils logeaient à Colombo, avait laissé les demandeurs tranquilles; ils n’avaient pas été arrêtés, ce qui dénotait que la police ne s’intéressait pas à eux. Par ailleurs, les demandeurs avaient quitté le Sri Lanka sans encombre. La SPR a conclu que si on les avait laissés quitter librement le Sri Lanka, cela montrait qu’ils n’étaient inscrits sur aucune liste de personnes recherchées, même si, comme ils l’avaient dit, leur agent avait soudoyé les autorités à l’aéroport.

[12]           Comme les demandeurs sollicitaient une protection à cause du risque qu’ils couraient de la part de la faction Karuna, laquelle était associée aux forces de sécurité sri-lankaises, le fait que ces dernières n’étaient pas à leur recherche signifiait qu’ils ne courraient pas de risques s’ils retournaient au Sri Lanka. La SPR a conclu que, pour cette raison, la crainte de persécution des demandeurs n’était pas fondée.

La possibilité de refuge intérieur

[13]           Subsidiairement à sa conclusion selon laquelle la crainte des demandeurs n’était pas fondée, la SPR a conclu que ces derniers disposaient d’une PRI à Colombo.

[14]           Quand la SPR a évoqué la question de la PRI à l’audience, le demandeur principal a déclaré qu’il ne pourrait pas vivre à Colombo parce que la faction Karuna le retrouverait dans cette ville.

[15]           La SPR a conclu que les demandeurs pouvaient s’établir à Colombo parce que cette ville compte une vaste population tamoule. Les demandeurs ont des parents à Colombo et le demandeur principal parle le cinghalais – la langue de la majorité à Colombo – même si ce n’est pas couramment. Le demandeur principal, de plus, possédait et exploitait sa propre entreprise à Trincomalee, et la SPR a conclu qu’il pouvait le faire aussi à Colombo.

[16]           La SPR a également examiné si les demandeurs courraient un risque à Colombo. Elle a fait remarquer que la guerre opposant les TLET et le gouvernement sri-lankais est terminée et que, d’après un rapport du Service de l’immigration du Danemark, la situation des Tamouls au Sri Lanka s’est améliorée. Elle a également reconnu qu’au Sri Lanka les jeunes hommes tamouls courent encore des risques et que 30 % de la population de Colombo est tamoule, tandis que 41 % est cinghalaise. La SPR a toutefois conclu que le risque de persécution que courraient les demandeurs à Colombo était faible parce qu’ils n’étaient pas de jeunes hommes tamouls et qu’ils n’avaient pas un profil qui attirerait une attention excessive de la part des forces de sécurité.

[17]           La SPR a conclu que les demandeurs disposent d’une PRI à Colombo, qui satisfait aux deux exigences qu’établit la jurisprudence.

Le risque généralisé

[18]           La SPR a également conclu que le risque auquel s’exposaient les demandeurs était de nature généralisée, ce qui porte un coup fatal à toute demande d’asile présentée en vertu de l’article 97.

[19]           La SPR a fait remarquer qu’au Sri Lanka, depuis la fin de la guerre civile, les mesures d’extorsion que prennent les paramilitaires et les forces de sécurité sri-lankaises posent des problèmes. Elle a ajouté que, dans ce pays, les cas d’extorsion sont en hausse. Les demandeurs, a-t-elle conclu, seraient d’anciens résidants rentrant au pays de l’étranger et ils pourraient être, pour cette raison, d’intéressantes cibles d’extorsion. Cependant, même si certaines personnes peuvent être prises pour cibles à cause de leur richesse, cela ne les exclut pas d’un risque général de criminalité (voir Vickram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 457). Il se pouvait qu’on les considère comme riches, mais les risques quelconques auxquels les demandeurs s’exposaient étaient de nature généralisée, et ils les excluaient ainsi de toute protection au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi.

questions en litige

[20]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes en l’espèce :

1.                  si la conclusion de la SPR en matière de crédibilité est raisonnable;

2.                  si la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ne craignent pas avec raison d’être persécutés est raisonnable;

3.                  si la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI est raisonnable;

4.                  si la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs s’exposent à un risque de nature généralisée est raisonnable.

 

norme de contrôle applicable

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a décrété qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche se révèle infructueuse que cette cour se doit d’examiner les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

[22]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF) (QL), la Cour d’appel fédérale a conclu au paragraphe 4 que la norme de contrôle qui s’applique à une conclusion relative à la crédibilité est la raisonnabilité. De plus, dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a statué que les conclusions relatives à la crédibilité se situent au cœur même de la conclusion de fait que tire la SPR et qu’il convient donc de les évaluer selon la norme de la raisonnabilité. Enfin, dans la décision Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, le juge Michael Kelen a décrété, au paragraphe 17, que la norme de contrôle à appliquer aux conclusions en matière de crédibilité est la raisonnabilité. La norme de contrôle qui s’applique à la première question est donc la raisonnabilité.

[23]           La norme de contrôle qui s’applique à la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte de persécution des demandeurs n’était pas fondée est la raisonnabilité. La juge Sandra Simpson a conclu, au paragraphe 7 de la décision Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 841, que la norme de contrôle qui s’applique à cette question est la raisonnabilité. Le juge Leonard Mandamin est arrivé à une conclusion semblable dans la décision Jean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1014, au paragraphe 9.

[24]           Dans la décision Rosales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 257, le juge Frank Gibson a statué au paragraphe 13 que, en ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle une PRI est disponible, la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable. Plus récemment, le juge Luc Martineau, au paragraphe 8 de la décision Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 5, a décrété que la norme de contrôle qui s’applique à une conclusion relative à une PRI est la décision raisonnable (voir aussi Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 30, au paragraphe 16). La norme de contrôle qui s’applique à la troisième question est donc la raisonnabilité.

[25]           La norme de la raisonnabilité est également celle qui s’applique à la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs s’exposaient à un risque généralisé au Sri Lanka. Le juge David Near a statué que la raisonnabilité était la norme de contrôle qui s’appliquait à cette question dans la décision V.L.N. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 768, aux paragraphes 15 et 16. Comme l’a conclu le juge André Scott dans la décision Vasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 477, une conclusion de risque généralisé comporte des questions mixtes de fait et de droit qu’il convient d’évaluer selon la norme de la raisonnabilité (paragraphes 13 et 14). La norme de contrôle qui s’applique à la quatrième question est donc la raisonnabilité (voir aussi la décision Innocent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1019).

[26]           Quand on contrôle une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, ainsi que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision rendue en l’espèce est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[27]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

ARGUMENTS DES PARTIES

Les demandeurs

[28]           Les demandeurs disent que la SPR a fait abstraction de divers éléments de preuve lorsqu’elle a conclu qu’ils n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention. Elle n’a pas examiné la question de savoir comment la disparition de Subangini du Sri Lanka et sa demande d’asile fructueuse signifiaient qu’ils s’exposeraient à un risque de persécution. Ils invoquent la décision Srichandradas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 829, au paragraphe 4, dans laquelle la juge Elizabeth Heneghan a déclaré :

À mon avis, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte des conséquences pour les demandeurs, une fois au Sri Lanka, de la conclusion selon laquelle leur fille est une réfugiée au sens de la Convention et ne les accompagnerait pas au Sri Lanka. La Commission n’a pas pris en considération le fait que cette conclusion pourrait exposer les demandeurs à la persécution par l’armée sri-lankaise et par les autorités sri-lankaises, basée sur le soupçon que leur fille avait été recrutée par les TLET. La Commission n’a pas appliqué la règle de droit qui exige qu’une décision sur le statut de réfugié au sens de la Convention tienne compte de l’avenir. Voir Mileva c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 398 (C.A.). La conclusion de la Commission selon laquelle l’armée sri‑lankaise ne les soupçonnerait pas d’appuyer les TLET à l’avenir constitue une erreur susceptible de contrôle, si l’on tient compte du fait que les demandeurs seraient renvoyés au Sri Lanka sans leur fille. Il s’agit là d’une situation qui pourrait alimenter les soupçons de l’armée sri-lankaise selon lesquels la fille s’est jointe aux TLET.

 

[29]           En ne tenant pas compte du risque auquel s’exposaient les demandeurs en étant associés à Subangini, la SPR a commis la même erreur que dans l’affaire Srichandradas.

[30]           Les demandeurs font également valoir que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur principal n’était pas digne de foi est déraisonnable. Il a ajouté à l’audience le détail relatif au fait que ses ravisseurs étaient membres de la faction Karuna, mais lui-même ne l’avait su qu’après avoir soumis son FRP à la SPR. Dans son FRP, il a écrit que ses ravisseurs l’avaient poussé dans une camionnette blanche. Il avait plus tard appris par des membres de sa collectivité que les membres de la faction Karuna se déplacent dans des camionnettes blanches. Contrairement à ce qu’a conclu la SPR, le demandeur principal a présenté un témoignage spontané et digne de foi, ce qui fait que la conclusion que la SPR a tirée au sujet de sa crédibilité est déraisonnable.

Le risque

[31]           La conclusion que la SPR a tirée au sujet du risque est déraisonnable car elle repose sur une inférence erronée. Les demandeurs font état du témoignage du demandeur principal selon lequel celui-ci a été pris pour cible par des membres de la faction Karuna et que leur agent a payé un pot-de-vin à l’aéroport. Il ressort de ce témoignage que l’inférence que la SPR a tirée à propos de leur sortie sans encombre du pays, par l’aéroport de Colombo, est déraisonnable.

La PRI

[32]           Les demandeurs contestent également la conclusion de la SPR selon laquelle ils disposent d’une PRI. Cette conclusion est déraisonnable parce que, à l’âge de soixante ans, ils sont âgés et qu’il leur sera difficile de s’installer ailleurs. La SPR a fondé sa conclusion relative à la PRI en partie sur le fait que le père du demandeur principal était un sergent de police qui parlait le cinghalais, mais les demandeurs disent que le demandeur principal ne s’exprime pas très bien dans cette langue. Ils attirent également l’attention de la Cour sur le témoignage du demandeur principal selon lequel la police de Colombo leur a dit de quitter la ville.

[33]           Les demandeurs disent aussi qu’il ressort de la preuve documentaire soumise à la SPR qu’ils s’exposent réellement à un risque à Colombo. En concluant que ce risque était faible, la SPR a fait abstraction d’un rapport du Département d’État des États-Unis que leur conseil avait invoqué à l’audience. La conclusion de la SPR au sujet de la PRI est déraisonnable car elle a fait abstraction de cet élément de preuve.

Le défendeur

[34]           Le défendeur soutient qu’il y a lieu de maintenir la décision parce que celle-ci repose sur des conclusions raisonnables quant à la crédibilité, ainsi que sur la conclusion raisonnable selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI.

[35]           La demande d’asile de Subangini n’était pas pertinente, de sorte que la SPR n’a pas commis d’erreur en en faisant abstraction. Dans la décision Rahmatizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 578 (QL), le juge Marc Nadon indique ceci, au paragraphe 8 :

Avant de conclure, par ailleurs, je désire faire les commentaires suivants. Au paragraphe 31 de son mémoire, le requérant allègue que la Section du statut a reconnu le bien-fondé de la revendication de sa sœur par une décision en date du 9 avril 1992. Le fait de simplement prouver que sa sœur avait été déclarée réfugiée ne porte pas beaucoup de poids puisque les membres de la Section qui ont rendu cette décision l’ont rendue compte tenu des faits au dossier. Pourquoi le requérant n’a-t-il pas fait témoigner sa sœur et son beau-frère pour démontrer sa nationalité Kurde? La Section n’était pas liée par une décision rendue par un autre panel puisqu’il est possible que l’autre panel ait rendue une décision erronée.

 

[36]           La SPR n’était pas tenue de prendre en considération la demande d’asile de Subangini parce que chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres et que la SPR n’est pas liée par ses propres décisions (voir Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, au paragraphe 10).

[37]           Il était raisonnable que la SPR conclue que le demandeur principal n’était pas digne de foi parce qu’il avait enjolivé son récit. La Cour considère que le fait de ne pas inclure un élément important dans un FRP est un motif valable pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir Sahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 527, au paragraphe 18, et Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1266, au paragraphe 17).

[38]           Même si les demandeurs contestent la conclusion de la SPR selon laquelle leur crainte est dénuée de fondement, cette conclusion est raisonnable. La SPR a fondé cette conclusion sur les faits suivants :

                                      i.      les demandeurs n’ont pas eu de problèmes après que la police eut procédé à un contrôle à leur hôtel;

                                    ii.      le demandeur principal n’a pas été amené à un poste de police ou un camp de l’armée quand il a été enlevé, même s’il a déclaré que ses ravisseurs étaient associés aux autorités sri-lankaises;

                                  iii.      les demandeurs n’ont pas eu de difficulté à quitter le Sri Lanka.

 

[39]           Les demandeurs n’ont pas établi que la SPR ne pouvait tirer les inférences auxquelles elle est arrivée, de sorte que la décision doit être maintenue.

[40]           La SPR a appliqué comme il faut le critère relatif à l’existence d’une PRI. Dans l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 2118 (CAF), la Cour d’appel fédérale a conclu que les demandeurs doivent établir qu’ils s’exposent à une possibilité sérieuse de persécution dans le lieu de refuge proposé. Les demandeurs doivent également établir qu’il serait déraisonnable dans les circonstances d’exiger qu’ils trouvent refuge dans le lieu proposé. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas établi qu’ils s’exposaient à une possibilité sérieuse de persécution à Colombo. La SPR a conclu de manière raisonnable qu’ils ne couraient pas de risque à cet endroit et qu’il était raisonnable qu’ils trouvent refuge à Colombo. La disponibilité d’une PRI est concluante à l’encontre d’une demande d’asile, de sorte que la SPR a conclu de manière raisonnable que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger. Ils demandent simplement à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

ANALYSe

[41]           Les demandeurs soulèvent un certain nombre de questions à contrôler, mais, à mon avis, la conclusion relative à la PRI est déterminante et ne renferme pas d’erreur susceptible de contrôle.

[42]           Les demandeurs disent que la conclusion découle du raisonnement de la SPR selon lequel le père du demandeur principal était sergent au sein du service de police et parlait le cinghalais. Ils disent que le demandeur principal est âgé, que son père est décédé et qu’il ne s’exprime pas couramment en cinghalais.

[43]           Il ressort de la décision de la SPR que cette dernière était bien consciente des facteurs que les demandeurs ont évoqués et qu’elle a tenu compte d’un large éventail de facteurs pertinents, des facteurs que les demandeurs, dans certains cas, ne contestent même pas. Si l’on examine ces facteurs par rapport à la preuve documentaire, je ne crois pas pouvoir dire que la conclusion relative à la PRI n’appartient pas aux issues dont il est question dans l’arrêt Dunsmuir.

[44]           Même si la SPR a déclaré par erreur que les demandeurs avaient des parents à Colombo (ils y avaient des connaissances chez qui ils logeaient à l’occasion et qui leur rendaient visite), cela n’est pas assez important pour qu’il soit justifié d’annuler la décision. Je ne crois pas non plus que la thèse à l’appui de laquelle le rapport du Service de l’immigration du Danemark est cité soit minée de façon importante par le rapport du Département d’État des États-Unis qui a été publié plus tard, en avril 2011.

[45]           Quoi qu’il en soit, les facteurs dont les demandeurs font état pour expliquer pourquoi Colombo n’est pas une PRI raisonnable ne cadrent pas avec la jurisprudence applicable. Dans l’arrêt Ranganathan, précité, la Cour d’appel fédérale déclare ceci à cet égard, aux paragraphes 14 à 16 :

Je partage l’avis exprimé par le juge Rothstein, alors juge à la Section de première instance, dans Kanagaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994) 28 Imm. L.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.), lorsqu’il déclare que la décision de notre Cour dans l’arrêt Thirunavukkarasu n’exclut pas comme facteur à prendre en considération dans l’examen du caractère raisonnable de la PRI l’absence de parents à l’endroit sûr ou dans les environs. Toutefois, la Cour y établit clairement que l’absence de parents n’est pas en soi un élément suffisant pour que la PRI soit déraisonnable. Lorsqu’une personne doit abandonner la douceur de son foyer pour aller s’installer dans une autre partie du pays, y trouver du travail et recommencer sa vie loin de sa famille et de ses amis, elle est assurément confrontée à des épreuves, et même à des épreuves indues. Toutefois, ce ne sont pas là les épreuves indues dont notre Cour fait état dans l’arrêt Thirunavukkarasu.

 

Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d’appel, indique qu’il faille placer la barre très haut lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne.

 

Il y a au moins deux motifs qui font qu’il est important de ne pas baisser la barre. Premièrement, comme notre Cour l’a dit dans Thirunavukkarasu, la définition de réfugié au sens de la Convention exige que « les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu’ils craignent d’être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d’origine et ce, dans n’importe quelle partie de ce pays ». En d’autres mots, ce qui fait qu’une personne est un réfugié au sens de la Convention, c’est sa crainte d’être persécutée par son pays d’origine quel que soit l’endroit où elle se trouve dans ce pays. Le fait d’élargir ou de rabaisser la norme d’évaluation du caractère raisonnable de la PRI dénature de façon fondamentale la définition de réfugié : on devient un réfugié sans avoir la crainte d’être persécuté et du fait que la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays.

 

[46]           Au vu de la preuve soumise à la SPR, il était raisonnable que celle-ci conclue que la situation à laquelle les demandeurs devaient faire face à Colombo ne mettait pas en péril leur vie ou leur sécurité. Ces derniers ne m’ont pas montré que les facteurs dont ils font état sont assimilables à un risque tel qu’il convient de renvoyer la décision en vue de la tenue d’un nouvel examen.

[47]           Les avocates conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5549-11

 

INTITULÉ :                                      KULASINGAM, VIMALESWARY KRISHNAPILLAI, KULASINGHAM
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 13 MARS 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 4 MAI 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lani Gozlan

POUR LES DEMANDEURS

 

Ada Mok

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lani Gozlan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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