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Date : 20120501

Dossier: IMM-8216-11

Référence : 2012 CF 502

Ottawa (Ontario), le 1 mai 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

LOPEZ ESPINOZA, ESTEBAN FELIPE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               La crédibilité du demandeur est au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire. Comme expliqué par la Cour d’appel fédérale dans Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 381 :

[3]        À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe. [La Cour souligne].

II. Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 18 octobre 2011, selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III. Faits

[3]               Le demandeur, monsieur Esteban Felipe Lopez Espinoza, est un citoyen du Mexique.

 

[4]               Le demandeur allègue craindre monsieur Rodrigo Sanchez, l’ex-conjoint de son ex-conjointe, madame Erendira Campos Palomo, avec qui il a une fille.

 

[5]               Le demandeur et son ex-conjointe ont quitté le Mexique pour le Canada le 28 décembre 2008, date à laquelle ils ont demandé l’asile. 

 

[6]               Le matin de l’audience, le demandeur a modifié son récit afin d'alléguer sa crainte d’un groupe criminel nommé Los Pelones [LP] l’ayant forcé à se droguer et à boire durant plusieurs années.

 

 

 

IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[7]               La SPR a rejeté la demande d’asile principalement en raison du manque de crédibilité du demandeur. La SPR note que le demandeur n’était pas un témoin fiable puisque son témoignage était ponctué d’hésitations, de contradictions et d’incohérences. La SPR reproche également au demandeur le manque de preuve corroborant son récit.

 

[8]               La SPR tire une inférence défavorable à la crédibilité du demandeur du fait que ce dernier ait amendé de façon substantielle son Formulaire de renseignements personnels [FRP] le matin de l’audience en y ajoutant des faits qu’il n’aurait pas mentionnés à l’agent d’immigration lors de son entrée au Canada. La SPR a conclu que la demande d’asile n’avait pas de fondement minimum selon le paragraphe 107(2) de la LIPR puisque le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve crédible.

 

V. Point en litige

[9]               La décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[10]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent cas :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Décision

 

107.      (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

 

 

 

Preuve

 

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection

 

 

 

Decision

 

107.      (1) The Refugee Protection Division shall accept a claim for refugee protection if it determines that the claimant is a Convention refugee or person in need of protection, and shall otherwise reject the claim.

 

No credible basis

 

(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

 

VII. Position des parties

[11]           Le demandeur conteste principalement les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité. Il prétend que la SPR ne pouvait remettre en doute la véracité de son récit relatif à sa crainte de monsieur Rodrigo Sanchez puisque son ex-conjointe a été acceptée à titre de réfugiée pour le même motif devant un autre membre de la SPR. Le témoignage du demandeur, a, pourtant, porté sur ce fait durant l’audience. Par ailleurs, le demandeur conteste le défaut de la SPR de motiver sa conclusion relative à l’absence de minimum de fondement.

 

[12]           La partie défenderesse fait, quant à elle, valoir que les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité du demandeur sont fondées et que la SPR n’était pas liée par les conclusions énoncées dans le cadre de la demande d’asile de l’ex-conjointe du demandeur. Quant à la conclusion concernant l’absence de fondement minimum de la demande d’asile, la partie défenderesse soutient qu’il n’existe pas d’obligation pour la SPR de motiver cette conclusion.

 

VIII. Analyse

[13]           L’appréciation de la crédibilité basée sur les faits relève de l’expertise de la SPR. En conséquence, un degré élevé de déférence judiciaire est requis envers ce type de conclusion et la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708).

 

[14]           Il est bien établi par la jurisprudence que les divergences portant sur des éléments centraux du récit entre les déclarations au point d’entrée et le témoignage à l’audience peuvent affecter la crédibilité (Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 578).

 

[15]           En l’occurrence, dans le cas présent, plusieurs éléments ont diminué la crédibilité du demandeur selon la SPR :

a)         Le demandeur, ayant affirmé avoir vu monsieur Rodrigo Sanchez à trois reprises, a été dans l’impossibilité de préciser les dates de ces rencontres.

b)         Le demandeur n’aurait pas su décrire monsieur Rodrigo Sanchez, car son ex-conjointe ne lui aurait pas donné de renseignements.

c)         Le demandeur aurait admis que monsieur Rodrigo Sanchez n’avait pas fait vie commune avec son ex-conjointe, mais plutôt que celle-ci l’aurait fréquenté deux mois contrairement à ce qui est allégué dans son FRP.

d)         Le demandeur s’est contredit dans son témoignage an affirmant avoir vécu avec sa tante maternelle avant son départ vers le Canada alors que son FRP mentionnait qu’il avait vécu chez ses parents.

e)         Le demandeur a amendé son récit le matin de l’audience afin d’alléguer sa crainte du gang LP qui le persécuterait dans la ville de León depuis des années. Il a justifié cette omission dans sa déclaration au point d’entrée en invoquant la honte de son passé.

f)          Le demandeur s’est contredit, lors de son témoignage, sur la question de la plainte déposée au Ministère public à l’encontre de monsieur Rodigo Sanchez. Il n’était pas en possession de la copie de la dénonciation lors de l’audience.

g)         Le demandeur s’est contredit sur la relation qu’il entretient avec les membres de sa famille au Canada.

 

[16]           Le demandeur conteste particulièrement les conclusions de crédibilité relatives au récit de son ex-conjointe, qui fut acceptée par la SPR dans un autre dossier. Selon le demandeur, la SPR, en possession de cette information ne pouvait remettre en question l’existence du persécuteur.

 

[17]           À cet égard, il importe de mentionner que chaque cas en est un d’espèce. L’analyse de la crainte subjective reposant sur les faits, la SPR n’est pas liée par la décision rendue dans une autre revendication (Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1111; Rahmatizadeh c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF no 578 (QL/Lexis)).

 

[18]           Concernant la conclusion relative à l’absence minimum de fondement, la Cour réfère au raisonnement du juge Yvon Pinard dans l’affaire Kouril c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 728 :

[15]      Le défendeur avance quant à lui qu'il existe de la jurisprudence permettant d'affirmer que la Commission n'est pas tenue de motiver sa conclusion d' « absence de minimum de fondement ». Or, dans toutes les affaires invoquées par le défendeur, la Commission avait décidé que le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi avant de conclure que sa revendication était dénuée d'un minimum de fondement. Dans les affaires de ce genre, il est fort possible qu'il ne soit pas nécessaire d'apporter plus de précisions que celles déjà données sur la question de la crédibilité personnelle du revendicateur, comme je l'ai mentionné dans la décision Nizeyimana c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (30 mars 2001), IMM-1789-00, 2001 CFPI 259 [...]

 

[19]           Dans le présent cas, suffisamment de motifs au sujet de la crédibilité du demandeur ont été avancés par la SPR pour étayer sa conclusion relative à l’absence minimum de fondement.

 

IX. Conclusion

[20]           Pour l’ensemble des raisons précédemment mentionnées, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8216-11

 

INTITULÉ :                                       LOPEZ ESPINOZA, Esteban Felipe

                                                            c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATON

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudette Menghile

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Guillaume Bigaouette

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile, avocate

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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