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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120504


Dossier : IMM-4236-11

Référence : 2012 CF 542

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

ROXANNE ADELAINE MILLETTE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre de la décision datée du 17 mai 2011 (la décision de l’agent), qui a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Grenade âgée de 39 ans. Elle s’est enfuie de son pays pour venir au Canada le 2 août 1995, parce qu’elle craignait pour sa vie par suite d’une relation de violence. Elle habite maintenant avec des membres de sa famille au Canada.

[3]               La demanderesse a d’abord présenté, en septembre 1998, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire afin de rester au Canada, mais elle dit que son ancien conseil n’a pas fait parvenir ses documents et les droits payables à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Le défendeur a rejeté cette première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 31 juillet 2006.

[4]               En janvier 2008, la demanderesse a demandé l’asile, au motif qu’elle craignait de retourner à la Grenade, parce que son ancien petit ami, qui aurait été violent avec elle, habitait dans ce pays. Le 21 janvier 2010, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a statué que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. Elle a rejeté sa demande d’asile, parce qu’elle ne disposait pas d’une preuve crédible et digne de foi démontrant que la demanderesse avait été victime de violence aux mains de son ancien petit ami et qu’elle craignait de retourner à la Grenade.

[5]               Le 3 septembre 2009, la demanderesse a présenté une deuxième demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi. La demanderesse a alors invoqué ses liens étroits avec des membres de sa famille résidant au Canada, son emploi au Canada et la durée de sa résidence au Canada pour démontrer qu’elle était établie dans ce pays. Elle a dit qu’elle subirait des difficultés excessives si elle devait retourner à la Grenade. Elle a souligné qu’elle vivait au Canada depuis longtemps et a mis en avant son âge, le logement exigu qu’elle devrait partager à la Grenade, la honte d’être expulsée, l’aide financière qu’elle apporte à sa famille à la Grenade, le fait qu’elle ne connaît pas bien ce pays et le manque de possibilités d’emploi à cet endroit.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]               L’agent a mentionné que, même s’il n’était pas lié par la décision défavorable rendue précédemment par la SPR relativement à la demande d’asile de la demanderesse, il lui avait accordé un poids considérable. Il a dit également qu’il avait effectué sa propre recherche sur les conditions existant à la Grenade, en consultant le rapport intitulé Country Reports on Human Rights Practices, 2010 – Grenada (8 avril 2011), États‑Unis, Département d’État, Bureau de la démocratie, des droits de la personne et du travail (le rapport du Département d’État). L’agent a mentionné que le rapport du Département d’État indiquait que, bien que la violence contre les femmes soit toujours un problème grave à la Grenade, le gouvernement a pris des mesures pour y remédier. Il a estimé que la preuve démontrant que l’ancien petit ami de la demanderesse voulait s’en prendre à elle encore aujourd’hui était insuffisante, étant donné qu’elle ne vivait plus à la Grenade depuis plus de 15 ans. Il a ajouté que le rapport du Département d’État indiquait que la demanderesse pourrait demander l’aide des autorités à la Grenade si elle avait des problèmes avec son ancien petit ami.

[7]               L’agent était d’avis également que la demanderesse ne subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à son retour à la Grenade ou en raison de son établissement au Canada et du temps qu’elle avait passé ici, car il est naturel que, pendant le traitement de leur demande, les demandeurs d’asile s’établissent, dans une certaine mesure, dans le pays dont ils demandent la protection.

[8]               L’agent a convenu que la demanderesse avait créé des liens avec des membres de sa famille au Canada, mais, selon lui, elle ne subirait pas de difficultés si elle en était séparée, étant donné qu’elle pourrait continuer à communiquer avec eux par téléphone ou par lettre et présenter une demande de visa d’immigrant à partir de l’étranger. Il a aussi mentionné que la demanderesse envoyait de l’argent à sa famille à la Grenade, mais il a signalé qu’elle avait démontré une capacité d’adaptation aux changements. Il a signalé également que la famille de la demanderesse vivant à la Grenade serait en mesure de l’aider si elle retournait dans ce pays.

[9]               Ayant soupesé toute la preuve dont il disposait, l’agent a conclu que la demanderesse ne l’avait pas convaincu qu’elle subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait retourner à la Grenade et présenter une demande de résidence permanente en suivant le processus normal. Par conséquent, il a rejeté sa demande.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[10]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

[…]

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[…]

 

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]           La demanderesse soulève les questions suivantes en l’espèce :

a)                  L’agent a-t-il commis une erreur en s’appuyant sur une preuve extrinsèque?

b)                  L’appréciation des facteurs d’ordre humanitaire effectuée par l’agent était‑elle raisonnable?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle judiciaire dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle judiciaire applicable à la question particulière dont elle est saisie est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit prendre en compte les quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

[13]           En ce qui concerne la première question en litige, qui est de savoir si l’agent s’est appuyé sur une preuve extrinsèque sans en aviser la demanderesse, il s’agit d’une question d’équité procédurale qui exige que les demandeurs aient la possibilité de répondre à cette preuve. Dans Worthington c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 626, le juge John O’Keefe a décidé, aux paragraphes 42 à 45, que cette question est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Dans Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a affirmé, au paragraphe 100, qu’« [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». En outre, la Cour d’appel fédérale a statué, dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53 : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. »

[14]           Dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada a statué que, dans les cas de contrôle d’une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, « on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (au paragraphe 62). Le juge Michael Phelan a adopté cette approche dans Thandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 7. La norme de contrôle qui s’applique à la deuxième question en litige est la raisonnabilité.

[15]           Lorsque l’on contrôle une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse doit avoir trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision de l’agent est déraisonnable, c’est-à-dire qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

La demanderesse

Le manquement à l’équité procédurale

 

[16]           La demanderesse prétend que l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en s’appuyant largement sur le rapport du Département d’État, sans lui donner la possibilité de commenter ce document. L’agent s’est servi de ce rapport pour conclure qu’elle pourra bénéficier de l’aide des autorités si elle a des problèmes avec son ancien petit ami à son retour à la Grenade.

[17]           La demanderesse souligne que CIC lui a écrit le 23 septembre 2010 pour l’inviter à formuler des observations additionnelles avant qu’une décision soit prise relativement à sa demande. Or, le rapport du Département d’État a été publié le 8 avril 2011, soit bien après qu’elle a transmis ses observations en octobre 2010, et il ne lui a jamais été communiqué.

[18]           La demanderesse s’appuie sur Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 266, où la Cour a déclaré au paragraphe 33 :

[…] L’équité ne requiert […] pas la communication d’éléments de preuve non extrinsèques, comme les rapports sur la situation générale du pays, à moins que ces éléments n’aient été rendus accessibles après que la demanderesse eut déposé ses observations et à moins qu’ils respectent les autres critères formulés dans cet arrêt.

[19]           La demanderesse s’appuie également sur le Guide IP 5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire de CIC (le Guide IP 5). À la page 73 de ce guide, il est indiqué que, lorsque les agents s’appuient sur une preuve extrinsèque pour statuer sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les renseignements doivent être communiqués à la partie concernée. La demanderesse affirme que le rapport du Département d’État est un élément de preuve extrinsèque, parce qu’il n’émane pas d’elle et qu’elle n’y avait pas accès ou n’était pas au courant qu’il serait utilisé dans la décision de l’agent.

[20]           La demanderesse affirme en outre que l’équité exige que les demandeurs connaissent les arguments et les éléments de preuve qu’on entend faire valoir contre eux. En l’espèce, l’agent avait l’obligation de lui présenter le rapport du Département d’État afin de lui permettre d’y répondre. La demanderesse s’appuie à cet égard sur Dasent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1902; Muliadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205 (CAF); Cornea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 972; Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284; Pathmanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 885; Gunaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 122; Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283; Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 818.

L’appréciation des motifs d’ordre humanitaire

[21]           La demanderesse affirme en outre que la décision de l’agent est déraisonnable, parce qu’elle a été rendue sans égard aux faits. L’agent a commis une erreur lorsqu’il a apprécié son établissement au Canada, où elle réside sans interruption depuis 15 ans. Il a écrit :

[traduction]

 

Bien que la demanderesse habite au Canada depuis longtemps, je ne suis pas convaincu qu’elle est établie dans ce pays au point où elle subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle quittait le Canada et présentait une demande de visa d’immigrant en suivant la procédure normale. Je souligne qu’une personne se trouvant au Canada qui demande l’asile dispose d’outils, comme des autorisations d’emploi ou d’étude, qui lui permettent d’être autonome et de s’intégrer à la collectivité canadienne. Comme le processus d’asile prend plusieurs années, on s’attend à ce qu’un certain degré d’établissement soit atteint pendant ce temps. En conséquence, je n’accorde pas un poids important à l’établissement de la demanderesse au Canada ou au nombre d’années qu’elle a passées dans ce pays.

 

 

[22]           L’agent n’a pas saisi le fait que la demanderesse avait demandé l’asile en janvier 2008 seulement, soit 13 ans après son arrivée au Canada. Elle a trouvé elle‑même les outils pour s’établir, sans égard à sa demande d’asile. En ne prenant pas en considération ses 13 premières années d’établissement au Canada ou en ne leur accordant aucun poids, l’agent n’a pas tenu compte correctement de son degré d’établissement et n’a pas bien apprécié les difficultés qu’elle subirait. La demanderesse s’appuie à cet égard sur Raudales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385; Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804.

[23]           L’agent n’a pas traité de tous les facteurs positifs concernant son établissement dont la demanderesse faisait état dans sa demande. Il n’a pas tenu compte du perfectionnement de ses études, des lettres d’appui, de ses antécédents professionnels et de sa situation financière. En conséquence, la décision de l’agent est déraisonnable. Voir Amer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 713, aux paragraphes 13 et 14. Bien que l’agent soit présumé avoir tenu compte de toute la preuve, il a commis une erreur susceptible de contrôle en ne faisant pas référence à des éléments de preuve importants (voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), au paragraphe 17).

[24]           En outre, l’agent n’a pas apprécié de manière appropriée et en conformité avec la Loi et le Guide IP 5 les difficultés qui seraient causées à la demanderesse. Il a dit ce qui suit :

[traduction]

 

Je comprends le désir de la demanderesse de rester près de sa famille au Canada, mais elle n’a pas démontré qu’elle subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait se conformer aux exigences de la Loi. La réunification avec sa famille peut être obtenue en demandant un visa d’immigrant à partir de l’étranger.

 

 

[25]           Il n’y a aucune disposition dans la Loi en vertu de laquelle la demanderesse peut obtenir un visa d’immigrant à partir de l’étranger. Elle ne serait pas admissible en tant que membre de la catégorie « regroupement familial », car ses liens avec sa sœur et sa nièce au Canada ne sont pas reconnus dans le cadre de cette catégorie. L’agent n’a pas tenu compte des objectifs de la Loi, dont l’un est la réunification des familles et le maintien des relations familiales au Canada.

[26]           La demanderesse affirme qu’elle a produit une preuve des difficultés qu’elle subirait si elle était séparée de sa sœur et de sa nièce qui vivent au Canada. Comme dans Husain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 451, où l’agente n’avait pas tenu compte de la possibilité que la famille du demandeur soit réunie au Canada, l’agent en l’espèce n’a pas apprécié la preuve que la demanderesse avait présentée pour démontrer que sa situation favorisait la réunification au Canada, étant donné qu’elle entretenait avec sa sœur et sa nièce des liens étroits depuis 15 ans.

[27]           La demanderesse conclut que l’agent a commis dans sa décision trop d’erreurs qui étaient fondamentales au regard des questions en litige (voir Katalayi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1494 (1re inst)).

 

Le défendeur

Il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale

 

[28]           Le défendeur affirme que l’importance d’une décision pour la personne concernée n’est que l’un des facteurs qui servent à déterminer le contenu de l’obligation d’agir équitablement dans un contexte donné. L’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CAF), est l’arrêt de principe sur le contenu de l’obligation d’agir équitablement qui incombe à un agent d’immigration. Selon cet arrêt, lorsqu’un agent s’appuie sur une preuve extrinsèque relative aux conditions générales en vigueur dans un pays à laquelle le public a accès, mais qui est devenue accessible seulement après qu’un demandeur a déposé ses observations, l’équité exige que l’agent la divulgue seulement si les documents sont « inédits et importants et [font] état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision » (au paragraphe 27).

[29]           La demanderesse n’a produit aucune preuve permettant de croire que les renseignements contenus dans le rapport du Département d’État n’avaient pas été publiés dans d’autres sources à sa disposition avant qu’elle présente ses observations en octobre 2010. La demanderesse n’a pas démontré que les modifications apportées aux dispositions législatives de la Grenade sur la violence conjugale, qui étaient mentionnées dans le rapport du Département d’État, constituaient un changement important dans le contexte de sa situation personnelle. Selon Mancia, l’obligation d’agir équitablement n’exigeait pas que l’agent communique le rapport du Département d’État à la demanderesse. Il n’y a donc pas eu manquement à l’équité procédurale.

[30]           Le défendeur souligne que l’agent a jugé que la demanderesse n’avait pas produit de preuve démontrant que son ancien petit ami voulait toujours s’en prendre à elle aujourd’hui. Même s’il indiquait que les conditions dans le pays avaient changé de façon importante à la Grenade en ce qui concerne la violence conjugale, le rapport du Département d’État n’aurait pas eu une incidence sur la décision de l’agent.

La décision de l’agent est raisonnable

[31]           La demanderesse n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agent. Pour que l’agent accorde une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, il fallait que la demanderesse démontre que sa situation personnelle est telle, comparativement à celle d’autres personnes à qui on a demandé de quitter le Canada, qu’elle subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait partir (voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 11, aux paragraphes 2, 11, 18 et 38). Une difficulté inhabituelle est généralement une difficulté qui n’est pas visée ou prévue par la Loi ou le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, et concerne des circonstances indépendantes de la volonté du demandeur (Singh, précitée, aux paragraphes 19 et 20).

[32]           Le défendeur souligne également que la demanderesse est « astreint[e] à une preuve rigoureuse et doit persuader la Cour que le rejet de sa demande faite en vertu de l’article 25 était injustifié » (Mikhno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 386, au paragraphe 25). En l’espèce, l’agent a raisonnablement déterminé qu’il ne disposait pas d’une preuve suffisante démontrant que, à cause de sa situation personnelle, la demanderesse subirait des difficultés si elle était tenue de retourner à la Grenade. L’agent a reconnu la preuve établissant les liens de la demanderesse avec sa famille au Canada, mais il a souligné que la mère de la demanderesse, son père ainsi que quatre de ses frères et sœurs vivaient à la Grenade et l’aideraient à s’adapter.

[33]           L’agent a examiné la preuve produite par la demanderesse afin de démontrer son établissement, mais cette preuve n’était pas convaincante. La demanderesse a invoqué son expérience de travail, mais cette expérience se limitait aux emplois qu’elle avait occupés par intermittence au Canada entre 1995 et 2008 sans détenir une autorisation d’emploi. Voir Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, au paragraphe 21.

[34]           Les difficultés invoquées au soutien d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne doivent pas être seulement des difficultés « qui découlent du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps » (Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906 (QL), au paragraphe 12). Le défendeur souligne en outre que le simple fait qu’une personne qui demande un redressement fondé sur des motifs d’ordre humanitaire doit quitter les amis et la famille qu’elle a au Canada ne constitue pas nécessairement une difficulté justifiant une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Quitter ses amis et sa famille est une conséquence prévisible du risque pris en restant au Canada sans avoir obtenu le droit d’établissement.

[35]           L’agent n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que la demanderesse pourrait demander un visa à partir de la Grenade si elle voulait être réunie avec sa famille au Canada. Une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas un mécanisme additionnel de sélection des résidents permanents, et l’agent n’était pas tenu de déterminer si la demanderesse était admissible pour d’autres motifs (Jung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 678, aux paragraphes 45 et 46).

ANALYSE

[36]           L’agent n’avait pas l’obligation de révéler à la demanderesse qu’il s’appuyait sur le rapport du Département d’État de 2011 et, même s’il l’avait eue, cela n’aurait pas été pertinent en l’espèce, puisque l’agent a tiré la conclusion fondamentale suivante au sujet des risques :

[traduction]

 

[La demanderesse] a produit une preuve objective insuffisante pour établir que son ancien petit ami, Chris, veut toujours s’en prendre à elle aujourd’hui, 15 ans après son départ du Canada.

 

 

[37]           L’agent a tiré une conclusion subsidiaire en faisant référence aux mesures de protection à la disposition de la demanderesse à la Grenade :

[traduction]

 

Néanmoins, si la demanderesse a des problèmes avec Chris ou avec quelqu’un d’autre, elle peut demander l’aide de la police ou du système judiciaire dans son pays.

 

 

[38]           Je conviens en outre avec le défendeur que la Cour d’appel fédérale a statué dans Mancia que, lorsqu’un agent s’appuie sur une preuve extrinsèque relative aux conditions générales en vigueur dans un pays à laquelle le public a accès, mais qui est devenue accessible seulement après qu’un demandeur a déposé ses observations, l’équité exige que l’agent la divulgue seulement si les documents sont « inédits et importants et [font] état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision ». Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[39]           En l’espèce, la demanderesse a déposé ses dernières observations en octobre 2010. La version de 2011 du rapport annuel du Département d’État a été publiée le 8 avril 2011 et l’agent a rendu sa décision sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 17 mai 2011. L’agent a cité le rapport dans sa décision et a souligné qu’il indiquait que [traduction] « le gouvernement de la Grenade est résolu à protéger les droits des victimes de violence ». Je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a présenté à la Cour aucune preuve permettant de croire que les renseignements contenus dans le rapport du Département d’État n’avaient pas été publiés dans d’autres sources qu’elle avait à sa disposition avant de transmettre ses observations en octobre 2010. La demanderesse n’a pas non plus produit de preuve ou avancé des arguments au sujet des raisons pour lesquelles on peut affirmer que les renseignements contenus dans le rapport du Département d’État montrent qu’un changement est survenu dans les conditions générales existant à la Grenade. Je conviens avec le défendeur que le rapport du Département d’État n’établit pas un tel changement. Bien que ce rapport fasse mention de certaines modifications apportées aux dispositions législatives de la Grenade en matière de violence conjugale, la demanderesse n’a pas démontré que ces modifications constituaient un changement important dans le contexte de sa situation personnelle. En conséquence, je suis d’avis que, selon le critère élaboré dans Mancia, l’obligation d’agir équitablement n’exigeait pas la communication du rapport du Département d’État à la demanderesse.

[40]           En ce qui concerne l’établissement, il n’était pas nécessaire que l’agent fasse référence à tous les éléments de preuve avant de parvenir à sa conclusion. Dans Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, la Cour d’appel fédérale a donné les indications suivantes à cet égard, au paragraphe 11 :

En l’espèce, la preuve nouvelle n’était pas d’une importance suffisante ou d’une valeur probante au point que le devoir d’équité obligeait l’agente de révision à en disposer expressément dans ses motifs. D’ailleurs, il serait excessif d’exiger des agents de révision, en tant qu’agents administratifs, qu’ils motivent leurs décisions avec autant de détails que ceux que l’on attend d’un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d’audiences en règle. À notre avis, les motifs exposés par l’agente de révision expliquent suffisamment le fondement de sa décision et n’autorisent pas la conclusion selon laquelle elle n’aurait pas tenu compte de tous les éléments dont elle disposait.

 

 

[41]           Comme il l’indique clairement dans sa décision, l’agent savait que la demanderesse était au Canada depuis plus de 15 ans et il s’est intéressé particulièrement aux années postérieures au rejet de sa demande d’asile. La demanderesse ne peut pas s’attendre à bénéficier des années antérieures alors qu’elle vivait et travaillait au Canada illégalement. S’il en était autrement, une personne qui réussit à demeurer ici illégalement serait mieux placée qu’une personne qui a respecté le système. Comme le juge Nadon l’a souligné dans Tartchinska c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 373 (CF), aux paragraphes 21 et 22 :

Chose plus importante, les directives ne laissent certainement pas entendre qu’un demandeur doit devenir autonome à tout prix et sans égard aux moyens. Par conséquent, je ne partage pas l’avis des demandeurs selon lequel [traduction] « il n’est pas pertinent de savoir si l’autonomie a été atteinte avec ou sans permis de travail ». À mon avis, la provenance de l’autonomie de l’intéressé est très pertinente; autrement, n’importe qui pourrait demander une dispense en se fondant sur l’autonomie, même si celle-ci découle d’activités illégales. Je comprends qu’en l’espèce, les demandeurs ont travaillé honnêtement, quoique illégalement. Pourtant, les demandeurs ont sciemment tenté de contourner le système lorsqu’ils ont décidé de continuer à travailler sans autorisation. En effet, malgré le fait que les demandeurs ont été avisés à leur première entrevue qu’ils n’étaient pas autorisés à travailler et qu’ils devraient cesser de le faire, rien n’indiquait que les demandeurs avaient cessé de travailler au moment de la deuxième entrevue. En outre, leur avocat les avait prévenus des risques qu’ils couraient à travailler sans permis de travail ainsi que du prétendu avantage de démontrer l’autonomie (sans se soucier de sa provenance), et ils ont choisi de rester au Canada et d’y travailler illégalement.

 

Je crois comprendre que les demandeurs espéraient que le temps qu’ils passaient au Canada malgré la mesure d’interdiction de séjour contre eux pourrait leur être avantageux dans la mesure où ils pourraient démontrer qu’ils se sont bien adaptés à ce pays. Toutefois, à mon avis, les demandeurs ne peuvent ni ne doivent être « récompensés » pour avoir passé du temps au Canada alors qu’en fait, ils n’avaient pas le droit de le faire. Dans le même ordre d’idée, on doit légalement chercher à être autonome, et un demandeur ne doit pas pouvoir invoquer ses actes illégaux pour revendiquer par la suite un avantage comme une dispense ministérielle. Enfin, je souligne l’évidence même : le but de la dispense, en l’espèce, était de soustraire les demandeurs à l’exigence de devoir présenter leur demande de statut depuis l’étranger, et non de les dispenser d’autres dispositions législatives, comme l’exigence d’un permis de travail valide.

 

 

[42]           En ce qui concerne la période de deux ans qui a suivi le rejet de la demande d’asile de la demanderesse, il n’y a tout simplement rien d’exceptionnel dans le dossier qui pourrait avoir une incidence sur la conclusion de l’agent ou qui la contredit et qui exigerait une mention spéciale. La demanderesse n’a produit aucune preuve expliquant pourquoi son établissement a été exceptionnel pendant cette période.

[43]           En ce qui concerne le caractère suffisant des motifs, il n’y a rien dans la décision de l’agent qui la rendrait déraisonnable selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 12 à 16 :

Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [traduction« une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ». Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :

 

[traduction] Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion. Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer. Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien‑fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards. [Je souligne.]

 

(David Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304)

 

Voir aussi David Mullan, « Dunsmuir v. New Brunswick, Standard of Review and Procedural Fairness for Public Servants : Let’s Try Again! » (2008), 21 C.J.A.L.P.117, p. 136; David Phillip Jones, c.r., et Anne S. de Villars, c.r., Principles of Administrative Law (5eéd. 2009), p. 380; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 63.

 

C’est dans cette optique, selon moi, qu’il faut interpréter ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir lorsqu’elle a parlé de « la justification de la décision [ainsi que de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel ». À mon avis, ces propos témoignent d’une reconnaissance respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent couramment des décisions — qui paraissent souvent contre‑intuitives aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité. C’est sur ce fondement que notre Cour a changé d’orientation dans Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, où le juge Dickson a insisté sur le fait qu’il y avait lieu de faire preuve de déférence en appréciant les décisions des tribunaux administratifs spécialisés. Cet arrêt a amené la Cour à faire preuve d’une déférence accrue envers les tribunaux, comme en témoigne la conclusion, tirée dans Dunsmuir, qu’il doit être « loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (par. 47).

 

Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

 

La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

[44]           En ce qui concerne les liens familiaux, encore une fois, je ne peux pas affirmer, compte tenu de la preuve et des observations présentées à l’agent, qu’un élément important a été négligé.

[45]           L’agent a raisonnablement estimé qu’il ne disposait pas d’une preuve suffisante démontrant que, à cause de sa situation personnelle, notamment ses rapports avec sa sœur, sa nièce et d’autres membres de sa famille au Canada, la demanderesse subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait retourner à la Grenade.

[46]           L’agent a reconnu la preuve de la demanderesse sur l’étroitesse de ses liens avec les membres de sa famille résidant au Canada. Il a toutefois indiqué que la mère de la demanderesse, son père ainsi que quatre de ses frères et sœurs habitent à la Grenade. L’agent a raisonnablement déterminé qu’il ne disposait pas d’une preuve suffisante démontrant que la famille de la demanderesse à la Grenade ne lui apporterait pas le soutien dont elle pourrait avoir besoin pour s’adapter à la vie dans ce pays.

[47]           La Cour a statué à maintes reprises que les difficultés alléguées par un demandeur ne doivent pas être seulement les difficultés qui découlent du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps. Qu’un demandeur doive quitter amis et famille n’est pas nécessairement une difficulté qui justifie une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire; il s’agit plutôt d’une conséquence prévisible du risque pris en demeurant au Canada sans détenir le droit d’établissement.

[48]           Pour ce qui est de la remarque de l’agent selon laquelle [traduction] « [l]a réunification avec sa famille peut être obtenue en demandant un visa d’immigrant à partir de l’étranger », la Cour est d’avis qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas un mécanisme additionnel de sélection des résidents permanents destiné aux personnes qui ne remplissent pas les conditions pour immigrer au Canada. À titre d’exemple, les propos formulés par le juge Max Teitelbaum dans Jung, précitée, aux paragraphes 41 à 46, s’appliquent également à la situation de la demanderesse en l’espèce :

La demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en établissant qu’elle pourrait présenter depuis la Corée une demande de résidence permanente au Canada. La demanderesse note que, en effet, elle ne serait pas admissible à présenter une demande de résidence permanente en fonction de quelque catégorie que ce soit.

 

La demanderesse ne dispose pas de l’expérience professionnelle requise ni n’a fait les études nécessaires au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Ses biens sont également insuffisants pour la rendre admissible dans la catégorie des entrepreneurs ou des investisseurs. Finalement, Mme Jung ne serait pas admissible non plus dans la catégorie du regroupement familial, comme apparemment elle n’a pas de conjoint.

 

La présente demande constitue la dernière occasion pour la demanderesse de demander la résidence permanente au Canada. La conclusion de l’agente selon laquelle Mme Jung pourrait présenter une demande en Corée semblerait par conséquent être erronée.

 

Les demandes de résidence permanente doivent en règle générale être présentées de l’extérieur du Canada. Parmi les exceptions à cette règle, une dispense peut être accordée pour des considérations humanitaires. Le défendeur soutient que la décision de l’agente concernant la demande de Mme Jung était raisonnable et conforme à la jurisprudence.

 

Le défendeur soutient qu’avec son argument, la demanderesse conçoit de manière erronée la nature du processus de dispense pour considérations humanitaires. Il fait valoir que la demande relative aux considérations humanitaires ne se veut pas être un mécanisme additionnel de sélection d’éventuels résidents permanents, ni un mécanisme d’immigration au Canada pour les personnes ne pouvant pas par ailleurs y être admises (Irimie c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1906). Dans le cas contraire, cela porterait gravement atteinte à notre régime d’immigration.

 

J’estime, tout comme le défendeur, qu’un agent n’a pas ni ne devrait avoir pour tâche d’établir si un demandeur est admissible au statut de réfugié, d’immigrant ou de résident permanent pour quelque motif que ce soit. Ce qu’il incombe à l’agent d’établir, c’est s’il existe des considérations humanitaires telles qu’il soit justifié d’accorder une dispense de l’obligation de présenter de l’extérieur du Canada une demande de résidence permanente.

 

 

[49]           Tout bien pesé, je ne peux relever aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agent. Compte tenu des faits, celle‑ci appartient parfaitement aux issues possibles acceptables décrites dans Dunsmuir.

 

[50]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour partage leur avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4236-11

 

INTITULÉ :                                      ROXANNE ADELAINE MILLETTE c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alesha A. Green                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

Jessica Norman                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet d’Alesha A. Green                                                    POUR LA DEMANDERESSE Avocate

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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