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Date : 20120504


Dossier : IMM-5528-11

Référence : 2012 CF 535

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

AGNES PAULINA MATTHEWS

NICOLI EZEKIEL MATTHEWS

JANNET MATTHEWS

NICOLEEN EUGENA MATTHEWS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande d’Agnes Paulina Matthews et de ses trois enfants : Jannet Matthews, 29 ans, Nicoli Ezekiel Matthews, 19 ans, et Nicoleen Eugena Matthews, 17 ans (les demandeurs), qui a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 25 juillet 2011 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Mme Agnes Paulina Matthews est la représentante désignée de sa fille mineure, Nicoleen Eugena Matthews.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

II.        Les faits

 

[4]               Mme Matthews, âgée de 57 ans, est originaire de Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Saint‑Vincent).

 

[5]               En 1976, elle a rencontré George Crook, et ils ont eu ensemble un enfant. En 1978, Mme Matthews a mis un terme à leur relation, après près de trois ans de vie commune. Deux jours après leur rupture, M. Crook a poignardé Mme Matthews à cinq reprises, au bras, au cou et dans le dos. Elle a été hospitalisée durant 10 jours.

 

[6]               Peu après l’incident, M. Crook s’est suicidé.

 

[7]               En juin 1996, Mme Matthews a rencontré Simon Durrant, qui a emménagé avec elle et ses huit enfants. Après quelques mois, elle s’est rendu compte que M. Durrant était possessif et jaloux. Il lui arrivait souvent d’être violent avec elle.

 

[8]               Mme Matthews ne s’est jamais plainte à la police, se disant que c’était inutile.

 

[9]               Elle a quitté Saint‑Vincent pour le Canada en septembre 1997. Elle a vécu chez une cousine à Montréal.

 

[10]           En juin 1998, M. Durrant est arrivé à Montréal. Mme Matthews lui a permis de vivre avec elle mais elle lui a dit qu’elle appellerait la police si jamais il l’agressait de nouveau.

 

[11]           Trois mois plus tard, elle a découvert M. Durrant en train de se masturber devant la photographie de sa fille. Elle l’a expulsé de la maison, et il est parti sans se plaindre.

 

[12]           Mme Matthews est restée au Canada, voulant être parrainée. Son amie lui a conseillé de présenter une demande d’asile mais elle a refusé, pensant qu’elle ne serait pas admissible. Elle avait emmené ses enfants Jannet, Nicoli et Nicoleen au Canada. Toutefois, ne pouvant pas inscrire à l’école ses deux plus jeunes enfants, elle est retournée à Saint‑Vincent.

 

[13]           Avant son départ pour Saint‑Vincent, Mme Matthews a entendu dire que M. Durrant avait violé une femme à Montréal et qu’il allait être expulsé.

 

[14]           En 2007, pendant qu’il se trouvait à Saint‑Vincent, M. Durrant a demandé à Mme Matthews de la fréquenter de nouveau, mais elle a catégoriquement refusé.

 

[15]           En décembre 2007, Mme Matthews et ses enfants ont découvert que M. Durrant avait tué leur cousin, Orlando Ricardo Louie. Il a été reconnu coupable et placé dans un établissement psychiatrique. Il s’agissait là de sa seconde condamnation criminelle. Craignant qu’il soit de nouveau libéré après une brève période de temps, Mme Matthews est revenue au Canada en avion le 28 février 2008, et ses trois enfants l’ont suivie peu après.

 

[16]           En mars 2010, le fils de Mme Matthews – Nicoli - a été appréhendé par un agent de police à Montréal. Ce dernier a découvert que Nicoli était sans statut au Canada. Les demandeurs ont décidé par la suite de demander l’asile.

 

[17]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. Elle a estimé qu’ils ne courraient pas de risques à Saint‑Vincent et qu’ils disposaient d’une protection de l’État.

 

III.       Les dispositions législatives applicables

 

[18]           Le texte des articles 96 et 97 de la LIPR est le suivant :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

IV.       Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

 

A.        Les questions en litige

 

[19]           La Cour est appelée à répondre aux questions suivantes :

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas la qualité  de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR?

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs bénéficiaient d’une protection de l’État à Saint‑Vincent?

 

B.        La norme de contrôle applicable

 

[20]           Les questions relatives à la protection de l’État comportent des conclusions de fait ainsi que des conclusions mixtes de fait et de droit. Elles ont trait à l’importance relative que l’on accorde aux éléments de preuve ainsi qu’à leur interprétation et à leur appréciation, de même qu’à la question de savoir si la Commission a tenu dûment compte de tous les éléments de preuve présentés au moment de rendre une décision (Hippolyte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 82).

 

[21]           La norme de contrôle qui s’applique à la décision que rend la Commission à propos de la crainte objective et subjective des demandeurs est celle de la décision raisonnable (voir Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 841, au paragraphe 7).

 

[22]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, la Cour suprême du Canada précise que le caractère raisonnable d’une décision « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

V.        Les arguments des parties

 

A.        Les arguments de Mme Matthews

 

[23]           Mme Matthews soutient que l’on considère que la Commission a souscrit à son témoignage car cette dernière n’a pas mis en doute sa crédibilité (voir Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 993).

 

[24]           Comme l’indique la Commission dans sa décision, les demandeurs sont tenus de prouver qu’il existe une possibilité sérieuse ou plus qu’une simple possibilité qu’ils courent un risque de persécution (voir Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 [Adjei]).

 

[25]           La Commission a écrit : « [l]e tribunal estime que, dans l’éventualité peu probable où Simon Durrant venait à quitter l’établissement psychiatrique où il est interné, les demandeurs d’asile ne courraient pas plus de risques que d’autres personnes vivant dans la communauté de Rose Bank » (voir la décision de la Commission, au paragraphe 26).

 

[26]           Cette conclusion, allègue Mme Matthews, est déraisonnable car M. Durrant est un individu très dangereux. La Commission a pris en considération la lettre de M. Charles Matthews, juge de paix à Rose Bank. Selon Mme Matthews, en évaluant cette lettre la Commission a omis de prendre en compte que M. Durrant [traduction] « avait juré de la tuer parce qu’il avait le sentiment qu’elle l’avait abandonné » (voir la lettre de Charles Matthews, juge de paix, à la page 81 du dossier des demandeurs). Mme Matthews affirme que cette déclaration est un élément central de sa demande et qu’elle va à l’encontre de la conclusion de la Commission. Cette dernière a omis de tenir compte du profil dangereux de M. Durrant (voir Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425).

 

[27]           Par ailleurs, la Commission a conclu que la lettre était de nature conjecturale. Mme Matthews soutient toutefois que la Commission a rejeté sa déclaration par une conjecture qui lui est propre et a conclu que M. Durrant ne serait pas libéré à cause de ses antécédents criminels. Mme Matthews soutient qu’aucune preuve n’a été soumise à la Commission qui justifie une telle conjecture. Il y a eu aussi une absence de preuves quant aux mesures qui seraient prises si M. Durrant était libéré. La Commission a commis une erreur en formulant de telles conjectures (voir Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 533).

 

[28]           Mme Matthews allègue également que la Commission a appliqué le mauvais critère juridique relatif à la protection de l’État en omettant d’examiner si Saint‑Vincent était en mesure de leur assurer une protection efficace (voir Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 724). Dans les circonstances particulières de l’affaire, la Commission aurait dû tenir compte, selon Mme Matthews, de l’efficacité des ordonnances de non-communication à Saint‑Vincent et, à cet égard, cette dernière invoque la décision Alexander c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1305, au paragraphe 13, où le juge Harrington déclare :  « [j]e trouve complètement ahurissant que la CISR publie des renseignements sur les conditions du pays, mais qu’elle ne mentionne pas que le consul général a admis que l’État ne pouvait pas garantir l’efficacité d’une ordonnance de non-communication ».

 

[29]           Mme Matthews soutient donc que la conclusion que la Commission a tirée en rapport avec la protection de l’État est déraisonnable et ne repose pas sur des preuves pertinentes, eu égard aux circonstances actuelles de l’affaire.

 

B.        Les arguments du défendeur

 

[30]           Le défendeur allègue que, en l’espèce, l’absence de crainte subjective suffit pour rejeter la demande d’asile. M. Durrant n’a pas importuné Mme Matthews depuis au moins 14 ans. Il est actuellement interné dans un établissement et rien ne prouve que sa libération est imminente. La conclusion que la Commission a tirée au sujet de l’absence de crainte subjective de Mme Matthews est donc raisonnable.

 

[31]           Selon le défendeur, Mme Matthews n’a pas établi que la Commission a fait abstraction de la menace de mort de M. Durrant à son endroit. Il est présumé, souligne-t-il, que la Commission a tenu compte de la totalité des éléments de preuve (voir Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, au paragraphe 1 [Florea]).

 

[32]           La Cour fédérale a reconnu que Saint‑Vincent est un pays démocratique ayant la volonté et la capacité de protéger ses citoyens, même si cette protection n’est pas toujours parfaite (voir S.H.R c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 802, aux paragraphes 19 et 20; G.O.A.D. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 772, au paragraphe 20).

 

[33]           Selon le défendeur, la Commission a évalué comme il faut la preuve documentaire. L’état de Saint‑Vincent a montré dans le passé qu’il a la volonté et la capacité de protéger ses citoyens contre M. Durrant. Celui-ci a été arrêté à deux reprises et condamné à une peine d’emprisonnement après avoir commis des crimes contre des citoyens de cet État. Le défendeur signale également que Mme Matthews n’a jamais porté plainte à la police.

 

[34]           Le défendeur réitère qu’il est présumé que la Commission a pris en compte la totalité des éléments de preuve. Il est de plus allégué que la preuve documentaire qui a été soumise à la Commission au sujet de la violence conjugale est peu pertinente en l’espèce car la relation que Mme Matthews entretenait avec M. Durrant a pris fin il y a 14 ans. C’est donc dire que Mme Matthews n’a fourni aucune preuve établissant que l’État de Saint‑Vincent n’a pas la capacité et la volonté de les protéger, elle et ses enfants.

 

VI.       Analyse

 

[35]           Dans l’arrêt Adjei, précité, aux paragraphes 7 et 8, la Cour d’appel fédérale écrit ceci :

[7] Nous adopterions cette formulation, qui nous semble équivalente à celle utilisée par le juge Pratte, de la Section d'appel, dans Seifu c. Commission d'appel de l'immigration [1983] ACF no 34 (A‑277-82, en date du 12 janvier 1983, non publié) :

 

[...] que pour appuyer la conclusion qu'un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il « avait été ou serait l'objet de mesures de persécution; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d'être persécuté pour l'une des raisons énoncées dans la Loi ».

 

[8] Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de possibilité « sérieuse », par opposition à une simple possibilité.

 

[36]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils craignaient avec raison de subir un préjudice à Saint‑Vincent. Selon elle, M. Durrant présente un danger pour la collectivité en général, mais il y a peu de chances qu’il recouvre sa liberté dans un avenir rapproché. De plus, advenant sa libération, l’établissement psychiatrique prendrait les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de la collectivité.

 

[37]           Il était raisonnable que la Commission considère la lettre du juge de paix Matthews comme purement conjecturale. Cependant, elle ne peut pas rejeter une preuve documentaire en y substituant une conjecture de sa propre part. Dans la décision Ukleina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1292, [2009] ACF no 1651, au paragraphe 8, la Cour décrète : « [i]l est cependant établi de longue date que les conclusions de fait fondées sur des conjectures sont intrinsèquement déraisonnables. Celle à laquelle est arrivée la SPR dans la présente affaire relève du domaine de la conjecture. Elles n’étaient pas des déductions raisonnables tirées de faits établis ». La Cour convient avec Mme Matthews que les inférences de la Commission ne sont pas fondées sur des faits ou des éléments de preuve établis.

 

[38]           Cependant, ces conjectures ne sont pas déterminantes en l’espèce car la Commission a également conclu que la relation que Mme Matthews entretenait avec M. Durrant avait pris fin il y a longtemps et qu’entre 2002 et 2007 Simon Durrant n’avait pas fait de mal à Mme Matthews, ni constitué une menace pour cette dernière, pendant qu’il se trouvait à Saint‑Vincent. De l’avis de la Cour, cette conclusion est cruciale en l’espèce et inextricablement liée à la question de la protection de l’État.

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs bénéficiaient d’une protection de l’État à Saint‑Vincent?

 

[39]           Selon les demandeurs, la Commission n’a pas tenu compte de l’inefficacité des ordonnances de non-communication à Saint‑Vincent. Ils allèguent également qu’elle a mal appliqué le critère juridique qui s’applique à la protection de l’État.

 

[40]           Dans la décision Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, [2011] ACF no 840, au paragraphe 26, la Cour conclut : « [l]a Commission n’est pas tenue de prouver que la République tchèque peut offrir une protection adéquate aux demandeurs; ce sont plutôt les demandeurs qui ont le fardeau légal de réfuter la présomption selon laquelle l’État peut leur fournir une protection adéquate, en présentant une preuve claire et convaincante qui convainc la Commission selon la prépondérance de la preuve […]. La qualité de la preuve sera fonction du niveau de démocratie de l’État en cause […] ».

 

[41]           Au paragraphe 27 de sa décision, la Commission écrit : « Saint-Vincent-et-les Grenadines est une démocratie parlementaire multipartite d’environ 118 000 habitants. La police royale de Saint-Vincent-et-les Grenadines, qui compte environ 850 agents, constitue la seule force de sécurité au pays. Selon les exigences de la loi, c’est l’autorité judiciaire qui a le pouvoir de délivrer des mandats d’arrêt. La police procède à l’arrestation de personnes au vu de tous, et les détenus peuvent demander une décision judiciaire après 48 heures si ce n’est déjà fait ». Selon la Commission, à Saint‑Vincent une protection de l’État est disponible et cet État a pris les mesures nécessaires pour arrêter M. Durrant à deux occasions distinctes.

 

[42]           D’après Mme Matthews, la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve contraires qui figuraient dans le dossier. Il est bien établi en droit qu’il est présumé que la Commission a pris en compte la totalité des éléments de preuve figurant dans le dossier et qu’elle n’est pas tenue de faire des commentaires sur le moindre élément de preuve qui soit contraire à ses conclusions (voir la décision Florea, précitée).

 

[43]           De plus, Mme Matthews n’a jamais porté plainte à la police. Dans la décision Leon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 34, [2011] ACF no 57, aux paragraphes 21, 22 et 23, la Cour fait remarquer :

[21] De façon générale, une personne doit solliciter l’aide des autorités avant de conclure que l’État n’est pas en mesure de lui accorder une protection adéquate, mais ce n’est pas nécessaire dans tous les cas. Comme la Cour suprême l’a indiqué dans Ward au paragraphe 48 :

[…]  Un réfugié peut prouver une crainte bien fondée d'être persécuté lorsque les autorités officielles ne le persécutent pas, mais qu'elle [sic] refusent ou sont incapables de lui offrir une protection adéquate contre ses persécuteurs [...] toutefois, il doit démontrer qu'il a demandé leur protection une fois convaincu, comme c'est le cas en l'espèce, que les autorités officielles -- lorsqu'elles étaient accessibles -- n'avaient rien à voir -- de façon directe ou indirecte, officielle ou non officielle -- dans la persécution dont il faisait l’objet.

[…]

 

Ce n'est pas vrai dans tous les cas. La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement. En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.

 

[22]  Il appartient toutefois à la partie demanderesse de démontrer qu’il n’était pas raisonnable de lui imposer de solliciter la protection de son pays pour justifier son omission.

 

[23] Dans Kadenko c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376, 143 D.L.R. (4th) 532, (CAF), le juge Décary a indiqué que le fardeau de la preuve reposait sur la partie demanderesse et qu’il était proportionnel au degré de démocratie du pays en cause.

 

[44]           Dans le cas présent, jamais Mme Matthews n’a sollicité la protection de l’État. De plus, aucune preuve n’a établit qu’elle s’exposerait à des risques en sollicitant cette protection. La Commission a de plus tenu compte du fait que les autorités, à deux occasions, avaient arrêté et condamné M. Durrant pour ses crimes.

 

[45]           En l’espèce, il était raisonnable que la Commission conclue qu’à Saint‑Vincent la protection de l’État était adéquate. Il incombait aux demandeurs d’établir qu’il était déraisonnable de solliciter une protection de l’État à Saint‑Vincent, mais les éléments de preuve qu’ils ont fournies à cet égard étaient insuffisantes.

 

VII.     Conclusion

 

[46]           Comme il s’est écoulé plusieurs années depuis la dernière rencontre de Mme Matthews et de M. Durrant et que la protection de l’État est adéquate à Saint‑Vincent, la Commission a eu raison de conclure que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                   la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                   il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5528-11

 

INTITULÉ :                                      AGNES PAULINA MATTHEWS

                                                            NICOLI EZEKIEL MATTHEWS

                                                            JANNETT MATTHEWS

                                                            NICOLEEN EUGENA MATTHEWS

                                                            c

                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 27 MARS 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 4 MAI 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arash Banakar

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Anne-Renée Touchette

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Arash Banakar

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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