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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120504


Dossier : IMM-6317-11

Référence : 2012 CF 533

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

SYED BAKHTAWAR GILLANI

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 19 août 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Le contexte factuel

[3]               M. Syed Bakhtawar Hussain Gillani (le demandeur), un citoyen du Pakistan âgé de trente-sept (37) ans, sollicite l’asile au Canada parce que, dit-il, il risque d’être persécuté en tant qu’homosexuel.

 

[4]               Au Pakistan, le demandeur a vécu à Sialkot, une ville située dans la province pakistanaise du Pendjab.

 

[5]               Le demandeur soutient que son principal persécuteur est M. Sufi Mehmood, qui était son ancien employeur et partenaire sexuel. Il allègue qu’en 2004 M. Mehmood l’a aidé financièrement en vue de faire l’acquisition de son entreprise, Gold Farrie Surgical.

 

[6]               En 2006, à l’insistance de ses parents, le demandeur s’est marié et l’argent qu’il a obtenu grâce à la dot de son épouse l’a aidé à développer son entreprise. Le demandeur et son épouse ont eu deux enfants.

 

[7]               Le demandeur allègue qu’en 2007 il a commencé à avoir des relations sexuelles avec M. Shahbaz Butt.

 

[8]               Le demandeur soutient que, en novembre 2008, en déambulant dans un marché en compagnie de M. Butt, il a été confronté par M. Mehmood. Ce dernier lui aurait demandé de renoncer à son homosexualité. Le demandeur allègue qu’il a refusé d’obtempérer à la requête de M. Mehmood et que, à cause de cela, en juin 2009 ce dernier a informé la famille du demandeur de ses activités sexuelles. Son épouse l’a quitté et est partie avec leurs enfants.

 

[9]               Le demandeur soutient qu’il a été arrêté le 25 juin 2009, à l’instigation de son beau-père. En prison, il aurait été brutalisé et agressé.

 

[10]           Après sa mise en liberté, il s’est installé chez M. Butt pour récupérer. Le 29 juin 2009, à cet endroit, le demandeur aurait été confronté une fois de plus par M. Mehmood, qui était accompagné de M. Qari Yasir Rana, l’imam d’une mosquée locale. M. Mehmood et l’imam ont déclaré qu’ils avaient vu M. Butt et le demandeur se livrer à des activités sexuelles, ce qui, d’après la charia, permettait de les faire arrêter. Le demandeur soutient que l’imam a également prononcé une fatwa contre lui. Cela signifie, selon le demandeur, qu’il risque d’être lapidé s’il rentre au Pakistan.

 

[11]           Craignant pour sa vie, le demandeur a fui au Canada le 7 juillet 2009, car il détenait déjà un visa de résident temporaire canadien. Il a demandé l’asile le 17 août 2009, à Montréal.

 

[12]           Le demandeur prétend que, depuis son arrivée au Canada, sa collectivité tout entière a été mise au courant de son homosexualité et, soutient-il, il y a de nombreux signes que la police est à sa recherche.

 

[13]           La Commission a entendu la demande d’asile du demandeur le 5 avril et le 22 juin 2011.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[14]           La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’elle a eu des doutes à propos de la crédibilité de son récit. Elle a également conclu qu’il bénéficiait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable au Pakistan.

 

[15]           Pour ce qui est de la crédibilité du demandeur, la Commission a fait remarquer que ce dernier avait été très vague et évasif au sujet de son entreprise Gold Farrie Surgical et des activités financières auxquelles il se livrait au Pakistan. Il n’a pu confirmer avec certitude la situation et la valeur actuelles de son entreprise. La Commission a conclu que son comportement et sa méconnaissance de son entreprise étaient étranges car, à une époque, cette entreprise était manifestement importante à ses yeux. Cependant, la Commission n’a pas tiré de conclusion définitive à propos de la crédibilité du demandeur car elle a déclaré que, indépendamment de toute constatation possible en matière de crédibilité, le demandeur bénéficiait à Karachi d’une PRI.

 

[16]           La Commission a rejeté les deux arguments que le demandeur a invoqués à l’encontre de la PRI possible : 1) où qu’il aille, ses persécuteurs le trouveraient, et 2) en tant qu’homosexuel, il serait en danger n’importe où au Pakistan à cause de l’extrémisme religieux.

 

[17]           Pour ce qui est du premier argument du demandeur, la Commission a conclu que rien ne donnait à penser que la police était actuellement à sa recherche, comme un mandat d’arrestation officiel ou un premier rapport de dénonciation. Elle a conclu qu’en raison de la taille et de la population du Pakistan, ainsi que de l’absence d’un mandat d’arrestation officiel, le demandeur ne risquerait pas d’être arrêté à l’extérieur de Sialkot. En ce qui concerne le document P‑11 (dossier du tribunal, page 215) que le demandeur a présenté — une directive provinciale du Pendjab donnant instruction aux propriétaires d’hôtel de consigner des informations sur leurs clients, dont une copie des cartes d’identité et les adresses complètes —, la Commission a conclu qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que ce mécanisme soit efficace pour faire connaître à qui que ce soit à Sialkot l’endroit où se trouverait le demandeur à Karachi.

 

[18]           Quant au second argument, la Commission a exprimé l’avis que même si la documentation produite en preuve faisait état d’un certain nombre d’exemples de mauvais traitements infligés aux homosexuels au Pakistan, ces exemples étaient restreints et il ressortait de cette documentation que les conclusions sur la question étaient contradictoires. Répondant aux documents que le demandeur avait présentés, la Commission a déclaré qu’il y avait fort peu d’éléments de preuve indiquant que l’on exerçait des mesures de répression contre les homosexuels, et encore moins que l’on appliquait systématiquement la loi interdisant l’homosexualité. Comme l’a conclu la Commission, « [...] cette absence relative d’exemples de répression est révélatrice dans un pays aussi grand et peuplé et [...] elle sous-entend que peu d’efforts, voire aucun, ont été faits pour trouver les homosexuels et que les autorités sociales regardent volontairement ailleurs compte tenu du fait que la persécution des homosexuels constitue une anomalie au Pakistan » (motifs de la Commission, au paragraphe 16).

 

[19]           La Commission a donc conclu que le danger que courait le demandeur ne s’appliquait qu’à une échelle locale et était imputable à des personnes autres que des agents de l’État. Le demandeur ne s’exposerait qu’à un simple risque de persécution du fait de son homosexualité s’il s’installait à Karachi. Enfin, elle a conclu que la PRI proposée ne serait pas déraisonnable étant donné que le demandeur serait en mesure de trouver du travail à Karachi et qu’il avait rompu les liens qu’il entretenait avec sa famille (son épouse avait obtenu le divorce et son père l’avait déshérité).

 

Les questions en litige

[20]           La Cour est d’avis que les questions litigieuses en l’espèce sont les suivantes :

a.       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur bénéficiait d’une PRI viable?

 

b.      La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur?

 

Les dispositions législatives applicables

[21]           Les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui s’appliquent en l’espèce sont les suivantes :

 

 

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au

 

sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of

 

Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

La norme de contrôle applicable

[22]           Dans la présente affaire, la Commission a mis en lumière deux questions : la crédibilité du demandeur et l’existence d’une PRI viable à Karachi. Pour ce qui est de la crédibilité du demandeur, depuis l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la jurisprudence établit que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux conclusions de fait est la raisonnabilité (Malocaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 80, au paragraphe 26, [2011] ACF no 91; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55, au paragraphe 17, [2010] ACF no 54). Pour ce qui est de la question de la PRI possible, il ressort de la jurisprudence applicable que cette conclusion est elle aussi susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, au paragraphe 29, [2009] ACF no 438; Khokhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, au paragraphe 21, [2008] ACF no 571). Conformément à la norme de la raisonnabilité, la Cour n’interviendra que si elle estime que les conclusions de la Commission ne sont pas transparentes, justifiables et intelligibles et n’appartiennent pas aux issues acceptables au vu des éléments de preuve qui lui ont été soumis (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

Les arguments des parties

La position du demandeur

[23]           D’après le demandeur, la Commission a commis une erreur dans son analyse concernant l’existence d’une PRI viable et concernant sa crédibilité.

 

[24]           Premièrement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans ses conclusions relatives à l’entreprise qu’il exploitait au Pakistan. Elle aurait fait abstraction des explications données dans le témoignage qu’il a fait au sujet des doutes de la Commission.

 

[25]           Le demandeur soutient également que les éléments de preuve documentaires portant sur la situation au Pakistan contredisent les conclusions que la Commission a tirées. Il affirme qu’au Pakistan l’homosexualité est un crime grave et que la peine maximale est soit la mort, soit l’emprisonnement à perpétuité. De plus, la documentation est contradictoire : selon certaines sources, il y a plusieurs déclarations de culpabilité chaque année, tandis que selon d’autres il est rare que le gouvernement pakistanais engage des poursuites. Le demandeur soutient que, de ce fait, le risque de persécution et de poursuite est bel et bien réel. Vu l’existence concrète d’un risque de persécution au Pakistan, la Commission était manifestement tenue de l’évaluer. En outre, cette dernière a commis une erreur en faisant référence au Cartable national de documentation sur le Bangladesh dans son analyse d’une PRI, et ce, dans les notes incluses au bas des pages 4 et 5 de ses motifs. Le demandeur se demande s’il s’agit là d’une simple erreur de dactylographie de la part de la Commission, ou si cette dernière a omis d’analyser comme il faut la preuve documentaire. De plus, la Commission fait référence, au paragraphe 15 de ses motifs, à un rapport de 2009 du Royaume-Uni sur le Pakistan (UK Country of Origin Information Report). Toutefois, le Cartable national de documentation sur le Pakistan qu’il est possible de consulter par l’entremise du site Web de la Commission ne contient pas ce rapport. Les affirmations de la Commission ne cadrent pas avec les documents inclus dans le Cartable national de documentation sur le Pakistan et, dans certains cas, elles sont tout à fait contradictoires.

 

[26]           Par ailleurs, la Commission n’a pas tenu compte des rapports médicaux et psychologiques du demandeur qui étaient inclus dans le dossier (dossier du tribunal, pages 261 à 263). Le demandeur soutient que, conformément à la demande qu’il a faite, on aurait dû désigner pour lui un représentant à la lumière des rapports médicaux qui indiquaient clairement qu’il n’était pas en mesure de saisir la nature de l’instance et que la Commission, au moment de tirer ses conclusions, aurait dû prendre en considération à la fois les principes directeurs du HCNUR et la Directive de la CISR sur les personnes vulnérables.

 

[27]           Enfin, dans son affidavit supplémentaire et son mémoire des arguments supplémentaire, le demandeur met en doute la compétence des commissaires actuels de la Commission ainsi que leur aptitude à trancher les affaires de demande d’asile, eu égard à de récentes statistiques concernant les résultats d’examen de plusieurs commissaires qui sont ressorties dans quelques demandes d’accès à l’information qu’il a présentées. Dans l’ensemble, allègue-t-il, il existe une crainte d’incompétence institutionnelle de la part de tous les commissaires, ce qui fait que la décision que la Commission a rendue en l’espèce est ultra vires.

 

La position du défendeur

[28]           Le défendeur soutient que la Commission a évalué de manière raisonnable le dossier du demandeur et que celui-ci n’est pas parvenu à démontrer que la Commission a tiré ses conclusions de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

[29]           Pour ce qui est des conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité, le défendeur est d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’en traiter car la Commission a déclaré que même si elle venait à admettre que les allégations du demandeur étaient toutes véridiques, celui-ci disposait quand même d’une PRI à Karachi. Par ailleurs, elle a motivé sa décision et ses conclusions de manière exhaustive et détaillée. Quant aux doutes émis à propos de l’entreprise du demandeur, le défendeur allègue que ces contradictions étaient un élément central de la demande d’asile du demandeur et remettaient donc en question sa version des faits à l’origine de sa crainte alléguée de persécution.

 

[30]           Par ailleurs, en ce qui concerne les conclusions de la Commission sur la possibilité d’une PRI, le défendeur affirme que le demandeur a seulement fait état de questions concernant l’évaluation des éléments de preuve, ce qui ne peut être considéré comme un motif d’intervention de la part de la Cour. Il allègue que la prétention du demandeur selon laquelle la Commission a fait abstraction, à dessein ou autrement, d’éléments de preuve contraires à ses conclusions est indéfendable. Il rappelle de plus qu’il est bien établi en droit qu’un décideur administratif n’est pas tenu de faire mention du moindre élément de preuve dont il a tenu compte avant de rendre une décision. De ce fait, soutient-il, au vu de la jurisprudence établie, et à moins d’une preuve contraire évidente, un décideur administratif est réputé avoir pris en compte la totalité des éléments de preuve avant d’arriver à une décision.

 

[31]           D’après le défendeur, il n’était donc pas déraisonnable que la Commission conclue que la simple existence d’une loi interdisant l’homosexualité ne peut prouver, si elle n’est pas appliquée, que l’on persécute les homosexuels au Pakistan. La preuve n’a pas établi, pour des raisons individuelles ou cumulatives, que le degré de discrimination et de harcèlement que le demandeur a pu subir avait atteint le stade d’un déni continu et systématique des droits fondamentaux de la personne.

 

[32]           Il était donc raisonnable, selon le défendeur, que la Commission conclue qu’au vu de la preuve documentaire, malgré l’existence d’exemples de discrimination, voire de violence, les homosexuels n’étaient pas, en tant que groupe, persécutés au Pakistan. Par ailleurs, pour ce qui est de l’argument du demandeur concernant l’erreur qu’a commise la Commission en faisant référence au Bangladesh plutôt qu’au Pakistan dans certaines notes de bas de page de ses motifs, le défendeur soutient qu’il s’agissait là d’une simple erreur d’écriture, car la Commission a fait correctement référence aux documents inclus dans le Cartable national de documentation sur le Pakistan.

 

[33]           Quant à la question des rapports médicaux, le défendeur soutient que rien dans la preuve soumise à la Cour ne donne à penser que ces rapports ont été explicitement soumis à la Commission dans le cadre de la question de l’existence d’une PRI à Karachi. De plus, les arguments du demandeur à propos du déni d’équité procédurale, relativement au fait d’avoir été privé d’un représentant désigné, sont tardifs, et il a renoncé à son droit de soulever une telle objection car il ne l’a pas fait au départ. Par ailleurs, le Guide du HCNUR et la Directive de la CISR sur les personnes vulnérables sont des documents qui n’ont pas force obligatoire et qui, en droit canadien, ne font pas autorité. La Commission a pris toutes les mesures nécessaires pour être sensible à la situation psychologique et à l’état allégué du demandeur, car celui-ci a été désigné par elle comme une personne vulnérable.

 

[34]           Enfin, en ce qui concerne les arguments que le demandeur a invoqués dans son affidavit supplémentaire et son mémoire des arguments supplémentaire à propos de la compétence des  commissaires actuels de la CISR pour ce qui est de trancher des affaires de demande d’asile, le défendeur les rejette et soutient que le demandeur n’a fourni aucune preuve dénotant que les statistiques en question auraient une incidence sur le commissaire en question ou sur l’issue de la présente affaire.

 

Analyse

[35]           En l’espèce, la Cour signale que la Commission n’a tiré aucune conclusion définitive quant à la crédibilité du demandeur car elle a jugé que ses constatations sur l’existence d’une PRI étaient déterminantes. Après avoir examiné la preuve documentaire et les observations des parties, la Cour est d’avis que les constatations de la Commission sur la PRI sont raisonnables, et ce, pour les motifs qui suivent.

 

[36]           La Cour signale tout d’abord qu’il est bien établi dans la jurisprudence qu’une personne, pour être considérée comme un réfugié, doit s’exposer à des risques sur tout le territoire de son pays (voir THSB c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 354, [2011] ACF no 462; Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172). De plus, c’est au demandeur d’asile qu’incombe le fardeau de la preuve.

 

[37]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la preuve documentaire sur la situation au Pakistan, relativement au traitement réservé aux homosexuels. La Cour signale qu’il est bien établi en droit qu’il n’appartient pas à une cour de contrôle de soupeser de nouveau la preuve soumise à la Commission. Par ailleurs, rappelle-t-elle,  il est présumé que la Commission a pris en considération la totalité des éléments de preuve documentaires au moment où elle a rendu sa décision (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 598). La Cour conclut qu’en l’espèce le demandeur n’a pas établi que la Commission avait fait abstraction d’un élément de preuve quelconque; elle convient plutôt avec le défendeur que la Commission a pris acte de la totalité des éléments de preuve documentaires et a fait des commentaires sur la situation régnant au Pakistan. La Commission a reconnu que la documentation contenait des exemples de mauvais traitements infligés aux homosexuels au Pakistan. Elle a conclu que, même si, d’après la documentation, la loi interdit l’homosexualité au Pakistan, dans la pratique il était rare que les autorités intentent des poursuites (motifs de la Commission, paragraphes 15 et 16). Il ressort d’une lecture de la décision que la Commission était au courant de la situation problématique au Pakistan et qu’elle a tenu compte des éléments de preuve contradictoires. Le demandeur conteste la manière dont la preuve a été évaluée. Cependant, en se fondant sur la preuve documentaire objective qui a été produite, la Cour ne peut conclure que la Commission a commis une erreur au vu des éléments de preuve qui lui étaient soumis. La Cour estime donc que la conclusion de la Commission au sujet de l’absence relative de persécution des homosexuels au Pakistan est raisonnable (Birsan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1861, 86 ACWS (3d) 400).

 

[38]           Quant à l’argument du demandeur selon lequel la Commission s’est trompée en faisant référence au Cartable national de documentation sur le Bangladesh plutôt qu’à celui portant sur le Pakistan, la Cour conclut qu’il s’agit d’une simple erreur d’écriture. Il est vrai que les notes figurant au bas des pages 4 et 5 de sa décision font erronément référence au Bangladesh mais, en réalité, les numéros d’onglet que cite la Commission font correctement référence aux documents figurant dans la table des matières du Cartable national de documentation sur le Pakistan. Par ailleurs la Cour conclut que même si la Commission, au paragraphe 15 de sa décision, fait référence à l’édition 2009 (plutôt que 2010) du UK Country of Origin Information Report for Pakistan, il ne s’agit que d’une simple erreur typographique. Elle rejette donc l’argument du demandeur selon lequel les affirmations de la Commission ne cadraient pas avec les documents inclus dans le Cartable national de documentation sur le Pakistan. Dans le même ordre d’idées, l’argument du demandeur à propos de l’utilisation que la Commission a faite d’éléments de preuve extrinsèques est lui aussi dénué de fondement. Comme l’a déclaré le juge Russell dans la décision Petrova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 506, au paragraphe 51, [2004] ACF no 613, « [l]orsqu’une erreur est de nature typographique, la Cour ne doit pas modifier la décision, surtout si l’erreur ne semble pas être le résultat d’une incompréhension de la preuve » (voir aussi Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 134, [2002] CFPI no 188).

 

[39]           Le demandeur a également invoqué d’autres arguments au sujet des rapports médicaux, du Guide du HCNUR et de la Directive de la CISR sur les personnes vulnérables. Rien ne prouve que les rapports médicaux ont été soumis à la Commission relativement à la question de la PRI à Karachi. De plus, après avoir lu la décision de la Commission, la Cour est convaincue que cette dernière a pris les mesures nécessaires pour être sensible à la situation psychologique et à l’état allégué du demandeur, de même qu’à l’allégation de persécution fondée sur son orientation sexuelle. Par ailleurs, il ressort de la preuve que la Commission était au courant de la situation du demandeur (dossier du tribunal, pages 29 et 34).

 

[40]           Enfin, le demandeur soutient que plusieurs commissaires actuels de la Commission se sont inscrits à un concours tenu par la Commission de la fonction publique du Canada en vue du recrutement de futurs commissaires de la Section de la protection des réfugiés et n’ont pas été retenus. Il invite donc la Cour à déclarer que tous les commissaires actuels sont de ce fait incompétents pour entendre une demande d’asile jusqu’à l’entrée en vigueur, le 29 juin 2012, de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés. (Ce même argument a aussi été invoqué par l’avocat du demandeur dans le dossier IMM-5987-11).

 

[41]           L’examen auquel fait référence le demandeur fait suite à une réforme de la procédure de nomination des commissaires de la CISR (Martin Jones et Sasha Baglay, Refugee Law, (Toronto : Irwin Law, 2007) à la page 22) :

a.       sélection initiale et examen écrit;

b.      sélection au mérite des candidats par un comité consultatif formé d’universitaires, d’avocats et de représentants d’ONG;

c.       entrevues, contrôles des références, et examen des évaluations par le jury de sélection, formé de hauts fonctionnaires de la CISR et d’experts externes relevant d’autres tribunaux;

d.      en fonction des évaluations du comité consultatif et du jury de sélection, le président de la CISR recommande les candidats retenus au ministre de CIC;

e.       le ministre fait part de ses recommandations au gouverneur en conseil.

 

[42]           Le demandeur est d’avis qu’étant donné qu’un certain nombre de commissaires actuels ont échoué à l’examen tenu dans le cadre de la réforme du processus de nomination des commissaires de la CISR, tous les commissaires actuels sont incompétents pour entendre les demandes d’asile et il y a nécessairement une crainte d’incompétence institutionnelle de la part de chacun d’entre eux.

 

[43]           Ceci étant dit avec égards, dans les circonstances, l’argument du demandeur repose sur des conjectures. Par exemple, il n’existe aucune preuve au sujet des questions posées à l’examen. À l’audience tenue devant la Cour, l’avocat du demandeur a confirmé que les résultats de l’examen sont confidentiels. De plus, rien ne prouve que le commissaire chargé de la présente affaire a échoué à l’examen ou y a réussi. Et, par-dessus tout, rien ne prouve que le commissaire a bel et bien fait l’examen. De façon générale, la Cour rappelle que les limites des statistiques sont bien connues (Es-Sayyid c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 59, au paragraphe 55, [2012] ACF no 250). Plus précisément, dans le cas présent, la Cour conclut que l’interprétation qu’avance le demandeur en se fondant sur des statistiques est tirée par les cheveux, et la Cour n’est pas d’accord pour dire qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur. Vu le manque de preuves et de fondement factuel, l’argument du demandeur est donc rejeté.

 

[44]           Compte tenu des motifs qui précèdent ainsi que des conclusions que la Cour a tirées au sujet de la question déterminante de la PRI, il n’est pas nécessaire de traiter des arguments du demandeur au sujet de la question de la crédibilité (Khokhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, au paragraphe 42, [2008] ACF no 571).

 

[45]           La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

Les questions qu’il a été proposé de certifier

[46]           Le demandeur propose que les questions suivantes soient certifiées :

Question no 1 :

[traduction] « Étant donné que les commissaires actuellement nommés par le gouverneur en conseil (GC) et les futurs commissaires de la SPR qui seront membres de la fonction publique seront appelés à interpréter la même définition d’un réfugié et d’une personne à protéger, le fait que des commissaires nommés par le GC n’aient pas réussi à l’examen tenu lors du processus de sélection visant à faire d’eux de futurs membres de la fonction publique, dans le cadre du projet de loi C-11, est-il le signe d’une incompétence manifeste et les rend-ils inadmissibles à titre de décideurs? »

 

Question no 2 :

[traduction] « Si la réponse à la première question est OUI, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié viole-t-elle les principes de justice naturelle et les droits que la Charte confère aux demandeurs d’asile et aux personnes à protéger? »

 

Question no 3 :

[traduction] « Si la réponse à la première question est OUI, cela créerait-il deux régimes discriminatoires pour les demandeurs d’asile et les personnes à protéger, le premier dans le cadre de la loi actuellement en vigueur et le second dans le cadre du projet de loi C-11? »

 

 

[47]           La Cour d’appel fédérale a énoncé quels sont les critères prévus pour la certification d’une question de portée générale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage (CAF), [1994] ACF no 1637, 176 NR 4. Les questions proposées doivent transcender les intérêts des parties au litige, aborder des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et être déterminantes quant à l’issue de l’appel. De l’avis de la Cour, les questions que le demandeur a formulées ne répondent pas à ces critères.

 

[48]           La première question que soumet le demandeur invite simplement à formuler des conjectures et, au vu des faits de l’espèce, elle ne permettrait pas de trancher l’appel. De plus, la Cour a jugé qu’il n’y a pas lieu de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité ou d’incompétence institutionnelle. La Cour convient avec le défendeur que la question, telle qu’elle est formulée, est plutôt de la nature d’une question de renvoi (Pillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1417, [2001] ACF no 1944). Il ne convient donc pas de la certifier.

 

[49]           Compte tenu de la réponse négative à la première question, il n’est nul besoin de répondre aux deux suivantes.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6317-11

 

INTITULÉ :                                      SYED BAKHTAWAR GILLANI c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 19 MARS 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 4 MAI 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan M. Bohbot

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Me Dan M. Bohbot

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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