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 Date: 20120210


Dossier : IMM-3375-11

Référence : 2012 CF 199

Montréal (Québec), le 10 février 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

ORNELLA MARIE-FRANCE NDUNDU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I Introduction

 

[9]        Le législateur a déterminé que les revendications du statut de réfugié doivent être présentées avant qu'une mesure de renvoi soit prise contre une personne. Il a expressément indiqué que les revendications du statut de réfugié ne peuvent être entendues dans une situation en particulier, c'est-à-dire lorsque la revendication est présentée après qu'une mesure de renvoi a été prise. En adoptant cet article, le législateur avait manifestement l'intention d'empêcher certaines personnes, ayant été exclues du Canada sur la base d'un premier récit, de revendiquer le statut de réfugié en modifiant ce récit. Si la présente Cour autorisait la réouverture de mesures de renvoi afin de permettre l'examen de ces revendications, cet article perdrait tout son effet. [Souligné dans l’original]

 

Comme spécifié par la Cour d’appel fédérale dans Raman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 CF 140.

II Procédure judiciaire

 

1.            Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], d’une mesure d’exclusion prise par la déléguée du ministre, à l’encontre de la demanderesse, le 8 mai 2011.

III Faits

2.                  La demanderesse, madame Ornella Marie-France Ndundu, serait née le 30 janvier 1987 en République démocratique du Congo [RDC], pays dont elle a la nationalité.

 

3.                  La demanderesse aurait fui son pays d’origine le 11 novembre 2011.

 

4.                     Après avoir transité au Congo-Brazzaville et en France, madame Ornella Marie-France Ndundu, est arrivée au Canada le 8 mai 2011 avec un passeport émis par la Belgique au nom de madame Pamela Wawa Mompa.

 

5.                  La demanderesse a affirmé à un agent d’immigration vouloir entrer au Canada afin de visiter une de ses amies pour une durée de 10 jours.

 

6.                  La photo de passeport ne correspondant pas à la demanderesse, l’agent d’immigration l’aurait questionnée. Lors de cette entrevue, l’agent d’immigration a conclu que la demanderesse ne se présentait pas sous sa véritable identité et a donc produit un rapport, selon le paragraphe 44(1) de la LIPR, recommandant l’exclusion de la demanderesse.

 

7.                  La demanderesse allègue avoir menti sur son identité pour se conformer aux instructions du passeur selon lesquelles elle se devait de « défendre son passeport belge » et ne devait demander la protection du Canada qu’après avoir franchi le premier contrôle d’immigration au Canada.

 

8.                  La demanderesse a ensuite rencontré la déléguée du ministre. L’entrevue s’est déroulée en français. La demanderesse y a réitéré la durée temporaire de son séjour.

 

9.                  La déléguée du ministre aurait, ensuite, questionné la demanderesse pour savoir si elle avait des problèmes en Belgique.

 

10.              La demanderesse allègue ne pas avoir compris la question. Croyant que la déléguée du ministre faisait référence à des problèmes judiciaires, elle aurait répondu par la négative. La demanderesse allègue que jamais ne lui fut demandé si elle avait des problèmes en RDC ni si elle craignait être persécutée dans un autre pays du monde. Elle allègue également que jamais la déléguée du ministre ne lui a demandé si elle recherchait la protection du Canada.

 

11.              La demanderesse aurait demandé la protection du Canada immédiatement après le prononcé de la mesure d’exclusion et aurait révélé, à ce moment, sa véritable nationalité.

 

 

12.              La déléguée du ministre l’aurait alors informée qu’elle ne pouvait plus demander l’asile au Canada en ayant été exclue.

 

13.              La demanderesse a été placée en détention en vue de son renvoi en France.

 

14.              La demanderesse a été renvoyée en France le 10 mai 2011. À son arrivée, les autorités françaises lui ont refusé l’entrée et la demanderesse fut renvoyée au Canada.

 

15.              La demanderesse a, à nouveau, été détenue. Le départ de la demanderesse a été remis au 20 mai 2011.

 

16.              La demanderesse a subi, au Canada, deux malaises. Elle fut transportée à l’hôpital à son retour le 10 mai 2011 et à la veille de son renvoi vers la France le 20 mai 2011.

 

17.              Le 17 mai 2011, la possibilité de présenter une demande d’évaluation des risques avant renvoi [ÉRAR] a été offerte à la demanderesse.

 

18.              Le 20 mai 2011, la demanderesse a déposé une requête visant à sursoir à son renvoi. Le même jour, elle s’est désistée de cette demande puisque le ministre avait accepté de reporter administrativement son renvoi jusqu’à l’obtention d’une décision sur sa demande d’ÉRAR.

 

 

 

 

IV Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

19.              La déléguée du ministre a prononcé une mesure d’exclusion à l’endroit de la demanderesse la rendant inadmissible à demander l’asile selon le paragraphe 99(3) de la LIPR. Cette décision a été prise à la suite de la recommandation contenue au rapport établi selon le paragraphe 44(1) de la LIPR [rapport].

 

V Dispositions législatives pertinentes

20.        Les dispositions de la LIPR pertinentes au litige sont les suivantes :

Obligation à l’entrée au Canada

 (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

*                   a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

*                   b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

 

 

 

Manquement à la loi

 S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

Rapport d’interdiction de territoire

 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

Obligation on entry

 (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

*                   (a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence; and

*                   (b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

*                    

Non-compliance with Act

 A person is inadmissible for failing to comply with this Act

*                   (a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

*                   (b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

Preparation of report

 (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

 

21.              Les dispositions du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement] pertinentes au litige sont les suivantes :

Documents : résidents temporaires

 (1) En plus de remplir les autres exigences réglementaires, l’étranger qui cherche à devenir résident temporaire doit détenir l’un des documents suivants, valide pour la période de séjour autorisée :

*       a) un passeport qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant, qui ne lui interdit pas de voyager au Canada et grâce auquel il peut entrer dans le pays de délivrance;

Application du paragraphe 44(2) de la Loi : étrangers

 (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci-après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

*                   a) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour grande criminalité ou criminalité au titre des alinéas 36(1)a) ou (2)a) de la Loi, l’expulsion;

*                   b) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)c) de la Loi, l’expulsion;

*                   c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

*                               (i) l’obligation prévue à la partie 1 de la Loi de se présenter au contrôle complémentaire ou à l’enquête, l’exclusion,

*                               (ii) l’obligation d’obtenir l’autorisation de l’agent aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi, l’expulsion,

*                               (iii) l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires, l’exclusion,

*                               (iv) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, l’exclusion,

*                               (v) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de se conformer aux conditions imposées à l’article 184, l’exclusion;

*                   d) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour inadmissibilité familiale aux termes de l’article 42 de la Loi, la même mesure de renvoi que celle prise à l’égard du membre de la famille interdit de territoire.

 

Documents — temporary residents

 (1) In addition to the other requirements of these Regulations, a foreign national seeking to become a temporary resident must hold one of the following documents that is valid for the period authorized for their stay:

*       (a) a passport that was issued by the country of which the foreign national is a citizen or national, that does not prohibit travel to Canada and that the foreign national may use to enter the country of issue;

Subsection 44(2) of the Act — foreign nationals

 (1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be

*                   (a) if the foreign national is inadmissible under paragraph 36(1)(a) or (2)(a) of the Act on grounds of serious criminality or criminality, a deportation order;

*                   (b) if the foreign national is inadmissible under paragraph 40(1)(c) of the Act on grounds of misrepresentation, a deportation order;

*                   (c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

*                               (i) failing to appear for further examination or an admissibility hearing under Part 1 of the Act, an exclusion order,

*                               (ii) failing to obtain the authorization of an officer required by subsection 52(1) of the Act, a deportation order,

*                               (iii) failing to establish that they hold the visa or other document as required under section 20 of the Act, an exclusion order,

*                               (iv) failing to leave Canada by the end of the period authorized for their stay as required by subsection 29(2) of the Act, an exclusion order, or

*                               (v) failing to comply with subsection 29(2) of the Act to comply with any condition set out in section 184, an exclusion order; and

*                   (d) if the foreign national is inadmissible under section 42 of the Act on grounds of an inadmissible family member, the same removal order as was made in respect of the inadmissible family member.

 

VI Points en litige

22.              La décision de la déléguée du ministre de prononcer une mesure d’exclusion à l’encontre de la demanderesse est-elle raisonnable?

 

23.              Y a-t-il eu manquement aux règles d’équité procédurale?

 

VII Position des parties

24.              La partie demanderesse soutient que la mesure de renvoi et le rapport sont viciés en raison d’un manquement à l’équité procédurale en ce qu’il n’aurait jamais été demandé à la demanderesse si elle sollicitait la protection du Canada. Ce n’est qu’après le prononcé de la mesure d’exclusion que la demanderesse aurait divulgué sa véritable nationalité à l’agent d’immigration et à la déléguée du ministre et aurait demandé la protection du Canada. Pour appuyer sa prétention, la partie demanderesse fait valoir comme preuve, les notes manuscrites de la déléguée du ministre et de la demanderesse obtenues en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), ch A-1. 

 

25.              De plus, l’agent d’immigration et la déléguée du ministre auraient dû prendre en compte l’état de vulnérabilité de la demanderesse afin de déterminer si elle pouvait être en mesure de demander la protection.  

 

26.              Pour démontrer la vulnérabilité de la demanderesse, en raison de son état psychologique, la partie demanderesse souhaite faire admettre en preuve un rapport psychologique rédigé postérieurement à la mesure d’exclusion, ses soumissions au soutien de la demande d’ÉRAR, le formulaire d’escorte à l’étranger daté du 19 mai 2011, le dossier médical de la demanderesse et des courriers électroniques émanant des agents d’exécution responsables du renvoi de la demanderesse le 20 mai 2011. Elle prétend que ces preuves sont recevables puisqu’elles appuient ses arguments quant aux manquements à l’équité procédurale.

 

27.              La partie demanderesse soumet, à titre subsidiaire, qu’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle, indépendamment de la conduite de l’agent d’immigration ou de la déléguée du ministre durant l’entrevue, étant donné que la demanderesse était une personne vulnérable sur le plan psychologique durant l’entrevue.

 

28.              La partie demanderesse soutient également que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la demanderesse, prévu à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte] a été brimé par la conduite du premier agent et de la déléguée du ministre qui auraient, après le prononcé de la mesure d’exclusion, comblé les lacunes de leurs notes avec les informations données par la demanderesse.

 

29.              La partie défenderesse soutient, quant à elle, que la demanderesse est responsable des conséquences de ses mensonges aux autorités canadiennes lesquelles l’empêchent de demander l’asile au Canada.

 

30.        Elle soutient que les notes, contemporaines et désintéressées, sont claires et démontrent que la demanderesse ne désirait pas demander la protection du Canada à son arrivée, ayant mentionné qu’elle désirait y séjourner à titre de visiteuse. En effet, les notes électroniques et l’affidavit de la déléguée du ministre démontrent que cette dernière s’est assurée de savoir si la demanderesse désirait demander l’asile au Canada.

 

31.              Aucun manquement à un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale n’a été commis puisque la demanderesse comprenait le déroulement de l’entrevue et les questions qui lui ont été posées. Elle n’a jamais requis la présence d’un interprète.

 

32.              La partie défenderesse soutient, par ailleurs, que les preuves invoquées par la partie demanderesse, pour établir le portrait psychologique de la demanderesse, ne sont pas recevables puisqu’ils n’ont jamais été portés à l’attention de la déléguée du ministre et reflètent des évènements postérieurs à la mesure d’exclusion. En l’occurrence, aucun manquement à l’équité procédurale n’ayant été commis, la jurisprudence favorable à l’admission des preuves ne s’applique pas.  

 

33.              S’appuyant sur l’affidavit de la déléguée du ministre, elle soutient que l’état psychologique de la demanderesse n’a pas entaché la conduite de l’entrevue.

 

VIII Analyse 

1)        La décision de la déléguée du ministre de prononcer une mesure d’exclusion à l’encontre de la demanderesse est-elle raisonnable?

 

34.              Il est bien établi par la jurisprudence qu’un haut degré de déférence est dû aux décisions de nature discrétionnaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Deo, 2009 CF 990 au para 15)

 

35.              Le raisonnement du juge Yvon Pinard dans Malongi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1090 résume bien les circonstances pouvant mener à une mesure d’exclusion :

[4]        Le délégué du ministre s'est fondé sur l'article 41 et l'alinéa 20(1)b) de la Loi et sur l'article 7 et l'alinéa 52(1)a) du Règlement pour déclarer que le demandeur était interdit de territoire.

 

[5]        Selon l'article 41 de la Loi, un étranger est interdit de territoire s'il y a manquement à la Loi. Selon l'alinéa 20(1)b) de la Loi, pour qu'un étranger, qui cherche à entrer ou à séjourner au Canada, devienne résident temporaire, il est tenu de prouver qu'il détient les visa ou autres documents requis par le Règlement. L'article 7 et l'alinéa 52(1)a) du Règlement requièrent que l'étranger doit avoir obtenu un visa de résident temporaire et qu'il détienne un passeport qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen.

 

[6]        Le demandeur souligne que le paragraphe 20(1) vise le cas des étrangers qui désirent entrer ou séjourner au Canada en tant que résidents temporaires. Il soumet que son intention au moment où il est entré au Canada était de revendiquer le statut de réfugié. Toutefois, d'après les notes du délégué du ministre, le demandeur a déclaré être venu au Canada pour visiter des amis et n'avoir pas de problèmes dans son pays d'origine. Je suis d'avis que l'alinéa 20(1)b) s'applique à lui. De plus, l'agent a indiqué dans son affidavit que ce n'est qu'après que la mesure d'exclusion a été prononcée verbalement à l'égard du demandeur qu'il a effectivement indiqué avoir voulu revendiquer le statut de réfugié.

[7]        Le demandeur n'avait pas obtenu un visa de résident temporaire avant de venir au Canada, donc il y a contravention de l'article 7 du Règlement. En ce qui concerne son passeport, il avait initialement nié le fait qu'il était faux, mais dans son affidavit, au paragraphe 13, il admet qu'il ne lui appartenait pas. Le fait que le demandeur admette qu'un passeport ne lui a pas été délivré le place sous la catégorie d'un étranger qui contrevient à l'alinéa 52(1)a) du Règlement.

 

[8]        Vu que le demandeur n'avait pas un visa de résident temporaire avant d'entrer au Canada et vu son admission à l'effet que le passeport qu'il possédait ne lui appartenait pas, je suis d'avis que le délégué du ministre était tout à fait justifié de conclure que le demandeur ne détenait pas les documents requis par le Règlement et qu'en conséquence il était interdit de territoire en vertu de l'article 41 de la Loi. [La Cour souligne]

 

36.              Il ressort de ces paragraphes qu’un étranger, qui décide de mentir aux autorités sur son intention d’être admis au Canada à titre de visiteur, s’expose par son attitude, à une mesure d’exclusion.  

 

37.              Dans la présente affaire, les deux parties proposent une version différente des faits survenus durant l’entrevue du 8 mai 2011. Le raisonnement du juge Edmond P. Blanchard dans Elemuwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1026 trouve application : 

 

[16]      Pour ce qui est de la prétention du demandeur selon laquelle le délégué a pris la mesure d'exclusion malgré qu'une demande d'asile ait été faite, c'est au demandeur qu'il incombe d'établir d'après la prépondérance de la preuve que les faits se sont produits selon ce qui est allégué dans son mémoire. Essentiellement, le demandeur allègue qu'en refusant d'accepter la demande d'asile l'agent d'immigration a agi contrairement à la LIPR et aux obligations internationales du Canada. Le demandeur met en doute l'intégrité de l'agent, mais afin de prouver ses allégations, les faits sur lesquels celles-ci se fondent doivent être énoncés. La preuve fournie par le demandeur n'appuie pas ses allégations et, par conséquent, il ne s'est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait.

 

 

[17]      En outre, il ressort du propre affidavit du demandeur que son intention était tout d'abord d'obtenir l'admission au Canada et ensuite de présenter de l'intérieur du pays une demande d'asile. […] [La Cour souligne]

 

 

38.              Les directives qui doivent être suivies par les agents sont regroupées dans le Guide d’exécution de la loi ENF 6 intitulé L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1) (guide ENF  6):

8. Procédure : Traitement de demandes d’asile possibles

 

Même si rien dans la LIPR n’oblige le délégué du ministre à demander à la personne qui a fait l’objet d’une décision si elle désire déposer une demande d’asile, le délégué devrait être conscient des obligations du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

 

Le L99(3) dispose que les personnes frappées d’une mesure de renvoi ne sont pas admises à déposer une demande d’asile. Par conséquent, le délégué du ministre devrait s’assurer que le renvoi ne serait pas contraire à l’esprit des obligations du Canada avant de prononcer une mesure, même lorsque l’intéressé ne demande pas explicitement à se prévaloir du processus de détermination du statut de réfugié.

 

Il faut également reconnaître que certaines personnes qui peuvent avoir un besoin légitime de la protection du Canada ne sont pas au courant de la disposition concernant la présentation d’une demande d’asile.

 

Il existe une procédure sur le traitement d’une demande d’asile possible :

 

•           Lorsque la personne qui fait l’objet d’une décision prévoyant la prise d’une mesure de renvoi administrative n’a pas déposé de demande d’asile, le délégué du ministre devrait lui demander combien de temps elle a l’intention de demeurer au Canada.

 

•           Si la personne indique que son intention est ou était d’y demeurer temporairement, le délégué du ministre devrait donner suite à la décision et délivrer la mesure de renvoi, le cas échéant.

 

•           Si la personne indique que son intention est ou était de demeurer indéfiniment au Canada, le délégué du ministre doit lui demander les raisons pour lesquelles elle a quitté son pays de nationalité et les conséquences pour elle si elle devait y retourner, avant de prendre une décision sur le prononcé d’une mesure de renvoi.

 

•           Lorsque les réponses indiquent une crainte de retourner dans le pays de nationalité, qui peut avoir un lien avec la protection des réfugiés, le délégué du ministre doit informer la personne de la définition de « réfugié » ou de « personne à protéger » aux termes du L96 et du L97, et lui demander si elle désire déposer une demande d’asile.

 

•           Lorsque la personne indique qu’elle n’a pas l’intention de déposer une demande d’asile, le délégué du ministre doit donner suite à la décision et délivrer la mesure de renvoi, le cas échéant.

 

•           Lorsque la personne n’est pas certaine, le délégué du ministre doit l’informer qu’elle ne pourra pas faire une demande d’asile après la prise d’une mesure de renvoi [L99(3)] et il doit lui donner l’occasion de faire la demande avant de prendre la décision de la frapper d’une telle mesure.

 

•           Si la personne n’exprime pas l’intention de déposer une demande d’asile, même si on lui a expliqué qu’il s’agit là de sa dernière occasion, le délégué du ministre devrait donner suite à la décision et délivrer la mesure de renvoi, le cas échéant.

 

•           Chaque fois que la personne indique qu’elle craint de retourner dans son pays de nationalité, le délégué du ministre doit éviter d’évaluer si la crainte est fondée. En outre, il ne doit pas conjecturer sur l’admissibilité de la personne avant que celle-ci ne dépose une demande d’asile, ni conjecturer sur le temps de traitement ou l’issue éventuelle d’une demande. [La Cour souligne]

 

39.              La demanderesse admet avoir expliqué au premier agent d’immigration et à la déléguée du ministre vouloir entrer au Canada à titre de visiteuse, sur une base temporaire (Affidavit de la demanderesse aux para 5 et 9, Dossier du demandeur [DD] à la p 15).

 

40.              Ainsi, la déléguée du ministre n’était même pas dans l’obligation, selon le guide ENF 6, de lui demander si elle désirait se prévaloir de la protection du Canada. La déléguée du ministre a quand même veillé à respecter les obligations internationales du Canada relatives au statut de réfugié.

 

41.              L’échange, qui s’est déroulé en français lors de l’entrevue du 8 mai 2011, a été consigné en anglais, sous la forme suivante :

Observations:

 

*SUBJECT WAS SEEKING ADMISSION AS A TOURIST FOR A PERIOD OF 10 DAYS TO VISIT HER FRIEND […]

 

*SHE SAID SHE HAD JUST FINISHED HER NURSING DEGREE AND WANTED A LITTLE BREAK

 

*Q: HOW DID YOU GET BELGIAN CITIZENSHIP?

 

*A: I WAS ADOPTED

 

*Q: BY BELGIAN PARENTS?

 

*A: NO, A LADY AT CHURCH

 

*Q: WHAT’S HER NAME?

 

*A: I DON’T REMEMBER IT’S BEEN MORE THAN 20 YEARS

 

*Q: WHY DID YOU TELL THE OFFICER YOU ARE 23 YRS OLD WHEN IN FACT YOU ARE ONLY 22?

 

*Q: WELL, IN BELGIUM WHEN YOU ARE IN THE COURSE OF THE YEAR, YOU SAY YOU’RE A YEAR OLDER, IT’S COMMON PRACTICE THERE

 

*Q: IT IS OBVIOUS TO ME AND THE OFFICER THAT YOU ARE NOT THE PERSON ON THE PPT PICTURE, DO YOU HAVE PROBLEMS IN ANY COUNTRY?

 

*A: NO, CHECK IN BELGIUM MY RECORD, I’M CLEAN

 

*Q: DO YOUR FEAR PERSECUTION IN ANY COUNTRIES IN THE WORLD?

 

*A: NO, I DON’T

 

*Q: DO YOUR KNOW WHAT ASYLUM IS?

 

*A: YES

 

*Q: ARE YOU ASKING FOR CANADA’S PROTECTION?

 

*A: NO, I JUST WANT TO COME AS A TOURIST

[…]

 

(Dossier du tribunal [DT] aux pp 5-9)

42.              La Cour note, toutefois, que les notes de la déléguée du ministre consignées électroniquement de même que ses notes manuscrites comparées au rapport et aux notes du premier agent d’immigration n’aident pas à retracer toute la logique du processus décisionnel. Il n’apparaît pas clairement, à la lecture de l’ensemble de ces notes, à quel moment du processus décisionnel la véritable nationalité de la demanderesse a été connue. L’apparence de transparence dans le processus décisionnel de la mesure de renvoi est des plus importantes. Comme le mentionne le guide ENF 6 :

8. Procédure : Traitement de demandes d’asile possibles

 

[…]

 

Pour pouvoir répondre aux préoccupations qui pourraient surgir à la suite du prononcé d’une mesure de renvoi, il est important que les notes reflètent fidèlement – en détail – les questions posées et l’information donnée par la personne pendant un échange comme celui qui est mentionné ci-dessus.[La Cour souligne]

 

43.              Néanmoins, compte tenu des circonstances particulières du dossier, l’analyse approfondie de l’ensemble du dossier et de la preuve qu’il comporte permet de conclure que la déléguée du ministre a agi, conformément au guide ENF 6, dans les limites de l’exercice de son pouvoir et que la demanderesse a eu, à plusieurs reprises, la possibilité de s’exprimer et de demander l’asile. Elle s’est contentée de dissimuler sa véritable identité et de mentir quant à la raison de son séjour au Canada. Ce n’est qu’une fois que la mesure d’exclusion a été prononcée qu’elle a demandé l’asile.

 

44.              Même en admettant que la demanderesse ait été mal conseillée dans son pays d’origine, raison invoquée pour expliquer en quoi elle se devait de défendre sa fausse nationalité belge lors de l’entrevue au point d’entrée, cela ne peut constituer une justification de l’omission de révéler avoir besoin de protection. Prétendre le contraire reviendrait à dénaturer le paragraphe 44(1) de la LIPR. Comme expliqué par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Raman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 CF 140 :

[9]          […]

 

Le législateur a déterminé que les revendications du statut de réfugié doivent être présentées avant qu'une mesure de renvoi soit prise contre une personne. Il a expressément indiqué que les revendications du statut de réfugié ne peuvent être entendues dans une situation en particulier, c'est-à-dire lorsque la revendication est présentée après qu'une mesure de renvoi a été prise. En adoptant cet article, le législateur avait manifestement l'intention d'empêcher certaines personnes, ayant été exclues du Canada sur la base d'un premier récit, de revendiquer le statut de réfugié en modifiant ce récit. Si la présente Cour autorisait la réouverture de mesures de renvoi afin de permettre l'examen de ces revendications, cet article perdrait tout son effet. [Souligné dans l’original]

 

 

2) Y a-t-il eu manquement aux règles d’équité procédurale?

 

45.              La Cour dans l’affaire Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

l'Immigration), [1998] FCJ No 719, 151 FTR 8 (QL/Lexis) s’est intéressée au degré d’équité procédurale dû lors de l’entrevue au point d’entrée concluant que les exigences sont minimes dès lors que l’étranger n’entend pas se prévaloir du droit à la protection. Ce principe est expliqué comme suit :

[7]        À mon avis, les obligations d'équité en matière de procédure en l'espèce étaient minimes. D'abord, je ferais remarquer que la situation de la requérante était bien différente du scénario décrit dans l'arrêt Dehghani, où le requérant avait exprimé le désir de demander le statut de réfugié, ce qui avait incité l'agent d'immigration supérieur à l'interroger afin de déterminer les mesures ultérieures à prendre pour traiter la demande de statut de réfugié en question. À l'inverse, la requérante en l'espèce a répété qu'elle ne souhaitait pas demander le statut de réfugié et qu'elle n'avait rien à craindre si elle devait retourner en Chine. Au cours de son deuxième interrogatoire, la requérante s'est fait poser des questions simples et directes concernant les documents dont elle avait besoin pour entrer au Canada (soit un passeport valable encore en vigueur et un visa de visiteur) et concernant la possibilité qu'elle présente une demande de statut de réfugié. Elle était tenue de répondre franchement à ces questions conformément au paragraphe 12(4) de la Loi sur l'immigration (la " Loi "). Il est bien certain qu'une fois qu'une partie requérante exprime le désir de demander le statut de réfugié, les garanties procédurales qui lui sont accordées devraient être supérieures. Par conséquent, il n'y a pas lieu de présumer que les mêmes garanties procédurales applicables dans l'arrêt Dehghani conviendront nécessairement dans la présente affaire où, en réalité, c'est le manque de franchise de la requérante qui lui a fait perdre le droit de revendiquer le statut de réfugié (voir, par exemple, les arrêts Mbulu c. Canada (M.C.I.) (1995), 94 F.T.R. 81, et Nayci c. Canada (M.C.I.) (1995), 105 F.T.R. 122). Dans les circonstances de la présente affaire, je suis donc d'avis qu'il n'était pas nécessaire, au nom de l'équité, d'aviser la requérante de la nature et des conséquences du deuxième interrogatoire. En réalité, la requérante aurait dû savoir qu'elle risquait de ne pas être autorisée à entrer au Canada. [La Cour souligne]

 

(Voir également Raman, ci-dessus, au para 16)

 

46.              La Cour souscrit à ce raisonnement. La conduite de la demanderesse est non équivoque : elle a prétendu être une visiteuse n’ayant pas besoin de protection. La déléguée du ministre a agi dans les limites de son pouvoir. Les garanties procédurales relatives au besoin de protection n’entrent en jeu qu’une fois que l’asile est effectivement demandé, ce qui n’est pas le cas ici.

 

47.              La partie demanderesse soulève l’argument selon lequel il y a eu manquement à l’équité procédurale, indépendamment de la conduite des agents, par le seul fait que la demanderesse est une personne vulnérable en raison de son état psychologique. Le contrôle judiciaire n’est pas un procès de novo, il convient, en conséquence, de faire preuve de prudence au moment de se prononcer sur l’admissibilité de preuves n’ayant pas été soumises au premier décideur. Elles ne peuvent être admises que pour démontrer un manquement à l’équité procédurale (McFadyen c Canada (Procureur général), 2005 CAF 360; Vennat c Canada (Procureur général), 2006 CF 1008 aux para 44 et 45).

 

48.              La déléguée du ministre a agi en accord avec les principes d’équité procédurale dans le contexte.  Il n’apparaît pas que l’état de la demanderesse, au moment de l’entrevue, a constitué un quelconque obstacle à la formulation d’une demande d’asile. Le nœud du litige est principalement de cerner si la déléguée du ministre a agi à l’intérieur de ses fonctions en offrant la possibilité à la demanderesse de demander l’asile.

 

49.              Certes, le rapport psychologique, le dossier d’hospitalisation et les échanges ayant eu lieu entre les différents agents d’exécution permettent de cerner l’état psychologique de la demanderesse après l’entrevue avec la déléguée du ministre, alors que d’autres évènements sont survenus notamment son renvoi vers la France et sa détention. Ils ne sont, cependant, d’aucun secours au soutien de l’argument de la partie demanderesse relatif à l’état psychologique lors de l’entrevue (Kitsinga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 126, au para 24).

 

50.              Quant aux soumissions au soutien de la demande d’ERAR, elles cernent l’histoire de la demanderesse d’un point de vue subjectif, peu probant, pour établir son état psychologique. Il importerait d’apprécier la crédibilité de la demanderesse et la Cour ne peut jouer ce rôle.

 

51.              D’ailleurs, est-il besoin d’attirer davantage l’attention sur le fait que la demanderesse a été en mesure de demander la protection aussitôt la mesure d’exclusion prononcée (Affidavit de la demanderesse, au para 11, [DD] à la p 17)?

52.              Il n’y a pas eu manquement aux principes d’équité procédurale.

 

53.              Pour l’ensemble des motifs précédemment exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

“Michel M.J. Shore”

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3375-11

 

INTITULÉ :                                       ORNELLA MARIE-FRANCE NDUNDU et MSPC

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 10 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mylène Barrière

POUR LA DEMANDERESSE

 

Émilie Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mylène Barrière

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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