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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120504

Dossier : T-1300-11

Référence : 2012 CF 548

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 mai 2012

En présence de monsieur M. Roger R. Lafrenière
(juge chargé de la gestion des instances)

 

ENTRE :

LA SUCCESSION, LA VEUVE ET LES ENFANTS DE
MORDRED HARDY

 

demandeurs

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le juge chargé de la gestion d’une instance n’est pas un simple arbitre qui reste assis passivement pendant qu’une partie agit comme bon lui semble. Si ce juge n’avait pas le pouvoir d’intervenir à un moment approprié et, après avoir entendu les observations des parties, de formuler les directives nécessaires afin de veiller à ce que l’affaire se déroule de manière ordonnée, efficace et expéditive, l’administration de la justice s’en trouverait minée. Comme l’a déclaré le juge S.R. Romilly, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l’arrêt R c Adam et al, 2006 BCSC 1405, il n’y a pas lieu de considérer que ce pouvoir [traduction] « est restreint et repose uniquement sur le pouvoir qu’a la Cour d’intervenir pour éviter que l’on abuse de sa procédure. Il est plutôt ancré dans la compétence inhérente qu’a la Cour de contrôler la procédure qui lui est propre ».

 

[2]               Par la voie de motifs d’ordonnance et ordonnance datés du 16 février 2012, le juge Sean Harrington a donné à M. Karl Hardy l’autorisation de représenter les autres parties intéressées à titre de demandeurs dans les affaires T‑1299‑11 et T‑1300‑11 : Succession Hardy c Canada (Procureur général), 2012 CF 220. Le juge Harrington a résumé de manière succincte le contexte dans lequel s’inscrivent ces deux instances :

[traduction

[1]               Helena Audry, veuve de Mordred Hardy, est âgée de 91 ans. Elle se déplace à l’aide d’une marchette. Dans ces deux instances introduites contre le ministère public, elle est la demanderesse principale, et peut-être bien la seule demanderesse. Elle a le droit de se représenter elle-même. Cependant, elle a demandé à son fils, Karl Hardy, qui n’est pas avocat, d’agir en son nom. Le ministère public a demandé une suspension d’instance en attendant la nomination d’un avocat, et le protonotaire Lafrenière a fait droit à cette requête. Il s’agit en l’espèce de l’appel de cette décision.

[2]               Tout a commencé en 1943. Mordred Hardy servait dans la Marine royale du Canada, à bord du NCSM Kamloops. Au mois de mars de cette année-là, un accident est survenu à l’entraînement, lors d’un exercice à la grenade sous-marine. M. Hardy a été blessé et hospitalisé. Quelques mois plus tard, il a été libéré, non pas à cause de la blessure qu’il avait subie mais pour cause de schizophrénie. Pour la famille, il s’agit là d’une pomme de discorde depuis les 69 dernières années.

[3]               Il est allégué que Mordred Hardy, peu après sa libération, a présenté une demande de pension d’invalidité à cause de la blessure subie, et qu’il en a présenté de nouveau une autre en 1975. Cependant, ce n’est qu’en 1997 qu’on lui a finalement accordé une pension d’invalidité pour cause de discopathie dégénérative, provoquée par l’explosion d’une grenade sous-marine. M. Hardy est décédé en 1999. Mme Hardy a droit à une pension à titre de conjointe survivante, conformément à l’article 45 de la Loi sur les pensions.

[4]               En 2010, le Comité de révision a modifié la décision initiale en accordant le droit à pension à compter du 27 novembre 1994, soit trois ans avant que le ministre rende sa décision, de même qu’une période de compensation supplémentaire de 24 mois. Le Comité a jugé que M. Hardy avait présenté une demande de pension en 1975 et qu’il avait demandé qu’on l’aide à remplir le formulaire. Personne ne lui avait répondu. La compensation supplémentaire de deux ans a été accordée conformément au paragraphe 39(2) de la Loi, car le Comité de révision a exprimé l’avis que la pension aurait dû être accordée plus tôt mais ne l’avait pas été « en raison soit de retards dans l’obtention des dossiers militaires ou autres, soit d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur ». Comme il est indiqué dans la décision Mackenzie c Canada (Procureur général), 2007 CF 481, 311 FTR 157, il s’agit là d’une disposition très sévère. La décision du Comité de révision a été confirmée en 2011 par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). L’étape suivante est le contrôle judiciaire de cette décision. La seule personne bénéficiaire de la pension est Mme Hardy, mais l’intitulé de la demande de contrôle judiciaire figurant dans le dossier T‑1299‑11 indique : « La succession et les survivants de Mordred Hardy, ancien combattant ».

[5]               Par ailleurs, une action en dommages-intérêts a été introduite dans le dossier T 1300‑11 par : « La succession, la veuve et les enfants de Mordred Hardy ». Les actes de procédure renferment des passages rédigés dans un langage très vigoureux. Par exemple, en prévision de l’invocation d’arguments de prescription, il est allégué : « Cela reviendrait à souscrire à des procédures marquées par des parjures, de l’obstruction, de la fraude et de l’évitement de responsabilité introduites et perpétuées par le gouvernement, sans interruption, depuis 1943 ».

[6]               Le procureur général a demandé une suspension d’instance jusqu’à ce qu’un avocat ait été nommé pour représenter les demandeurs. Il a invoqué, d’une part, l’article 112 des Règles des Cours fédérales, qui dispose qu’à moins que la Cour n’en ordonne autrement, les bénéficiaires d’une succession ou d’une fiducie sont liés par une ordonnance rendue contre la succession ou la fiducie et, d’autre part, l’article 121, qui dispose qu’à moins que la Cour, en raison de circonstances particulières, n’en ordonne autrement, la personne qui demande à agir en qualité de représentant se fait représenter par un avocat. Le procureur général a également déclaré qu’il entendait demander la radiation de l’action engagée dans le dossier T‑1300‑11, et, à défaut de cela, il a demandé un délai additionnel pour pouvoir déposer une défense après que la demande de contrôle judiciaire présentée dans le cadre du dossier T‑1299‑11 aura été tranchée.

 

 

[3]               Le juge Harrington a renvoyé au juge chargé de la gestion d’instance la question du moment du dépôt des requêtes envisagées par le procureur général du Canada (le ministère public) pour radiation, obtention de détails ou suspension du dossier T‑1300‑11 en attendant que l’on tranche le dossier T‑1299‑11. Dans l’intervalle, le ministère public a été dispensé de l’obligation de signifier et de déposer son dossier de requête dans le dossier T‑1299‑11 ainsi que sa défense dans le dossier T‑1300‑11.

 

[4]               En réponse à des directives que la Cour a rendues le 3 avril 2012, exigeant que les parties indiquent quelles étaient les requêtes en instance et proposent un échéancier pour les dossiers de requête en réponse, M. Hardy a produit deux lettres, faisant toutes deux référence au dépôt éventuel d’une requête en récusation si les requêtes en instance n’allaient pas de l’avant.

 

[5]               Par la voie de motifs d’ordonnance et ordonnance datés du 10 avril 2012, il a été ordonné aux demandeurs de signifier et déposer leur requête en récusation, le cas échéant, avant le 20 avril 2012, à défaut de quoi les allégations seraient considérées comme abandonnées : Succession Hardy c Canada (Procureur général), 2012 CF 406. Les demandeurs ont décidé de ne rien faire.

 

[6]               Une conférence de gestion d’instance a eu lieu en compagnie de M. Hardy et de l’avocate  du procureur général à Calgary, le 1er mai 2012. Les parties ont confirmé que les requêtes suivantes étaient encore en instance :

 

T-1299-11

 

a)                  la requête écrite des demandeurs, datée du 7 septembre 2011 et déposée en vertu de l’alinéa 105a) des Règles des Cours fédérales, en vue d’obtenir une ordonnance réunissant les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11;

 

b)                  la requête écrite des demandeurs, datée du 7 septembre 2011, en vue d’obtenir l’autorisation, aux termes du paragraphe 237(3) des Règles, de procéder à l’interrogation écrite d’une autre personne dans les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11;

 

c)                  la requête écrite, datée du 27 septembre 2011 et déposée pour le compte du procureur général du Canada, en vue d’obtenir une ordonnance : (i) fournissant aux parties des directives sur les requêtes des demandeurs décrites ci-dessus, (ii) fournissant une directive intérimaire suspendant et/ou prorogeant le délai dont dispose le Canada pour répondre auxdites requêtes, et (iii) désignant un juge chargé de gérer concurremment les instances dans les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11, à titre d’instances à gestion spéciale;

 

T-1300-11

 

a)                  la requête écrite des demandeurs, datée du 7 septembre 2011 et présentée en vertu de l’alinéa 105a) des Règles des Cours fédérales, en vue d’obtenir une ordonnance réunissant les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11;

 

b)                  la requête écrite des demandeurs, datée du 7 septembre 2011, en vue d’obtenir l’autorisation, aux termes du paragraphe 237(3) des Règles, de procéder à l’interrogation écrite d’une autre personne dans les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11;

 

c)                  la requête écrite des demandeurs, datée du 11 septembre 2011, en vue d’obtenir un jugement sommaire dans l’affaire de la déclaration déposée dans le cadre du dossier T-1300‑11, conformément aux articles 202 et 204 des Règles des Cours fédérales.

 

[7]               À la conférence de gestion d’instance, M. Hardy a fait valoir que le ministère public avait violé de manière flagrante et répétée les Règles des Cours fédérales. Ce dernier : a) avait omis de signifier et déposer des dossiers de requête en réponse aux requêtes des demandeurs dans le délai de dix jours que prévoit le paragraphe 369(2) des Règles, b) avait omis de signifier et déposer une défense dans le délai que prévoit l’article 204 des Règles, et c) ne s’était pas conformé à l’article 307 des Règles en s’abstenant de signifier et de déposer les affidavits et les pièces documentaires à l’appui de sa position. M. Hardy s’est plaint que le ministère public avait déposé plutôt des requêtes injustifiées, qu’il a qualifiées de [traduction] « bricolage à répétition », dans l’espoir de gagner du temps et de faire échec aux instances.

 

[8]               L’avocate du ministère public a admis que l’affaire était partie du mauvais pied. Elle a également reconnu qu’on n’avait pas répondu en temps opportun aux requêtes des demandeurs. Elle a toutefois soutenu que le ministère public avait toujours agi de manière raisonnable. Face à des requêtes considérées comme lacunaires sur le plan procédural, le ministère public avait déposé une requête en vue de faire suspendre le dossier T‑1299‑11 en attendant que les demandeurs nomment un avocat, et il avait aussi demandé une prorogation des délais prévus pour le dépôt d’une défense dans le dossier T‑1300‑11.

 

[9]               Après avoir entendu les observations des parties, j’ai encouragé M. Hardy et l’avocate du ministère public à se rencontrer pour discuter de la meilleure façon de procéder dans les deux affaires. Lorsque la conférence de gestion des instances a repris après une courte pause, M. Hardy a déclaré que les parties se trouvaient dans une impasse. Il a déclaré qu’il allait falloir accorder un ajournement de quelques jours afin qu’il puisse vérifier auprès des membres de sa famille s’il y avait lieu de suspendre l’action dans le dossier T‑1300‑11 en attendant l’issue de la demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier T‑1299‑1.

 

[10]           La conférence de gestion des instances a été ajournée, étant entendu que M. Hardy déposerait avant le 8 mai 2012 une lettre indiquant si les demandeurs consentaient à la suspension de l’action dans le dossier T‑1300‑11, à la poursuite de la demande de contrôle judiciaire, ainsi qu’au retrait et, ensuite, au remplacement de l’affidavit déposé à l’appui de la demande. M. Hardy a convenu que si l’on ne consentait pas à la suspension de l’instance, il proposerait un plan d’action permettant d’activer les deux instances.

 

[11]           Dans une lettre destinée au greffe et datée du 3 mai 2012, M. Hardy semble être revenu sur son engagement envers la Cour. Sa lettre ne dit rien au sujet de la possibilité de suspendre l’action. De plus, au lieu de présenter une proposition raisonnable en vue de l’audition ordonnée des requêtes en instance, M. Hardy reprend simplement les observations qu’il a présentées antérieurement à la Cour. Il fait également état de son intention de déposer une douzaine de nouvelles requêtes, suivant l’issue à laquelle mèneront les requêtes existantes.

 

[12]           La Cour a reçu une autre lettre de M. Hardy le 4 mai 2012. Ce dernier écrit que [traduction] « après réflexion », il semble évident que le ministère public n’est pas en mesure d’élaborer une défense contre l’une ou l’autre instance. Il laisse entendre qu’il n’y a que deux mesures appropriées que la Cour doit envisager. Pour ce qui est de la demande présentée dans le dossier T‑1299‑11, il soutient qu’il faudrait renvoyer l’affaire à un juge pour jugement immédiat. Quant à l’action engagée dans le dossier T‑1300‑11, il faudrait ordonner la tenue de négociations immédiates en vue d’arriver à un règlement et, en cas d’échec de ces dernières, procéder à un jugement ou à un procès tous deux sommaires.

 

[13]           Dans le dossier T‑1299‑11, les demandeurs font abstraction du fait que dans le cas d’une instance engagée par la voie d’une demande, un jugement par défaut n’est pas une option possible. Dans le dossier T‑1300‑11, ils font également abstraction du fait que le juge Harrington a explicitement dispensé le ministère public de l’obligation de signifier et de déposer une défense en attendant que la Cour rende une ordonnance ou des directives additionnelles. De plus, ils ferment délibérément les yeux sur la nature fondamentalement différente des instances distinctes, lesquelles sont soumises à des règles tout à fait différentes.

 

[14]           Une partie représentée par un non-avocat est tenu de suivre les mêmes règles que celles qui s’appliquent à n’importe qui. Le juge Harrington a exprimé de sérieux doutes quand il a autorisé M. Hardy à représenter sa mère dans les présentes instances. Il a dit craindre que M. Hardy ne représenterait pas sa mère comme il faut, qu’il se servirait de la salle d’audience comme lieu d’intimidation et qu’il serait exaspérant car [traduction] « il n’a ni les manières ni le savoir-faire d’un avocat qualifié ». Je partage les mêmes doutes.

 

[15]           M. Hardy se cache derrière sa plume et ferme les yeux sur les graves lacunes procédurales que comportent les documents déposés pour le compte des membres de sa famille. Il est temps que la Cour intervienne d’une main ferme pour éviter que les deux instances deviennent indûment compliquées et parfaitement ingérables.

 

[16]           Pour commencer, je considère qu’il est juste et approprié d’ordonner qu’aucune autre requête, sauf un appel de la présente ordonnance, ne peut être déposée sans l’autorisation de la Cour.

 

[17]           La prochaine étape logique serait de régler les requêtes en instance dont la Cour est actuellement saisie. Dans sa requête datée du 27 septembre 2011, le ministère public a demandé une prorogation du délai prévu pour répondre aux requêtes des demandeurs concernant la réunion des deux instances et à la requête en jugement sommaire des demandeurs dans le dossier T‑1300‑11. Dans une lettre datée du 17 octobre 2011, M. Hardy a répondu qu’il faudrait faire abstraction de la requête du ministère public, réunir les affaires et les orienter vers un jugement sommaire.

 

[18]           Les faits et les questions qui sont soulevés dans la demande de contrôle judiciaire et l’action sont tortueux et complexes. De plus, en déposant un dossier de requête conjoint, les demandeurs ont confondu les deux instances, qui sont distinctes et différentes d’un point de vue procédural. Dans les circonstances, pour pouvoir trancher comme il faut les requêtes en instance des demandeurs, il serait utile que la Cour obtienne les observations du ministère public. Une prorogation de délai sera donc accordée à ce dernier pour qu’il signifie et dépose un dossier de requête en réponse distinct dans chacune des instances.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Le greffe ne recevra ou ne déposera aucune autre requête, sauf un appel de la présente ordonnance, à moins que les demandeurs obtiennent au préalable l’autorisation de la Cour.

 

2.                  Une prorogation de délai est accordée au défendeur jusqu’au 25 mai 2012 afin qu’il puisse signifier et déposer un dossier de requête en réponse aux requêtes des demandeurs datées du 7 septembre 2011.

 

3.                  Sauf si la Cour rend une ordonnance ou une directive contraire, les requêtes des demandeurs seront tranchées par écrit.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Juge chargé de la gestion des instances

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1300-11

 

INTITULÉ :                                      LA SUCCESSION, LA VEUVE ET LES ENFANTS DE MORDRED HARDY c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             1er MAI 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 4 MAI 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karl S. Hardy

 

POUR LES DEMANDEURS/
POUR SON PROPRE COMPTE

 

Janell Koch

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S.O.

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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