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Date : 20120208


Dossier : IMM-3570-11

Référence : 2012 CF 169

Ottawa (Ontario), le 8 février 2012

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

PETER DIEGO FANADO KIRBY

JUSTIN CHRISTOPHER

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont deux jeunes frères citoyens du Saint-Vincent-et-les-Grenadines, aujourd’hui âgés de dix neuf et vingt et un ans. Ils contestent la légalité d'une décision datée du 29 avril 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), a rejeté leur demande d’asile.

 

[2]               La crédibilité du récit des demandeurs n’est pas en cause.

 

[3]               Rappelons que les demandeurs ont fui leur pays à cause d’un père abusif qui les a maltraités physiquement et psychologiquement toute leur vie. Ils ont décidé de quitter définitivement leur pays suite à un incident particulièrement grave survenu le 27 mai 2010. Ce jour là, leur père a tenté de violer leur mère alors qu’il était ivre. Quand les demandeurs sont intervenus pour l’arrêter, leur père les a attaqués avec une machette en menaçant de les tuer. Les demandeurs ont fui la maison et n’y sont jamais retournés. Ils ont appris plus tard que leur père a juré de les tuer s’il les retrouvait. Lors de cet évènement, le frère aîné avait dix neuf ans et le frère cadet n’en avait que dix sept. Les demandeurs sont arrivés au Canada en juin 2010 et ont présenté leur demande d’asile peu de temps après.

 

[4]               Le refus du tribunal est uniquement fondé sur le fait que les demandeurs auraient dû solliciter la protection de l’État et qu’ils n’ont donc pas réfuté la présomption qu’une protection étatique adéquate est disponible dans leur pays. Toutefois, il y a lieu d’intervenir en l’espèce car il est manifeste que le tribunal n’a pas considéré l’ensemble de la preuve documentaire et testimoniale, ce qui rend sa conclusion à l’effet que les demandeurs n’ont pas repoussé la présomption étatique, déraisonnable. La décision doit être annulée afin qu’il y ait une nouvelle audition suite à un examen complet de la preuve.

 

[5]               Le tribunal semble reprocher aux demandeurs de ne pas avoir signalé les agressions et menaces de mort de leur père à la police, de ne pas s’être adressés à l’Office du procureur général, et de ne pas avoir sollicité une ordonnance de protection auprès du tribunal de la famille. Pourtant, à l’audience, le demandeur principal, le frère aîné, a fourni des explications raisonnables et plausibles de leur défaut de s’adresser à la police mais le tribunal n’a manifestement pas tenu compte de cette partie de son témoignage. Il apparait que le père est un homme très violent et qu’en s’adressant à la police, les demandeurs pouvaient mettre leur vie en danger; un aspect qui n’est pas examiné par le tribunal dans sa décision. D’ailleurs, le frère aîné a témoigné qu’ils n’avaient aucun espoir que la police allait intervenir pour les protéger. Il a notamment expliqué que leur mère avait rapporté les abus de leur père à plusieurs reprises à la police, et qu’à chaque fois, des policiers se présentaient chez eux pour parler à leur père sans jamais intervenir. Après le départ des policiers, le père en profitait pour battre la mère en guise de représailles.

 

[6]               Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la suffisance ou l’insuffisance des efforts d’un demandeur d’asile d’obtenir la protection étatique (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 au para 38). Toutefois, le tribunal ne peut ignorer arbitrairement un élément de preuve qui est susceptible de jouer en faveur du demandeur d’asile. En l’espèce, le tribunal a occulté la vulnérabilité des demandeurs et les nombreuses tentatives de leur mère de solliciter la protection de l’État. Compte tenu du jeune âge des demandeurs à l’époque, le tribunal se devait de se demander si les appels antérieurs de la mère des demandeurs pouvait équivaloir à la recherche de la protection par eux-mêmes (James c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 546 au para 18).

 

[7]               De plus, le tribunal semble avoir procédé à une lecture sélective de la preuve documentaire en omettant de traiter des éléments favorables à la demande d’asile, notamment un extrait de l’item 5.1 du Cartable national intitulé information sur la violence conjugale; rôle du tribunal de la famille (Family Court); procédures à suivre pour demander une ordonnance de protection ou d’occupation; services offerts aux femmes victimes de violence (2006-novembre 2007), qui souligne que le tribunal de la famille dispose de très peu de moyens pour faire appliquer ses décisions et que les ordonnances de protection émises par celui-ci sont souvent négligées par les agresseurs. Cette omission du tribunal est à mon avis d’autant plus problématique puisqu’il s’agit du seul motif de rejet de la demande d’asile des demandeurs.

 

[8]               Comme cette Cour l’a souligné à nombreuses reprises dans des décisions antérieures, il ne suffit pas de faire état de quelques passages généraux de la preuve documentaire sur les efforts déployés par l’État en matière de violence domestique. Le tribunal doit faire état d’une compréhension de la situation générale du pays et des circonstances particulières à chaque demandeur d’asile. Ce n’est pas un exercice abstrait. En l’espèce, la situation personnelle des demandeurs n’a pas été véritablement analysée par le tribunal. Il m’est donc impossible de conclure que « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[9]               En terminant, je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’un cas où les motifs du tribunal auraient pu être mieux écrits (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 22), mais d’un cas où celui-ci a omis d’analyser une partie importante de la preuve, ici, dans un contexte où les demandeurs ont toujours vécu dans un foyer où eux-mêmes et leur mère subissaient la violence de leur père et que leurs appels à la police n’étaient pas entendus. Tel que la Cour a récemment affirmé dans Nintawat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 66 aux paras 24-26, un tel aspect de la demande doit ressortir des motifs écrit du tribunal, à défaut de quoi il sera tout simplement impossible pour la Cour de réviser la décision contestée sans devoir se référer aux transcriptions de l’audience en quête des motifs sous-jacents de la décision.

[10]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire, casse la décision rendue par le tribunal le 29 avril 2011 et renvoie l’affaire devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin que soit entreprise une redétermination de la demande d’asile des présents demandeurs. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3570-11

 

INTITULÉ :                                       PETER DIEGO FANADO KIRBY

                                                            JUSTIN CHRISTOPHER c

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE         L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               31 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      8 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Faika Gafsi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Thomas Cormie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GAFSI DELL’AQUILA, Avocats Inc

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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