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Date : 20120515

Dossier: T-1257-11

Référence : 2012 CF 581

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

GILLES PIMPARÉ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               L’article 101 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [LSCMLC], pose les principes devant guider la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles [Section d’appel de la CNLC] dans sa décision relative à une mise en liberté sous conditions. Dans l’arrêt Steele c Établissement Mountain, [1990] 2 RCS 1385 [Steele], la Cour suprême du Canada avait formulé la remarque suivante sur les critères alors applicables à l’époque :

Il reste alors le troisième et le plus important critère, savoir si le délinquant constitue un trop grand risque pour la société.  Si la mise en liberté d'un détenu continue de constituer un trop grand risque pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut être justifiée.  Il n'y a pas de doute que, dans le cours normal des choses, les experts qui participent aux examens menés par la Commission des libérations conditionnelles et à ses décisions sont les mieux placés pour déterminer si la mise en liberté d'un détenu présente un trop grand risque pour la société.  Cependant, vu la durée exceptionnelle de l'incarcération de Steele, il convient d'examiner si la Commission a commis une erreur en jugeant qu'il présentait un danger pour la société. [La Cour souligne]

 

II. Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, rendue le 7 juin 2011, par laquelle la Section d’appel de la CNLC a confirmé la décision de la CNLC, rendue le 17 novembre 2010 refusant, conformément à la LSCMLC, d’accorder la libération conditionnelle totale et la semi-liberté au demandeur.

 

III. Faits

[3]               Le demandeur, monsieur Gilles Pimparé, est détenu à l’Établissement fédéral de détention de La Macaza. Il y purge une peine d’emprisonnement à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle après 25 ans pour un double meurtre commis le 4 juillet 1979. En effet, le demandeur ainsi que son complice ont tué deux adolescents de 14 et 15 ans. Ils ont violé tour à tour la jeune fille. Après avoir étranglé les deux adolescents avec des cordes, ils les ont jetés en bas du pont Jacques-Cartier. Le demandeur prétendait être intoxiqué lorsqu’il a commis ces crimes. La sentence a été imposée le 17 octobre 1984 après un procès devant juge et jury.

 

[4]               Le demandeur a un passé criminel important débutant à l’âge de 13 ans. Il a été condamné de nombreuses fois pour des gestes violents contre la personne. Ainsi, le demandeur a commis des vols à main armée et des séquestrations.

 

[5]               Entre le 26 juin et le 4 juillet, le demandeur a été très actif, dans le secteur du pont Jacques-Cartier, commettant des vols avec violence, un attentat à la pudeur d’une personne de sexe masculin et des viols.

 

[6]               En 2000, alors qu’il était incarcéré, près de 1500 photos pornographiques ont été saisies, dont une ayant comme arrière-plan le pont Jacques-Cartier.

 

[7]               Le demandeur a été transféré en 2003 et en 2006 dans un établissement à sécurité maximum pour avoir respectivement voulu attenter à la vie de son agent de libération conditionnelle [ALC] et tenté de se procurer des revues pornographiques.

 

[8]               Le 19 novembre 2010, la CNLC lui a refusé la libération conditionnelle totale et la semi-liberté. La Section d’appel de la CNLC a confirmé cette décision le 7 juin 2011.

 

IV. Décisions faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

Décision de la CNLC

[9]               Bien que la CNLC tienne compte d’un certain cheminement entrepris par le demandeur, notamment, sur le plan scolaire et comportemental, elle est d’avis que le risque qu’il représente est inadmissible pour la société.

[10]           Après avoir rappelé l’ensemble des délits commis par le demandeur, la plupart alors que celui-ci bénéficiait de remises en liberté, la CNLC est d’opinion que la notion de dommage grave est rencontrée. La CNLC s’est référée, entre autres au témoignage de la mère d’une des victimes du double meurtre. La CNLC cite différents rapports psychologiques selon lesquels le demandeur ne reconnaîtrait pas son problème de déviance sexuelle. Ainsi, se rapportant au rapport psychologique réalisé en août 2010, la CNLC précise que le risque de récidive du demandeur est élevé et qu’il doit, en conséquence, bénéficier d’une surveillance. La CNLC énonce les programmes auxquels a participé le demandeur, précisant, toutefois, que la motivation du demandeur, selon certains intervenants, est extrinsèque. Celui-ci n’a donc pas une compréhension de son cycle de délinquance. De plus, la CNLC ne considère pas viable le projet envisagé par le demandeur quant à sa remise en liberté puisqu’il ne tient pas compte de ses besoins particuliers.

 

Décision de la Section d’appel de la CNLC

[11]           La Section d’appel de la CNLC analyse successivement les trois motifs d’appel invoqués par le demandeur. Premièrement, quant au manquement à l’obligation d’agir équitablement, elle est d’avis, ayant écouté l’enregistrement de l’audience, que la CNLC a pris connaissance des points de vue de chaque intéressé et a respecté son devoir d’agir équitablement. Son refus de discuter des évaluations soumises par le Service Correctionnel du Canada [SCC] est justifié puisqu’elle n’a pas la compétence de réévaluer les raisons avancées par des cliniciens; son rôle consiste à confronter les différentes opinions.

 

[12]           Deuxièmement, la Section d’appel de la CNLC n’est pas d’avis que la CNLC a erré en droit en utilisant le concept de changements mesurables et observables afin d’évaluer les facteurs de risques. La Section d’appel de la CNLC précise qu’il s’agit d’un élément important, contenu dans le Manuel des politiques de la CNLC [Manuel], pour cerner adéquatement le risque conformément à l’article 102 de la LSCMLC.

 

[13]           Troisièmement, la Section d’appel de la CNLC considère que la CNLC a tenu compte de l’ensemble de l’information pertinente et  a avancé de nombreuses raisons dans sa décision justifiant le refus de remise en liberté. La Section d’appel de la CNLC ajoute qu’elle ne peut substituer son jugement à celui de la CNLC à moins que la décision de cette dernière ne soit bien fondée.

 

V. Points en litige

 

[14]           (1)        La CNLC a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale ou une erreur de droit en imposant un fardeau de preuve trop élevé?

(2)        Dans la négative, la décision de la CNLC est-elle raisonnable?

            (3)        La décision de la Section d’appel de la CNLC est-elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives applicables

[15]           Les dispositions suivantes de la LSCMLC s’appliquent au présent cas :

Objet

 

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

 

Principes

 

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d’une part, et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu’au public, d’autre part;

 

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

 

e) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

 

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

 

Critères

 

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

Purpose of conditional release

 

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

 

Principles guiding parole boards

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

 

 

(c) that parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system and through communication of their policies and programs to offenders, victims and the general public;

 

 

 

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

 

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies; and

 

 

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

 

Criteria for granting parole

 

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

 

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

 

VII. Position des parties

[16]           Le demandeur soutient, en premier lieu, que la Section d’appel de la CNLC a refusé d’exercer sa compétence et que ses motifs ne permettent pas de déterminer la raison pour laquelle l’appel a été rejeté. Par le fait même, le demandeur prétend que la Section d’appel a ignoré plusieurs de ses motifs d’appel comme l’ignorance de son témoignage à l’audience, l’exigence de nouveaux éléments de preuve et la justification de la peine la moins restrictive. Il conteste également le délai de cinq mois précédant la prise de décision rendant, selon lui, le présent recours illusoire.

 

[17]           En deuxième lieu, le demandeur soumet que la CNLC n’a pas tenu compte des articles 100, 101 et 102 de la LSCMLC en exigeant des nouveaux éléments pour octroyer une semi-liberté contrairement à une ordonnance de maintien en incarcération. De plus, elle a appliqué un fardeau de preuve plus élevé, soit celui des changements mesurables, au lieu de pondérer les principes de réadaptation, de réinsertion sociale et de la peine la moins restrictive. Le demandeur remet en question l’analyse réductrice de la CNLC qui ne tiendrait ni compte de ses arguments ni de l’ensemble du dossier.

 

[18]           En troisième lieu, le demandeur invoque un manquement à l’équité procédurale commis par le CNLC. Ainsi, celle-ci n’aurait pas permis à son avocat-assistant d’effectuer des représentations portant sur des évaluations psychologiques. Le demandeur renvoie à la transcription de l’audience pour confirmer que les propos tenus à l’encontre de l’avocat-assistant dénotent un manquement à l’équité procédurale. Il conteste également les motifs de la décision qui ne reflètent pas le témoignage du demandeur à l’audience.

 

[19]           Le défendeur soutient que la décision de la CNLC est raisonnable, car elle est fondée sur une importante quantité de renseignements sur le demandeur pertinents et crédibles relatifs, entre autres, à la durée de son incarcération, à son comportement violent, à son cycle de délinquance, à ses troubles psychotiques, à sa période de désorganisation, à son l’âge, à sa possibilité de réhabilitation et de réinsertion, à ses alternatives cliniques, à sa reconnaissance des conséquences de ses crimes et à sa conception de la femme.

 

[20]           En réponse à l’argument du demandeur, il fait valoir que la CNLC de même que sa Section d’appel ont considéré l’imposition de la peine la moins restrictive. En effet, étant donné que le demandeur présentait un risque de récidive inacceptable pour la société, toute forme de libération était exclue.

 

[21]           De plus, le défendeur soutient que la CNLC n’a pas exigé des changements mesurables et observables, mais bien qu’il s’agissait d’un facteur ayant été soupesé avec plusieurs autres facteurs. Ainsi, selon lui, la Section d’appel de la CNLC a justement fait remarquer que cet élément est énoncé dans le Manuel.

 

[22]           D’autre part, le demandeur fait valoir que la CNLC a agi équitablement. Ainsi, le demandeur a été longuement entendu durant l’audience. La CNLC n’a pas l’obligation de mentionner, dans sa décision, tous et chacun des éléments de preuve soumis.

 

VIII. Analyse

[23]           Dans le cas où la Cour est saisie d’un contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel d’une instance, elle se doit, principalement, de contrôler la décision de cette instance (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384; Mymryk c Canada (Procureur général), 2010 CF 632, 382 FTR 8).

 

(1)   La CNLC a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale ou une erreur de droit en imposant un fardeau de preuve trop élevé?

 

[24]           Le fardeau de preuve de la notion des progrès significatifs et mesurables qu’aurait exigé la CNLC, selon le demandeur, est une question de droit susceptible de contrôle en vertu de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

[25]           Tout d’abord, la Cour ne peut conclure à un manquement à l’équité procédurale lors de l’audience devant la CNLC. Comme il appert de la transcription de l’audience, l’assistant du demandeur a fait valoir l’ensemble de ses représentations en discutant notamment des différentes évaluations psychologiques (Dossier du demandeur [DD] aux pp 175-213). Suite à ces représentations, la cause fut prise en délibérée par la CNLC.

 

[26]           Ensuite, adressant l’argument du demandeur relatif à la prétendue norme de preuve employée par la CNLC, la Cour ne peut conclure que les termes « changements mesurables et observables » dénotent l’utilisation d’une norme plus sévère non conforme à l’article 102 de la LSCMLC. Cette question a été correctement traitée par la Section d’appel de la CNLC qui renvoyait au Manuel pour qualifier les « changements mesurables et observables » comme un facteur permettant d’évaluer le risque (Décision de la Section d’appel à la p 3).

 

[27]           Ainsi, à la lecture de la décision, il apparaît que la CNLC n’a pas exigé que des « changements mesurables et observables » soient requis. Elle n’a fait qu’un constat, dans la dernière partie de sa décision subséquemment à une analyse détaillée de la situation du demandeur. La CNLC a plutôt utilisé ces termes comme un facteur et non comme une norme à la lumière de laquelle l’ensemble de la situation du demandeur se devait d’être analysé comme le démontre l’extrait suivant :

Bien que vous ayez participé à certains programmes, il n’est pas possible de constater des changements mesurables et observables pouvant contrebalancer la lourdeur de votre criminalité et l’importance du travail à effectuer. La dernière évaluation psychologique exige de la Commission une très grande prudence, d’autant plus que vous vous qualifiez à la psychopathie à l’échelle de Hare, ce qui indique un risque élevé de récidive. [La Cour souligne].

 

(Décision de la CNLC à la p 6).

 

[28]           Conséquemment, la Cour conclue qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis.

 

 

(2)  La décision de la CNLC est-elle raisonnable?

[29]           Le demandeur conteste principalement les conclusions mixtes de faits et de droit de la décision de la CNLC. Étant donné l’expertise reconnue de la CNLC en la matière, ces conclusions doivent être examinées en vertu de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir).

 

[30]           Dans cette perspective, il n’appartient pas à cette Cour de substituer son raisonnement à celui du décideur de fait si ce dernier se justifie en fait et en droit. Récemment, la Cour suprême du Canada, dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland], a précisé davantage le rôle de révision de cette Cour sur une question dont la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité :

[12]      Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [TRADUCTION] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ».  Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :

 

[TRADUCTION]  Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion.  Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer.  Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards.  [Je souligne.]

 

(David Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304)

Voir aussi David Mullan, « Dunsmuir v. New Brunswick, Standard of Review and Procedural Fairness for Public Servants : Let’s Try Again! » (2008), 21 C.J.A.L.P. 117, p. 136; David Phillip Jones, c.r., et Anne S. de Villars, c.r., Principles of Administrative Law (5e éd. 2009), p. 380; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 63.

 

[13]      C’est dans cette optique, selon moi, qu’il faut interpréter ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir lorsqu’elle a parlé de « la justification de la décision [ainsi que de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel ».  À mon avis, ces propos témoignent d’une reconnaissance respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent couramment des décisions — qui paraissent souvent contre intuitives aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité.  C’est sur ce fondement que notre Cour a changé d’orientation dans Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, où le juge Dickson a insisté sur le fait qu’il y avait lieu de faire preuve de déférence en appréciant les décisions des tribunaux administratifs spécialisés.  Cet arrêt a amené la Cour à faire preuve d’une déférence accrue envers les tribunaux, comme en témoigne la conclusion, tirée dans Dunsmuir, qu’il doit être « loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (par. 47).

 

[31]           L’article 101 de la LSCMLC pose les principes devant guider la CNLC dans sa décision relative à une mise en liberté sous conditions. Dans l’arrêt Steele, la Cour suprême du Canada avait formulé la remarque suivante sur les critères alors applicables à l’époque :

Il reste alors le troisième et le plus important critère, savoir si le délinquant constitue un trop grand risque pour la société.  Si la mise en liberté d'un détenu continue de constituer un trop grand risque pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut être justifiée.  Il n'y a pas de doute que, dans le cours normal des choses, les experts qui participent aux examens menés par la Commission des libérations conditionnelles et à ses décisions sont les mieux placés pour déterminer si la mise en liberté d'un détenu présente un trop grand risque pour la société.  Cependant, vu la durée exceptionnelle de l'incarcération de Steele, il convient d'examiner si la Commission a commis une erreur en jugeant qu'il présentait un danger pour la société. [La Cour souligne]

 

 

[32]           Ce critère est dorénavant « déterminant » au sens de l’alinéa 101a) de la LSCMLC. Dans le présent cas, la CNLC a fait état, dans sa décision, d’une série de raisons militant à l’encontre d’une quelconque forme de remise en liberté du demandeur. Elle s’est d’ailleurs rangée à l’avis des experts qui avaient estimé, analysé et évalué, que la mise en liberté du demandeur n’était pas souhaitable. Ainsi, la CNLC s’est livrée à une analyse exhaustive du dossier du demandeur fondant sa décision, entre autres, sur les faits suivants :

i)          le passé criminel du demandeur et les délits ayant été commis alors que celui-ci bénéficiait de remise en liberté;

ii)         la violence du crime commis par le demandeur mis en exergue par le témoignage de la mère d’une des victimes;

iii)         le parcours institutionnel du demandeur dont la saisie de 1500 photos pornographiques en 2000, les menaces à l’endroit de son ALC en 2003 et la tentative pour se procurer des revues pornographiques en 2006. La CNLC souligne, toutefois, le bon comportement du demandeur depuis lors;

iv)        les programmes suivis par le demandeur en institution et ses efforts pour intégrer un programme intensif en délinquance sexuelle dont il avait été exclu en 1997;

v)         selon les intervenants, la compréhension superficielle du demandeur de son problème de déviance, sa déresponsabilisation, son manque de progrès et d’empathie;

vi)        les évaluations psychiatriques de 1993 et de 1998 et celle de février 2002 identifiant des troubles de personnalité ainsi que des distorsions cognitives et sexuelles;

vii)        le rapport final de janvier 2003  du programme de l’institut Pinel dont le demandeur a été exclu concluant à une déviance sexuelle, un abus de substances toxiques en rémission et des troubles de la personnalité, le manque de reconnaissance de la problématique sexuelle et le manque d’authenticité dans la demande d’aide;

viii)       le plus récent rapport psychologique daté d’août 2010 identifiant une déviance sexuelle, un risque élevé de récidive et un cas psychopathique;

ix)        les statistiques selon lesquelles, dans des cas semblables, un détenu sur trois ne récidivera pas après sa libération;

x)         le projet de sortie proposé par le demandeur jugé non-conforme à ces besoins;

xi)        la longue incarcération du demandeur, son conformisme et les efforts déployés relativement à sa scolarité.

 

[33]           Face aux constats étayés par la preuve au dossier, la CNLC a conclu que le risque était inacceptable pour la société conformément à l’article 102 de la LSCMLC. La Cour ne peut retenir la prétention du demandeur qui invite à une réévaluation de la preuve préalablement évaluée par la CNLC. De plus, après avoir lu la transcription de l’audience, la Cour n’est pas d’avis que le témoignage du demandeur ait été écarté par la CNLC. Celle-ci a adéquatement souligné les éléments positifs qui ressortent de la situation du demandeur et les a soupesés avec d’autres facteurs démontrant le risque inacceptable encouru par la société. 

 

[34]           Dans la même perspective, la Cour note que, dans le présent cas, toute forme de liberté, dans la situation du demandeur, est exclue étant donné le risque élevé qu’il présente pour la société. Aucune autre solution moins restrictive ne pouvait être envisagée compte tenu du fait que le demandeur n’a jamais participé à un processus d’élargissement graduel. À ce sujet, le rapport psychologique daté du 26 août 2010, cité par la CNLC, met en lumière l’impossibilité d’imposer une quelconque forme de libération sans risquer d’exposer la société à un danger :

Compte tenu de l’ensemble des informations précédentes, un niveau élevé d’encadrement et de surveillance paraît indiqué. Dans un objectif de sécurité publique, l’octroi d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle totale n’apparaît pas souhaitable actuellement, compte tenu de l’estimation du risque de récidive sexuelle ou violente. La prudence paraît ici justifiée dans la gestion du risque. Une démarche de réinsertion très graduelle et progressive semble davantage indiquée. Avant d’envisager un élargissement vers la communauté, il serait souhaitable que M. Pimparé continue non seulement de maintenir un comportement institutionnel adéquat, mais également qu’il entreprenne une démarche thérapeutique sérieuse, plus approfondie et authentique, y compris par rapport à sa violence et sa délinquance sexuelle. Par la suite, en fonction des acquis thérapeutiques, un déclassement sécuritaire pourrait éventuellement être envisagé. [La Cour souligne].

 

(Dossier du défendeur à la p 62).

 

[35]           Ainsi, la décision de la CNLC reflète un processus décisionnel transparent et intelligible et ne requiert pas l’intervention de cette Cour.

 

(3)  La décision de la Section d’appel de la CNLC est-elle raisonnable?

 

[36]           Le principe dégagé dans l’arrêt Newfoundland, lequel précise que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles : (Newfoundland au para 14), s’applique.

 

IX. Conclusion

[37]           Compte tenu des motifs qui précèdent, la Cour juge que la Section d’appel de la CNLC a raisonnablement déterminé que la décision de la CNLC était bien fondée.

 

[38]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Le tout sans dépens (l’objet est d’éclaircir la situation).

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1257-11

 

INTITULÉ :                                       GILLES PIMPARÉ c

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 15 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maxime Hébert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Claudia Gagnon

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Labelle, Boudrault, Côté & Associés

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

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