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Date : 20120515

Dossier: T-1315-11

Référence : 2012 CF 584

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

DENIS ALBERT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, rendue le 31 janvier 2011, confirmée par la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles [CNLC] le 20 juin 2011, par laquelle la CNLC, conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [LSCMLC], maintient le demandeur incarcéré.

 

 

II. Faits

[2]               Le demandeur, monsieur Denis Albert, purge une peine d’incarcération de 12 ans pour homicide involontaire depuis le 26 juillet 2000. En effet, le 21 mai 1999, il frappe et étrangle son ex-conjointe la laissant inconsciente sur son lit. Il mit ensuite le feu au matelas en y jetant sa cigarette allumée. La victime, ayant repris connaissance, aurait tenté d’ouvrir la porte de sa chambre en vain. Elle était la mère de deux jeunes enfants issus d’une union précédente.

 

[3]               Son procès met en évidence, à l’aide du témoignage de ses ex-conjointes, des épisodes de violence conjugale.

 

[4]               Le demandeur a un dossier criminel chargé qui débute en 1997 lors de sa condamnation pour braquage d’une arme à feu et usage négligent d’arme à feu. Il est ensuite condamné en 1997 pour voies de fait.

 

[5]               Le 16 janvier 2008, la CNLC autorise une semi-libération avec, entre autres conditions suivantes : suivre un programme de toxicomanie et d’aviser son agent de libération conditionnelle [ALC] de toute nouvelle relation affective.

 

[6]               Entre le 24 octobre 2007 et le 16 janvier 2008, le demandeur participe au programme national de suivi thérapeutique en prévention de violence familiale. Dans ce cadre, les intervenants notent qu’ils ne sont pas en mesure de saisir les intentions du demandeur relatives à l’incendie ayant causé la mort de son ex-conjointe et recommandent sa participation au programme de maintien des acquis.

[7]               Vers mars 2008, le demandeur aurait fait la connaissance de madame Francine Carrière avec qui il vivrait une relation sérieuse. Le 26 mars 2008, une enquête communautaire est menée par le Service correctionnel du Canada [SCC] auprès de la nouvelle conjointe du demandeur concluant que la relation est à risque et qu’il n’est pas recommandé de laisser le couple bénéficier de congés durant la fin de semaine sans supervision.

 

[8]               À l’insu de son ALC, le demandeur aurait rencontré sa conjointe ailleurs que dans un endroit public. Le 1 mai 2008, la CNLC impose, comme condition à la semi-liberté du demandeur, l’interdiction de tout contact avec madame Carrière et l’obligation d’informer son ALC de toute nouvelle relation affective ou amicale.

 

[9]               Le 3 juin 2008, un mandat de suspension de la semi-liberté est lancé en raison du manque de collaboration du demandeur avec ses surveillants.

 

[10]           Le 22 septembre 2008, la CNLC révoque la semi-liberté en raison du potentiel de violence du demandeur.

 

[11]           Le demandeur entretient une relation conflictuelle avec son ALC. Selon des rapports de renseignements protégés et de renseignement de sécurité en date du 14 juillet 2009 et en date du 16 juillet 2009 [Rapports du SCC], le demandeur aurait formé le projet d’attenter à la vie de son agente. Le demandeur est rencontré par la Sûreté du Québec. Le 15 juillet 2009, le demandeur est placé en ségrégation administrative au motif qu’il projette un passage à l’acte violent à l’endroit d’un membre du personnel.

[12]           Le 31 mars 2010, la CNLC interdit la libération conditionnelle et la remise en semi-liberté en invoquant, d’une part, le trafic de tabac au sein duquel était impliqué le demandeur et, d’autre part, les menaces proférées à l’endroit de son ALC. Cette décision fut confirmée par la Section d’appel de la CNLC qui rejeta les prétentions du demandeur selon lesquelles le contenu des rapports de renseignement de sécurité du SCC ne lui avait pas été divulgué, violant ainsi son droit à l’équité procédurale.

 

[13]           Le 23 septembre 2010, le profil psychologique du demandeur est mis à jour et révèle un risque de récidive élevé.

 

[14]           Le 20 juin 2011, la Section d’appel du CNLC confirmait la décision de la CNLC de maintenir le demandeur incarcéré.

 

[15]           La fin du mandat d’incarcération est prévue le 25 juillet 2012.

 

III. Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

 

[16]           La CNLC conclut que la libération du demandeur, avant l’expiration légale de sa peine entrainerait le risque qu’il commette une infraction entraînant un dommage grave à l’endroit d’une autre personne.

 

[17]           La CNLC souligne la présence d’un comportement violent persistant chez le demandeur. Elle mentionne que le demandeur n’a pas reconnu sa culpabilité à la suite de sa condamnation pour homicide involontaire. Ce n’est qu’après avoir épuisé tous les moyens d’appel, en 2002, qu’il a reconnu avoir commis le délit. La CNLC s’attarde également au comportement violent du demandeur dans un contexte conjugal faisant référence au témoignage de ses ex-conjointes lors de son procès.

 

[18]           De plus, la CNLC analyse le projet du demandeur de punir son ALC mettant en exergue, selon elle, le penchant du demandeur à faire usage de la violence à l’encontre des femmes. Par le fait même, la CNLC rejette les soumissions du demandeur selon lesquelles les informations contenues dans les rapports du SCC, en lien avec cette affaire, ne sont pas fiables et ne lui avaient pas été divulguées. Sur ce point, la CNLC conclut que le demandeur avait été en mesure de connaître l’essentiel de l’information et de pouvoir y répondre. La CNLC note, entre autres, dans sa décision :

[...] En audience, vous avez reconnu avoir vécu de la frustration envers votre agente suite aux évènements qui ont amené votre suspension. Vous avez nié toute intention de nature vindicative à son égard.

 

(Décision de la CNLC à la p 5).

 

[19]           La CNLC accorde de l’importance à la conduite du demandeur lorsque celui-ci bénéficiait d’une semi-liberté en 2008. En effet, celui-ci aurait refusé de reconnaître le risque qu’impliquait sa relation avec sa conjointe de l’époque et aurait manqué de transparence. Il fait également défaut de collaborer avec les autorités compétentes. La CNLC note, d’ailleurs, que le demandeur a refusé de se soumettre à l’évaluation psychologique requise pour l’audience. La psychologue s’est donc basée sur la preuve documentaire pour conclure, entre autres, que le risque de violence, dans un contexte conjugal, demeurait élevé.

 

[20]           La CNLC n’est pas convaincue du projet de sortie du demandeur de vivre dans une maison de transition estimant que ce dernier n’a pas une vision réaliste de la situation puisqu’il ne se remet pas en question.

 

[21]           La Section d’appel de la CNLC a maintenu la décision de la CNLC. Elle explique que la prétention du demandeur selon laquelle son droit à l’équité procédurale a été violé a déjà été examinée. Ainsi, bien que les rapports du SCC ne lui aient pas été divulgués, le demandeur connaissait l’ensemble des renseignements le concernant par l’intermédiaire d’autres documents qu’il avait en sa possession. La Section d’appel de la CNLC a reconnu l’erreur de fait commise par la CNLC selon laquelle le demandeur n’a pas complété de programmes diminuant le risque de récidive depuis la révocation de sa semi-liberté. La Section d’appel de la CNLC a, toutefois, jugé cette erreur non déterminante.

 

IV. Points en litige

[22]           (1) Le débat est-il devenu théorique?

(2) La non-communication par la CNLC au demandeur des rapports de renseignement de sécurité du SCC équivaut-elle à un manquement à l’équité procédurale?

(3) La décision de la CNLC est-elle raisonnable?

 

V. Dispositions législatives pertinentes

[23]           Les dispositions suivantes de la LSCMLC sont pertinentes :

Exactitude des renseignements

 

24.      (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

 

Correction des renseignements

 

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.

 

 

 

 

 

 

 

 

Communication de renseignements

 

25.      (1) Aux moments opportuns, le Service est tenu de communiquer à la Commission nationale des libérations conditionnelles, aux gouvernements provinciaux, aux commissions provinciales de libération conditionnelle, à la police et à tout organisme agréé par le Service en matière de surveillance de délinquants les renseignements pertinents dont il dispose soit pour prendre la décision de les mettre en liberté soit pour leur surveillance.

 

Objet

 

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

 

Principes

 

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d’une part, et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu’au public, d’autre part;

 

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

 

e) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

 

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

 

Examen de certains cas par le Service

 

129.      (1) Le commissaire fait étudier par le Service, préalablement à la date prévue pour la libération d’office, le cas de tout délinquant dont la peine d’emprisonnement d’au moins deux ans comprend une peine infligée pour une infraction visée à l’annexe I ou II ou mentionnée à l’une ou l’autre de celles-ci et qui est punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale.

 

Renvoi à la Commission

 

(2) Au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d’office, le Service défère le cas à la Commission — et lui transmet tous les renseignements en sa possession et qui, à son avis, sont pertinents — s’il estime que :

 

 

a) dans le cas où l’infraction commise relève de l’annexe I :

 

 

 

(i) soit elle a causé la mort ou un dommage grave à une autre personne et il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l’expiration légale de sa peine, une telle infraction,

 

 

 

 

(ii) soit elle est une infraction d’ordre sexuel commise à l’égard d’un enfant et il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l’expiration légale de sa peine, une telle infraction;

 

 

b) dans le cas où l’infraction commise relève de l’annexe II, il y a des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l’expiration légale de sa peine, une infraction grave en matière de drogue.

 

 

 

Réexamen annuel

 

131.      (1) Dans l’année suivant la prise de toute ordonnance visée au paragraphe 130(3) et tous les ans par la suite, la Commission réexamine le cas des délinquants à l’égard desquels l’ordonnance est toujours en vigueur.

 

Enquêtes de la Commission

 

(2) Lors du réexamen, la Commission procède à toutes les enquêtes qu’elle juge nécessaires pour déterminer si de nouvelles informations au sujet du délinquant permettraient de modifier ou de prendre une autre ordonnance.

 

 

 

Délai de communication

 

141.      (1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l’examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l’information pertinente, ou un résumé de celle-ci.

 

 

 

 

 

Idem

 

(2) La Commission fait parvenir le plus rapidement possible au délinquant l’information visée au paragraphe (1) qu’elle obtient dans les quinze jours qui précèdent l’examen, ou un résumé de celle-ci.

 

 

Renonciation

 

(3) Le délinquant peut renoncer à son droit à l’information ou à un résumé de celle-ci ou renoncer au délai de transmission; toutefois, le délinquant qui a renoncé au délai a le droit de demander le report de l’examen à une date ultérieure, que fixe la Commission, s’il reçoit des renseignements à un moment tellement proche de la date de l’examen qu’il lui serait impossible de s’y préparer; la Commission peut aussi décider de reporter l’examen lorsque des renseignements lui sont communiqués en pareil cas.

 

Exceptions

 

(4) La Commission peut, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, refuser la communication de renseignements au délinquant si elle a des motifs raisonnables de croire que cette communication irait à l’encontre de l’intérêt public, mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

Accuracy, etc., of information

 

24.      (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

 

 

Correction of information

 

 

(2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

 

(a) the offender may request the Service to correct that information; and

 

(b) where the request is refused, the Service shall attach to the information a notation indicating that the offender has requested a correction and setting out the correction requested.

 

Service to give information to parole boards, etc.

 

25.      (1) The Service shall give, at the appropriate times, to the National Parole Board, provincial governments, provincial parole boards, police, and any body authorized by the Service to supervise offenders, all information under its control that is relevant to release decision-making or to the supervision or surveillance of offenders.

 

 

 

 

Purpose of conditional release

 

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

 

Principles guiding parole boards

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

 

 

(c) that parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system and through communication of their policies and programs to offenders, victims and the general public;

 

 

 

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

 

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies; and

 

 

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

 

Review of cases by service

 

 

129.      (1) Before the statutory release date of an offender who is serving a sentence of two years or more that includes a sentence imposed for an offence set out in Schedule I or II or an offence set out in Schedule I or II that is punishable under section 130 of the National Defence Act, the Commissioner shall cause the offender’s case to be reviewed by the Service.

 

 

Referral of certain cases to  Board

(2) After the review of the case of an offender pursuant to subsection (1), and not later than six months before the statutory release date, the Service shall refer the case to the Board together with all the information that, in its opinion, is relevant to it, where the Service is of the opinion

 

(a) in the case of an offender serving a sentence that includes a sentence for an offence set out in Schedule I, that

 

(i) the commission of the offence caused the death of or serious harm to another person and there are reasonable grounds to believe that the offender is likely to commit an offence causing death or serious harm to another person before the expiration of the offender’s sentence according to law, or

 

(ii) the offence was a sexual offence involving a child and there are reasonable grounds to believe that the offender is likely to commit a sexual offence involving a child before the expiration of the offender’s sentence according to law; or

 

(b) in the case of an offender serving a sentence that includes a sentence for an offence set out in Schedule II, that there are reasonable grounds to believe that the offender is likely to commit a serious drug offence before the expiration of the offender’s sentence according to law.

 

Annual review of orders

 

131.      (1) The Board shall review every order made under subsection 130(3) within one year after the date the order was made, and thereafter within one year after the date of each preceding review while the offender remains subject to the order.

 

Board to inquire

 

(2) The Board shall cause such inquiries to be conducted in connection with each review under subsection (1) as it considers necessary to determine whether there is sufficient new information concerning the offender to justify modifying the order or making a new order.

 

Disclosure to offender

 

141.      (1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

 

Idem

 

(2) Where information referred to in subsection (1) comes into the possession of the Board after the time prescribed in that subsection, that information or a summary of it shall be provided to the offender as soon as is practicable thereafter.

 

Waiver

 

(3) An offender may waive the right to be provided with the information or summary referred to in subsection (1) or to have it provided within the period referred to, but where an offender has waived that period and any information is received by the offender, or by the Board, so late that the offender or the Board is unable to sufficiently prepare for the review, the offender is entitled to, or the Board may order, a postponement of the review for such reasonable period as the Board determines.

 

Exceptions

 

(4) Where the Board has reasonable grounds to believe

 

(a) that any information should not be disclosed on the grounds of public interest, or

 

(b) that its disclosure would jeopardize

 

(i) the safety of any person,

 

(ii) the security of a correctional institution, or

 

(iii) the conduct of any lawful investigation,

 

the Board may withhold from the offender as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a) or (b).

VI. Position des parties

[24]           La partie demanderesse soutient, tout d’abord, que la CNLC a erré en droit en refusant d’appliquer la jurisprudence pertinente relative à l’information sûre et convaincante. À cet effet, le demandeur cite les arrêts Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 [Mooring] et Zarzour c Canada (Procureur général) (2000), 176 FTR 252, [2000] ACF no 103 (QL/Lexis), selon lesquels la CNLC ne devrait pas tenir compte des renseignements dont la fiabilité est remise en doute au risque de manquer à son devoir d’agir équitablement.

 

[25]           En l’espèce, le demandeur conteste la prise en compte des renseignements selon lesquels le demandeur entretient des relations hostiles envers son ALC, qu’il aurait projeté d’attenter à sa vie par le biais d’un contrat et qu’il serait lié à un trafic de tabac institutionnel.

 

[26]           Ensuite, le demandeur soutient que la CNLC a manqué à son obligation de communiquer toute l’information en sa possession. Le demandeur précise qu’il ne connaît que les renseignements contenus dans l’Évaluation en vue d’une décision [ÉVD], datée du 28 juillet 2009, mais qu’il n’a jamais obtenus les rapports du SCC. Le demandeur allègue que la CNLC aurait, au cours de l’audience, mentionné que de tels rapports n’étaient jamais divulgués. Le demandeur prétend que cette pratique est contraire à l’article 141 de la LSCMLC.

 

[27]           De plus, le demandeur fait valoir que la CNLC a rendu une décision fondée sur des conclusions de faits erronées. Le demandeur critique aussi le contenu du dernier rapport psychologique sur lequel s’est basée la CNLC puisqu’il ne tient pas compte de sa participation au programme de violence familiale. Le demandeur considère que la CNLC a erré dans son appréciation du témoignage des ex-conjointes du demandeur lors de son procès pour homicide involontaire. Il prétend que ces témoignages n’appuient pas la conclusion de la CNLC selon laquelle le demandeur leur a causé un dommage grave. La CNLC aurait également erré en concluant que l’ALC aurait subi un dommage grave résultant des agissements du demandeur. Le demandeur ajoute, de plus, qu’il était inexact pour la CNLC de conclure que son risque de récidive est élevé dans un contexte conjugal.

 

[28]           La partie défenderesse est, avant tout, d’avis que le débat portant sur la décision du 31 janvier 2011 est devenu théorique puisque la LSCMLC prévoit que la prise d’une ordonnance de maintien en incarcération doit être réexaminée par la CNLC dans l’année suivante et tous les ans par la suite.

 

[29]           De surcroît, la partie défenderesse fait valoir que l’audience devant la CNLC n’est pas le forum approprié pour contester le contenu des rapports de renseignements de sécurité émis par le SCC. Celle-ci doit uniquement veiller à ce que les renseignements soient sûrs et convaincants. Un autre processus est ouvert au demandeur pour contester ces rapports.

 

[30]           Enfin, la partie défenderesse fait valoir que la décision du 31 janvier 2011 est raisonnable puisque les motifs ne reposent pas sur les rapports contestés, mais bien sur l’attitude du demandeur reflétant un manque de transparence et un manque de collaboration envers les surveillants durant la période de semi-liberté

 

VII. Analyse

            (1) Le débat est-il devenu théorique?

[31]           Tout d’abord, la Cour n’est pas d’avis que le débat est devenu théorique au sens de l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342. Le paragraphe 131(1) de la LSMLSC prévoit le réexamen de la décision à l’étude dans l’année suivant la prise de cette décision. Les parties, lors de l’audience, ont confirmé qu’aucune nouvelle décision n’avait été rendue, le demandeur ayant demandé à la CNLC des remises, dans l’attente de la présente décision.

 

(2) La non-communication par la CNLC au demandeur des rapports de renseignement de sécurité du SCC équivaut-elle à un manquement à l’équité procédurale?

 

[32]           La norme de contrôle de la décision correcte s’impose pour ce genre de question (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

[33]           L’obligation de divulgation de la CNLC doit être analysée à la lumière du principe suivant :

10        Il ne fait naturellement aucun doute que les autorités étaient justifiées de ne pas divulguer des sources de renseignement confidentielles. Un pénitencier n'est pas un établissement pour enfants de choeur et, si certains renseignements provenaient d'indicateurs (le dossier en l'espèce ne permet de tirer aucune conclusion à ce sujet), il est important que ces derniers soient protégés. Mais, même si cela était le cas, il devrait toujours être possible de [page78] transmettre l'essentiel des renseignements tout en ne dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Il incombe toujours aux autorités d'établir qu'elles n'ont refusé de transmettre que les renseignements dont la non-communication était strictement nécessaire à de telles fins. Outre son caractère invraisemblable, une affirmation générale, comme celle en l'espèce, voulant que [TRADUCTION] "tous les renseignements concernant la sécurité préventive" soient "confidentiels et (ne puissent) être communiqués", est tout simplement trop large pour être acceptée par un tribunal chargé de protéger le droit d'une personne à un traitement équitable. En dernière analyse, il s'agit de déterminer non pas s'il existe des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseignements mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle. Mais quelle que soit la façon dont ce critère est énoncé, on n'y a pas satisfait en l'espèce. [La Cour souligne].

 

(Demaria c Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 CF 74, [1986] ACF no 493 (CA) (QL/Lexis)).

 

[34]           De plus, le paragraphe 141(4) de la LSCMLC qui prévoit l’exception à la non-communication de renseignements exige que la CNLC justifie sa décision.

 

[35]           En l’espèce, aucune information relative à la raison de la non-divulgation n’a été présentée. Il est impossible de savoir si les rapports protégés étaient en possession de la CNLC lorsqu’elle a pris sa décision. Celle-ci n’a pas avancé une quelconque justification à la non-communication ce qui est, au regard de la loi, problématique. Ainsi, ce manque de justification mène au constat d’un manquement à l’équité procédurale.

 

[36]           La Cour spécifie que certaines informations des rapports du SCC était reprises dans l’ÉVD, datée du 28 juillet 2009, dans le Suivi du plan correctionnel no 9, en date du 14 septembre 2009, et dans l’ÉVD, datée du 17 août 2010. Néanmoins, un résumé de certains renseignements des rapports du SCC ne décharge pas la CNLC de justifier sa décision de ne pas les communiquer au demandeur.

 

[37]           À la lumière de ce constat, il n’est pas nécessaire d’examiner plus en détail la question du devoir de la CNLC de faire état clairement, dans sa décision, de la fiabilité des renseignements sur lesquels elle est susceptible de baser sa décision conformément aux enseignements de l’arrêt Mooring.

 

[38]           La Cour est dans l’obligation de conclure que le manque de justification nécessite que la décision soit renvoyée à un panel différemment constitué afin qu’une justification soit formulée advenant à nouveau la non-communication de certains renseignements contenus aux rapports du SCC.

 

[39]           Ayant tiré cette conclusion, la Cour n’est pas dans l’obligation de poursuivre son analyse. Néanmoins, cette analyse s’impose puisque la décision de la CNLC repose, en grande partie, sur d’autres éléments comme le démontre cette conclusion tirée par la CNLC :

Commission doit aussi examiner l’existence de renseignements sûrs l’obligeant à conclure que vous projetez de commettre, avant l’expiration légale de votre peine, une infraction de nature à causer un dommage grave à une autre personne. Bien qu’il n’existe pas de tels renseignements, vos antécédents criminels, vos échecs de surveillance, votre schème de comportement violent et l’absence de changements significatifs en regard de vos facteurs contributifs incitent à la plus grande prudence.

 

(Décision de la CNLC à la p 6).

 

(3) La décision de la CNLC est-elle raisonnable?

[40]           Un degré élevé de déférence judiciaire est requis envers l’analyse factuelle menée par la CNLC relevant de son expertise (Dunsmuir). Cette Cour, dans McDougall c Canada (Procureur général), 2011 CF 285, 386 FTR 8, a formulé la remarque suivante:

[1]        La protection de la société est le critère prépondérant dont il faut tenir compte pour prendre une décision dans le contexte des libérations conditionnelles du système correctionnel fédéral (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLC), à l’alinéa 4a)). Le système correctionnel fédéral vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité (art. 3 de la LSCMLC).

 

[41]           Tout d’abord, l’audience a mis en évidence le manque de transparence du demandeur à l’endroit de son ALC. En l’occurrence, le demandeur confirme lui-même les tensions existant entre le demandeur et son ALC comme le révèle le procès-verbal d’audience :

MADAME LA PRÉSIDENTE :

 

Et à partir du moment où votre agent vous exprime être préoccupée par cette relation-là, pas certain que c’est une bonne idée dans votre situation, il s’installe un dynamique de cachette, hein, on dit : pas de transparence, pas de collaboration entre vous puis votre agent. Est-ce que vous êtes d’accord avec ce constat-là?

 

M. DENIS ALBERT :

 

Oui, vers la fin, oui, c’est vrai, il est vrai que ça croissait... Mais vers la fin, avant que ç’a arrêté, au mois d’avril, je pense, qu’il y a eu l’interruption.

 

[...]

 

Mme SUZANNE CHARTRAND :

 

Êtes-vous capable de dire comment vous vous sentiez là-dedans? Parce que dans votre dossier, on dit que quand vous dites quelque chose, là, ça demeure au stade cognitif [...]

 

M. DENIS ALBERT :

 

Non, c’est ça, bien, j’étais frustré. Quand elle m’a dit ça, je n’étais pas content. Au début, je n’étais pas content, j’ai dit [...]

 

J’ai dit: «Non, non, elle n’a pas de dossier.» Je m’obstinais avec un peu. C’est sûr que j’étais frustré.

 

[...]

 

MADAME LA PRÉSIDENTE :

 

L’histoire des menaces, là, pour l’ALC, c’est quoi, ça?

M. DENIS ALBERT :

 

Non, oublie ça, il n’y a rien... il n’y a rien affaire avec ça. Non. Non.

 

MADAME LA PRÉSIDENTE :

 

C’est tout de l’inventé?

 

M. DENIS ALBERT :

 

Ah ! Je ne la comprends pas, ça. Je ne comprends pas d’où est-ce que ça peut venir. Peut-être au programme là-bas, à Ste-Anne-des-Plaines? Puis il m’a demandé qu’est-ce qui s’avait passé au programme, puis mon agent m’avait remonté, puis je n’étais pas content, puis j’étais frustré, puis c’est tout. Mais il n’a jamais été question de menaces ou quoi que ce soit là-dedans, là. Ça, là, c’est...non. Non, puis vraiment non.

 

[...]

 

M. DENIS ALBERT :

 

Oui, je le sais. Mais ça vient d’où? Je ne le sais pas, je ne le sais pas. Pour faire un contrat, ça prend de l’argent, je n’ai pas d’argent. Je n’ai rien, je n’en veux pas à cet homme-là, moi.

 

Mme SUZANNE CHARTRAND :

 

Pourquoi, alors, à ce moment-là, quand la Sûreté du Québec vous a rencontré, vous n’avez pas fait preuve de transparence, d’expliquer, de ... on dit: Vous n’avez pas collaboré... Vous n’avez pas collaboré...

 

M. DENIS ALBERT :

 

Je n’avais rien à dire, je ne savais rien là-dessus. Ce n’est pas vrai, puis je n’ai jamais rien inventé, puis ça finissait là. Je n’avais rien à dire là-dessus, ce n’est pas vrai. Élaborer sur quoi? Je ne le sais pas qu’est-ce qui s’est passé, je ne le sais pas. D’où ça vient?

 

Mme SUZANNE CHARTRAND :

 

Bien, c’est relié à du trafic de cigarettes, c’est tout...Tous les rapports parlent, et de ça, et du trafic.

 

M. DENIS ALBERT :

 

Il n’y en a pas, il n’y en a pas de contrat de meurtre, il n’y en a pas eu lieu, il n’y en aura pas non plus, puis il n’y en aura jamais non plus.

 

Mme SUZANNE CHARTRAND :

 

Puis le trafic ?

 

M. DENIS ALBERT :

 

Le trafic, oui, c’est vrai que j’ai vendu trois (3) blagues de tabac, c’est la seule affaire que j’ai faite, trois (3) blagues de tabac pour un gars. [...]

 

(Dossier du demandeur [DD] aux pp 252-253, 256-257, 263-264 et 276-277; également, les pp 250-253,256-257,265-267, 276,283).

 

[42]           De plus, l’ÉVD en vue d’une décision-modification de la cote de sécurité et transfèrement involontaire, datée du 28 juillet 2009, faisait état du manque de transparence et du climat de tension entre le demandeur et son ALC en ces termes :

Dans le cadre de son entrevue avec Denis Albert, l’ÉGC a pu faire des constats similaires à ceux de l’agente de programme. Le SPC daté du 10/06/2009 précise à ce sujet : "Il lui est difficile de s’approprier une pleine et entière responsabilité dans les évènements qui ont concourus à sa suspension. Il tend à blâmer son ALCC et à alimenter des scénarios négatifs où il est soumis au libre arbitre de cette dernière. Il verbalise de l’impatience et de l’insatisfaction face à la gestion de sa sentence et il faut le ramener régulièrement à sa responsabilité. Plus nous tentons de lui expliquer les raisons de la reprise de programme et que nous insistons sur nos préoccupations en lien avec sa relation, plus il tombe dans l’apitoiement de soi [...]

 

Il nous apparaît clair que le sujet a continué à alimenter des scénarios négatifs envers ce membre du personnel, personnifiant en elle la cause de ses problèmes [...]

 

(DD à la p 141).

 

[43]           Ensuite, la preuve documentaire versée au dossier démontrait  également le schéma de violence qui caractérise le comportement du demandeur. Ainsi, le compte-rendu du rapport psychologique dans la perspective de l’octroi d’une libération conditionnelle, daté du 5 novembre 2009, établissait le constat suivant :

[...] Cependant, le comportement du sujet lors de sa semi-liberté, son implication intense et rapide dans une relation de couple avec une femme victime de violence conjugale suggère que les acquis effectués en programme ne sont pas encore suffisamment intégrés sur le plan affectif pour en soutenir la généralisation à de nouvelles situations conjugales. Ses intentions d’établir de nouveau une relation de couple avec cette conjointe témoignent également de cette lacune. Il semble en effet que les notions travaillées en programme aient été principales comprises de façon cognitive et quelque peu rigide.

 

(DD à la p 153).

 

[44]           La Section d’appel de la CNLC a judicieusement relevé l’erreur commise par la CNLC en concluant que le demandeur n’avait plus suivi de programmes en vue de diminuer le risque de récidive. Cette erreur, à elle seule, ne vicie pas la décision puisque la CNLC s’est basée, entre autres, sur les évaluations psychologiques pour conclure au risque de récidive dans un contexte conjugal (Décision de la CNLC à la p 5), notant, par ailleurs, que le demandeur a refusé de se soumettre à l’évaluation psychologique pensant que cela irait à l’encontre de sa libération.

 

[45]           Le demandeur remet également en question la conclusion de la CNLC relative aux dommages causés à ses ex-conjointes puisque, selon lui, la preuve ne permet pas d’établir que des dommages graves aient été causés. Pourtant, le demandeur, lors de son audience, a admis avoir causé ces dommages allant même jusqu’à les qualifier :

MADAME LA PRÉSIDENTE :

 

Ce n’était pas la première fois que vous viviez des épisodes de violence conjugale?

 

M. DENIS ALBERT :

Non, j’en ai vécu quelques-unes avant.

 

MADAME LA PRÉSIDENTE :

 

Dans des relations précédentes?

 

M. DENIS ALBERT :

 

Oui, verbale, violence verbale, psychologique.

 

(DD à la p 228).

 

[46]           À l’examen de l’ensemble du dossier, la Cour conclue que la décision présenterait les caractéristiques d’une décision raisonnable sur le plan de l’analyse factuelle, n’eut été du vice à l’équité procédurale relatif au manque de justification de la non-communication des rapports du SCC.

 

VIII. Conclusion

[47]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie. Le tout sans dépens.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1315-11

 

INTITULÉ :                                       DENIS ALBERT c

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 15 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maxime Hébert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Véronique Forest

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Labelle, Boudrault, Côté & Associés

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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