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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date: 20120517

Dossier : T-742-11

Référence : 2012 CF 601

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MALIKA LAHLALI

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le procureur général du Canada a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal), le 31 mars 2011. Dans le cadre de cette décision, le membre du Tribunal, M. Maurice Gohier, a examiné trois plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 12 et 13 [LEFP]. Il a rejeté les plaintes de Kenza Elazzouzi et de Mohamed Labidi, et accueilli celle de Malika Lahlali, la défenderesse dans la présente instance. Seule cette dernière décision fait l’objet de ce contrôle judiciaire.

 

I. Faits

 

[2]               La défenderesse est fonctionnaire à la fonction publique fédérale depuis 2003. En janvier 2009, le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) a entamé un processus de nomination interne pour doter des postes d’agent ou agente de prestations – Service Canada au groupe et niveau PM-02, à Québec. Le comité d’évaluation, composé de Sonia Godin, la présidente, et de Jean-Luc Plante, avait utilisé les définitions et les facteurs du Dictionnaire national des compétences (le DNC) pour décrire les qualifications requises pour ce poste. La défenderesse a posé sa candidature pour ce poste.

 

[3]               Le 23 février 2009, la défenderesse a participé à un examen écrit dont l’objectif était d’évaluer ses connaissances des services offerts par Service Canada, de même que ses connaissances de l’utilisation des technologies et les compétences suivantes : application des règles et modalités, collecte des données diagnostiques et raisonnement.

 

[4]               Suite à la correction de l’évaluation écrite de la défenderesse, le comité d’évaluation a conclu que la défenderesse n’avait pas obtenu la note de passage pour les questions 3 et 4, qui évaluaient la capacité « raisonnement ». Ces questions prenaient la forme de mises en situation. À la question 3, les candidats étaient confrontés à une situation d’augmentation de loyer qui ne pouvait être contestée, et la question suivante leur était posée : « Deux (2) solutions s’offrent à vous, soit déménager ou accepter cette augmentation. Quelles [sic] sont les facteurs qui guideront votre raisonnement pour arriver à opter pour la solution idéale ? » Dans la deuxième mise en situation (question 4), les candidats devaient expliquer comment ils choisiraient une destination à l’extérieur du pays pour aller en vacances dans les prochains mois, après avoir été informés par un agent de voyage des différentes possibilités. La question se lisait comme suit : « Comme vous le constater [sic], un éventail de solutions s’offre à vous. Quels facteurs prenez-vous en considération pour choisir les vacances idéales pour votre couple ? » La défenderesse a obtenu la note « D+ » (65-69) à la question 3, et la note « E » (échec) à la question 4.

 

[5]               Les facteurs pertinents pour évaluer la capacité « raisonnement » sont décrits dans le DNC :

Capacité d’analyser des problèmes et des questions prestement et habilement, d’organiser l’information, de repérer les éléments clés, de déterminer les causes sous-jacentes et de dégager des solutions pratiques.

 

● Assimile rapidement l’information nouvelle et l’applique.

● Planifie et organise efficacement son propre travail.

● Reconnaît les questions et les faits pertinents.

● Trouve des solutions valables et pratiques.

 

Dossier du demandeur, Dictionnaire national des compétences, Vol. 1, onglet 3-E-4, à la p 181.

 

 

[6]               La défenderesse a répondu à la question 4 de la façon suivante :

En rencontrant l’agent de voyage, on lui posera des questions sur :

 

1. les points forts et les points faibles de chaque proposition ;

 

2. les tarifs selon les saisons étant donné qu’on n’a pas encore fixé de date (haute et baisse saison) ;

 

3. on recueillera plus d’informations possibles pour chaque destination, les prix, les commentaires d’autres voyageurs... ;

 

4. je prendrai ses coordonnées, si jamais on a besoin d’autres détails et informations ;

 

5. en retour chez nous, on vérifiera les choix offerts :

 

6. est-ce qu’on est prêts à rester dans la même ville ? croisière ou voyage touristique de groupe ? long séjour dans une destination soleil en condo avec cuisinette ou séjour à la plage tout-inclus ?... ;

 

7. si on opte pour une telle destination, est-ce qu’on pourra avoir des vacances à la période de la basse saison pour pouvoir économiser un peu ?

 

8. on consultera les sites internet de ces destinations, s’il y a lieu ;

 

9. on consultera des blogs et des forums de discussions, des amis qui ont déjà (illisible) ces destinations pour avoir leurs commentaires ;

 

10. vérifier s’il n’y a pas de vaccins ou des dispositions à prendre pour une de ces destinations (visas, médicaments, sécurité,...).

 

En ayant des réponses à toutes ces questions, nous serons en mesure de prendre une bonne décision pour passer des vacances idéales.

 

Dossier du demandeur, Réponses à l’examen écrit de Lahlali, Onglet 3-E-12, pp 241-242

 

 

[7]               Les observations du comité eu égard aux réponses fournies par la défenderesse aux questions 3 et 4 se lisent ainsi :

Question 3 (D+)

Question 4 (E)

Évalue sa situation actuelle en détail, emplacement versus travail, école, etc. Évalue l’augmentation actuelle et les aug. futures possible [sic]. Estime a le temps l’énergie + les coût [sic] sans détailler ces derniers. Quelques enjeux sont escamotés.

Ne fait pas l’évaluation de son couple et de ses besoins. Répète les facteurs qui sont dans la question. A fait une analyse de coût. Vérifie si vaccin, médicaments (...) dépendant des destinations. Trop d’enjeux sont escamotés.

 

Dossier du demandeur, Évaluation globale de Lahlali, onglet 3-E-15, p 261

 

 

[8]               Le 22 avril 2009, la défenderesse et les deux autres plaignants ont déposé une plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, alléguant un abus de pouvoir dans l’application du mérite concernant le processus de nomination.

 

II. Décision contestée

 

[9]               Le Tribunal devait déterminer, inter alia, si le sous-ministre de RHDCC a abusé de son pouvoir en décidant que la défenderesse ne satisfaisait pas à la capacité « raisonnement ». Le Tribunal débute son analyse en expliquant le rôle de l’administrateur général en vertu de l’article 36 de la LEFP, et note que son pouvoir discrétionnaire quant au choix et à l’utilisation des outils qu’il estime indiqués pour évaluer si les candidats possèdent les qualifications établies en vertu du paragraphe 30(2) de la LEFP n’est pas absolu. Le Tribunal pourra en effet conclure qu’il y a eu abus de pouvoir s’il est démontré que la méthode d’évaluation n’a aucun lien avec les qualifications recherchées ou ne permet pas de les évaluer, que la méthode est déraisonnable ou discriminatoire ou encore, que le résultat est inéquitable.

 

[10]           Le Tribunal se penche ensuite sur son rôle lorsqu’une plainte est portée à son attention. À ce chapitre, le Tribunal souligne que son rôle n’est pas de réévaluer les notes attribuées par le comité aux réponses à l’examen, mais plutôt d’examiner le processus de nomination – le test ou l’entrevue – pour déterminer s’il y a eu un abus de pouvoir.

 

[11]           Le Tribunal se penche ensuite sur la situation des trois plaignants.  S’agissant plus particulièrement de la défenderesse, le Tribunal note tout d’abord qu’il n’y a pas de réponses évidentes ou quasi-mathématiques aux questions 3 et 4, dans la mesure où elles requièrent l’explication du raisonnement suivi pour arriver à la réponse donnée et revêtent, par conséquent, un caractère nécessairement subjectif.

 

[12]           Après avoir reproduit les facteurs considérés pertinents par le DNC pour évaluer la capacité de « raisonnement » d’un candidat, le Tribunal s’est dit d’avis que les observations du comité ne coïncident pas avec les facteurs mentionnés au DNC. Le Tribunal note de plus que le témoignage de Mme Godin, présidente du comité d’évaluation, n’a pas permis de réconcilier les notes du comité avec la définition de la capacité « raisonnement » offerte par le DNC. Lors de l’audition devant le Tribunal, cette dernière avait expliqué que : a) le comité n’avait pas développé de réponses attendues aux questions 3 et 4 de l’examen écrit parce que le comité voulait permettre aux candidats de présenter différentes approches ; b) les réponses des candidats à ces questions devaient tout de même rencontrer chacun des facteurs de la définition de « raisonnement » du DNC ; et c) en tenant compte de tous ces outils, y compris des facteurs susmentionnés, le comité d’évaluation était d’avis que les réponses de la défenderesse ne lui valaient pas la note de passage.

 

[13]           Le 31 mars 2011, le Tribunal a donc accueilli la plainte de la défenderesse, mais a rejeté les plaintes des deux autres plaignants. Dans le cas de ces derniers, les bonnes réponses étaient évidentes et précises étant donné la nature objective de la situation utilisée pour l’évaluation de la capacité « application des règles et modalités ». Il n’en allait pas de même pour l’évaluation de la capacité « raisonnement », qui faisait appel à des critères beaucoup plus subjectifs. Le Tribunal en est essentiellement arrivé à la conclusion que le comité n’avait pu expliquer sa décision et avait donc commis un abus de pouvoir. Après avoir reproduit les observations du comité et les notes accordées pour les réponses de la défenderesse, le Tribunal écrit :

48. À la question 3, le comité dit que « quelques enjeux sont escamotés ». L’utilisation du pluriel porte à croire qu’au moins deux des quatre facteurs précités n’auraient pas été atteints. Pour la question 4, le comité conclut que « trop d’enjeux sont escamotés ». Puisque la logique dicte que « trop » doit être plus que « quelques », on doit alors conclure qu’au moins trois, sinon quatre, des facteurs identifiés n’ont pas été atteints.

 

49. Cependant, il appert que les observations du comité ne coïncident pas avec les facteurs pertinents identifiés pour l’évaluation de cette capacité. Aussi, le Tribunal note que le témoignage de Mme Godin n’a pas permis de réconcilier cette lacune. À l’audition, Mme Godin a lu le texte de la conclusion du comité mais elle n’a pas expliqué comment le comité identifiait une réponse acceptable et aucune explication n’a été présentée pour justifier la conclusion du comité. Plutôt, Mme Godin a expliqué que le comité n’avait pas développé de réponse attendue car il voulait donner aux candidats le champ libre pour présenter leur information puisqu’il se pourrait que différentes approches soient acceptables. Quoiqu’il soit entièrement loisible au comité de procéder ainsi, dans ces circonstances il est primordial que les observations du comité aient un lien direct et concret avec les facteurs jugés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats. La preuve démontre que cela n’a pas été le cas ici.

 

50. Il s’ensuit qu’en l’absence de points de repère semblables dans son analyse des réponses soumises par Mme Lahlali, le comité n’a pu justifier ses conclusions à l’égard de la capacité « raisonnement », aux questions 3 et 4, que : « quelques enjeux sont escamotés » ou que « trop d’enjeux sont escamotés ». Les conclusions du comité n’étaient donc pas raisonnables. (...)

 

51. Pour ces raisons, le Tribunal conclut que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir et a commis une erreur grave en omettant de lier ses observations aux quatre facteurs considérés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats.

 

 

[14]           Le Tribunal a donc accueilli la plainte de la défenderesse, estimant que la situation pouvait être corrigée en réévaluant les réponses aux questions 3 et 4 sur la base des facteurs pertinents tels qu’établis pour la capacité « raisonnement » et en poursuivant l’évaluation de sa candidature si elle satisfait à cette qualification.

 

III. Questions en litige

[15]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les trois questions suivantes :

(1) Le Tribunal a-t-il commis une erreur en inversant le fardeau de la preuve ou en appliquant un fardeau de preuve incorrect ?

(2) Le tribunal a-t-il commis une erreur en interprétant ou en appliquant le concept d’abus de pouvoir au sens de la LEFP ?

(3) Le Tribunal a-t-il commis une erreur flagrante quant aux faits ?

 

IV. Analyse

A. Le cadre législatif

 

[16]           La LEFP est entrée en vigueur le 31 décembre 2005, et représente la première réforme législative d’envergure en la matière en plus de 35 ans. L’objectif visé par cette nouvelle loi était de réformer l’ancien régime de dotation, jugé trop complexe et trop lent. Le nouveau régime de dotation permet aux gestionnaires de doter les postes vacants en temps utile par des personnes qualifiées, de manière à ce que la fonction publique puisse bien s’acquitter de son rôle de servir les Canadiens.

 

[17]           Pour atteindre cet objectif d’efficience, le Parlement a décidé d’accorder aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire accru en ce qui a trait aux questions de dotation. Cette nouvelle philosophie trouve écho dans le préambule de la LEFP, et notamment dans l’attendu suivant :

Attendu :

[...]

que le pouvoir de dotation devrait être délégué à l’échelon le plus bas possible dans la fonction publique pour que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens ;

 

 

[18]           Le législateur s’est également éloigné du régime antérieur en privilégiant une version du principe du mérite axée sur le mérite individuel plutôt que sur le mérite comparatif, tel qu’en fait foi l’article 30 de la LEFP. Dorénavant, un gestionnaire ne sera donc plus tenu de nommer à un poste le candidat le plus qualifié ; il suffira qu’une personne possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général pour pouvoir être nommée à un poste. L’alinéa 30(2)(b) de la LEFP  précise que la Commission de la fonction publique (la Commission) peut également tenir compte de toute qualification supplémentaire considérée comme un atout pour le travail à accomplir, des besoins actuels ou futurs de l’administration ainsi que de toute exigence opérationnelle actuelle ou future. Cette disposition se lit comme suit :

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

 

Définition du mérite

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

 

b) la Commission prend en compte :

 

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

 

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

 

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

30. (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

 

 

Meaning of merit

(2) An appointment is made on the basis of merit when

 

 

 

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

 

 

(b) the Commission has regard to

 

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

 

 

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

 

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

 

[19]           De plus, le comité d’évaluation dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans la sélection et l’utilisation des méthodes d’évaluation. À cet égard, l’article 36 de la LEFP stipule :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

36. In making an appointment, the Commission may use any assessment method, such as a review of past performance and accomplishments, interviews and examinations, that it considers appropriate to determine whether a person meets the qualifications referred to in paragraph 30(2)(a) and subparagraph 30(2)(b)(i).

 

[20]           Un candidat ou une candidate qui n’a pas été sélectionné à la suite d’un processus de nomination interne peut déposer une plainte auprès du Tribunal s’il ou elle croit ne pas avoir été nommé ou fait l’objet d’un processus de nomination en raison, notamment, d’un abus de pouvoir de la part de la Commission ou de son délégué dans l’application du mérite :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

77. (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

 

 

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

 

[21]           Enfin, la LEFP ne prévoit pas une définition exhaustive du concept de l’ « abus de pouvoir », mais contient cependant la disposition suivante :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[...]

 

(4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

2. (1) The following definitions apply in this Act.

 

 

[...]

 

(4) For greater certainty, a reference in this Act to abuse of authority shall be construed as including bad faith and personal favouritism.

 

B. La norme de contrôle

 

[22]           Les questions en litige portent principalement sur l’existence d’un abus de pouvoir en vertu de l’article 77 de la LEFP. Il s’agit là clairement d’une question mixte de droit et de fait, dans la mesure où la Cour doit se pencher sur le sens et la portée d’une disposition législative (l’article 77 de la LEFP) pour ensuite l’appliquer aux faits de la présente affaire. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 54, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la Cour suprême a établi que la déférence est normalement de mise lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi habilitante et dont il a une connaissance approfondie. C’est précisément le cas ici, puisque les questions soulevées sont intimement liées à la connaissance spécialisée du Tribunal en ce qui concerne le processus de nomination interne à la fonction publique. Qui plus est, l’article 102 de la LEFP énonce une forte clause privative. Par voie de conséquence, il ne fait aucun doute que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

 

[23]           Au demeurant, je note que les deux parties se rejoignent sur cette question et font toutes les deux valoir qu’il s’agit de la norme applicable. La jurisprudence de cette Cour et de la Cour d’appel est également à cet effet (Kane c Canada (Procureur général), 2011 CAF 19 au para 36 (disponible sur CanLII) [Kane] ; Kilbray c Canada (Procureur général), 2009 CF 390, 344 FTR 203 ; Brown c Canada (Procureur général), 2009 CF 758, 369 FTR 54 ; Lavigne c Canada (Procureur général), 2009 CF 684 (disponible sur CanLII) [Lavigne]). Par conséquent, la Cour doit déterminer si la décision du Tribunal appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et si le processus décisionnel est transparent, intelligible et justifiable: (Dunsmuir, précité au para 47).

 

            (1) Le Tribunal a-t-il commis une erreur en inversant le fardeau de la preuve ou en appliquant un fardeau de preuve incorrecte ?

 

[24]           Le demandeur a soutenu que le Tribunal avait renversé le fardeau de preuve ou appliqué un fardeau de preuve incorrect en obligeant la défenderesse à justifier ses conclusions. Ni les plaintes, ni les allégations de chacun des plaignants alléguaient que le comité avait omis de référer à chacun des facteurs dans ses observations écrites, ou que cette omission constituait à elle seule une erreur grave équivalant à un abus de pouvoir. Au dire du demandeur, le Tribunal n’a fait aucune analyse des faits sur lesquels la défenderesse se base pour démontrer le bien-fondé de sa cause, et a plutôt choisi de miser sur l’absence de preuve présentée par l’intimé. À l’appui de son argument, le demandeur s’appuie sur des extraits de la décision où le Tribunal conclut qu’ « aucune explication n’a été présentée pour justifier la conclusion du comité » et que « le comité n’a pu justifier ses conclusions à l’égard de la capacité « raisonnement ».

 

[25]           Comme dans toute instance civile, il incombe indéniablement à la partie qui fait une allégation de prouver celle-ci, selon la prépondérance des probabilités. La partie défenderesse ne remet d’ailleurs pas en question ce principe, et le Tribunal lui-même l’a réitéré au paragraphe 32 de sa décision.

 

[26]           Dans sa plainte, la défenderesse alléguait que le comité avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite lors de l’évaluation de ses réponses à l’examen écrit et dans l’attribution des points accordés aux réponses. Elle alléguait également abus de pouvoir en raison de l’absence de réponse attendue aux questions 3 et 4 de l’examen écrit, ce qui « donnait trop de zones grises dans un objectif de correction équitable et transparent » (Dossier du demandeur, vol. 1, Allégations, onglet 3-B, p. 37). Ces allégations, à leur face même, étaient sérieuses, d’autant plus que les observations du comité ne permettaient pas vraiment de les réfuter dans la mesure où elles ne coïncidaient pas avec les facteurs pertinents identifiés pour l’évaluation de cette capacité, comme l’a noté le Tribunal.

 

[27]           Dans ce contexte, et en l’absence de toute autre preuve, le Tribunal aurait pu conclure que les conclusions du comité n’étaient pas raisonnables et qu’il avait abusé de son pouvoir en ne liant pas ses observations aux quatre facteurs considérés pertinents pour l’évaluation des réponses tels que prescrit par le DNC. Sans doute conscient de cette lacune, le demandeur a choisi de faire témoigner Mme Godin de façon à ce qu’elle puisse expliquer comment le comité identifiait une réponse acceptable. Loin de clarifier la situation, il semble que Mme Godin se soit contentée de lire le texte de la conclusion du comité et d’expliquer que le comité n’avait pas développé de réponse attendue de façon à ne pas exclure d’emblée des approches non anticipées, mais néanmoins acceptables. C’est dans ce contexte que le Tribunal a conclu que le comité n’avait pu justifier ses conclusions.

 

[28]           Il se peut bien que l’emploi du mot « justifier » n’ait pas été des plus heureux. Il n’en demeure pas moins que le comité n’a jamais pu établir un lien clair entre les qualifications essentielles, les méthodes et outils d’évaluation choisis et les conclusions tirées au moyen de ces méthodes. Il s’agissait pourtant là de l’essence même de la plainte déposée par la défenderesse, qui alléguait justement abus de pouvoir dans l’application du mérite en ce que l’administrateur général n’était pas en mesure « de démontrer que je ne possède pas les qualifications essentielles établies pour le travail à accomplir, notamment à la compétence raisonnement » (Dossier du demandeur, vol. 1, Plainte, Onglet 3-A, p. 32).

 

[29]           Le Tribunal était parfaitement conscient du fait que le fardeau de la preuve reposait sur les plaignants. Mais, à partir du moment où les allégations de la défenderesse apparaissaient prima facie fondées compte tenu de la preuve objective, il revenait au demandeur de fournir une explication convaincante pour les réfuter. En l’occurrence, il n’était pas nécessaire pour la défenderesse de se livrer à une longue démonstration au soutien de ses allégations. La seule explication fournie par le comité pour étayer la note accordée tenait dans ses observations, et elles étaient nettement insuffisantes pour comprendre le lien entre l’évaluation des réponses et les facteurs pertinents. Dans ce contexte, le Tribunal était en droit de s’attendre à ce que le comité établisse un lien clair entre les qualifications essentielles figurant dans l’annonce de possibilité d’emploi et les conclusions tirées au moyen des méthodes d’évaluation choisies, tel que le requièrent les lignes directrices de la Commission de la fonction publique en matière de nomination auxquelles est assujetti le sous-ministre de RHDCC en vertu de l’article 16 de la LEFP.

 

[30]           Compte tenu de ce qui précède, j’estime donc que le Tribunal a correctement appliqué le fardeau de la preuve et s’est contenté d’appliquer la LEFP et les lignes directrices de la Commission de la fonction publique en matière de nomination dans son évaluation de la plainte formulée par la défenderesse.

 

            (2) Le tribunal a-t-il commis une erreur en interprétant ou en appliquant le concept d’abus de pouvoir au sens de la LEFP ?

 

[31]           À ce chapitre, le demandeur soutient que le Tribunal a commis une erreur en réévaluant les réponses de la défenderesse et en appliquant un critère incorrect pour établir l’abus de pouvoir, dans la mesure où il a déterminé que l’analyse de chacun des facteurs devait être précisée dans les observations écrites du comité d’évaluation. En obligeant le comité d’évaluation à justifier ses conclusions, le demandeur estime que le Tribunal a non seulement renversé le fardeau de preuve, mais s’est également livré à un processus de réévaluation.

 

[32]           Le demandeur a également fait valoir que le seuil à atteindre pour conclure qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation des qualifications essentielles est élevé. S’appuyant sur la jurisprudence du Tribunal, le demandeur plaide qu’une erreur ou une omission ne constituera un abus de pouvoir que dans l’hypothèse où il y a incurie ou insouciance grave pouvant faire présumer la mauvaise foi. En l’occurrence, l’absence de commentaires écrits détaillés pour chacun des facteurs ne constituerait donc pas une erreur, et encore moins une erreur grave équivalant à un abus de pouvoir, d’autant plus que la preuve non contredite présentée à l’audition confirme que chacun des facteurs fut examiné par le comité d’évaluation.

 

[33]           Tel que mentionné précédemment, la LEFP ne prévoit pas une définition exhaustive du concept de l’ « abus de pouvoir », et se contente de prévoir au paragraphe 2(4) que cette notion s’entend « notamment » de la mauvaise foi et du favoritisme personnel. Une abondante jurisprudence s’est développée autour de ce concept, dont on peut tirer certaines conclusions.

[34]           Tout d’abord, il ne serait pas approprié de tenter de confiner la notion d’abus de pouvoir à des catégories strictes et bien définies. Le législateur a choisi de laisser au Tribunal le soin d’interpréter ce motif de plainte de façon à pouvoir tenir compte des circonstances propres à chaque affaire dont il est saisi. Les tribunaux ne doivent pas succomber à la tentation de suppléer au texte ouvert du paragraphe 2(4) en proposant des interprétations qui auraient pour effet de l’enfermer dans des catégories strictes et, par conséquent, d’en atténuer la portée. Je souscris donc entièrement au raisonnement adopté par le Tribunal dans l’une des premières décisions qu’il a rendue en vertu de la LEFP :

...le Tribunal ne devrait pas être limité par une définition d’abus de pouvoir. Le fait que le législateur a choisi de ne pas fournir une définition d’abus de pouvoir et qu’il a établi le Tribunal pour  interpréter le concept d’abus de pouvoir dans le contexte des plaintes prévues aux articles 65, 77 et 83 étaye bien l’idée que le législateur n’avait pas l’intention d’imposer une définition statique de l’abus de pouvoir.

 

Tibbs c Canada (Sous-ministre de la Défense nationale), 2006 TDFP 8 au para 60 (disponible sur CanLII).

 

 

[35]           Cette approche a récemment été entérinée par le juge Evans de la Cour d’appel fédérale qui a refusé de restreindre l’abus de pouvoir « aux inconduites graves frappées d’un opprobre moral » et rejeté l’exigence d’un élément moral s’apparentant à celui exigé dans le cas du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, comme le réclamaient les intimés dans cette affaire. Voici ce qu’il écrivait à ce propos :

Il ne conviendrait pas que la Cour tente de formuler une définition exhaustive de l’abus de pouvoir au sens que l’article 77 de la Loi donne à cette expression. Je reconnais qu’en restreignant la compétence du Tribunal pour statuer sur les plaintes d’abus de pouvoir des employés, le législateur entendait certainement réduire les délais des processus de dotation et limiter la surveillance trop poussée engendrée par ce qui revenait en fait à un examen de novo en appel sous le régime de l’ancienne loi.

 

Kane, précité au para 66.

 

 

[36]           Tout en reconnaissant que l’objectif visé par la LEFP était d’accorder aux gestionnaires une plus grande discrétion en matière de dotation, il s’est dit d’avis qu’il ne faudrait cependant pas en arriver à une interprétation qui aurait pour effet d’empêcher les employés d’exercer un recours :

La Loi visait à offrir une plus grande souplesse en ce qui concerne les décisions en matière de nomination et de dotation. Ces objectifs n’exigent cependant pas que l’on interprète la Loi de manière à empêcher les employés d’exercer un recours efficace en cas d’exercice arbitraire par la direction des pouvoirs discrétionnaires que lui confère la Loi.

 

Kane, précité au para 77.

 

[37]           Enfin, il est erroné d’interpréter le concept d’abus de pouvoir à la lumière de la présomption ejusdem generis, et de prétendre que l’abus de pouvoir doit se confiner à des actes qui s’apparentent à la mauvaise foi ou au favoritisme personnel et nécessite, par conséquent, un élément d’intention. Toujours dans l’arrêt Kane, précité au para 60, le juge Evans a démontré que la présomption relative aux choses du même genre « ne s’applique pas aux dispositions comme le paragraphe 2(4) qui indiquent que des éléments précis sont inclus dans le terme générique précédant » [Soulignement ajouté].

 

[38]           Bref, je suis d’avis qu’en plus de la mauvaise foi et du favoritisme personnel, l’abus de pouvoir comprend d’autres formes de conduite inappropriée. Sans doute faut-il plus que de simples erreurs ou omissions, comme l’a précisé cette Cour dans l’arrêt Lavigne, précité. Mais, contrairement à ce que soutient le demandeur, la jurisprudence du Tribunal n’établit pas qu’une erreur ou une omission peut constituer un abus de pouvoir seulement s’il y a eu incurie ou insouciance grave à tel point qu’il est possible de présumer la mauvaise foi. D’autre part, il ne m’est pas nécessaire, pour les fins du présent litige, de déterminer si les cinq catégories d’abus de pouvoir qu’ont dégagées à partir de la jurisprudence les auteurs Jones et deVillars dans leur traité de droit administratif (Principles of Administrative Law, 5e éd, Toronto, Carswell, 2009, à la p 204) peuvent être utilisées pour délimiter la portée du paragraphe 2(4) de la LEFP.

 

[39]           Il est clair, à la lecture même de la LEFP et de son préambule, ainsi que des débats parlementaires, que le législateur entendait simplifier le processus de dotation et accorder un plus grand pouvoir discrétionnaire aux gestionnaires en ce domaine. Le procureur du demandeur a donc tout à fait raison de dire que la Cour doit se garder de faire réapparaître le caractère inquisitoire des appels sous le régime de l’ancienne loi en substituant son appréciation des réponses des candidats à celle du comité d’évaluation plutôt qu’en se contentant d’examiner la façon dont le comité a vérifié les réponses.

 

[40]           Ceci étant dit, la discrétion que le législateur délègue à un organisme administratif ou à un fonctionnaire n’est jamais absolue et doit toujours s’apprécier en fonction de l’objectif visé par la loi, comme la Cour suprême l’a rappelé dans la désormais célèbre décision Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121 (disponible sur CanLII). En adoptant la nouvelle version de la LEFP, le législateur n’entendait pas faire fi du principe du mérite ou le diluer, mais faire en sorte que les nominations puissent également prendre en considération les besoins opérationnels ainsi que les besoins de l’organisation et de la fonction publique (LEFP, paragraphe 30(2)).

 

[41]           D’autre part, la discrétion exercée par l’administrateur général doit être examinée à la lumière des lignes directrices adoptées sous l’autorité du paragraphe 29(3) de la LEFP. Le paragraphe suivant du Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation (Dossier du demandeur, vol. 1, Onglet 3-D, p. 76) m’apparaît particulièrement pertinent :

L’énoncé des Lignes directrices en matière d’évaluation exige ce qui suit :

 

[...]

Les processus et les méthodes d’évaluation utilisés permettent d’évaluer efficacement les qualifications essentielles et autres critères de mérite qui sont déterminés, et ils sont administrés de façon juste ;

[...]

 

Le deuxième élément est lié précisément à la valeur de justice et indique que les méthodes et les processus doivent servir à évaluer efficacement les qualifications essentielles et les autres critères de mérite qui ont été établis. Pour assurer une évaluation efficace, il est important que les méthodes, les processus et les outils d’évaluation soient liés directement aux critères de mérite établis et qu’ils puissent servir à mesurer les critères de façon précise. Cela aura, en fin de compte, des répercussions sur la capacité de la personne retenue à faire le travail. L’administration « juste » de l’évaluation signifie que des personnes ont eu l’occasion de démontrer leur mérite par rapport au poste convoité, et que les gestionnaires aient une justification solide pour la ou les décisions prises.

 

 

[42]           C’est dans ce contexte que le Tribunal devait déterminer si le comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir en rejetant la candidature de la défenderesse. Dans sa décision, le Tribunal a reconnu que son rôle n’était pas de réévaluer les notes attribuées par le comité d’évaluation, mais d’examiner le processus pour évaluer s’il y avait eu abus de pouvoir. Il est d’ailleurs significatif que le Tribunal ait rejeté les plaintes déposées par les deux autres plaignants insatisfaits de la correction de leur examen écrit.

 

[43]           Loin de procéder à sa propre évaluation des réponses données par la défenderesse et des notes attribuées par le comité, le Tribunal s’est contenté de constater que les questions 3 et 4 de l’examen ne pouvaient donner lieu à des réponses objectives ou évidentes, mais permettaient au contraire de considérer différentes approches. Tout en admettant que le comité pouvait procéder de cette façon, le Tribunal a souligné qu’en pareilles circonstances, il « était primordial que les observations du comité aient un lien direct et concret avec les facteurs jugés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats » (Dossier du demandeur, vol. 1, Décision, Onglet 2, au para 49).

 

[44]           En formulant cette observation et en prenant note du fait que les observations du comité ne coïncidaient pas avec les facteurs pertinents pour l’évaluation de la capacité « raisonnement », le Tribunal n’a pas outrepassé sa juridiction ou erré dans son interprétation de l’abus de pouvoir. En fait, les observations du comité de sélection sont plutôt laconiques et ne permettent pas d’identifier quels enjeux ont été « escamotés ». Il n’est pas possible, dans ces circonstances, de déterminer si les facteurs énumérés pour la capacité « raisonnement » ont été évalués. Il ne suffisait pas de dire, comme l’a fait Mme Godin lors de l’audition, que tous les facteurs avaient été examinés par le comité d’évaluation, sans autre preuve à cet effet.

 

[45]           Contrairement à ce que soutient le demandeur, le Tribunal n’a pas conclu que le comité avait l’obligation de référer à chacun des facteurs dans ses observations écrites. Ce qui était problématique, aux yeux du Tribunal, c’était l’absence de toute corrélation entre les facteurs et les observations du comité. Il était tout simplement impossible de savoir sur quelle base les réponses de la défenderesse ont été jugées inadéquates, ce qui est particulièrement inquiétant lorsque les questions n’appellent pas une réponse objective et facilement vérifiable. Permettre une telle pratique ouvrirait la porte toute grande à l’arbitraire, et en agissant de la sorte, le comité a commis une erreur grave. Partant, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas erré en considérant qu’une telle façon de procéder constituait un abus de pouvoir au terme de l’alinéa 77(1)(a) de la LEFP. Ce faisant, le Tribunal ne s’est pas immiscé dans la discrétion accordée au sous-ministre en réévaluant la candidature de la défenderesse, mais s’est conformé aux lignes directrices de la Commission de la fonction publique en exigeant que les gestionnaires fassent preuve de transparence et justifient leur décision en fonction des critères préétablis.

 

[46]           Bref, pour tous les motifs susmentionnés, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas erré en interprétant et en appliquant le concept d’abus de pouvoir, et qu’il pouvait raisonnablement conclure que le comité de sélection avait abusé de son pouvoir en ne tenant pas compte des facteurs pertinents dans l’évaluation des réponses fournies par la défenderesse aux questions 3 et 4 à l’égard de la capacité « raisonnement ».

 

            (3) Le Tribunal a-t-il commis une erreur flagrante quant aux faits ?

 

[47]           Le demandeur avance que le Tribunal a commis des erreurs de fait flagrantes qui rendent sa décision déraisonnable. Il a tout d’abord affirmé que le Tribunal ne pouvait conclure que le comité d’évaluation n’avait pas expliqué comment on identifiait une réponse acceptable, après avoir reconnu qu’il était loisible au comité de ne pas développer de réponse attendue pour donner aux candidats toute la marge de manœuvre possible. D’autre part, il a soutenu que le Tribunal n’avait pas tenu compte du témoignage de Mme Godin, selon laquelle le comité avait considéré tous les outils d’évaluation, y compris tous les facteurs, avant de prendre sa décision.

 

[48]           À cet égard, il convient de rappeler que les conclusions de fait d’un tribunal administratif doivent faire l’objet d’une très grande déférence dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. S’agissant du témoignage de Mme Godin, le Tribunal ne l’a pas passé sous silence, mais y a au contraire explicitement fait référence en ces termes (je le cite de nouveau pour plus de commodité) :

À l’audition, Mme Godin a lu le texte de la conclusion du comité mais elle n’a pas expliqué comment le comité identifiait une réponse acceptable et aucune explication n’a été présentée pour justifier la conclusion du comité. Plutôt, Mme Godin a expliqué que le comité n’avait pas développé de réponse attendue car il voulait donner aux candidats le champ libre pour présenter leur information puisqu’il se pourrait que différentes approches soient acceptables. Quoiqu’il soit entièrement loisible au comité de procéder ainsi, dans ces circonstances il est primordial que les observations du comité aient un lien direct et concret avec les facteurs jugés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats. La preuve démontre que cela n’a pas été le cas ici.

 

Dossier du demandeur, vol. 1, Décision, onglet 2, au para 49.

 

 

[49]           C’est une chose d’accepter l’approche retenue par le comité et de reconnaître qu’une question ouverte peut parfois mieux permettre d’évaluer certaines compétences. C’en est une autre de ne prévoir aucuns critères, aussi vagues soient-ils, pour assurer une certaine uniformité et un minimum de transparence dans l’évaluation, et de ne fournir aucune explication quant aux lacunes d’une réponse par rapport à des facteurs préétablis. Le Tribunal n’a pas ignoré la preuve soumise par le demandeur, mais l’a jugée inappropriée et insuffisante, comme il était en droit de le faire.

 

[50]           Quant à l’affirmation de Mme Godin à l’effet que le comité avait bel et bien considéré tous les facteurs dans son évaluation des réponses données aux questions 3 et 4, le Tribunal ne l’a pas retenue. Le Tribunal pouvait accorder peu de poids à cette déclaration ex post facto, en l’absence de quelque élément de preuve documentaire permettant de corroborer cette affirmation. En bout de ligne, le Tribunal est le mieux placé pour évaluer la preuve qui lui a été présentée, et il pouvait raisonnablement conclure que le simple fait de dire que tous les facteurs pertinents ont été évalués ne palliait pas le silence des observations écrites sur ce point et n’explicitait pas en quoi les réponses ne satisfaisaient pas les critères établis pour mesurer la capacité de raisonnement.

 

V. Conclusion

[51]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, et que la décision du Tribunal doit être maintenue.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et la décision du Tribunal est maintenue.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-742-11

 

INTITULÉ :                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c MALIKA LAHLALI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sean F. Kelly

 

POUR LE DEMANDEUR

Me James Cameron

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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