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Date : 20120529

Dossier : IMM‑8192‑11

Référence : 2012 CF 657

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 mai 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

MAZIN TOUMA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Il n’a pas été et il n’est pas nié que le demandeur était (comme l’indiquait l’examen des risques avant renvoi [l’ERAR]) et demeure interdit de territoire au Canada en raison des 69 infractions criminelles dont il a été déclaré coupable. Toutefois, serait‑il plus probable que le contraire que le demandeur, en tant que chrétien, soit persécuté en Iraq?

 

[2]               Les rapports dignes de foi versés en preuve établissent l’importance des risques auxquels les chrétiens sont exposés en Iraq. Les extraits suivants (tirés de diverses sources fiables citées dans le rapport de 2010 du Département d’État des États‑Unis sur la liberté de religion dans le monde, publié le 17 novembre 2010 pour 2011) méritent réflexion pour l’appréciation de la question :

[traduction] […] Très peu d’agresseurs qui s’en sont pris violemment à des chrétiens et à d’autres membres de minorités religieuses dans le pays ont été punis; les arrestations à la suite d’un meurtre ou d’autres crimes ont été rares.

 

(troisième avant‑dernier paragraphe de la page 5)

 

[traduction] […] Des leaders chrétiens qui se trouvent dans le pays et à l’étranger ont déclaré que des membres de leur communauté recevaient des lettres de menace dans lesquelles on leur disait de partir sinon ils seraient tués.

 

(fin du deuxième paragraphe de la page 5)

 

II. Procédure judiciaire

[3]               La demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], vise une décision datée du 18 octobre 2011 rejetant la demande d’ERAR du demandeur.

 

III. Contexte

[4]               Au Canada depuis plus de 30 ans, le demandeur, M. Mazin Touma, est né le 20 novembre 1969. Il est citoyen iraquien et catholique romain chaldéen, d’origine ethnique assyrienne.

 

[5]               Le demandeur est arrivé au Canada à l’âge de onze ans et il a obtenu avec ses parents, ses frères et ses sœurs le statut de résident permanent du Canada le 22 juillet 1981.

 

[6]               Le père du demandeur est décédé lorsqu’il avait 13 ans, soit deux ans après son arrivée au Canada. Il a par la suite été confié à la garde de la Catholic Children’s Aid Society [la CCAS] parce qu’il n’allait pas à l’école régulièrement. Le demandeur explique que, durant les années où il a été placé en foyer nourricier, il a été entraîné dans le trafic de la drogue et il est devenu toxicomane.

 

[7]               Le demandeur a fait l’objet d’au moins 69 déclarations de culpabilité au Canada liées à des crimes contre les biens, aux armes, aux stupéfiants, au défaut de se conformer à des exigences et à la violence. Entre 1994 et 2002, il a été déclaré coupable de nombreuses infractions d’introduction par effraction, de vol et de possession de stupéfiants.

 

[8]               Le demandeur a été arrêté nombre de fois par l’Agence des services frontaliers du Canada pour avoir omis de se conformer à l’obligation de se présenter aux autorités. Il est détenu depuis le 28 juin 2011.

 

[9]               Le 5 février 1996, le demandeur a été déclaré interdit de territoire en vertu du sous‑alinéa 27(1)d)(ii) de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2. La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel qu’il avait interjeté à l’encontre de la mesure de renvoi. Notre Cour a refusé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision le 10 juin 1999.

 

[10]           Le demandeur a présenté une demande d’ERAR dans laquelle il alléguait craindre d’être persécuté du fait qu’il serait un catholique en Iraq.

 

IV. Décision contrôlée

[11]           L’agent a conclu que l’interdiction de territoire prévue au sous‑alinéa 27(1)d)(ii) de l’ancienne Loi sur l’immigration correspondait à l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

 

[12]           L’agent a indiqué que l’interdiction de renvoi actuellement en vigueur à l’égard de l’Iraq ne s’appliquait pas aux personnes déclarées interdites de territoire.

 

[13]           L’agent a conclu que la crainte du demandeur d’être persécuté du fait de sa religion était justifiée. Néanmoins, après une analyse détaillée des documents portant sur la situation du pays qu’il avait à sa disposition, l’agent a jugé que la situation générale sur le plan de la sécurité et de la violence religieuse en Iraq s’améliorait en raison des efforts déployés par le gouvernement. Par conséquent, le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption de la protection offerte par l’État.

 

[14]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé le risque qu’il alléguait et il doutait de sa compréhension de la situation en Iraq. Le demandeur n’a pas démontré qu’il avait des ennemis particuliers. L’agent a jugé que le fait que le demandeur ne parlait pas l’arabe ne justifiait pas une décision favorable. L’agent a également conclu que le demandeur bénéficierait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI].

 

V. Question en litige

[15]           La décision d’ERAR est‑elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[16]           Les dispositions législatives pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

VII. Position des parties

[17]           Le demandeur soutient que l’agent n’a pas appliqué le bon critère juridique en l’espèce; il n’a pas appliqué la norme de preuve appropriée. Compte tenu du fait que l’agent a conclu que la crainte du demandeur concernant sa religion était [traduction] « plausible », il a été satisfait à la norme de preuve et une décision favorable était donc justifiée.

 

[18]           Le demandeur affirme que l’agent n’a pas analysé le fait qu’il pouvait facilement être identifié comme un chrétien parce qu’il ne parle pas arabe, qu’il n’est pas musulman et qu’il vient de l’Occident.

 

[19]           Le demandeur avance que l’agent a également fait erreur dans son appréciation de la protection offerte par l’État.

 

[20]           Le défendeur soutient que l’agent a tenu compte dans son analyse du fait que le demandeur est un chrétien. Il fait valoir que l’agent a soigneusement soupesé toute la preuve soumise. En ce qui a trait à la possibilité d’obtenir une protection de l’État, le défendeur allègue que l’agent a analysé et cité des documents portant sur la situation du pays pour étayer sa conclusion.

 

VIII. Analyse

[21]           Il est bien établi en droit que la cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision d’un agent d’ERAR parce qu’une telle décision repose sur l’appréciation des faits. La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339). Récemment, dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au sujet du caractère raisonnable d’une décision :

[15]      La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

[22]           Dans la présente affaire, l’agent a conclu d’une façon non équivoque que la crainte de persécution du demandeur était bien fondée :

[traduction] Néanmoins, sa crainte de violence religieuse est tout à fait plausible. Il existe de nombreux cas de violence grave contre des personnes de différentes confessions, à divers moments et endroits.

 

(Décision d’ERAR, à la page 11).

 

[23]           La Cour constate qu’il est difficile de trouver le raisonnement intelligible suivi par l’agent parce qu’il n’a pas exposé de façon détaillée les faits sur lesquels il s’appuyait et qu’il a fait des déclarations contradictoires. Néanmoins, il a conclu qu’il était plausible que le demandeur craigne la violence religieuse; en effet, il semble que l’agent ait accepté que le demandeur était chrétien. Je le répète, l’agent n’a mentionné aucun élément de preuve; il a plutôt fait des affirmations générales sans les justifier :

[traduction] Je ne sais pas vraiment si M. Touma assiste régulièrement aux offices ou s’il pratique la religion catholique romaine. Il m’apparaît difficile de dire ce qui l’identifierait en Iraq comme un chrétien à victimiser. D’une part, cela pourrait réduire les risques et, d’autre part, à un certain moment dans un quartier donné, un extrémiste pourrait cibler quelqu’un d’une autre confession ou secte. Il est certainement possible que M. Touma soit pris dans pareille situation où il serait ciblé et ensuite agressé.

 

(Décision d’ERAR, à la page 11).

 

[24]           La conclusion défavorable de l’agent repose essentiellement sur les documents portant sur la situation du pays qu’il a examinés et qui lui démontraient que le demandeur pourrait bénéficier de la protection de l’État. Cette conclusion va à l’encontre de son analyse de la preuve documentaire qu’il a citée :

[traduction]

[…] Le gouvernement s’est donné comme mission de protéger les droits de tous les groupes religieux de se rassembler et de fréquenter leur église librement. Toutefois, en pratique, la violence continue et l’instabilité empêchaient les citoyens d’exercer ces droits dans certaines régions du pays.

 

[…]

 

Malgré l’augmentation manifeste de l’intégration sectaire, de nombreux cas de violence sectaire ont été recensés durant la période visée par le rapport. Très peu d’agresseurs qui s’en sont pris à des chrétiens et à d’autres membres de minorités religieuses dans le pays ont été punis; les arrestations à la suite d’un meurtre ou d’autres crimes ont été rares. [Non souligné dans l’original.]

 

(Décision d’ERAR, aux pages 7 et 9).

 

[25]           La conclusion de l’agent est rédigée comme suit :

[traduction]

Selon la preuve, la situation générale sur le plan de la sécurité s’améliore au fur à mesure que le gouvernement augmente ses moyens. Il existe une intention claire de la part du gouvernement de réduire ou d’éliminer la violence sectaire. Il s’emploie concrètement à soutenir publiquement les communautés chrétiennes et à les protéger à l’aide de diverses mesures.

 

[…]

 

Je conclus que les chrétiens bénéficient bel et bien d’une protection étatique en Iraq. Cette protection est loin d’être parfaite mais elle s’améliore, tant sur le plan de la sécurité en général que sur celui de la violence religieuse.

 

(Décision d’ERAR, à la page 12).

 

[26]           Il ressort clairement de la jurisprudence qu’un décideur doit se pencher plus particulièrement sur la possibilité (actuelle) d’obtenir une protection de l’État (sur le terrain) et non sur le bon vouloir (ou les intentions quant à ce qu’il pourrait advenir de cette protection dans un futur hypothétique et théorique) de l’État (Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 916; Wisdom‑Hall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 685). L’agent a parlé des intentions actuelles, mais la situation récente sur le terrain a notamment été décrite dans une dépêche de l’Agence France‑Presse dans laquelle un archevêque chrétien déclare que [traduction] « les chrétiens sont la cible d’une campagne de liquidation ». Le document IRQ102990.E, en date du 15 janvier 2009, publié dans les Réponses aux demandes d’information, qui était à la disposition de l’agent, décrit comme suit la situation des chrétiens en Iraq :

Chrétiens en Iraq

 

Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le recensement iraquien de 1987 a permis d’apprendre que 1 400 000 chrétiens vivaient en Iraq, mais en 2006, on estimait qu’ils étaient moins de 1 000 000 (Nations Unies août 2007, 59). D’après l’International Religious Freedom Report 2008, publié par les États‑Unis (É.‑U.), il y a de 550 000 à 800 000 chrétiens en Iraq sur une population de 28,2 millions d’habitants, soit une diminution comparativement aux 800 000 à 1 200 000 recensés en 2003 (É.‑U. 19 sept. 2008, sect. 1). Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) signale pour sa part qu’il y a entre 500 000 et 700 000 chrétiens en Iraq (RFE/RL 17 avr. 2008). Selon certaines sources, les Iraquiens chrétiens représentent 3 p. 100 de l’ensemble de la population de l’Iraq (IWPR 17 mai 2006; The Chicago Tribune 24 nov. 2008). Les Iraquiens chrétiens appartiennent à plusieurs sectes, y compris les chaldéens (secte orientale de l’Église catholique), les assyriens (Église orientale), les syriaques (orthodoxe orientale), les catholiques arméniens, les orthodoxes arméniens (Nations Unies août 2007, 59‑60; É.‑U. 19 sept. 2008, sect. 1), les catholiques syriaques et les catholiques romains (Nations Unies août 2007, 59‑60). Les communautés chrétiennes se trouvent principalement à Bagdad et dans des régions du nord comme Mossoul, Erbil, Dohuk, Kirkuk (ibid., 60; É.‑U. 19 sept. 2008, sect. 1) et Sulaymaniyah (Nations Unies août 2007, 60).

 

Sécurité des chrétiens

 

Depuis l’invasion de l’Iraq sous commandement américain en 2003, les chrétiens ont été la cible de violence que des sources attribuent principalement aux extrémistes islamiques, y compris al‑Qaida en Iraq, ou à des gangs criminels (IWPR 7 août 2007; Nations Unies août 2007, 60, 65). Le HCR souligne que [traduction] « la sécurité et le climat politique se sont continuellement détériorés pour ce qui est des minorités religieuses en Iraq depuis le renversement de l’ancien régime en 2003 » (ibid., 61). Selon l’Institute for War and Peace Reporting (IWPR), réseau international sans but lucratif voué à la défense des médias libres et objectifs (IWPR s.d.), des millions de citoyens iraquiens vivent dans la peur, mais les chrétiens sont [traduction] « particulièrement vulnérables » en raison de leur religion (IWPR 7 août 2007). Des médias citent l’archevêque chaldéen de Kirkuk, qui aurait déclaré que les chrétiens sont [traduction] « la cible d’une campagne de liquidation » (AFP 10 oct. 2008) et que les chrétiens de Mossoul fuient [traduction] « l’épuration ethno‑religieuse » (RFE/RL 15 oct. 2008). Le directeur du Hudson Institute’s Center for Religious Freedom, organisation internationale de recherche sur les politiques établies aux États‑Unis (Hudson Institute s.d.), affirme, dans le même ordre d’idées, que les chrétiens et d’autres minorités en Iraq [traduction] « font l’objet d’une campagne sans merci d’épuration ethnique » (Charlotte Observer 20 août 2007).

 

Le Minority Rights Group International (MRG), le HCR et Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) signalent que les chrétiens sont victimes d’assassinats, d’enlèvements, d’attaques, de harcèlement et d’intimidation en Iraq (MRG 2007, 10‑11; Nations Unies août 2007, 61; RFE/RL 17 avr. 2008). De multiples sources fournissent des détails sur des cas d’Iraquiens chrétiens menacés de mort s’ils ne quittaient pas leur domicile (É.‑U. 11 mars 2008, sect. 2c; Nations Unies 30 juin 2007, paragr. 30; DHSF 18 avr. 2007). Selon le MRG et des médias, des commerces comme des magasins d’alcool appartenant à des non‑musulmans ont été la cible d’attentats à la bombe ou fermés de force et leurs propriétaires ont été menacés, attaqués ou assassinés par des extrémistes (MRG 2007, 8; Houston Chronicle 11 nov. 2007; The Miami Herald 6 juill. 2008). MRG signale que d’autres commerces appartenant traditionnellement à des chrétiens comme des gymnases, des salons de beauté, des magasins de musique et des studios d’enregistrement ont également été ciblés (MRG 2007, 8). Selon des groupes de défense des droits de la personne, le HCR et l’International Religious Freedom Report 2008 publié par les États‑Unis, de nombreuses femmes, y compris des chrétiennes, se conforment au code vestimentaire islamique afin de se protéger contre les menaces, le harcèlement et le risque de viol, d’enlèvement ou d’assassinat (É.‑U. 19 sept. 2008, sect. 2; MRG 2007, 11, 23; Nations Unies août 2007, 65; AI Mar. 2008, 2).

 

Des églises, des écoles et des couvents chrétiens ont été attaqués (MRG 2007, 9; Nations Unies août 2007, 61; The Washington Post 22 avr. 2008). Droits de l’homme sans frontières (DHSF) énumère plus de quarante églises ou couvents en Iraq qui ont été la cible d’attentats à la bombe ou d’attaques entre le 26 juin 2004 et le 4 juin 2007 (DHSF 8 janv. 2008). La plupart de ces attaques sont survenues à Bagdad; il y en a également eu un grand nombre à Mossoul et queques-unes à Kirkuk (ibid.). L’International Religious Freedom Report 2008 des États‑Unis fournit des détails sur de nombreuses attaques, y compris dix attaques à la bombe contre des églises et des couvents iraquiens qui se sont produites en janvier 2008 à Baghdad, à Mossoul et à Kirkuk (É.‑U. 19 sept. 2008, sect. 2). En Iraq, de nombreuses églises ont fermé leurs portes en raison de ces menaces (É.‑U. 19 sept. 2008, sect. 2; IWPR 7 août 2007).

 

(Dossier du tribunal, aux pages 95 et 96.)

 

Des renseignements particuliers sur la violence contre les chrétiens partout en Iraq (en rapport avec ce qui précède) sont donnés de manière très détaillée dans le reste du document publié dans les Réponses aux demandes d’information, qui était également à la disposition de l’agent. Ces renseignements font donc partie du dossier.

 

[27]           Par conséquent, dans la présente affaire, l’agent ne s’est pas suffisamment penché sur la question de la possibilité d’obtenir une protection de l’État. De plus, sa conclusion à cet égard n’est pas corroborée par des éléments de preuve se rapportant à un passé récent. Les exceptions, les espérances et les intentions occasionnelles ne constituent pas le baromètre d’un véritable climat de tolérance religieuse, en regard de la persécution religieuse. Par conséquent, la décision est déraisonnable.

 

[28]           Étant donné que la conclusion de l’agent concernant la possibilité de refuge intérieur est liée à la disponibilité de la protection de l’État, il n’est pas nécessaire d’analyser cette conclusion pour déterminer si elle était raisonnable. (À la simple lecture de la section intitulée « Violence dans le Nord de l’Iraq » dans le document daté du 15 janvier 2009 extrait des Réponses aux demandes d’information – le Nord de l’Iraq étant une région où une possibilité de refuge intérieur aurait probablement pu être envisagée –, on constate que, récemment, les chrétiens étaient en danger dans la ville de Mossoul et ses environs (sur le terrain), voir particulièrement les pages 95, 96 et 97.)

 

IX. Conclusion

[29]           Pour tous les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[30]           Il est important de signaler que la décision d’ERAR est annulée seulement en raison de l’insuffisance de l’analyse sur la disponibilité actuelle de la protection étatique pour les chrétiens en Iraq. Cela ne signifie pas que la nouvelle décision sera nécessairement différente de celle analysée en l’espèce si l’on considère le seul point de vue de la conclusion de criminalité. Le contexte particulier permet de reconnaître le fait que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité et qu’il peut donc être renvoyé dans son pays d’origine malgré l’interdiction de renvoi en Iraq actuellement en vigueur. Toutefois, la présente affaire est une affaire unique en son genre en raison de sa situation factuelle particulière. Le demandeur ne parle pas la langue et ne connaît ni la culture ni les coutumes de son pays d’origine. Il ressort de la preuve qu’il serait un étranger en terre inconnue exposé à un grave danger.

 

[31]           En conclusion, l’agent d’ERAR doit évaluer la possibilité d’obtenir une protection de l’État en Iraq à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve se rattachant à un passé récent, considérés comme un tout complet, et non à la lumière de bonnes intentions susceptibles de se matérialiser dans un futur hypothétique et théorique. L’analyse de la protection de l’État ne doit pas reposer sur le bon vouloir des autorités qui, jusqu’à maintenant, n’a donné lieu qu’à des exceptions, des espérances et des possibilités occasionnelles, mais plutôt sur la dure réalité du passé et l’avenir toujours incertain.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question grave de portée générale n’est proposée aux fins de certification.

 

 

« Michel M. J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8192‑11

 

INTITULÉ :                                                  MAZIN TOUMA c
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 25 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carole Simone Dahan

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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