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Date : 20120518

Dossier : IMM‑5988‑11

Référence : 2012 CF 609

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

KUAN JING

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Kuan Jing, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 15 août 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle d’une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, sa demande est rejetée.

 

I.          Les faits

 

[3]               Le demandeur est originaire de la ville de Shenyang, dans la province du Liaoning, en République populaire de Chine (la Chine). Il a présenté une demande d’asile au Canada dans laquelle il alléguait que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) le recherchait parce qu’il fréquentait une église chrétienne clandestine.

 

II.        La décision contrôlée

 

[4]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou fiables démontrant qu’il était membre d’une église clandestine en Chine. Cette conclusion était fondée sur des incohérences dans son témoignage relativement à qui avait amené l’idée qu’il fréquente l’église, sur son omission de mentionner que le suicide de sa sœur était une des raisons pour lesquelles il avait décidé de fréquenter l’église ainsi que sur son défaut de mentionner la peine qui pourrait lui être infligée pour voir fréquenté une église clandestine.

 

[5]               En ce qui a trait à l’allégation du demandeur selon laquelle il était un homme recherché en Chine, la Commission a conclu qu’il était déraisonnable qu’il s’expose et expose sa famille à des risques en demandant à deux reprises à son père de lui envoyer par la poste des documents dont il avait besoin. Les autorités gouvernementales chinoises surveillent les communications. La Commission a également accordé peu de poids à l’assignation fournie par le demandeur, compte tenu de la facilité de se procurer des documents frauduleux en Chine et de l’absence de preuve documentaire à l’appui de l’allégation selon laquelle une église dans la province du Liaoning avait fait l’objet d’une descente en 2009.

 

[6]               La Commission a également mis en doute la motivation du demandeur à fréquenter une église au Canada. « Le demandeur d’asile n’a fourni aucune preuve montrant qu’il avait été converti entre le moment où il est arrivé au Canada et le moment où il a fréquenté l’église. » La Commission a examiné des documents concernant sa participation à des activités de l’église, mais elle a jugé qu’ils ne traitaient pas de sa motivation et a conclu que les connaissances sur le christianisme que le demandeur a pu acquérir l’ont été en vue de renforcer sa demande.

 

[7]               Subsidiairement, la Commission a abordé la question de savoir si le demandeur pouvait retourner dans la région du Liaoning et pratiquer sa foi librement et ouvertement. La preuve documentaire révèle que le traitement dont font l’objet les membres des églises clandestines varie selon les autorités locales. En tant que membre ordinaire d’une église, la participation du demandeur à ces activités était modeste. La Commission a finalement conclu qu’il pouvait retourner dans la province du Liaoning et y pratiquer sa religion.

 

III.       Les questions en litige

 

[8]               Le demandeur demande à la Cour d’examiner plusieurs aspects de la décision de la Commission :

 

a)         son appréciation de la crédibilité de demandeur;

b)         l’analyse de la demande sur place;

c)         l’examen de la preuve documentaire concernant la situation dans la province du Liaoning.

 

IV.       La norme de contrôle

 

[9]               En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51). Plus particulièrement, les conclusions quant aux faits et à la crédibilité sont contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (voir Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, aux paragraphes 13 et 14).

 

[10]           Lorsqu’elle applique cette norme, la Cour devrait uniquement intervenir dans les cas où la décision n’est pas justifiée, transparente ou intelligible ou si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

A.        Appréciation de la crédibilité

 

[11]           Se fondant sur le raisonnement exposé dans Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 868, [2008] ACF no 1104, aux paragraphes 29 à 31), le demandeur fait valoir que la Commission s’est appuyée sur des omissions sans importance pour conclure qu’il n’était pas un chrétien pratiquant en Chine.

 

[12]           Je ne vois pas comment ce principe s’applique en l’espèce puisque la Commission a clairement cerné plusieurs problèmes concernant le récit du demandeur qui, pris ensemble, étaient pertinents pour arriver à une décision concernant sa demande d’asile.

 

[13]           Dans son témoignage, le demandeur n’a pas clairement expliqué comment il a été amené à fréquenter l’église. Il a indiqué qu’un ami a cru qu’il pouvait prier pour l’âme de sa sœur, mais le demandeur avait omis de mentionner le suicide de celle‑ci et l’aide que le christianisme pouvait lui apporter pour faire face à cette situation. Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), il a omis de mentionner qu’il avait la conviction qu’il ne subirait pas de conséquences graves en raison de sa fréquentation de l’église.

 

[14]           Étant donné que ces omissions étaient directement liées à sa décision de participer à des activités de l’église, fondement de sa demande d’asile, il était raisonnable que la Commission mette l’accent sur celles‑ci. Il est loisible à la Commission de tirer des inférences défavorables de l’omission de faits importants (voir par exemple Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 536, 98 ACWS (3d) 1265, au paragraphe 6 (CA); Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1867, 52 ACWS (3d) 165, au paragraphe 33; Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, [2011] ACF no 840, au paragraphe 18).

 

[15]           Le demandeur a fait valoir avec insistance que la Commission s’est livrée à des conjectures lorsqu’elle a conclu qu’il était déraisonnable de la part de son père d’envoyer des documents, mais cet argument n’est pas non plus convaincant. Il est bien établi que la Commission a le droit de fonder ses conclusions en matière de crédibilité sur le bon sens et la rationalité (voir Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (CA); Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62, [2007] ACF no 97, au paragraphe 1). En l’espèce, la conclusion était également raisonnablement étayée par la preuve documentaire.

 

[16]           Le juge André Scott a récemment conclu dans Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 95, [2012] ACF no 101, au paragraphe 38, qu’il était raisonnable de la part d’un tribunal de la Commission de conclure « que le fait de recevoir du courrier personnel de la Chine ne concordait pas avec l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était recherchée par les autorités chinoises ».

 

[17]           Contrairement aux observations du demandeur, j’estime que la décision de la Commission d’accorder peu de poids à l’assignation fournie est raisonnable dans les circonstances. La conclusion était fondée à la fois sur la facilité de se procurer des documents frauduleux en Chine et l’absence de documents concernant des descentes dans des églises dans la région en cause.

 

[18]           Compte tenu des préoccupations en matière de crédibilité, cette conclusion ne viole pas la présomption de véracité énoncée dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA), comme l’indique le demandeur. Cette conclusion reflète plutôt le rôle de la Commission quant à l’appréciation de la preuve (voir la confirmation de ce principe dans, par exemple, Brar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF no 346 (CA)).

 

[19]           Plus précisément, la Commission a le droit de préférer la preuve documentaire à la preuve présentée par le demandeur comme elle l’a fait en l’espèce (voir par exemple Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 108, [2010] ACF no 124, aux paragraphes 20 et 25; Aleshkina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 589, [2002] ACF no 784, au paragraphe 17; Zhou c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1087 (CA)).

 

[20]           L’appréciation défavorable de la Commission quant à la crédibilité de la preuve présentée au sujet de la fréquentation par le demandeur d’une église clandestine et du fait qu’il était recherché par le BSP découlait de plusieurs préoccupations liées à la preuve telle qu’elle a été présentée. Les conclusions ont été tirées en « termes clairs et explicites » (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228, 15 Imm LR (2d) 199) et elles appartiennent aux issues acceptables. L’insatisfaction du demandeur à l’égard des conclusions de la Commission et du poids qu’elle a accordé à divers éléments de preuve ne constitue pas un fondement justifiant l’intervention de la Cour.

 

B.        Analyse de la demande sur place

 

[21]           Pour des motifs semblables, je ne peux accepter les allégations du demandeur selon lesquelles la Commission a omis d’effectuer une évaluation indépendante de sa demande sur place concernant sa pratique religieuse au Canada en tant que chrétien.

 

[22]           La Commission a expressément mentionné la preuve présentée par le demandeur concernant sa fréquentation de l’église peu après son arrivée au Canada, y compris la lettre rédigée par son pasteur. Elle a néanmoins conclu qu’il n’y était fait mention ni de sa conversion au Canada ni de sa motivation à participer aux activités de l’église. La Commission n’a tout simplement pas accordé à cette preuve le poids qu’aurait souhaité le demandeur. Il ne s’ensuit pas que les conclusions tirées sont dépourvues de justification, de transparence ou d’intelligibilité.

 

[23]           En effet, comme le soutient le défendeur, il était raisonnable de la part de la Commission de mettre en doute la véracité de la position du demandeur compte tenu de ses conclusions antérieures en matière de crédibilité. Le juge Donald Rennie a confirmé un raisonnement semblable de la Commission dans Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 417, [2011] ACF no 530, aux paragraphes 37 et 38). Par contraste, la conclusion dans Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 132, [2008] ACF no 164, au paragraphe 8, invoquée par le demandeur, ne s’applique pas en l’espèce puisque la Commission a ensuite examiné la question de savoir s’il serait exposé à un risque de persécution s’il était renvoyé en Chine.

 

C.        Preuve documentaire et situation dans la province du Liaoning

 

[24]           Je conclus également que la Commission a effectué une évaluation détaillée de la preuve documentaire. Soupesant la totalité de cette preuve, elle a insisté sur le fait que le traitement accordé aux membres des églises clandestines variait en fonction des conditions locales. En ce qui concerne la province du Liaoning, « peu d’éléments de preuve ont été présentés pour convaincre le tribunal que les agents du gouvernement veulent persécuter les chrétiens protestants clandestins, comme le prétend le demandeur d’asile » après 2007.

 

[25]           Le demandeur n’a pas fourni d’argument valable susceptible de remettre en cause cette conclusion. La taille de l’église était un facteur parmi d’autres dont la Commission a tenu compte dans son évaluation. La conclusion dans Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 65, [2011] ACF no 74, qui reposait sur son dossier de preuve documentaire particulier et concernait une région différente de la Chine, ne s’applique pas à l’espèce.

 

[26]           Le demandeur conteste les conclusions tirées à l’égard de la situation dans le Liaoning, mais rien n’indique qu’elles sont déraisonnables. La Commission n’est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve documentaire (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946, 147 NR 317 (CA)). On peut présumer, jusqu’à preuve du contraire, qu’il a été tenu compte de l’ensemble de la preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA)).

 

VI.       Conclusion

 

[27]           Le demandeur n’a pas démontré que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables dans les circonstances. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5988‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  KUAN JING c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 18 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jayson Thomas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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