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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20120524

Dossier: IMM-8137-11

Référence : 2012 CF 628

Montréal (Québec), le 24 mai 2012

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

VIJAYAKUMAR MARTHANDAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal), selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur, âgé de 36 ans et citoyen du Sri Lanka, appartient à l’ethnie tamoule. Il opère un commerce de papeterie et est propriétaire d’une voiture de taxi à Trincomalee, à l’est du Sri Lanka.

 

[3]               Il allègue les faits suivants au soutien de sa demande.

 

[4]               En mars 2009, le demandeur est arrêté puis détenu pendant une semaine par l’armée sri lankaise (SLA) après qu’un reçu provenant de son commerce a été trouvé en la possession d’un membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (le TLET).

 

[5]               Le 24 mai 2009, des membres du groupe paramilitaire Pillaiyan, se représentant comme des membres du TLET, sont allés chez le demandeur pour lui prendre sa voiture de taxi, ce qu’il refuse de faire. Ils quittent alors les lieux, mais la SLA revient plus tard cette journée et arrête le demandeur. Il est amené au Plantain Point Camp et torturé, mais est libéré suite au paiement d’un pot-de-vin de 150 000 roupies sri lankaises.

 

[6]               Le 10 juin 2009, le groupe Pillaiyan revient chez le demandeur et le vole. Quelques jours plus tard, la SLA l’arrête et l’amène à son camp pour l’interroger quant à ses liens avec le TLET. Selon lui, l’intention de la SLA était de lui extorquer de l’argent et de lui voler sa voiture de taxi. Acceptant de se plier à ses exigences, la SLA le relâche. Il s’enfuit alors à Colombo.

 

[7]               Le 22 juin 2009, il quitte le Sri Lanka. Il transite par la France, l’Espagne et séjourne en République dominicaine du 25 juin au 6 juillet 2009. Il se rend ensuite à l’état de New York aux États-Unis et y demeure pendant trois mois. Il arrive au Canada le 9 octobre 2009, et y dépose une demande d’asile.

 

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[8]               Le tribunal est d’avis que le demandeur est crédible et que son récit est véridique.

 

[9]               Quant aux allégations du demandeur selon lesquelles il serait exposé à un risque advenant son retour au Sri Lanka au motif qu’il est un jeune homme d’ethnie tamoule de l’est du pays, et qu’il est accusé d’être associé au TLET, le tribunal conclut qu’il n’existe qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté à Trincomalee ou dans le reste du pays. Vu qu’il n’a jamais été associé au TLET, que le gouvernement a libéré des milliers de cadres du TLET, et qu’il est un homme d’affaires relativement plus vieux et en provenance d’une région relativement plus sécuritaire de l’est du pays, le tribunal n’est pas convaincu que les autorités sri lankaises ont toujours un intérêt envers lui.

 

[10]           Bien que le tribunal reconnaisse qu’il existe encore des problèmes au Sri Lanka, tel que l’enregistrement forcé des Tamouls et l’augmentation du taux de violence au nord du pays, il note que la guerre civile est maintenant terminée et que cela constitue un changement durable. Il indique également que les conditions générales au nord et à l’est du pays se sont améliorées, ce qui est particulièrement pertinent en l’espèce étant donné que le risque auquel serait exposé le demandeur émane de l’est du pays. Puisque le demandeur allègue être à risque d’extorsion de la part du groupe Pillaiyan, qui s’est transformé en organisation criminelle selon le rapport du Danish Immigration Service et celui du département d’État américain, et que les actes de la SLA envers lui ont été instigués par ce groupe, le tribunal examine sa demande d’asile sous l’article 97 de la LIPR.

 

[11]           Le tribunal estime qu’une possibilité de refuge intérieur (PRI) existe à Colombo, et ce, même durant la période suivant la défaite militaire du TLET et avant les élections de 2010. Puisque les forces du groupe Pillaiyan se sont concentrées dans les provinces du nord et de l’est suite à la guerre civile, et que le demandeur a témoigné que l’intention du groupe était de l’extorquer, le tribunal est d’avis que le demandeur serait en sécurité à Colombo, hors de la zone d’opération du groupe.

 

[12]           Le tribunal note également que le demandeur a pu obtenir un passeport sri lankais pour quitter le pays, indiquant qu’il n’est pas poursuivi par les forces gouvernementales, et ce, malgré le fait que la documentation indique que les Tamouls du nord et de l’est font l’objet d’une attention accrue de la part des autorités.

 

[13]           Le tribunal conclut qu’il y a moins qu’une simple possibilité de risque de persécution s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

QUESTIONS EN LITIGE

1)      Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant qu’il y avait des changements de circonstances au Sri Lanka sans tenir compte de l’ensemble de la preuve?

 

2)      Le tribunal a-t-il commis une erreur en procédant à une analyse sous l’article 97 de la LIPR plutôt qu’en vertu de l’article 96, et en concluant que le demandeur n’était pas une personne à protéger?

 

3)      Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Colombo?

 

NORME DE CONTRÔLE

[14]           Lorsqu’il s’agit de questions portant sur une PRI et un changement dans les conditions au pays, la norme applicable est celle de la décision raisonnable : voir Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 30, [2012] ACF no 26 (QL) et Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 908, [2010] ACF no 1179 (QL). Les décisions du tribunal traitant de ces questions militent alors en faveur d’une large mesure de retenue judiciaire (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

1.   Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant qu’il y avait des changements de circonstances au Sri Lanka sans tenir compte de l’ensemble de la preuve?

 

[15]           En l’espèce, le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau le « changement de circonstances »  au Sri Lanka. Toutefois, je suis d’avis que le tribunal a tenu compte de l’ensemble de la preuve portant sur la situation au pays, et que ses conclusions appartiennent aux issues possibles acceptables. Il a noté qu’il existe toujours des problèmes au Sri Lanka mais que la situation s’est améliorée depuis la fin de la guerre civile en 2009 :

The Sri Lanka documentation shows that although there are concerns that problems could fester if the Sri Lanka government does not seek political accommodation with the Tamil minorities. Of particular concern is the ‘forced registration of Tamil citizens’ and an apparent rise in ‘reports of violence’ in the north. The fact remains, however, that the military defeat of the LTTE is total such that there is little likelihood of an armed struggle resuming in the near future. With respect to the general situation in the north and east there is evidence that suggests that conditions have improved of late (fewer checkpoints and greater mobility). These changes are of particular relevance to this claim because ultimately the risk to the claimant emanates from the east and a paramilitary group Pillaiyan which, according to the documentation, has essentially transformed itself into a criminal organization.

 

[16]           Ce passage démontre que le tribunal s’est penché sur tous les aspects de la question, qu’ils soient favorables ou non à la position du demandeur. Il ne s’agit pas d’un cas où le tribunal a ignoré une preuve contradictoire. Il a évalué les conditions au Sri Lanka en se basant sur le cartable national de documentation le plus récent à l’époque, soit celui en date du 13 avril 2011. Entre autres, le rapport de 2010 du Danish Immigration Service, qui traite spécifiquement des conditions à l’est du Sri Lanka d’où provient le demandeur, indique que la situation est généralement stable :

The Executive Director of the National Peace Council stated that the security in the towns Trincomalee and Batticalore is better than in the rural areas in the East. In the rural areas the local poor people feel vulnerable in the presence of the vast army.

 

The Norwegian Refugee Council (NRC) said that with regards to security, paramilitary presence has decreased in comparison to the conflict period. Army presence is still visible and there are still checkpoints on the way from Batticaloa to Colombo. Random checks are still being performed.

 

IOM considered that the security situation in the East is generally stable, that there are few checkpoints and that there are no longer are reports of paramilitary groups operating.

 

[17]           Quant à l’affaire Rose c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 537, [2004] ACF no 659 (QL), elle se distingue du présent cas car, en l’espèce, le tribunal n’est pas arrivé à une conclusion de persécution passée, condition préalable à l’application possible du paragraphe 108(4) : voir le paragraphe 6 de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Yamba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 254 NR 388, [2000] ACF no 457 (QL). Plutôt, il a procédé directement à un examen prospectif de la question de savoir si le demandeur a une crainte raisonnable d’être persécuté à son retour au Sri Lanka, ce qui lui était loisible de faire. Dans l’affaire Alharazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1044, [2010] ACF no 1519 (QL), au paragraphe 36, monsieur le juge Crampton (maintenant juge en chef) réitérait que la Section de la protection des réfugiés n’a pas l’obligation de tenir compte du paragraphe 108(4) de la LIPR que « lorsqu’elle conclut qu’un demandeur de statut a déjà été persécuté ».

 

2.   Le tribunal a-t-il commis une erreur en procédant à une analyse sous l’article 97 de la LIPR plutôt qu’en vertu de l’article 96, et en concluant que le demandeur n’était pas une personne à protéger?

 

[18]           Le demandeur soutient que le tribunal a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas un réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR, et ce, au motif qu’il fait partie d’un groupe de personnes ciblées par les forces armées sri lankaises, soit un jeune homme tamoul de l’est du Sri Lanka.

 

[19]           Une victime d’actes criminels, telle qu’une personne ciblée à des fins d’extorsion, ne peut être qualifiée d’un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies puisqu’il n’y a pas de lien avec les cinq motifs énumérés à l’article 96 de la LIPR (Suarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 227, [2009] ACF no 275 (QL)). En l’espèce, la preuve démontre que le groupe Pillaiyan a abandonné ses activités paramilitaires et s’est transformé en un groupe criminalisé. En fait, le groupe a ciblé le demandeur à différentes reprises pour lui extorquer de l’argent et prendre sa voiture de taxi, et non en raison de son ethnie ou du fait qu’il est un jeune homme de l’est du Sri Lanka. D’ailleurs, la SLA l’a remis en liberté à plusieurs reprises, dès qu’il lui avait payé un pot-de-vin ou accepté de se plier à ses exigences. Le tribunal n’a alors commis aucune erreur en procédant à une analyse sous l’article 97.

 

[20]           Pour bénéficier de la protection du Canada en vertu de l’article 97 de la LIPR, le demandeur doit démontrer l’existence probable d’un risque personnalisé et qu’il s’agit d’un risque auquel d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne sont généralement pas exposées : voir Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 182, [2011] ACF no 222 (QL) et Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 31, [2009] ACF no 143 (QL). Le simple fait d’être un jeune homme tamoul de l’est du Sri Lanka ne constitue pas un risque personnalisé. Le tribunal a trouvé que les actes de la SLA envers le demandeur semblent toujours avoir été instigués par le groupe Pillaiyan, et qu’il a pu obtenir un passeport sri lankais et sortir du pays, et ce, malgré le fait que les Tamouls du nord et de l’est font l’objet d’une attention accrue de la part des autorités.  En tenant compte de cela, et en considérant qu’il n’a jamais été associé au TLET et que le gouvernement sri lankais a libéré des milliers de cadres du TLET, le tribunal a conclu que l’intérêt des autorités sri lankaises envers le demandeur, s’il y en a, est minime et qu’il n’existe qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté à Trincomalee ou dans le reste du pays. Je suis d’avis que la décision du tribunal appartient aux issues possibles acceptables.

3.   Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Colombo?

 

[21]           Le demandeur a le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas un refuge intérieur dans la partie du pays où, selon le tribunal, il existe une possibilité de refuge et qu’il est objectivement déraisonnable pour lui de s’en prévaloir (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 CF 706, 140 NR 138 (CAF); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 CF 589, 163 NR 232 (CAF)).

 

[22]           Je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas déchargé de ce fardeau. D’une part, le tribunal a trouvé que le demandeur a été ciblé pour des fins criminelles et que la véritable intention du groupe Pillaiyan, dont les forces sont concentrées au nord et à l’est du Sri Lanka, était de l’extorquer. D’autre part, le tribunal a noté que ce groupe était responsable, à chaque occasion, de l’arrestation du demandeur par la SLA. D’ailleurs, il a pu obtenir un passeport sri lankais pour quitter le pays, et ce, en dépit du fait qu’il est plus probable que les Tamouls du nord et de l’est du pays soient soumis à une inspection plus poussée que les autres. Il en ressort que le tribunal a raisonnablement conclu que les autorités sri lankaises n’ont aucun intérêt envers le demandeur, et qu’il serait en sécurité à Colombo, hors de la zone d’opération du groupe Pillaiyan.

 

[23]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8137-11

 

INTITULÉ :                                       VIJAYAKUMAR MARTHANDAN  et  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 22 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Myriam Harbec

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Salima Djerroud

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myriam Harbec

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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