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Date : 20120504

Dossier : IMM‑5345‑11

Référence : 2012 CF 540

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

MIROSLAV GABOR

MAGDALENA GABOROVA

MAGDALENA GABOROVA FILLE

BIANKA GABOROVA

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision datée du 26 juillet 2011 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs  la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE FACTUEL

[2]               Le demandeur, qui a 39 ans, est citoyen de la République tchèque. La demanderesse, qui est son épouse, est âgée de 36 ans. Les demanderesses mineures sont leurs deux filles (les demanderesses mineures). La demanderesse et les demanderesses mineures sont citoyennes de la République slovaque. Les demandeurs se trouvent au Canada depuis avril 2008. Ils sont arrivés ici pour échapper à la persécution en raison de leur origine rom.

[3]               Selon les demandeurs, ils ont été victimes de discrimination dans leurs pays d’origine en raison de leur origine rom. Pendant qu’il fréquentait l’école, le demandeur a été souvent insulté et battu en raison de sa race. Bien que sa mère ait signalé aux responsables de l’établissement scolaire ce qui lui arrivait, il lui a été conseillé de changer d’école si elle n’aimait pas ce qui se passait. Lorsqu’il a commencé à travailler, il ne pouvait pas trouver un emploi permanent en raison de son origine rom.

[4]               En 1991, alors qu’il attendait l’autobus, le demandeur a été attaqué par un groupe d’environ dix jeunes. L’un d’eux l’a frappé avec une chaîne, mais le demandeur a réussi à s’échapper en montant dans l’autobus. En 2007, un groupe de néo‑nazis l’a attaqué à Bratislava, en Slovaquie, en criant [traduction] « Mort au sale Tsigane! Terminons le travail commencé par Hitler ». Un témoin a crié que la police allait arriver et les agresseurs ont pris la fuite. Le médecin qui l’a traité à l’hôpital a refusé de lui remettre un rapport médical qui lui aurait permis de porter plainte. Le médecin a dit : [traduction] « Les Tsiganes inventent toujours des histoires ».

[5]               La demanderesse affirme qu’elle s’est vu refuser des soins médicaux en République slovaque en raison de son origine rom. Elle souffre d’épilepsie et est souvent victime de crises qui nécessitent un traitement médical d’urgence. Bien que les demandeurs aient appelé l’ambulance lorsque la demanderesse avait des crises, les ambulanciers ont refusé de venir à leur maison parce qu’il s’agissait d’une zone habitée par les Roms. En 2007, la demanderesse s’est présentée à l’hôpital pour se faire enlever un kyste ovarien. Lorsqu’elle s’est réveillée après l’opération, son médecin lui a dit qu’elle avait été stérilisée. Prié de dire pourquoi, le médecin a répondu : [traduction] «  Que voulez‑vous? Vous avez déjà deux enfants, vous n’avez pas besoin d’en faire d’autres, et nous avons assez de Tsiganes comme ça dans le pays ».

[6]               En avril 2008, les demandeurs ont quitté la République slovaque où ils vivaient depuis 2002. Ils sont arrivés au Canada le 4 avril 2008 et ont demandé l’asile le même jour.

[7]               La SPR a entendu la demande d’asile des demandeurs le 8 mai 2009 (la première audience). À la suite de la première audience, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger. Par suite de la décision défavorable de la SPR, les demandeurs ont présenté à la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le 12 avril 2010, j’ai accueilli leur demande de contrôle judiciaire et j’ai renvoyé l’affaire à la SPR pour nouvel examen. Voir Gabor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 383.

[8]               La SPR a joint les demandes des demandeurs en vertu du paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés DORS/2002‑228 (les Règles), et désigné le demandeur comme représentant des demanderesses mineures en vertu du paragraphe 167(2) de la Loi. La SPR a tenu une audience de novo (deuxième audience) concernant les demandes des demandeurs qui s’est déroulée en deux séances : le 31 mars 2011 (première séance) et le 19 mai 2011 (deuxième séance). Lors de la première séance, la SPR a versé en tant que pièce le dossier de la demande antérieure de contrôle judiciaire. L’avocat des demandeurs a dit qu’il ne lui était pas nécessaire de présenter des documents additionnels parce qu’à son avis, le dossier renfermait assez d’éléments de preuve documentaire qui avaient été présentés dans le cadre de la demande antérieure. La SPR a noté que, même si elle devait tenir une audience de novo, la preuve documentaire présentée à l’audience antérieure ferait partie de la preuve documentaire examinée lors de la deuxième audience.

[9]               La SPR a également noté à la deuxième audience que j’ai accueilli la demande de contrôle judiciaire de sa première décision parce qu’elle avait ignoré un élément de preuve concernant l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait subi une stérilisation forcée. Lors de la première séance, la SPR a demandé à l’avocat des demandeurs une preuve documentaire attestant la stérilisation. L’avocat a informé la SPR que la seule façon de faire la preuve de la stérilisation était de subir une intervention chirurgicale et un examen interne. Bien que la demanderesse se soit dite prête à subir une intervention chirurgicale pour établir le bien‑fondé de sa demande, son médecin lui a déconseillé de le faire parce qu’elle s’exposait à un risque trop élevé en raison de son épilepsie. La SPR a ensuite noté qu’elle avait subi à l’origine une intervention chirurgicale pour se faire enlever un kyste ovarien, et il y a eu l’échange suivant :

[traduction]

SPR :               Êtes‑elle en mesure de fournir une preuve concernant cette intervention chirurgicale particulière?

Conseil :          Nous avons également contacté l’hôpital en Slovaquie.

SPR :               Oui.

Conseil :          D’accord. Et nous avons de la famille en Slovaquie et nous avons alors pris contact avec le médecin, mais ils ont peur parce que nous savons ce qu’ils ont fait et nous ne confirmerons pas […].

SPR :               D’accord. Mais si vous leur demandez de vous fournir une preuve que l’opération [de kyste] a eu lieu et non sur l’autre aspect? Vous voyez ce que je veux dire?

Conseil :          Oui.

SPR :               Parce que cette preuve serait suffisante, Monsieur, pour confirmer qu’elle est allée à l’hôpital un jour donné pour subir cette opération.

Conseil :          Nous pouvons communiquer avec eux à ce sujet, mais à présent nous sommes inquiets parce que nous avons communiqué avec eux tant de fois, que nous sommes […].

SPR :               Puis‑je savoir si vous avez communiqué avec eux notamment au sujet d’un rapport particulier?

Conseil :          Un rapport concernant la stérilisation.

SPR :               D’accord. Est‑il possible de demander un rapport sur l’opération [de kyste]?

Conseil :          Nous essayerons certainement de le faire et je pourrais vous présenter une preuve en ce sens et nous verrons ce que cela va donner.

                        Il est vraiment très difficile de demander quoi que ce soit là‑bas parce qu’à présent ils éprouvent beaucoup de (transcription phonétique) de toute l’Union européenne au sujet de la situation des Roms qu’ils évitent de divulguer de l’information. Et de toute façon, nous avons appelé directement un médecin du Canada, c’est elle qui a appelé.

[10]           Plus tard au cours de l’audience, la SPR a dit ce qui suit :

SPR :               [Madame], j’ai quelques doutes quant à votre témoignage. Toutefois, je crois qu’il serait possible de dissiper ces doutes si je disposais d’un document indiquant votre séjour à l’hôpital en 2007, en Slovaquie.

 

Je comprends qu’aucun médecin ne reconnaîtra que vous avez subi une stérilisation. Toutefois, juste une simple preuve que vous étiez à l’hôpital suffirait, à mon avis, pour dissiper quelques‑uns de mes doutes concernant votre crédibilité.

 

Je vais donc reporter l’affaire pendant environ un mois pour vous donner l’occasion d’essayer d’obtenir ce document.

 

[11]           Lors de la deuxième séance, les demandeurs ont fourni à la SPR les documents demandés, notamment un rapport de l’hôpital (rapport de l’hôpital) et un rapport rédigé par un gynécologue (rapport du médecin). Les deux rapports indiquent que la demanderesse a été hospitalisée en République slovaque du 21 août 2007 au 22 août 2007. L’avocat des demandeurs ne les a pas interrogés au sujet de ces documents. La SPR a vérifié si la demanderesse avait consulté un avocat pour chercher à obtenir une indemnité, en lui demandant [traduction] « Après avoir subi l’intervention chirurgicale en 2007 et appris que vous avez été stérilisée, avez‑vous essayé d’obtenir de l’aide? » La demanderesse a confirmé qu’elle avait consulté un avocat et qu’elle avait déposé une plainte auprès de l’hôpital.

[12]           À la fin de la deuxième séance, la SPR a noté que si elle admettait que la demanderesse avait été stérilisée, il s’agirait d’une persécution dans le passé et que la demande d’asile devait être fondée sur les risques futurs auxquels était exposée la demanderesse. La SPR a accordé aux demandeurs environ trois semaines pour présenter des observations additionnelles.

[13]           Les demandeurs ont présenté des observations écrites additionnelles le 7 juin 2011. Ils soulignaient la discrimination subie par les Roms en République slovaque, la nécessité pour la SPR de prendre en considération l’effet cumulatif de la discrimination à laquelle ils ont été exposés, ainsi que l’inefficacité de la protection de l’État offerte aux Roms. Ils ont également souligné la discrimination dont la demanderesse avait fait l’objet relativement à son épilepsie, lorsqu’elle s’est vu refuser des soins de santé adéquats en raison de son origine rom.

[14]           La SPR a rendu sa décision le 26 juillet 2011 et en a donné avis aux demandeurs le 3 août 2011.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[15]           La SPR a conclu qu’aucun des demandeurs n’avait qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. Elle a jugé que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État offerte en République tchèque. Dans un même ordre d’idées, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse parce qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État offerte en République slovaque. Les demandes d’asile des demanderesses mineures ont été également rejetées.

Le demandeur

[16]           La SPR a examiné les allégations du demandeur selon lesquelles il a été victime de discrimination à l’école, attaqué en 1991 et de nouveau en 2007, tout cela en raison de son origine rom. La SPR a noté que le demandeur a dit qu’il est allé à un poste de police à Bratislava après l’agression de 2007, mais qu’il s’est fait dire que la police avait des affaires plus sérieuses à régler. Il a également dit qu’on n’a pas voulu le laisser entrer au poste de police en raison de son origine rom. La SPR a conclu que le demandeur n’avait réclamé la protection de l’État qu’une seule fois, en Slovaquie. Puisqu’il est citoyen de la République tchèque, le demandeur devait solliciter la protection de cet État avant d’arriver au Canada. La SPR a conclu que le demandeur n’a pas établi qu’il ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État en République tchèque, son pays de citoyenneté.

[17]           Lorsqu’elle a examiné la question relative à la protection de l’État dans la cadre de la demande d’asile du demandeur, la SPR a indiqué que l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, établit la présomption relative à la protection de l’État. Cette présomption peut être réfutée au moyen d’une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Voir Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CAF 94. De plus, le fardeau qui incombe au demandeur d’asile de réfuter la présomption de protection de l’État est proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause; lorsque l’État est une démocratie, le fardeau est plus grand. Voir Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376 (CAF). La SPR a conclu que la République tchèque est un État où le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question et qui est doté de systèmes politiques et judiciaires fonctionnels. Par conséquent, le demandeur devait démontrer qu’il avait fait davantage que de s’adresser en vain à un seul policier.

[18]           Bien que les demandeurs aient affirmé qu’ils ne pouvaient pas bénéficier de la protection de l’État, la SPR a conclu que la République tchèque prend des mesures pour éliminer la discrimination de longue date contre les Roms. La SPR s’est fondée sur un rapport préparé en juin 2009 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Protection offerte par l’État : rapport de la mission d’enquête en République tchèque (rapport de mission), pour conclure que la police de la République tchèque emploie des adjoints de police roms et qu’« en général, la réponse policière aux plaintes ou aux appels de détresse des Roms est équivalente à celle pour les plaintes ou les appels de détresse des Tchèques non‑Roms ».

[19]           La SPR s’est également fondée sur le rapport de mission qui montrait que le gouvernement tchèque prend des mesures pour l’inclusion sociale des Roms et pour éliminer la discrimination dans l’éducation des enfants roms. La SPR a également examiné d’autres documents relatifs à la situation au pays et constaté que la prépondérance de la preuve établit que la République tchèque fait de sérieux efforts pour éliminer la discrimination. Les Roms sont en effet victimes de discrimination en République tchèque, mais cette discrimination n’est pas systémique.

[20]           Selon la SPR, si le demandeur retournait en République tchèque, il pourrait bénéficier de la protection de l’État et il ne serait pas déraisonnable pour lui de solliciter cette protection. La SPR a ainsi conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi, ni de personne à protéger selon le paragraphe 97(1) de la Loi.

La demanderesse

[21]           La SPR a conclu que la demande d’asile de la demanderesse n’était pas fondée parce qu’elle pouvait bénéficier de la protection de l’État en République slovaque, son pays de nationalité. La SPR a examiné la même jurisprudence invoquée relativement à la demande d’asile du demandeur quant à la présomption de protection de l’État.

[22]           La SPR a examiné ensuite l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait fait l’objet d’une stérilisation en 2007. La SPR a constaté que le rapport de l’hôpital n’indiquait pas que la demanderesse avait été stérilisée sans son consentement et qu’il n’y avait aucun autre élément de preuve documentaire à cet égard. La SPR a noté que la demanderesse a consulté un avocat au sujet d’une indemnité à l’égard de la stérilisation, mais qu’elle n’a pas donné suite à cette affaire parce qu’elle s’est fait dire qu’elle pourrait obtenir tout au plus 10 000 couronnes – soit environ 400 $.

[23]           La SPR a conclu qu’en République slovaque des femmes d’origine rom ont été stérilisées sans leur consentement. La SPR a également conclu que le gouvernement slovaque a adopté une loi qui prévoit le consentement éclairé relativement à la stérilisation, et que la stérilisation forcée est maintenant un acte criminel en République slovaque. La SPR a estimé que la République slovaque reconnaît que les femmes d’origine rom ont été victimes de stérilisation forcée dans le passé, mais qu’elle met en place à présent les moyens nécessaires pour empêcher que cela ne se reproduise à l’avenir. Par conséquent, la demanderesse ne risquait pas d’être victime de stérilisation si elle retournait en République slovaque.

[24]           La SPR a examiné également la question de savoir si la demanderesse risquait d’être victime de discrimination en République slovaque en raison de son origine rom. La SPR a conclu qu’elle ne courait aucun risque à cet égard parce qu’il existe une protection de l’État adéquate au pays. Même si la preuve documentaire dont elle disposait indiquait l’existence de la discrimination contre les Roms en République slovaque, la SPR a constaté que d’autres éléments de preuve montraient que la République slovaque prend des mesures pour éliminer cette discrimination. La SPR a noté ensuite que le Third Report on the Implementation of the Framework Convention for the Protection of National Minorities in the Slovak Republic (troisième rapport sur la mise en œuvre de la Convention‑cadre pour la protection des minorités nationales en République slovaque) au Comité des droits de l’homme des Nations Unies indique que le gouvernement slovaque a mis en place de multiples possibilités qui s’offrent aux victimes d’agressions ou de harcèlement en raison de leur origine rom.

[25]           La SPR a estimé que la demanderesse pouvait s’adresser au défenseur public des droits si elle avait de la difficulté à obtenir l’aide de la police. La SPR a constaté également que les autorités slovaques font de sérieux efforts pour éliminer l’inconduite policière et que des progrès ont été observés. Les agents de police peuvent suivre un cours sur la langue et la culture des Roms. De plus, le gouvernement slovaque a créé de nouveaux postes de policiers dans l’Est de la République slovaque, région présentant la plus forte concentration de la minorité rom. La SPR a conclu que le gouvernement a adopté un plan d’action afin de prévenir et d’éliminer le racisme et la xénophobie.

[26]           La SPR a constaté que, bien que les Roms aient été victimes de discrimination sur le marché du travail dans le passé, le gouvernement a adopté des lois visant à les protéger contre un traitement inégal à cet égard. En matière d’éducation, le droit des Roms à l’enseignement dans la langue de la minorité nationale et dans leurs propres établissements est garanti par la Constitution. La SPR a estimé que la République slovaque fait de sérieux efforts pour éliminer la discrimination raciale.

[27]           Selon la SPR, la demanderesse n’avait pas établi que la protection de l’État ne pourrait pas lui être assurée si elle retournait en République slovaque ni qu’il est déraisonnable pour elle de demander cette protection. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention, ni de personne à protéger.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[28]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

a.                   La SPR a‑t‑elle appliqué une définition erronée de « réfugié » ?

b.                  La SPR a‑t‑elle tenu compte de tous les éléments de preuve?

c.                   La décision est‑elle raisonnable?

d.                  La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés est‑elle déraisonnable?

e.                   La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’interroger le demandeur lors de la deuxième audience?

f.                   La SPR a‑t‑elle refusé aux demandeurs la possibilité de répondre à ses préoccupations?

g.                  La SPR a‑t‑elle fait preuve de partialité?

h.                  La SPR a‑t‑elle omis de tenir compte d’un motif invoqué par les demandeurs à l’appui de leur demande?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[29]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être effectuée dans tous les cas. Au contraire, dans le cas où la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement dans le cas où cette recherche ne porte pas fruit que la cour de révision doit entreprendre une analyse relative à la norme de contrôle applicable en fonction des quatre facteurs que celle‑ci comprend.

[30]           La façon dont la SPR a appliqué la définition de « réfugié » énoncée à l’article 96 de la Loi est une question où le droit est inextricablement lié aux faits. Dans Dunsmuir, précité, au paragraphe 53, la Cour suprême du Canada a statué que la norme de contrôle qui s’applique généralement à ce type de question est celle de la raisonnabilité. La première question met également en doute l’interprétation donnée par la SPR de la définition énoncée à l’article 96 de la Loi. Puisque la SPR doit interpréter sa loi habilitante, la norme de contrôle applicable est également celle de la raisonnabilité (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 54, Smith c Alliance Pipeline Ltd. 2011 CSC 7, au paragraphe 28, et Celgene Corp. c Canada (Procureur général) 2011 CSC 1, au paragraphe 33). La norme de contrôle applicable à la première question est celle de la raisonnabilité.

[31]           Dans Krishnapillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 244, le juge Richard Mosley a statué au paragraphe 5 que la conclusion de la SPR  selon laquelle une personne n’a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention relève de la norme de la raisonnabilité. Le juge Leonard Mandamin est arrivé à la même conclusion dans Hussaini c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 239, au paragraphe 14. La norme de contrôle applicable à la deuxième question est celle de la raisonnabilité.

[32]           La SPR a fondé sa décision sur la possibilité pour les demandeurs de se prévaloir de la protection de l’État. Dans Carillo, précité, la Cour d’appel fédérale a statué, au paragraphe 36, que la norme de contrôle qui s’applique à une conclusion relative à la protection de l’État est celle de la raisonnabilité. Le juge Mandamin a adopté ce point de vue dans Lozado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 397, au paragraphe 17. La juge Danièle Tremblay‑Lamer était arrivée à la même conclusion dans Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 397, au paragraphe 17. La troisième question sera évaluée selon la norme de la raisonnabilité.

[33]           La norme de la raisonnabilité s’applique également à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur d’asile ne craint pas avec raison d’être persécuté – la quatrième question soulevée par les demandeurs. La juge Sandra Simpson a appliqué à cette question la norme de contrôle de la raisonnabilité dans Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 841. Le juge Leonard Mandamin est arrivé à la même conclusion dans Jean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 1014, au paragraphe 9.

[34]           Dans Vilmond c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 926, le juge Michel Beaudry a déclaré au paragraphe 13 que « [l]’omission [de la Section de la protection des réfugiés] d’examiner la demande telle qu’elle a été présentée par la demanderesse constitue une mauvaise appréciation des faits et de la preuve » et que la décision est donc susceptible de contrôle suivant la norme du caractère raisonnable. La norme de contrôle applicable à la huitième question est celle de la raisonnabilité.

[35]           Dans le cas du contrôle d’une décision suivant la norme de la raisonnabilité, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[36]           L’omission de la SPR d’interroger pleinement le demandeur porte atteinte au droit des demandeurs de faire valoir tous leurs moyens et constitue une question d’équité procédurale (voir Baker, précité, au paragraphe 22). La possibilité de répondre aux préoccupations du décideur constitue également une question d’équité procédurale (voir Karimzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 152, au paragraphe 10, et Guleed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 22, aux paragraphes 11 et 12).

[37]           Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a statué au paragraphe 100 qu’« [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». En outre, on peut lire ce qui suit au paragraphe 53 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Sketchley c Canada (Procureur général) 2005 CAF 404 : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. La norme de contrôle applicable aux cinquième et sixième questions en litige est donc la norme de la décision correcte.

[38]           Dans Baker, précité, la Cour suprême du Canada a approuvé le critère en matière de partialité, énoncé pour la première fois dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

 

[39]           La question de savoir si la SPR a fait preuve de partialité – la septième question soulevée par les demandeurs – est une question de fait relevant de la compétence de la cour de révision.

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[40]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

LES ARGUMENTS

Les demandeurs

            La SPR a fait preuve de partialité

 

[41]           Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas tenu une audience de novo comme elle devait le faire. Bien qu’il lui soit loisible de se fier aux transcriptions de son audience antérieure, la SPR a adopté complètement les conclusions de la formation antérieure. La SPR n’a pas posé non plus beaucoup de questions aux demandeurs à l’audience, ce qui montre qu’elle s’est fiée uniquement sur la preuve présentée à la première audience.

[42]           Les demandeurs invoquent la politique no 2003‑05 de la CISR – La tenue de nouvelles audiences sur ordonnance de la Cour, selon laquelle la SPR peut utiliser des éléments de preuve antérieurs, mais de sorte à ne pas donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. La SPR a manifestement fait preuve de partialité à la deuxième audience parce qu’elle s’est fiée uniquement sur la preuve présentée à la première audience. La SPR a refusé au demandeur la possibilité d’être interrogé lors de la deuxième audience.

 

La SPR n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve

[43]           La SPR n’a pas tenu compte du rapport du médecin après avoir précisément demandé une preuve établissant le séjour à l’hôpital de la demanderesse afin de dissiper les doutes concernant sa crédibilité. Après avoir demandé des éléments de preuve documentaire que les demandeurs lui ont fournis, la SPR a ensuite conclu que les documents présentés n’indiquaient pas que la demanderesse avait été stérilisée. La SPR n’a interrogé ni l’un ni l’autre des demandeurs sur cette preuve documentaire, donc ils n’étaient pas au courant de ses doutes. La SPR a plutôt fait la critique de ces documents dans sa décision. La SPR a donné ainsi l’impression que les demandeurs n’avaient besoin que de la preuve d’hospitalisation pour avoir gain de cause.

[44]           La SPR n’a pas tenu compte non plus de leurs observations postérieures à l’audience. Les demandeurs avaient fourni un rapport du docteur Susan Goodwin – neurologiste qui a traité la demanderesse à Toronto – indiquant que la vie de la demanderesse serait en danger en République slovaque en raison de l’impossibilité de recevoir un traitement médical adéquat (le rapport Goodwin). La SPR n’a pas mentionné le rapport Goodwin dans ses motifs.

Omission de tenir compte d’un motif invoqué

[45]           La SPR n’a pas examiné le risque que la demanderesse courait du fait de son épilepsie. Celle‑ci a déclaré dans son FRP et dans son témoignage qu’elle a des crises; elle a déclaré dans son FRP que les ambulanciers ont refusé de venir à leur maison parce qu’il s’agissait d’une zone habitée par les Roms. Les demandeurs disent aussi que les soins de santé fournis aux Roms en République slovaque et en République tchèque sont inadéquats et la preuve documentaire dont disposait la SPR a confirmé ces affirmations. La SPR ne s’est pas demandé si la stérilisation forcée subie par la demanderesse et les soins de santé inadéquats constituaient une forme de persécution.

[46]           Selon les demandeurs, si elle estime que la preuve est digne de foi, la SPR ne la rejette pas d’emblée. Lorsqu’elle a omis d’accorder de l’importance à la preuve documentaire présentée, la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle. Les demandeurs ajoutent que la SPR a formulé des observations qui n’étaient pas étayées par le dossier et qu’elle a fondé ses conclusions sur des hypothèses.

Le défendeur

            La décision est raisonnable

[47]           Le défendeur affirme que la SPR a fondé sa décision sur la preuve dont elle disposait et qu’elle en a tiré des conclusions raisonnables. Ni le demandeur ni la demanderesse n’ont établi de façon claire et convaincante que la protection  de l’État ne leur sera pas offerte dans leurs pays d’origine, donc la conclusion de la SPR relative à la protection de l’État était raisonnable.

La SPR n’a pas manqué à l’équité procédurale

 

[48]           La SPR a tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui avait été présentée dans le cadre de la première et de la deuxième audiences et a rendu une décision indépendante et raisonnable. De plus, les demandeurs étaient représentés par un avocat lors de la deuxième audience, ce qui  montre qu’ils ne se sont pas vu refuser la possibilité d’être interrogés. La SPR n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse quant à son allégation de stérilisation forcée. Elle a plutôt conclu que la République slovaque pouvait offrir dorénavant à la demanderesse une protection adéquate contre tout risque de stérilisation.

ANALYSE

[49]           Il ressort clairement de la décision, tant au regard du demandeur que de la demanderesse, que la question déterminante est la protection de l’État. La SPR n’a pas soulevé de doutes quant à la crédibilité des demandeurs et de leurs exposés circonstanciés. La seule question que devait trancher la SPR était de savoir si les demandeurs avaient réfuté la présomption relative à la protection de l’État offerte en République tchèque (pour le demandeur) ou en République slovaque (pour la demanderesse et les demanderesses mineures).

[50]           Les observations des demandeurs n’indiquent pas vraiment que la question déterminante était la protection de l’État dans les deux cas. En fait, il n’y a grand‑chose sur le demandeur et la situation à laquelle il fait face en République tchèque. De manière générale, les demandeurs formulent simplement une série d’allégations qui ne sont pas étayées par une lecture de la décision ou du dossier.

[51]           La plainte porte essentiellement sur le fait que la SPR n’a pas vraiment tenu une audience de novo et qu’elle a simplement adopté les conclusions de la formation antérieure.

[52]           Quant à la question déterminante relative à la protection de l’État, ce n’est manifestement pas le cas. La SPR a procédé à une analyse actualisée et prospective de la protection de l’État offerte dans les deux pays.

[53]           Les demandeurs disent que la SPR n’a posé au demandeur que quelques questions et qu’elle n’a pas respecté ainsi les règles de justice naturelle à son égard. Il n’y avait pas d’autres questions à poser sur l’exposé circonstancié du demandeur. Ses déclarations ont été acceptées. S’il voulait ajouter des détails, son avocat était là pour s’assurer qu’on lui posait des questions pertinentes, mais celui‑ci a déclaré à l’audience qu’il n’avait pas de questions à poser. Quoi qu’il en soit, le demandeur n’est pas retourné en République tchèque depuis la dernière audience, donc aucun incident n’aurait pu lui arriver entre temps. La seule question était de savoir s’il avait réfuté la présomption relative à la protection de l’État offerte en République tchèque.

[54]           Le demandeur n’a pas expliqué à la Cour ce qu’il voulait ajouter aux déclarations faites à la première audience, ou ce qu’il n’avait pas été en mesure de déclarer au moyen des questions posées par son propre avocat à la deuxième audience. Le demandeur tente de déceler une erreur formelle dans la décision sans toutefois expliquer pourquoi sa plainte est pertinente quant à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État en République tchèque. Je ne vois aucune preuve de partialité ou de manquement à l’équité procédurale. La SRP a accepté l’exposé circonstancié du demandeur faisant état de ce qui lui était arrivé dans le passé, y compris ses rapports avec la police, et l’a intégré dans l’analyse relative à la protection de l’État.

[55]           En ce qui concerne le demandeur et la situation en République tchèque, les demandeurs ne font aucun reproche à l’analyse effectuée par la SPR relativement à la protection de l’État. Je dois donc présumer qu’ils l’acceptent et considèrent qu’elle ne comporte pas d’erreur susceptible de contrôle.

[56]           En ce qui concerne la demanderesse, les demandeurs disent dans un premier temps que la SPR a ignoré la preuve documentaire qu’elle a produite à la deuxième audience. Pour ce qui est du rapport de l’hôpital et du rapport du médecin, ce n’est manifestement pas le cas. Une fois de plus, la SPR n’interroge pas la demanderesse sur son exposé circonstancié. Même si elle avait été stérilisée dans le passé, la SPR doit procéder à une analyse prospective des risques. Il est évident que la demanderesse ne peut être stérilisée de nouveau, et que la SPR doit procéder à une analyse prospective des risques en matière de santé. Là encore, la question déterminante pour la demanderesse portait sur la protection de l’État qui lui était offerte si elle retournait en République slovaque. Voilà ce que la SPR examine dans sa décision.

[57]           Les demandeurs ajoutent que la SPR [traduction] « a ignoré complètement le document médical préparé par le docteur Susan Goodwin ainsi que les deux documents médicaux provenant de la Slovaquie, annexés à la preuve documentaire, qui indiquaient que la vie et la santé de la demanderesse seraient en danger si elle retournait en Slovaquie ».

[58]           La lettre du docteur Goodwin n’a aucune valeur probante. Elle nous informe que la demanderesse souffre d’épilepsie et poursuit par des affirmations qui ne reposent sur aucune preuve précise sur la République slovaque et ce qu’il arriverait à la demanderesse si elle y retournait. Le docteur Goodwin n’explique pas comment elle a pris connaissance de ces renseignements, ou  pourquoi elle considère être en mesure de se prononcer sur les soins de santé offerts en République slovaque. La SPR traite expressément des questions liées aux soins de santé dans sa décision et il n’y a vraiment rien dans la lettre du docteur Goodwin qui ait une valeur probante et qui permette ainsi de contester les conclusions de la SPR. J’estime que l’omission de la SPR de mentionner cet élément de preuve ne rend pas en particulier la décision déraisonnable, selon les principes établis dans Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, ou d’une autre manière.

[59]           La demanderesse se plaint également du fait que la SPR ne traite pas, en général, de son épilepsie ni de la preuve selon laquelle les soins de santé fournis aux Roms en République tchèque et en République slovaque ne sont pas adéquats.

[60]           En ce qui concerne la demanderesse, la SPR n’avait pas à examiner la question des soins de santé offerts en République tchèque parce qu’elle est citoyenne de la République slovaque. Pour ce qui est de la République slovaque, la SPR examine effectivement la situation des soins de santé et reconnaît que « [d]e nombreux Roms éprouvent de graves difficultés et sont victimes de discrimination lorsqu’ils tentent de trouver des logements et des emplois convenables, et ils sont victimes de ségrégation dans les écoles et les établissements de soins de santé ». Néanmoins, malgré cette affirmation, la SPR ajoute plus loin que « les éléments de preuve documentaire indiquent que la République slovaque a pris et prend toujours des mesures pour lutter contre ces problèmes, et elle manifeste de réels progrès » :

Par exemple, la Constitution garantit le droit à l’égalité devant la loi et le droit d’être protégé également en vertu de la loi, et il existe des dispositions sur l’égalité dans toutes les lois pertinentes dans les domaines de l’éducation, des soins de santé, du travail et du droit civil, criminel et administratif, ainsi que des lois pour l’application de programmes essentiellement axés sur la promotion sociale.

 

 

[61]           La SPR a examiné la question des soins de santé offerts à la demanderesse si elle retournait en Slovaquie. À l’exception des commentaires du docteur Goodwin susmentionnés, qui n’ont aucune valeur probante parce que nous ne savons pas quel est leur fondement, la demanderesse n’a produit aucun élément de preuve qui indique que les conclusions de la SPR à cet égard sont déraisonnables.

[62]           La demanderesse dit également que la SPR a dit à son ancien avocat que sa demande d’asile serait accueillie si elle pouvait produire une preuve écrite de son hospitalisation dans le passé.

[63]           Nous ne disposons d’aucun élément de preuve de la part de l’ancien avocat à ce sujet. On m’a soumis uniquement une preuve par ouï‑dire provenant d’un étudiant en droit, qui déclare ce qui suit :

[traduction] L’audience s’est déroulée comme d’habitude, et après avoir interrogé Mme Gaborova, le commissaire Fiorino a décidé d’ajourner l’audience pour une courte période.

 

À ce moment‑là, le commissaire Fiorino a demandé, officieusement, de s’entretenir en privé en cours d’audience avec M. Sarkozi et tout le monde a quitté la salle d’audience, y compris moi‑même.

 

Après un certain temps, M. Sarkozi m’a rejoint dans le couloir et m’a dit que le commissaire Fiorino avait accepté de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention si nous lui fournissons un élément de preuve documentaire attestant que Mme Gaborova avait été hospitalisée en Slovaquie en 2007.

 

Satisfait de cette tournure des événements, M. Sarkozi a informé ses clients que leur demande d’asile serait accueillie s’ils produisaient la preuve documentaire attestant l’hospitalisation à une date ultérieure.

 

Nous sommes tous retournés dans la salle d’audience et le commissaire Fiorino a fait la déclaration officielle : « Madame, j’ai quelques doutes quant à votre témoignage. Toutefois, je crois qu’il serait possible de dissiper ces doutes si je disposais d’un document…un document indiquant votre séjour à l’hôpital en 2007, en Slovaquie. » […]

 

Le commissaire Fiorino a ajourné l’affaire pour environ un mois afin de nous permettre d’obtenir la preuve documentaire demandée.

 

M. Sarkozi et moi avons quitté la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avec grande satisfaction ce jour‑là, convaincus que ce n’était qu’une question de temps avant que la qualité de réfugiés au sens de la Convention ne soit reconnue à nos clients.

 

 

[64]           L’affirmation rapportée de M. Sarkozi que les demandes d’asile auront gain de cause n’a aucun sens, compte tenu des éléments suivants :

a.                   Les motifs de ma décision de renvoyer la présente affaire pour nouvelle audience en raison d’une conclusion déraisonnable au sujet de la crédibilité de la demanderesse quant à la stérilisation subie dans le passé;

b.                  La transcription de l’audience (qui s’est déroulée en deux séances) qui indique les propos tenus et le fait que la SPR a abordé la question de la crédibilité, mais qu’elle a ensuite examiné la question de la protection de l’État comme motif déterminant distinct;

c.                   La décision elle‑même qui établit clairement que la protection de l’État était la question déterminante.

 

[65]           J’estime, eu égard à l’ensemble du dossier, que je ne peux pas accorder beaucoup de poids à la preuve par ouï‑dire selon laquelle la SPR a promis d’accueillir les deux demandes si les demandeurs pouvaient produire un élément de preuve attestant l’hospitalisation. La SPR tentait simplement, conformément à ma décision de renvoyer la présente affaire pour nouvel examen, de régler la question de la crédibilité avant d’examiner la question relative à la protection de l’État, ce qui ressort de l’ensemble du dossier.

[66]           Selon les demandeurs, la SPR n’a pas effectué non plus une analyse des raisons impérieuses. Il ressort de la transcription que la SPR a soulevé la question des raisons impérieuses avec l’avocat des demandeurs à la fin de l’audience lui demandant de formuler des observations sur ce point. Selon mon interprétation des observations de l’avocat, celui‑ci a choisi de ne pas aborder la question des raisons impérieuses. Il ne le fait certainement pas implicitement et je ne saurais non plus dire qu’il le fait indirectement. Par conséquent, j’estime que les demandeurs n’ont présenté aucune observation sur les raisons impérieuses qui justifierait une telle prétention et exigerait que la SPR effectue une analyse des raisons impérieuses.

[67]           Tout compte fait, la décision contestée n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle.

[68]           Les avocats s’entendent pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STAUE que

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5345‑11

 

INTITULÉ :                                                  MIROSLAV GABOR
MAGDALENA GABOROVA
MAGDALENA GABOROVA FILLE
BIANKA GABOROVA

 

                                                                        ‑ et –

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 27 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 4 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

George J. Kubes

 

DEMANDEURS

 

Brad Gotkin

 

DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

George J. Kubes

Avocat

Toronto (Ontario)

 

DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

DÉFENDEUR

 

 

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