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Date : 20120522

Dossier : IMM‑5625‑11

Référence : 2012 CF 615

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

RICHARD PAULINUS AHONSI JOHNSON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Richard Paulinus Ahoni Johnson, conteste la décision, en date du 10 août 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et le statut de réfugié, LC 2001, c 27.

 

I.          Les faits

 

[2]               Le demandeur est un citoyen nigérian. Sa demande d’asile au Canada est fondée sur la crainte de sa belle‑mère, laquelle aurait fait tuer la mère et la sœur du demandeur pour se venger de la perte de son fils. Le demandeur soutient que cela l’a amené à se cacher et finalement à fuir le pays. Il fait valoir également que sa belle‑mère s’est emparée de la succession de son père.

 

II.        La décision contrôlée

 

[3]               La Commission a estimé que la question déterminante était la crédibilité du demandeur. Celui‑ci n’a présenté aucun élément de preuve clair et convaincant corroborant les meurtres de sa mère et de sa sœur. Il n’y avait aucun témoin ni même un rapport de police sur ces meurtres que des membres de la collectivité auraient commis sous les ordres de la belle‑mère du demandeur. La Commission a estimé invraisemblable qu’il n’ait pas dénoncé ces prétendus meurtres à la police. De plus, les certificats de décès n’indiquaient pas la cause du décès.

 

[4]               La Commission a aussi jugé invraisemblable que le demandeur, à titre de directeur général de l’entreprise de la famille, « laisse simplement sa belle‑mère attaquer sa mère et sa sœur pour ultimement s’approprier la succession sans répliquer ». Il était de même improbable que le demandeur « ne demande pas le soutien de la police ou d’avocats pour poursuivre sa belle‑mère en justice ou pour s’opposer à elle ».

 

[5]               Malgré la prétention du demandeur selon laquelle il serait reconnu dans d’autres villes nigérianes, comme Ibadan et Port Harcourt, parce qu’il porte un nom de famille unique et que des membres de sa famille étendue vivent dans tout le pays, la Commission a indiqué que ces assertions n’étaient étayées par aucune preuve. Elle a jugé qu’une possibilité de refuge intérieur (PRI) existait pour le demandeur dans ces villes.

 

[6]               Enfin, la Commission a accordé peu de poids à l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’avait pas sollicité la protection de l’État parce « qu’il est facile de corrompre les policiers et qu’il ne pouvait pas compter sur eux pour le protéger ».

 

III.       La question en litige

 

[7]               La demande soulève la question générale suivante :

 

a)         La décision de la Commission est‑elle raisonnable?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[8]               Les questions de fait et de crédibilité sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, aux paragraphes 13 et 14). Cette norme s’applique aussi à la question de savoir s’il existe une PRI (Galindo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1114, [2011] ACF no 1364, au paragraphe 18) et une protection de l’État (voir Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] ACF no 771, aux paragraphes 11 à 13).

 

[9]               La raisonnabilité de la décision que la Cour doit évaluer tient « à la justification […], à la transparence et à l’intelligibilité » ainsi qu’à la question de savoir si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

[10]           Le demandeur fait valoir que l’appréciation de sa crédibilité par la Commission présentait divers problèmes et reposait sur des conclusions de fait erronées. Par exemple, selon les motifs, il n’y avait pas de témoins des meurtres de sa mère et de sa sœur, bien que le demandeur ait déclaré que ses voisins étaient présents et l’avaient informé de ce qui était arrivé pendant son absence. La Commission a déclaré que les certificats de décès de sa sœur et de sa mère ne mentionnaient pas la cause du décès, mais elle n’a pas fait état du fait que ces certificats indiquaient la même date, ce qui laissait penser que les décès n’étaient pas consécutifs à une cause naturelle. La Commission a reproché au demandeur de ne pas avoir produit un rapport de police, mais n’a pas mentionné son témoignage selon lequel son oncle avait fait sans succès une dénonciation à la police. Selon le demandeur, une preuve documentaire a également été présentée relativement à la persécution au Nigeria.

 

[11]           Je suis d’accord que ces conclusions de fait présentent des problèmes. Quoiqu’il soit loisible à la Commission d’accorder peu de poids à certains éléments de preuve présentés par le demandeur, ces déclarations erronées et l’absence d’une analyse rigoureuse soulèvent des questions quant au caractère raisonnable l’approche de la Commission.

 

[12]           La Commission fait valoir qu’une grande partie de l’histoire du demandeur est tout simplement invraisemblable. Il est approprié de tirer des conclusions d’invraisemblance sur le fondement de la rationalité et du sens commun (voir Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415). Cependant, la Cour a également rappelé ceci dans Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] ACF no 1131, au paragraphe 7 :

[7]        Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

 

[13]           Sur le fondement de ce raisonnement, je ne juge pas justifiées, dans les circonstances, les conclusions sur la crédibilité de la Commission, selon lesquelles des éléments importants de l’histoire étaient tout simplement invraisemblables. À la lumière de la preuve, les faits et l’analyse demeurent obscurs.

 

[14]           Je juge également déraisonnable la conclusion de la Commission sur l’existence d’une PRI et sur la protection de l’État. Quoiqu’il soit clair que la Commission a examiné et rejeté les réponses du demandeur, le fondement sur lequel elle s’est appuyée pour le faire, sans renvoi à la preuve documentaire en ce qui a trait à l’existence d’une PRI et aux problèmes de corruption policière, n’est pas manifeste.

 

[15]           Il ne ressort pas de l’ensemble de la décision de la Commission qu’elle est justifiée, transparente et intelligible.

 

VI.       Conclusion

 

[16]           Pour ce motif, j’accueille la demande de contrôle judiciaire et je renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il procède à un nouvel examen.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5625‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  RICHARD PAULINUS AHONSI JOHNSON c
MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adetayo G. Akinyemi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Adetayo G. Akinyemi

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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