Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20120518

Dossier : IMM-6270-11

Référence : 2012 CF 607

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

TINKU BARUA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

                    MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le Tribunal), le 18 août 2011, a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l'affaire pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

Le contexte factuel

[3]               Monsieur Tinku Barua (le demandeur) est citoyen du Bangladesh et demande l’asile au Canada, car il craint d’être persécuté par les terroristes islamiques appuyés par le Parti national du Bangladesh (le BNP).

 

[4]               Le demandeur a vécu à Jobra, une ville relativement petite située au nord de la grande métropole Chittagong.

 

[5]               Le demandeur prétend que, à titre de bouddhiste, il a été pris pour cible par les terroristes islamiques qui cherchent à éliminer les minorités au Bangladesh.

 

[6]               En réponse à la discrimination et à la persécution exercées contre les minorités religieuses du Bangladesh, le demandeur a décidé, en juin 2004, de joindre le comité Jobra Sugata Vihar (le temple). Le demandeur a alors commencé à parler contre les terroristes islamiques et à condamner leurs actions.

 

[7]               Le demandeur prétend qu’il a été témoin d’attaques de la part de terroristes islamiques contre son temple au mois de mars et au mois de juillet 2006.

 

[8]               En juillet 2006, le demandeur a été menacé par une bande de « terroristes du Jamat », alors qu’il rentrait chez lui après le travail.

 

[9]               En novembre 2006, le demandeur, ainsi qu’un groupe de jeunes bouddhistes, ont été agressés par des « terroristes du Jamat » et leurs « alliés du BNP » pendant la tenue d’un événement religieux. Lorsque le demandeur s’est défendu contre ses agresseurs, ceux-ci l’ont plaqué au sol, lui ont donné des coups de pied et lui ont proféré des menaces.

 

[10]           Le 11 janvier 2007, le gouvernement intérimaire appuyé par l’armée a ravi le pouvoir au BNP. Le demandeur espérait que le nouveau gouvernement apporterait des changements politiques, mais, le 11 mai 2007, le temple du demandeur a été attaqué au cours d’une cérémonie religieuse. Le demandeur a affronté les agresseurs et s’est fait battre tout comme ses deux amis.

 

[11]           Le demandeur affirme qu’il a ensuite été pris pour cible par les « terroristes du Jamat ». Le 17 juin 2007, le demandeur a de nouveau été agressé par une bande de « terroristes du Jamat » alors qu’il se rendait au temple. Ces agressions se sont répétées de façon systématique.

 

[12]           En octobre 2007, le demandeur a été témoin d’une agression lors de la cérémonie de mariage de l’un de ses amis. Le demandeur prétend qu’il fut particulièrement pris pour cible. Le demandeur a dû aller se réfugier chez un ami.

 

[13]           Après avoir appris que les terroristes islamiques avaient fait irruption chez lui dans l’espoir de le trouver, le demandeur s’est enfui à Chittagong. Le demandeur a ensuite déménagé à Dhaka, où il a résidé avec son cousin pendant un mois. En novembre 2007, le demandeur a quitté le Bangladesh et s’est enfui au Canada, où il a demandé l’asile en décembre 2007.

 

[14]           Le 13 juin 2011, le Tribunal a entendu la demande d’asile du demandeur.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[15]           Dans sa décision, le Tribunal a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger au sens de la Loi. Le Tribunal a souligné qu’il avait des réserves quant à la crédibilité du demandeur et a formulé des commentaires quant à l’existence de la protection de l’État et a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Bangladesh.

 

La question en litige

[16]           La Cour conclut que la présente affaire soulève la question suivante : les conclusions du Tribunal étaient-elles raisonnables?

 

Les dispositions législatives

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont applicables en l’espèce :

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

La norme de contrôle

[18]           La Cour rappelle qu’il est bien établi en droit que les conclusions du Tribunal quant à la crédibilité et l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) doivent être contrôlées selon la norme du caractère raisonnable : Esquivel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 468 au para 13, [2009] ACF no 563; Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 354, [2009] ACF no 438. Par conséquent, selon la jurisprudence applicable, la Cour n’interviendra que si elle conclut que la décision du Tribunal était déraisonnable parce qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du  droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

L’analyse

[19]           La Cour rappelle que, dans sa décision, le Tribunal a fait part de ses réserves quant à la crédibilité du demandeur, mais le Tribunal a décidé de ne pas formuler de conclusions claires quant à la question de l’existence de la protection de l’État au Bangladesh. Le Tribunal a plutôt conclu que la PRI était la question déterminante.

 

[20]           Après avoir examiné les documents soumis par le demandeur ainsi que son témoignage, la Cour souscrit aux arguments soumis par le défendeur et conclut que les conclusions du Tribunal étaient raisonnables.

 

[21]           En ce qui concerne la question de la crédibilité, le Tribunal a fait part de ses réserves quant à la crédibilité du demandeur :

·      Le Tribunal a souligné que le témoignage du demandeur était clair et cohérent quant aux détails mentionnés dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), mais il a conclu que celui-ci avait fourni des réponses vagues et n’était pas au courant de d’autres faits. Le Tribunal a notamment souligné que le demandeur n’était pas au courant des dates qui n’étaient pas mentionnées dans son FRP, ainsi que des détails quant à savoir où ses agresseurs (les « terroristes du Jamat »), qui l’avaient pris pour cible depuis 2006, vivaient et travaillaient.

 

·      Le Tribunal a affirmé que la vraisemblance des attaques sur les lieux du temple posait un problème. Le Tribunal a estimé étonnant que bien que le temple eût fait l’objet de nombreuses attaques, lors de l’événement de mai 2007 aucune mesure de sécurité n’avait encore été prévue. Le Tribunal a trouvé étonnant que le demandeur se trouvât au temple au moment de l’attaque des « terroristes du Jamat ». De plus, le Tribunal a jugé invraisemblable qu’après que le temple fut attaqué et endommagé une nouvelle fois, personne n’a tenté de demander l’aide de l’État.

 

·      Le Tribunal a accepté les explications du demandeur quant à cette absence de mesure de sécurité. Le demandeur a expliqué que la police n’est d’aucune aide et qu’elle ne protège pas les personnes minoritaires. Le Tribunal a conclu que ces explications ne concordaient pas avec la documentation, qui indique que le gouvernement a affecté des agents d’application de la loi à des festivals et à des événements religieux qui pourraient être la cible d’extrémistes. De plus, le Tribunal a souligné que la National Documentation Package n’indique pas que les minorités évitent de porter plainte à la police.

 

[22]           La Cour conclut que la conclusion défavorable tirée par le Tribunal quant à la crédibilité du demandeur était raisonnable. Les conclusions du Tribunal étaient fondées et étaient étayées par de nombreux exemples tirés de la preuve. Par exemple, contrairement aux prétentions du demandeur, la preuve documentaire démontre clairement que les minorités au Bangladesh portent plainte à la police (P-15, P-31, P-35, P-39 et P-40). La Cour rappelle que le Tribunal dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il évalue la preuve discrétionnaire et qu’il a droit d’accorder plus de poids à certains documents qu’à d’autres. Le Tribunal avait également le droit de se fier à la preuve documentaire plutôt qu’au témoignage fourni par le demandeur. Il semble que le demandeur demande à la Cour de réévaluer la preuve. Toutefois, dans les circonstances, la Cour ne peut pas substituer sa propre opinion à celui du Tribunal.

 

[23]           En ce qui concerne la question de l’existence d’une PRI qui est au cœur de la demande, la Cour est également d’avis que la décision du Tribunal quant à la PRI était raisonnable. Lorsque la question d'une PRI est soulevée, il appartient au demandeur de prouver qu’il n’existe aucune PRI ou qu’il est déraisonnable que le demandeur cherche refuge dans l’éventuelle PRI. Le seuil est très élevé.

 

[24]           Plus particulièrement, le Tribunal a correctement appliqué les principes établis dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172 et Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256. Le Tribunal était manifestement convaincu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Dhaka (la PRI envisagée) et qu’il ne serait pas déraisonnable qu’il y cherche refuge (dossier du Tribunal, pp. 254-257). En l’espèce, compte tenu de la preuve, le demandeur a été incapable de démontrer que la PRI envisagée était déraisonnable et qu’il risquerait d’être victime de persécution s’il y retournait.

 

[25]           Le demandeur prétend que le Tribunal n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve dans le cadre de son évaluation du caractère raisonnable de la PRI, mais la Cour rappelle le principe selon lequel le Tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont elle est saisie jusqu'à preuve du contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 598). Après avoir examiné la preuve, la Cour ne peut pas retenir les arguments du demandeur. En outre, le demandeur prétend que, compte tenu des décisions Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, [2002] ACF no 1425 [Molnar] et Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] ACF no 586 [Mohacsi], le Tribunal devait examiner la capacité réelle de l’État à fournir de la protection et sa volonté d’agir, mais la Cour rappelle qu’il ne s’agit pas d’un critère à prendre en compte dans le contexte de la détermination de l’existence d’une PRI mais plutôt dans la détermination de l’existence de la protection de l’État, question qui ne fait pas l’objet d’un examen dans les circonstances.

 

[26]           Compte tenu des décisions Osuna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 588, [2011] ACF no 743; Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 990, [2010] ACF no 1352; et Estrella c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 633, [2008] ACF no 806, il est généralement reconnu que l’existence d’une PRI rend irrecevable une demande d’asile.

 

[27]           Enfin, à l’audience devant la Cour, le demandeur a demandé à la Cour d’appliquer la décision Barua c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 59, [2012] ACF no 70, et d’établir des parallèles. Toutefois, les arguments du demandeur ne peuvent pas s’appliquer à la présente espèce. En effet, dans Barua, ci-dessus, la question de l’existence d’une PRI n’a pas été analysée et, de plus, le demandeur fut jugé crédible. La décision portait strictement sur l’erreur commise par le Tribunal dans son analyse du changement de la situation ayant cours au Bangladesh.

 

[28]           Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour conclut que la décision du Tribunal appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, para 47). Dans ce contexte, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[29]           Les parties n'ont proposé aucune question à certifier, et l'affaire n'en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE ce qui suit :

1.                  La demande soit rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6270-11

 

INTITULÉ :                                       TINKU BARUA c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Joffe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Soury Phomachakr

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Le cabinet juridique de Me Alain Joffe

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvin

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.