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Date : 20120518

Dossier : IMM‑6784‑11

Référence : 2012 CF 612

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

BALBIR SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Balbir Singh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par un agent relativement à sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27.

 

I.          Les faits

 

[2]               Le demandeur, un citoyen de l’Inde, est entré au Canada le 6 septembre 2001. Il a présenté sans succès une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté par les autorités indiennes qui le soupçonnent de collaborer avec des militants Sikhs. Par la suite, en 2007, il a sollicité la résidence permanente sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire. De nouvelles observations écrites ont été présentées par un nouvel avocat en 2010.

 

II.        La décision faisant l’objet du contrôle

 

[3]               L’agent a estimé que le demandeur n’avait pas démontré que sa situation personnelle était telle que le rejet de sa demande entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Il n’a accordé aucune valeur probante aux trois affidavits et à la lettre présentés par le demandeur. Quoiqu’il ait traité de la preuve documentaire sur les risques auxquels le demandeur serait exposé, de divers facteurs ayant trait à son établissement au Canada et de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a néanmoins conclu que le degré des difficultés auxquelles le demandeur ferait face s’il retournait en Inde était insuffisant.

 

III.       La question en litige

 

[4]               La seule question en litige soulevée par le demandeur est celle de savoir si l’examen de son établissement au Canada par la Commission était erroné.

 

IV.       La norme de contrôle

 

[5]               Il convient de faire montre de retenue à l’égard des décisions ayant trait à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, lesquelles sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, 2008 CarswellNat 1565, au paragraphe 11; Inneh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 108, 2009 CarswellNat 239, au paragraphe 13).

 

[6]               En conséquence, la Cour n’interviendra qu’en l’absence de justification, de transparence ou d’intelligibilité et d’une issue acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

[7]               Lorsqu’il a examiné l’établissement du demandeur au Canada, l’agent a fait mention de plusieurs facteurs favorables, dont son emploi de chef dans un restaurant ainsi que le fait qu’il paie des impôts et qu’il est impliqué dans la collectivité. L’agent a néanmoins jugé cela insuffisant pour démontrer le degré de difficulté requis. Le demandeur a d’abord fait défaut d’obtenir un passeport indien et est demeuré au Canada pour des raisons qui n’étaient pas hors de son contrôle. Commentant une lettre dans laquelle l’employeur du demandeur a indiqué qu’il était important pour les affaires du restaurant et que son départ constituerait une perte, l’agent s’est refusé à y accorder un poids quelconque. Le demandeur avait pris un risque en s’établissant au Canada en dépit de son statut d’immigration incertain, de même que son employeur, en lui donnant des responsabilités tout en sachant qu’il était possible qu’il doive un jour quitter le Canada.

 

[8]               Le demandeur soutient que le jugement de l’agent à cet égard était déraisonnable, car il faisait peu de cas de ses réalisations et se concentrait sur le risque qu’il avait pris en s’établissant au Canada. À l’appui de cette position, le demandeur invoque les décisions de la Cour Raudales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385, [2003] ACF no 532, au paragraphe 18, Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, [2003] ACF no 1076, au paragraphe 29, et Amer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 713, [2009] ACF no 878, aux paragraphes 11 à 13.

 

[9]               Après avoir examiné ces affaires, j’estime qu’elles ne présentent pas d’analogie directe avec la présente espèce. Quoiqu’il ait été reproché dans ces instances aux agents de ne pas avoir évalué de façon appropriée l’établissement, en déclarant que la situation des demandeurs n’était pas différente de celles d’autres personnes au Canada pendant une période de cinq ans, ce n’est pas cela qui s’est produit dans la présente espèce.

 

[10]           L’agent a procédé à un examen assez détaillé des facteurs favorables ayant trait à l’établissement, mais il a néanmoins conclu que cela ne suffisait pas pour constituer des difficultés inhabituelles ou injustifiées et excessives. Contrairement aux observations du demandeur, cela ne peut être rejeté comme s’il s’agissait d’une simple liste ou du défaut de tenir compte des circonstances personnelles. La mention du risque que le demandeur a pris en s’établissant malgré son statut incertain s’est ajoutée à cette évaluation initiale.

 

[11]           Force m’est de convenir avec le défendeur que la décision relative au demandeur en l’espèce ressemble davantage à Mann c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 126, [2009] ACF no 151, au paragraphe 15. Dans cette affaire, l’agent s’était longuement penché sur la situation  particulière du demandeur et avait noté que la longue période pendant laquelle celui‑ci avait séjourné au Canada ne découlait que de ses propres actions. L’approche avait été jugée raisonnable.

 

[12]           Je dois également insister sur le fait que la Cour a constamment reconnu que les difficultés qui déclencheraient l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour des raisons d’ordre humanitaire « doivent être autres que celles qui découlent du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps. Le fait qu’une personne quitterait des amis, et peut‑être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question » (voir Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906, au paragraphe 12; Buio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 157, [2007] ACF no 205, au paragraphe 36). L’agent est justifié de peser tous ces éléments pour déterminer si le demandeur serait exposé au degré requis de difficulté advenant son retour.

 

[13]           Le demandeur conteste en outre la prétention selon laquelle la décision de demeurer au Canada n’était pas hors de son contrôle. Le retard n’était pas attribuable à l’obtention d’un passeport comme l’agent l’a laissé entendre, mais à l’attente d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). Le demandeur a sollicité et obtenu des permis de travail valides. Il invoque la décision Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 316, [2011] ACF no 395, dans laquelle la Cour a estimé que « la demanderesse et le défendeur ont une responsabilité partagée » relativement au retard de sept ans dans la résolution du statut de la demanderesse au Canada.

 

[14]           Comme le défendeur le soutient, et je suis d’accord avec lui, ce principe a depuis lors été nuancé. Le juge Richard Mosley, qui examinait la décision Lin, précitée, dans Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 813, [2011] ACF no 1014, a souligné au paragraphe 11 que le délai écoulé dans cette instance avait été inhabituel et que le demandeur s’était solidement établi pendant ce temps. Il a en outre fait remarquer qu’aucune preuve de ce degré d’établissement solide n’avait été mentionnée dans la décision Lin, précitée.

 

[15]           De plus, la Cour déclare que, bien que les demandeurs aient droit de se prévaloir de tous les recours légaux dont ils disposent, décider de le faire ne constituerait pas une circonstance échappant à leur contrôle (Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 81, [2009] ACF no 123, au paragraphe 29; Luzati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1179, [2011] ACF no 1450, au paragraphe 21; Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 863, [2011] ACF no 1072, au paragraphe 30; Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, [2006] ACF no 425, au paragraphe 23).

 

[16]           Pour des raisons similaires, je ne peux accepter que l’agent a commis une erreur dans son traitement de la lettre de l’employeur, dans laquelle il était indiqué que le départ du demandeur nuirait à l’entreprise. Le demandeur se serait attendu à ce qu’un plus grand poids soit accordé à cet élément de preuve, mais le poids attribué à cette lettre ne peut être considéré comme déraisonnable lorsque l’approche de l’agent présente un certain degré de justification, de transparence et d’intelligibilité (pour une décision similaire, voir Olaopa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1292, [2011] ACF no 1574, au paragraphe 25).

 

[17]           Le demandeur suppose de façon générale dans ses observations que sa demande aurait été accueillie si l’agent avait traité de manière différente la question de son établissement au Canada. Cependant, je dois faire observer que, dans le cadre d’une appréciation discrétionnaire de facteurs relatifs à des motifs d’ordre humanitaire, l’attachement est « un facteur dont il faut tenir compte, mais ce n’est pas et cela ne peut pas être le facteur déterminant qui l’emporte sur tous les autres » (décision Irimie, précitée, au paragraphe 20).

 

VI.       Conclusion

 

[18]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, le demandeur n’a pas démontré que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en examinant son niveau d’établissement au Canada. Sa demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6784‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  BALBIR SINGH c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 18 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clarisa Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Waldman Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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