Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120518

Dossier : IMM‑8334‑11

Référence : 2012 CF 610

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

ENTRE :

 

LIAN ZHI WANG et KAIXIANG XU

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision, en date du 20 septembre 2011, par laquelle M. Beauregard, agent principal d’immigration (l’agent), a refusé la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs, présentée en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est accueillie.

 

Les faits

[2]               Les demandeurs, Lian Zhi Wang (demanderesse principale) et son fils, Kaixang Xu, sont des citoyens chinois. La demanderesse principale affirme qu’elle a commencé à pratiquer le christianisme après y avoir été incitée par une amie, Mme Hong Zhou, à la suite d’un échec de promotion et de la perte de son emploi l’année suivante. Elle a commencé à fréquenter hebdomadairement trois églises clandestines.

 

[3]               Le 13 mai 2007, l’une des églises qu’elle fréquentait a fait l’objet d’une descente. La demanderesse principale a réussi à s’enfuir et s’est cachée chez son oncle. Elle dit que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) est allé chez elle et a informé son mari qu’elle était recherchée. Elle affirme également que son fils a fait l’objet d’une suspension à l’école le 24 mai 2007 en raison de cet incident. La demanderesse principale s’est alors enfuie au Canada en emmenant son fils et elle continue d’aller à l’église ici. Elle affirme que son mari a perdu son emploi après son départ à cause des activités religieuses auxquelles elle a participé, qu’il a disparu par la suite et que la seule personne avec qui elle entretient des liens en Chine, Mme Zhou, n’a pas réussi à savoir où il se trouvait.

 

[4]               Le 21 septembre 2007, les demandeurs ont demandé l’asile. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leurs demandes après avoir conclu que la preuve présentée par la demanderesse principale n’était pas crédible. La SPR n’a pas cru que la demanderesse principale fréquentait une maison‑église en Chine qui avait fait l’objet d’une descente par le BSP ni qu’elle était une véritable chrétienne pratiquante. Les demandeurs ont présenté la demande d’ERAR le 16 décembre 2010.

 

Décision contrôlée

[5]               L’agent a examiné les allégations des demandeurs et la décision de la SPR. Il a indiqué que les demandeurs avaient produit des éléments de preuve à l’appui de leur demande d’ERAR, mais il a conclu que certains de ces éléments, à savoir une lettre de l’église de l’Alliance chinoise de Toronto, certaines photographies et leurs baptistaires, ne pouvaient être pris en considération parce qu’ils portaient une date antérieure à celle de la décision de la SPR. L’agent a de plus conclu qu’une lettre plus récente de l’église l’Alliance chinoise de Toronto ne pouvait non plus être prise en considération parce qu’elle ne faisait que reprendre le contenu de la lettre précédente.

 

[6]               Examinant ensuite les éléments de preuve dont il pouvait être tenu compte, l’agent n’a accordé aucun poids à une lettre de Mme Zhou qui précisait que certains membres du groupe de prière faisaient toujours l’objet de harcèlement et que, même si son mari n’avait pas été retrouvé, elle poursuivait ses efforts pour le trouver. L’agent a souligné que la lettre n’était ni un document original ni un affidavit produit. L’agent a également noté l’absence de mandats de perquisition, d’assignations ou d’avis de suspension de l’école. Par conséquent, comme la lettre reprenait le récit que la SPR n’avait pas trouvé crédible et comme aucune preuve corroborante n’avait été présentée, l’agent n’a accordé aucun poids à ce document.

 

[7]               Après avoir rejeté les allégations de persécution en Chine formulées par la demanderesse principale, l’agent s’est penché sur la question de savoir si les demandeurs étaient en danger parce qu’ils pratiquaient le christianisme depuis leur arrivée au Canada. L’agent a indiqué que, à l’appui de cette allégation, les demandeurs ont invoqué des décisions dans lesquelles la Cour fédérale a conclu à l’absence de liberté de religion en Chine ainsi que des documents généraux portant sur la persécution dont les chrétiens sont victimes en Chine, particulièrement dans la province du Guangdong d’où sont originaires les demandeurs.

 

[8]               L’agent a conclu que certains problèmes persistent quant à la liberté de religion mais que le christianisme progresse malgré tout en Chine. L’agent a souligné que les maisons‑églises protestantes n’y sont pas interdites mais que les offices religieux publics ne sont pas permis à moins d’affiliation à une association religieuse patriotique. L’agent a cité des extraits de la preuve documentaire qui permettaient d’établir que des millions de personnes pratiquent le christianisme en Chine et que certains observateurs avaient fait état d’une tolérance accrue des autorités. L’agent a mentionné des éléments de preuve qui indiquent que le Guangdong était considéré comme une province où les maisons‑églises sont tolérées. L’agent a donc conclu ce qui suit :

[traduction] Je ne doute pas que la demanderesse est une chrétienne pratiquante, mais il semble que des millions de personnes partagent la même foi chrétienne en Chine, malgré le contrôle exercé par le gouvernement chinois, qui varie d’une région à l’autre. Même si certains chrétiens sont encore victimes de répression et de persécution, les autorités chinoises ciblent plus particulièrement les leaders des églises interdites. Mme Wang n’a pas précisé ni démontré qu’elle se trouvait en pareille position dans son église ou qu’elle participait au Canada à des activités susceptibles de faire en sorte qu’elle devienne la cible des autorités chinoises ou qu’elle présente un intérêt particulier pour celles‑ci si elle retournait en Chine.

 

[9]               La demande a donc été rejetée.

 

Norme de contrôle et question en litige

[10]           La demande soulève la question de savoir si la décision de l’agent était raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

[11]           Les demandeurs font valoir que l’agent n’a pas examiné toute la preuve et que ses conclusions sont incompatibles avec des éléments importants de la preuve qu’il avait à sa disposition. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la majeure partie des arguments des demandeurs constitue en fait une invitation à soupeser de nouveau la preuve, ce qui n’est pas du ressort de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire : El Ouardi c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, au paragraphe 9.

 

[12]           Toutefois, les demandeurs présentent deux arguments qui sont plus convaincants. Premièrement, l’agent a fait erreur en s’appuyant sur le fait que 50 millions de personnes pratiquent le christianisme en Chine. Cette statistique semble être invoquée à l’appui de la conclusion selon laquelle les demandeurs ne sont pas exposés à un danger, la logique étant qu’un si grand nombre de personnes ne pratiqueraient pas le christianisme si cela les mettait en danger. Comme les demandeurs le soutiennent, le nombre de pratiquants importe peu et, qui plus est, il est important de situer cette statistique dans son contexte car, dans un pays aussi vaste que la Chine, 50 millions de personnes peut être un nombre relativement petit. Par conséquent, je conviens avec les demandeurs que l’agent a appliqué à cette statistique une sorte de logique nord‑américaine et qu’il était déraisonnable d’en déduire que les demandeurs ne sont pas en danger : Rahnema c Canada (Solliciteur général), [1993] ACF no 1431, au paragraphe 20.

 

[13]           L’autre argument convaincant des demandeurs concerne la citation par l’agent d’un extrait d’un document précis. Il prétendait citer un extrait du document CHN103500, publié dans les Réponses aux demandes d’information (les RDI), intitulé Chine : information sur la situation des protestants et sur le traitement qui leur est réservé par les autorités, en particulier au Fujian et au Guangdong (2005 – mai 2010), pour conclure que le Guangdong est une province plus tolérante que les autres. Les demandeurs soulignent toutefois que l’extrait en question n’apparaît pas dans ce document et qu’ils ne trouvent pas la source de l’extrait cité par l’agent.

 

[14]           Les difficultés éprouvées par les demandeurs pour trouver la citation en question découlent en partie du fait que, même si la demande a été présentée entièrement en anglais, la décision d’ERAR a été rendue en français et traduite par la suite (encore un autre exemple des problèmes inhérents à cette pratique). La confusion a été accentuée par le fait que le mot « catholiques » a été traduit par erreur par le mot « Protestants » dans la version anglaise de la décision.

 

[15]           Les demandeurs ne pouvaient pas savoir qu’en prétendant citer un extrait du document CHN103500 des RDI, l’agent a en fait cité un extrait du document CHN103501, Chine : information sur la situation des catholiques et le traitement qui leur est réservé par les autorités, en particulier au Fujian et au Guangdong (2005 ‑ 2010). Ainsi, alors que l’agent aurait dû citer un passage d’un document portant sur le traitement réservé aux protestants (et, de toute évidence, il croyait que c’est ce qu’il faisait), il a en fait cité un passage d’un document portant sur le traitement réservé aux catholiques. La preuve figurant dans chacun de ces documents est considérablement différente. Il est mentionné ce qui suit dans le document que l’agent a en fait cité :

Parmi les sources qu’elle a consultées, la Direction des recherches a trouvé peu de renseignements sur la situation précise des catholiques dans les provinces du Guangdong et du Fujian. Toutefois, plusieurs sources ont affirmé croire que les autorités du Guangdong et du Fujian feraient preuve de plus de tolérance que celles des autres provinces du pays (Hong Kong Christian Council 14 juin 2010; diplômé 12 juin 2010).

 

[16]           Par contre, dans le document CHN103500 des RDI portant sur le traitement réservé aux protestants au Guangdong, sur lequel les demandeurs ont plus particulièrement insisté dans les observations qu’ils ont formulées dans leur demande d’ERAR, il est mentionné ce qui suit  :

 

Parmi les sources qu’elle a consultées, la Direction des recherches a trouvé peu de renseignements concernant spécifiquement la situation des protestants dans les provinces du Guangdong et du Fujian. Au cours d’un entretien téléphonique avec la Direction des recherches le 9 juin 2010, le président de la China Aid Association (CAA) a affirmé que les provinces de la côte Est étaient généralement [traduction] « plus ouvertes » et que la CAA y enregistrait moins d’incidents impliquant des chrétiens (CAA 9 juin 2010). Toutefois, il a précisé que cela ne signifiait pas nécessairement que moins d’incidents s’y produisent, mais plutôt que ceux‑ci ne seraient pas signalés (ibid.). De plus, dans une lettre envoyée le 3 juin 2010 à un avocat canadien spécialisé en demandes d’asile, puis fournie à la Direction des recherches, le président explique ceci :

 

[traduction]

[s]i l’on considère précisément le Fujian et le Guangdong, il est totalement incorrect de conclure que la liberté de culte est respectée dans ces provinces […]. [L]es persécutions sont sporadiques et ne sont pas entièrement prévisibles, mais elles se produisent encore. Même les menaces de répression par le gouvernement constituent un moyen de persécution. À tout moment, les maisons‑églises du Fujian et du Guangdong, comme toutes les autres en Chine, sont exposées au risque terrifiant d’être fermées, ou de voir leurs membres subir des sanctions. Il est certain que la liberté de culte n’est pas respectée dans ces provinces, étant donné qu’elle ne l’est pas dans le reste du pays (ibid. 3 juin 2010)

 

[17]           La constatation de l’agent suivant laquelle le Guangdong était une province plus tolérante que les autres était manifestement importante pour lui permettre de conclure que les demandeurs ne seraient pas en danger s’ils étaient renvoyés dans leur province d’origine. Les demandeurs ont présenté plusieurs éléments de preuve documentaire sur le traitement des protestants au Guangdong, en attirant particulièrement l’attention sur le document CHN103500 des RDI. L’agent n’a tenu compte d’aucun des articles soumis par les demandeurs et, au lieu de s’appuyer sur le document CHN103500 des RDI, il s’est à tort appuyé sur le document CHN103501 des RDI qui se rapporte aux catholiques.

 

[18]           Ainsi, puisque l’agent a fondé sa conclusion concernant la persécution au Guangdong sur une preuve dépourvue de pertinence au regard de la situation des demandeurs, il est parvenu à sa décision sans tenir compte de la preuve et la demande devrait être accueillie.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada pour qu’un autre agent d’examen des risques avant renvoi effectue un nouvel examen. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8334‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  LIAN ZHI WANG et KAIXIANG XU c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 18 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur I. Yallen

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yallen Associates
Avocats
Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.