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Date : 20120524

Dossier : IMM‑8451‑11

Référence : 2012 CF 639

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

LUIS ALCIDES RAMON ALCARAZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 15 octobre 2011,  par laquelle l’agente principale L. Zucarelli (l’agente) a refusé la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par le demandeur en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est accueillie.

 

Exposé des faits

[2]               Le demandeur est un citoyen mexicain. Il a fui avec son partenaire de l’époque, Eric Castillo Ramirez, le Mexique en 2008 parce qu’ils craignaient d’être persécutés en raison de leur orientation sexuelle et de la relation du demandeur avec son père. Devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR), le demandeur a déclaré que son père était à la tête d’un cartel de la drogue à Juarez et était emprisonné depuis juin 2001. En 2005, le demandeur a subi des pressions pour aider le cartel de la drogue dans ses activités en assurant la communication avec son père en prison, et on l’a menacé pour le forcer à le faire. Il a donc quitté Mexico pour se rendre à Villa Hermosa, où il a rencontré Eric en mai 2006.

 

[3]               Le demandeur a également déclaré dans son témoignage qu’Eric et lui avaient été attaqués par quatre hommes armés en avril 2008 et qu’on lui avait de nouveau ordonné de servir d’intermédiaire pour les communications avec son père. Le demandeur a essayé de signaler l’incident au bureau du procureur général et au secrétariat général de la Sécurité publique, mais ni l’un ni l’autre n’a voulu l’aider. Le demandeur a de nouveau été approché en juillet 2008; on lui a alors dit que le seul moyen d’être à l’abri du danger était de coopérer et qu’un ordre d’exécution visant Eric avait été donné pour le forcer à faire ce qu’on lui demandait. De plus, le demandeur et Eric ont tous les deux perdu leur emploi à la banque où ils travaillaient en raison de leur lien avec le père du demandeur. Ils se sont enfuis au Canada en octobre 2008 et ils ont demandé l’asile le 3 avril 2009.

 

[4]               La SPR a refusé les demandes d’asile du demandeur et d’Eric le 4 février 2011 pour des motifs liés à la crédibilité et à la protection offerte par l’État. La SPR a jugé que le demandeur n’avait pas présenté de preuve crédible démontrant qu’il était le fils d’un leader du cartel de la drogue ou qu’Eric et lui s’exposaient à de la persécution au Mexique en raison de leur orientation sexuelle.

 

[5]               Le demandeur a présenté une demande d’ERAR séparément d’Eric, puisque sa relation avec celui‑ci avait pris fin. Dans cette demande, il a précisé qu’il était maintenant marié à Philip Dale Anthony, un citoyen canadien. Le demandeur n’a pas eu l’aide d’un conseil pour préparer et soumettre sa demande d’ERAR et les parties sont en désaccord concernant les documents soumis dans le cadre de cette demande.

 

[6]               Dans une lettre datée du 15 octobre 2011, l’agente a rejeté la demande d’ERAR du demandeur ainsi que celle d’Eric. Dans les notes consignées au dossier et la décision, l’agente parlait du demandeur et d’Eric comme s’ils étaient des conjoints de fait.

 

[7]               L’agente a souligné que seuls les nouveaux éléments de preuve obtenus après la décision de la SPR pouvaient être pris en considération. L’agente a affirmé que le demandeur et Eric avaient fourni plusieurs articles de presse et un magazine en espagnol, sans toutefois fournir de traduction en anglais ou en français, et, par voie de conséquence, il n’en a pas été tenu compte.

 

[8]               Après avoir examiné le contexte factuel et la décision de la SPR, l’agente a conclu que les risques précisés dans la demande étaient essentiellement les mêmes que ceux que la SPR n’avait pas jugé crédibles. L’agente a noté que la réitération de l’exposé d’un scénario de risque jugé non crédible, [traduction] « sans preuve corroborante objective, ne permet pas de dissiper les doutes que la SPR avait concernant la crédibilité ni d’offrir une preuve suffisante d’un risque auquel les demandeurs seraient exposés à l’avenir ».

 

[9]               L’agente a souligné que le demandeur et Eric avaient fourni des rapports et des articles portant sur le pays sans toutefois établir de liens entre la preuve documentaire générale et leur situation personnelle. L’agente a ensuite examiné la preuve documentaire générale concernant la protection étatique au Mexique et a conclu que la protection offerte était suffisante. La demande a donc été rejetée.

 

Norme de contrôle et question en litige

[10]           La question de savoir si la décision de l’agente est déraisonnable parce qu’elle a été rendue sans égard à la preuve pertinente doit être analysée selon la norme du caractère raisonnable. Toutefois, il se peut que, comme en l’espèce où l’agente n’a pas du tout tenu compte de la preuve pertinente, la décision doive être contrôlée suivant la norme de la décision correcte. Il n’y a pas lieu de trancher cette question dans le cadre de la présente demande car la décision en question ne saurait être confirmée même si la norme moins rigoureuse du caractère raisonnable était appliquée.

 

Analyse

[11]           Le principal argument du demandeur se rapporte à l’allégation selon laquelle l’agente n’a pas tenu compte des éléments de preuve présentés dans le cadre de la demande d’ERAR, notamment le certificat de naissance du demandeur et le certificat de mariage de ses parents, ainsi que des photos, à savoir des éléments qui permettaient tous d’établir que le demandeur était bel et bien le fils d’un leader d’un cartel de la drogue. Le demandeur allègue également que l’agente a affirmé à tort qu’aucun des articles soumis n’avait été traduit, car des traductions ont été fournies. Le défendeur s’oppose à ces arguments en faisant état des affidavits souscrits par l’agente et par l’agent de renvoi I. Pachynskyy de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ainsi que du dossier certifié du tribunal, pour démontrer que l’agente ne disposait pas, lorsqu’elle a rendu sa décision, de la plupart des documents qu’on lui reproche de ne pas avoir examinés.

 

[12]           J’estime toutefois que la demande devrait être accueillie parce que l’agente a rendu sa décision sans examiner le dossier dont elle disposait et sans égard à la preuve versée au dossier. Le demandeur et Eric étaient séparés à l’époque où ils ont présenté leurs demandes d’ERAR. Leurs demandes ont été présentées séparément et chacune d’elles comprenait des déclarations précisant qu’ils n’étaient plus des conjoints de fait. Le demandeur a clairement précisé plusieurs fois dans sa demande que Philip Dale Anthony était son conjoint.

 

[13]           Même si la situation de famille du demandeur n’était pas un élément pertinent dans la décision d’ERAR, cette erreur permet de situer dans son contexte l’allégation principale selon laquelle l’agente n’a pas examiné l’ensemble de la demande avant de rendre sa décision et ne pouvait l’avoir fait.

 

[14]           Le demandeur a fourni des traductions de son certificat de naissance et du certificat de mariage de ses parents avec sa demande d’ERAR. Ces documents étaient pertinents car ils répondaient directement et d’une manière importante à la conclusion de la SPR suivant laquelle le demandeur n’avait pas établi l’existence d’un lien avec Alcides Roman Magana, leader du cartel de la drogue.

 

[15]           La traduction des certificats de mariage et de naissance apparaît au dossier, mais le demandeur (probablement par inadvertance) a omis de fournir des copies des documents originaux, ce qui aurait eu pour conséquence qu’on ne pouvait accorder aucune valeur probante à ces documents. Toutefois, l’agente n’a pas fait mention des traductions, pas même pour expliquer pourquoi il ne pouvait en être tenu compte. De plus, l’agente n’a aucunement fait état dans sa décision des exposés circonstanciés du demandeur et d’Eric, se contentant plutôt de s’appuyer entièrement sur la décision de la SPR pour le résumé des faits. Je remarque également que la preuve par affidavit concernant les documents dont l’agente d’ERAR disposait au moment de rendre sa décision a été modifiée et ne correspondait pas au contenu du dossier certifié du tribunal.

 

[16]           Ces omissions, combinées avec la déclaration erronée de l’agente suivant laquelle le demandeur et Eric étaient toujours des conjoints de fait, donnent fortement l’impression que l’agente n’a pas examiné l’ensemble de la demande et qu’il n’a pas été tenu compte de la preuve pertinente consignée au dossier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada pour qu’un autre agent d’examen des risques avant renvoi effectue un nouvel examen. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8451‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  LUIS ALCIDES RAMON ALCARAZ c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 24 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bola Adetunji

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bola Adetungji
Avocat
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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