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Date : 20120525

Dossier : IMM-8462-11

Référence : 2012 CF 636

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2012

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

WILFRED JULIAN CHRISTOPHER FRANCIS (alias WILFRED JULIAN

CRISTOPHER FRANCIS)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 


I.          Introduction

 

[1]               Le demandeur, un chrétien tamoul, est un citoyen du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en février 2010 et a présenté une demande d'asile le 11 janvier 2011. Il allègue craindre d'être persécuté par le gouvernement du Sri Lanka et ses agents en raison de son évasion d'un camp où il était détenu depuis la fin de la guerre en 2009. Dans une décision rendue le 25 octobre 2011, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention conformément à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), ni celle de personne à protéger conformément à l'article 97 de la LIPR. La Commission a rejeté sa demande d'asile « en raison de l’absence d’éléments de preuve crédibles et fiables établissant que le demandeur [...] crai[gnait] avec raison d’être persécuté ou qu’il serait personnellement exposé, par son renvoi au Sri Lanka, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ». Le demandeur cherche à faire annuler cette décision.

 

II.        Questions en litige

 

[2]               La principale question que soulève le demandeur concerne la qualité de l'interprétation. À l'audience, les services d'un interprète ont été fournis au demandeur, qui parle tamoul. Le demandeur soutient qu'en raison de la qualité médiocre de l'interprétation, il n'a pas bénéficié d'une audience équitable. Il s'agit d'une question d'équité procédurale à laquelle la norme de contrôle de la décision correcte sera appliquée (voir, à titre d'exemple, Sherpa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 267 au paragraphe 21, 344 FTR 30).

 

III.       Affidavit

 

[3]               Au soutien de sa demande, le demandeur a fourni l'affidavit de M. Kandiah Navaratnam, un traducteur et interprète indépendant. L'avocat du demandeur a retenu les services de M. Navaratnam afin qu’il transcrive l'enregistrement audio de l'audience et vérifie l’exactitude de l'interprétation. Monsieur Navaratnam a conclu que la traduction comportait de nombreuses lacunes. Il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

La vérification a révélé que des erreurs d'interprétation avaient été commises, dont les suivantes :

 

a)         l'utilisation d'une terminologie fautive;

b)         des omissions;

c)         des embellissements et des ajouts;

d)         des commentaires de la part de l'interprète;

e)         des directives données par l'interprète au demandeur d'asile.

 

IV.       Analyse

 

[4]               Le demandeur fait valoir que compte tenu de la qualité médiocre de la traduction, la Commission n'a pas compris son « récit ». Ainsi, selon lui, il y a eu atteinte à son droit à une audience équitable et l'affaire devrait être renvoyée pour nouvelle audience.

 

[5]               Il est bien établi qu'un demandeur d'asile au Canada a droit à une interprétation qui satisfait à la « norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l'impartialité et de la concomitance » à l'occasion de l’audience relative à une demande d'asile devant la Commission (Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 CF 85). Ce droit est prévu à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte].

 

[6]               On ne saurait s'attendre à ce qu'une traduction soit parfaite. Simplement affirmer que la traduction était inadéquate ne peut être un motif suffisant pour annuler une décision. Le demandeur doit soulever la question à la première occasion ou courir le risque de voir la Cour conclure qu’il n'y a pas eu manquement à l'équité procédurale. De plus, il ne suffit pas de montrer qu'il y avait des erreurs : il y aura toujours des erreurs. Une erreur de traduction deviendra une erreur commise sur le plan de l'équité procédurale dans les cas où une traduction inexacte donne lieu à une décision ou à une conclusion déterminante qui aurait pu être différente si les mots avaient été traduits correctement. Dans Khatun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 159, [2012] ACF no 169, au paragraphe 51, une affaire dans laquelle la Cour a conclu que le droit de la demanderesse à une audience équitable n'avait pas été respecté en raison de la piètre qualité de la traduction, le juge Russell a décrit la situation comme suit :

Les erreurs commises par l’interprète ont joué un rôle fondamental dans la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile de la demanderesse. La SPR s’est appuyée, à tout le moins en partie, sur les erreurs de traduction pour conclure que la demanderesse n’était pas crédible. Comme la principale raison pour laquelle la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse était sa conclusion selon laquelle celle‑ci n’était pas crédible, le droit à l’équité procédurale de la demanderesse n’a pas été respecté, de sorte que la décision doit être réexaminée.

 

[7]               Compte tenu des faits de l'espèce, j’estime que le demandeur a soulevé la question dès que possible. La question de savoir si la traduction médiocre a donné lieu à des erreurs importantes pose toutefois problème pour le demandeur. Les erreurs observées par M. Navaratnam ont‑elles joué un rôle fondamental dans le rejet de la demande? En d’autres termes, la décision aurait-elle pu être différente si la traduction avait été exacte? 

 

[8]               La compréhension du mot « continu » de la part de la Commission peut avoir posé un problème d'interprétation. La Commission a demandé au demandeur pourquoi il avait continué à demeurer au Sri Lanka malgré les problèmes. Le demandeur n'a pas, comme l'a indiqué la Commission, répondu qu'il y était demeuré malgré des « problèmes continus ». Il a plutôt utilisé le mot tamoul qui signifie alternative [en anglais]. Or, son observation pose un problème parce que la lecture du reste de la transcription et des motifs de la Commission semble indiquer que le commissaire était pleinement conscient que la situation au Sri Lanka alterne entre des périodes de guerre et des périodes de paix. En conséquence, j’estime que la Commission a compris cette portion du « récit » malgré la mauvaise compréhension du mot alternative [en anglais].

 

[9]               Le demandeur affirme qu’il est également préoccupé par certaines questions qui lui ont été posées à propos de ses détentions alléguées par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Dans sa décision, la Commission soulève l'invraisemblance des allégations du demandeur à propos de ses détentions par les TLET. Plus particulièrement, bien que le demandeur allègue que les TLET l'ont pris de force à trois occasions, il a toujours réussi à s'évader le lendemain. Le demandeur souligne plusieurs erreurs d'interprétation dans les questions de la Commission sur la façon dont il s'était évadé. Toutes les erreurs surviennent à propos de détails entourant les évasions du demandeur. Je reconnais que certains mots ont été mal interprétés. Il n'en reste pas moins que le demandeur a pu échapper aux TLET à trois reprises. Tant dans la version officielle de la transcription de l'audience que dans la version produite par M. Navaratnam, le demandeur admet des éléments importants concernant ses évasions. Plus précisément, le demandeur a indiqué dans son témoignage que personne ne l’a empêché de s’évader et que personne ne l'accompagnait aux toilettes. Les erreurs d'interprétation ne modifient pas ces faits essentiels et ne changent en rien la conclusion importante de la Commission selon laquelle le demandeur avait été en mesure d'échapper facilement aux TLET à trois occasions, une chose qui semble très peu vraisemblable.

 

[10]           J'ai examiné tous les autres problèmes d'interprétation soulevés par le demandeur et je conclus qu'aucun n’a joué un rôle fondamental dans la décision de la Commission.

 

[11]           Outre le manque de crédibilité relativement à la crainte subjective du demandeur, la Commission s’est aussi demandé s'il y avait d'autres éléments de preuve crédibles qui pouvaient permettre à la demande d'asile du demandeur de reposer sur un fondement objectif. Après avoir examiné la preuve documentaire objective qui lui avait été présentée, la Commission a conclu que la demande d'asile n'était pas fondée. Cet aspect de la décision de la Commission n'était pas fondé sur l'interprétation du récit du demandeur.

 

[12]           En résumé, l'interprétation était erronée. Cependant, les erreurs d'interprétation étaient mineures ou ne concernaient pas les conclusions principales de la Commission. Les droits du demandeur prévus à l'article 14 de la Charte n'ont pas été violés en raison des erreurs. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[13]           Aucune des parties n'a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n'est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8462-11

 

INTITULÉ :                                      WILFRED JULIAN CHRISTOPHER FRANCIS c ministre de la citoyenneté et de l’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :               Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 14 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manuel Jesudasan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Balqees Mihirig

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Manuel Jesudasan

Avocat

Scarborough (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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