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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120530


Dossier : IMM-6527-11

Référence : 2012 CF 664

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2012

En présence de Monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

FLORA LEYDI SANCHEZ CRUZ et

CARLOS DE JESUS AMOROSO SANCHEZ,

MIA REGINA SANCHEZ CRUZ

(PAR LEUR TUTRICE À L’INSTANCE

FLORA LEYDI SANCHEZ CRUZ)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie de la demande présentée par Mme Flora Leydi Sanchez Cruz (Mme Cruz) et ses deux enfants mineurs, Carlos de Jesus Amoroso Sanchez et Mia Regina Sanchez Cruz (tous ensemble, les demandeurs), en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR], sollicitant le contrôle judiciaire de la décision du 31 août 2011 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

II.        Les faits

 

[3]               Les demandeurs sont tous des citoyens du Mexique.

 

[4]               Madame Cruz a marié M. Luis Amoroso Antele le 1er juin 2001. Leur fils Carlos est né le 24 décembre 2002.

 

[5]               En juin 2003, M. Antele a commencé à maltraiter Mme Cruz verbalement et physiquement. Malgré l’insistance de son père, elle a refusé de s’adresser à la police.

 

[6]               Le 2 octobre 2006, Mme Cruz a présenté une demande de divorce et a reçu la garde exclusive de leur fils.

 

[7]               En novembre 2006, Mme Cruz et son fils ont déménagé dans la maison d’un ami à Monterrey. Monsieur Antele les a trouvés et a forcé Mme Cruz à revenir dans leur résidence conjugale et lui a infligé des mauvais traitements.

 

[8]               Le père de Mme Cruz lui a acheté un billet pour qu’elle puisse s’enfuir au Canada le 18 avril 2007. Madame Cruz a confié son fils aux soins de ses parents parce que M. Antele ne lui avait pas donné la permission de sortir son fils du pays.

 

[9]               Au Canada, Mme Cruz a rencontré Jose Alfredo Vasquez Dominguez , de qui elle est devenue enceinte.

 

[10]           Pendant qu’elle était enceinte, Mme Cruz est retournée au Mexique à la demande de ses parents parce qu’ils craignaient que M. Antele enlève son fils. Elle a résidé chez ses parents.

 

[11]           Le 4 novembre 2007, M. Antele a agressé Mme Cruz à la maison de ses parents. Elle a été hospitalisée pendant cinq jours. Elle a dénoncé l’agression à la police. Monsieur Antele a été arrêté et détenu pendant deux jours, mais il a été relâché après avoir payé une amende.

 

[12]           Madame Cruz est demeurée à la maison de ses parents jusqu’à la naissance de sa fille Mia le 29 janvier 2008.

 

[13]           Monsieur Antele a menacé Mme Cruz et sa fille au téléphone. Elle a refusé de déclarer l’incident à la police parce que M. Antele aurait eu des liens avec les autorités, son frère étant un agent de police.

 

[14]           Madame Cruz a quitté le Mexique et est arrivée au Canada le 16 août 2008 avec son fils, après qu’elle eut trouvé le moyen d’obtenir un passeport pour son fils en falsifiant la signature de M. Antele. Elle a présenté une demande d’asile le 8 septembre 2008.

 

[15]           Au Canada, Mme Cruz a repris sa relation avec M. Dominguez.

 

[16]           Madame Cruz a modifié son exposé des faits le 12 mai 2010. Dans son exposé des faits modifié, Mme Cruz a expliqué que M. Dominguez, le père de sa fille Mia, l’avait maltraitée. Le 19 septembre 2010, Mme Cruz a appelé la police et M. Dominguez a été arrêté, accusé et reconnu coupable.

 

[17]           Elle a quitté M. Dominguez à qui des droits de visite ont été accordés pour lui permettre de voir sa fille Mia, mais seulement dans un parc public.

 

[18]           Le fils de Mme Cruz est allé vivre chez des parents en Saskatchewan par crainte de M. Dominguez.

 

[19]           Le 19 septembre 2010, alors qu’il exerçait ses droits de visite dans un parc public, M. Dominguez a poignardé Mme Cruz plusieurs fois. L’agression s’est produite devant leur fille. M. Dominguez a été accusé et reconnu coupable.

 

[20]           Madame Cruz craint que M. Dominguez soit renvoyé au Mexique. Elle craint que M. Antele, son ancien mari, et M. Dominguez lui causent des préjudices, ainsi qu’à ses enfants, si elle retourne au Mexique.

 

[21]           Dans sa décision, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention, leur crainte d’être persécutés n’étant pas fondée. La Commission a également conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de personnes à protéger parce que leur renvoi ne les exposerait pas personnellement à une menace à leurs vies ou au risque de subir des traitements ou des peines cruels et inusités s’ils retournaient au Mexique.

 

III.       Les dispositions législatives

 

[22]           Les articles 96 et 97 de la LIPR disposent :

Définition de « réfugié »

 

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

IV.       Les questions en litige et la norme de contrôle

 

A.                Les questions en litige

 

1.         La Commission a‑t-elle commis une erreur en concluant que Mme Cruz n’était pas crédible?

2.         La Commission a‑t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État au Mexique?

 

B.                 La norme de contrôle

 

[23]           La première question en litige, la crédibilité des demandeurs, est une question de fait susceptible de révision selon la norme de la raisonnabilité (voir Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, [2010] ACF no 673, au paragraphe 11).

 

[24]           Quant à la deuxième, la protection de l’État, elle comporte des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. Ces questions portent sur le poids relatif accordé à la preuve, sur l’interprétation et l’appréciation de cette preuve et sur la question de savoir si la Commission a bien tenu compte de l’ensemble de la preuve présentée pour arriver à une décision : (Hippolyte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 82). Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de révision selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

 

[25]           « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » [Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47.]

 

V.        Les observations des parties

 

A.                Les observations des demandeurs

 

Les conclusions sur la crédibilité

 

[26]           Dans sa décision, la Commission a conclu comme suit : « [Mme Cruz] a indiqué que son père et elle pensaient que Luis avait payé un pot‑de‑vin pour être libéré [...]. Le tribunal a ajouté qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de confiance pour démontrer qu’un pot‑de‑vin avait été versé pour qu’il soit libéré. Le tribunal estime que les allégations de [Mme Cruz] ne sont que pures spéculations. » (Voir le paragraphe 43 de la décision de la Commission.)

 

[27]           Madame Cruz a affirmé dans son témoignage que la police n’aurait jamais admis avoir reçu un pot-de-vin de M. Antele et elle a indiqué ne pas croire que la police avait déposé une accusation contre lui, car il n’y a pas eu de suivi.

 

[28]           Madame Cruz fait valoir que la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle avait fait des conjectures sur son exposé des faits. Elle invoque Sukhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, et Camargo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1434, pour affirmer que son témoignage doit être présumé véridique sauf s’il existe des motifs clairs de le rejeter.

 

[29]           Madame Cruz dit qu’elle a fait une dénonciation à la police, mais qu’on ne lui a pas donné la possibilité de la ratifier, car elle était à l’hôpital lorsqu’on lui a dit que M. Antele avait été relâché. Elle affirme que la décision de la Commission de rejeter sa demande d’asile au motif qu’elle n’était pas crédible était déraisonnable et contraire à la documentation de la Commission.

 

[30]           De plus, selon la Commission : « [Mme Cruz] a ajouté que le frère de Luis était policier et que ce dernier aurait eu de l’aide pour être libéré. Le tribunal estime qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de confiance pour démontrer premièrement que le frère de Luis était policier. S’il l’était, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour indiquer qu’il avait contribué à la libération de Luis. » (Décision de la Commission, au paragraphe 43.) Madame Cruz fait valoir qu’il est loisible à la Commission de tirer des conclusions sur la crédibilité, mais que ces conclusions doivent être raisonnables et reposer sur la preuve présentée par les demandeurs. Elle soutient que, dans son cas, la Commission n’a pas motivé sa décision et qu’elle a simplement tiré des conclusions défavorables sur sa crédibilité sans aucune justification, ce qui est déraisonnable.

 

La protection de l’État

 

[31]           Les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable de la part de la Commission d’exiger qu’ils aient sollicité la protection de l’État dans des circonstances extraordinaires et ils soutiennent que la dénonciation de la corruption n’aurait pas permis à Mme Cruz et ses enfants d’être protégés. Les demandeurs soutiennent en outre que cette exigence ne tenait aucunement compte de sa situation de femme violentée et qu’elle n’était donc pas conforme aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

 

[32]           Madame Cruz allègue que sa plainte était futile puisqu’elle avait abouti à la libération subséquente de M. Antele. Les demandeurs invoquent l’arrêt Vargas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 709 au paragraphe 23, dans lequel la Cour a statué comme suit : « L’analyse de l’existence d’une protection de l’État est, elle aussi, déficiente. [...] Cette observation n’est pas sans justification, mais elle laisse néanmoins de côté le fait que les menaces prétendues ont été proférées à la suite du dépôt de la poursuite. »

 

[33]           Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission a mal appliqué l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], car dans cet arrêt la Cour n’exige pas qu’un demandeur continue de solliciter la protection de l’État lorsqu’elle n’est pas initialement offerte. La Commission impose un fardeau trop lourd aux demandeurs sans égard aux circonstances de l’espèce et aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

 

[34]           De plus, les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve présentée, laquelle démontrait l’inefficacité de l’État à l’égard de la violence familiale.

 

[35]           Plus important encore, les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte de la demande d’asile des enfants lorsqu’elle a examiné la question de la protection de l’État. Madame Cruz affirme avoir présenté des éléments de preuve selon lesquels les enfants avaient eux aussi été victimes de violence familiale. Comme la Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable sur la crédibilité relativement à cette partie de la preuve, les demandeurs soutiennent que l’analyse faite par la Commission était déficiente parce qu’elle ne tenait pas compte d’une partie importante de la demande d’asile.

 

[36]           Essentiellement, les demandeurs allèguent que le commissaire n’a pas pris en compte la demande d’asile des enfants fondée sur leur crainte d’être persécutés, chacun par son père violent.

 

B.                 Les observations du défendeur

 

Les conclusions sur la crédibilité

 

[37]           Le défendeur fait valoir que les circonstances entourant la libération de M. Antele étaient conjecturales et, fait plus important, qu’il y avait des contradictions entre le formulaire de renseignements personnels (FRP) et le témoignage de Mme Cruz concernant la libération de M. Antele.

 

[38]           Le défendeur souligne également l’absence de preuve établissant un lien entre la libération de M. Antele et le fait que son frère était un agent de police. Cette allégation était purement conjecturale. Selon le défendeur, il était raisonnable pour la Commission de conclure que la preuve présentée pour étayer les allégations des demandeurs était insuffisante.

 

 

 

 

La protection de l’État

 

[39]           Selon le défendeur, le tribunal a fait remarquer que Mme Cruz n’avait sollicité la protection de l’État qu’une seule fois. Monsieur Antele avait en fait été arrêté cette fois-là. Lorsque l’État déploie des efforts raisonnables pour offrir sa protection, le défaut du demandeur de solliciter la protection de l’État entraîne le rejet de sa demande d’asile. Le défendeur invoque Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399 [Carillo] à l’appui de ce principe.

 

[40]           Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont pas pu présenter suffisamment d’éléments de preuve fiables et convaincants pour établir l’insuffisance de la protection de l’État au Mexique. Madame Cruz n’avait fait qu’une seule dénonciation à la police malgré les nombreux mauvais traitements que M. Antele lui infligeait depuis plusieurs années.

 

[41]           De plus, le défendeur souligne que le critère applicable à la protection de l’État n’est pas celui de l’efficacité, mais plutôt celui du caractère suffisant. La Cour a reconnu comme suit dans Smirnov c Canada (Secrétaire d’État), [1995] 1 CF 780 : « [M]ême la police la plus efficace, la mieux équipée et la plus motivée aura de la difficulté à fournir une protection efficace. Notre Cour ne devrait pas imposer à d'autres pays une norme de protection "efficace" que malheureusement la police de notre propre pays ne peut parfois qu'ambitionner d'atteindre. » Le fait que la protection offerte par l’État du Mexique ne soit pas parfaite ne permet pas en soi de justifier la conclusion que l’État ne veut ou ne peut pas offrir une protection raisonnable aux victimes de violence familiale.

 

[42]           Le défendeur souligne en outre que Mme Cruz n’a jamais demandé à ce que la demande d’asile des enfants fasse l’objet d’une décision distincte. Madame Cruz était la représentante désignée de ses enfants mineurs. Les enfants mineurs s’appuyaient sur l’exposé des faits de Mme Ctruz. La Commission n’était pas tenue d’évaluer séparément les demandes d’asile des demandeurs. La Commission a bien considéré la preuve relative aux enfants. Cependant, elle a conclu que Mme Cruz n’avait pas utilisé tous les moyens dont elle pouvait disposer pour obtenir la protection de l’État avant de quitter le Mexique. La Commission a également conclu que les demandeurs auraient raisonnablement pu bénéficier de la protection de l’État au Mexique, vu la preuve documentaire indiquant que des mesures existaient pour permettre aux parents de ne pas communiquer leur changement d’adresse dans des cas de violence familiale et vu que Mme Cruz pouvait informer la cour si l’un ou l’autre père menaçait son enfant.

 

VI.       Analyse

 

1.         La Commission a‑t-elle commis une erreur en concluant que Mme Cruz n’était pas crédible?

 

[43]           L’appréciation de la crédibilité du demandeur d’asile repose sur les faits. « Il ressort clairement de la jurisprudence que l’analyse que fait la Commission quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile et à la vraisemblance de son récit est intimement liée à son rôle d’arbitre des faits et que, en conséquence, ses conclusions en la matière devraient bénéficier d’une retenue appréciable. » (Voir Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, [2008] ACF no 1329, au paragraphe 13.)

 

[44]           La Commission a relevé des contradictions entre le FRP des demandeurs et le témoignage de Mme Cruz, particulièrement en ce qui concerne les circonstances de la libération de M. Antele. Sa conclusion était raisonnable, car les allégations de Mme Cruz sur la libération de M. Antele étaient de nature conjecturale. Rien ne démontrait que M. Antele avait payé un pot‑de‑vin pour obtenir sa libération.

 

[45]           De plus, les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve pour établir que le frère de M. Antele était intervenu pour obtenir la mise en liberté anticipée.

 

2.         La Commission a‑t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État au Mexique?

 

[46]           La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs mineurs pouvaient bénéficier de la protection de l’État au Mexique était erronée.

 

[47]           Dans Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, le juge Lemieux a conclu comme suit au paragraphe 33 : « Chaque cas est un cas d’espèce. Donc, bien que l’existence de la protection de l’État au Mexique puisse avoir été reconnue, peut‑être même au niveau d’un État donné, cela n’empêche pas une cour de justice de conclure, en se fondant sur des faits différents, que le même État est incapable d’offrir une protection adéquate... » (voir aussi Avila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359 [Avila]). Les demandeurs devaient prendre toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour obtenir la protection de l’État contre leurs persécuteurs (voir Ward et Avila). Il importe de souligner qu’un demandeur qui ne le fait pas a l’obligation de convaincre la Commission de l’insuffisance de la protection de l’État (voir Carillo).

 

[48]           Il importe en outre de souligner que, lorsque la Commission conclut qu’un demandeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour obtenir la protection de l’État, cette conclusion entraîne le rejet de la demande d’asile si la Commission estime que l’État aurait offert sa protection. La Commission doit évaluer l’influence qu’exercerait le persécuteur sur la capacité et la volonté de l’État d’offrir sa protection (voir Ward et Avila).

 

[49]           Dans Ward, ci-dessus, la Cour suprême du Canada a statué qu’il était possible pour un demandeur d’asile de présenter le témoignage de personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne, des incidents personnels liés à la protection de l’État et des éléments de preuve documentaire pour démontrer que la protection de l’État ne se serait pas concrétisée.

 

[50]           La qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l’État augmentera en proportion du degré de démocratie de l’État visé (voir Avila et Ward).

 

[51]           La preuve doit également être pertinente, fiable et convaincante pour permettre au juge des faits d’être convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État est insuffisante (voir Carillo).

 

[52]           Dans sa décision, la Commission s’est exprimée comme suit : « [L]e demandeur d’asile doit faire davantage que simplement démontrer qu’il s’est adressé à des membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Il doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir une protection, compte tenu de la situation générale qui a cours dans son pays d’origine, des mesures et des contacts avec les autorités. » (Voir la décision de la Commission, au paragraphe 56.)

 

[53]           La violence familiale est fréquente dans l’État du Mexique. La Commission aurait dû se livrer à une analyse distincte de la situation des enfants.

 

[54]           Après avoir examiné la preuve concernant les enfants, la Cour estime qu’elle indique clairement que la crainte de chaque enfant est distincte et repose sur un fondement factuel différent et sur des circonstances dont la Commission aurait dû tenir compte.

 

[55]           La Commission n’a pas jugé que ces demandes d’asile étaient valables en soi. Il ne suffit pas de simplement s’appuyer sur l’examen des mesures existantes quant aux changements d’adresse ou à l’existence d’organisations qui aident les familles aux prises avec des problèmes de violence familiale.

 

[56]           La preuve présentée relativement à la situation de chaque enfant aurait dû donner lieu à des analyses distinctes des risques et de la capacité de l’État mexicain à protéger ces enfants de même que de la question de savoir s’ils pourraient raisonnablement bénéficier d’une telle protection compte tenu des circonstances propres à chaque enfant.

 

[57]           La situation du pays aurait dû être mise en contexte relativement à la situation respective de chaque enfant (Zhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 884, et M.L.R.T. c Canada, 2005 CF 1690).

 

[58]           Au vu de cette lacune importante, la décision ne saurait être confirmée. La demande sera accueillie.

 

VII.     Conclusion

 

[59]           La Commission n’a pas analysé convenablement la situation des enfants pour savoir s’ils pouvaient se prévaloir de la protection de l’État au Mexique. Pour ce motif, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                   Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6527-11

 

INTITULÉ :                                      FLORA LEYDI SANCHEZ CRUZ et

                                                            CARLOS DE JESUS AMOROSO SANCHEZ,

                                                            MIA REGINA SANCHEZ CRUZ

                                                            (PAR LEUR TUTRICE À L’INSTANCE

                                                            FLORA LEYDI SANCHEZ CRUZ)

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eugenia Cappellaro Zavaleta

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eugenia Cappellaro Zavaleta

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFDENDEUR

 

 

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