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Date : 20120504

Dossier : IMM‑6214‑11

Référence : 2012 CF 545

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

 

ENTRE :

 

DAN NI CHEN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse, une citoyenne de la Chine, demande l’asile au Canada en tant que chrétienne, parce qu’elle craint subjectivement et objectivement d’être exposée, si elle était renvoyée en Chine, à plus qu’une simple possibilité de persécution, en vertu de l’article 96 de la LIPR, ou parce qu’il est probable qu’elle soit exposée à un risque, en vertu de l’article 97. La présente demande porte sur le rejet de sa revendication, qui, selon elle, serait fondé sur des conclusions de droit très contestables tirées par le commissaire M.L. Favreau de la Section de la protection des réfugiés.

 

[2]               La décision comporte le résumé suivant de la revendication de la demanderesse :

La demandeure d’asile soutient que son petit ami l’a initiée au christianisme en 2009. Elle a commencé à fréquenter une église clandestine le 7 juin 2009 et s’y est rendue régulièrement par la suite. Le 12 octobre 2009, elle n’a pas pu assister au service religieux de son église comme à l’habitude, parce qu’elle a dû travailler. Son petit ami lui a téléphoné à son travail pour l’informer que le Bureau de la sécurité publique (PSB) avait fait une descente à l’église clandestine. La demandeure d’asile est aussitôt entrée dans la clandestinité. Elle a appris par la suite que trois membres de la maison‑église qu’elle fréquentait avaient été arrêtés et que le PSB s’était rendu chez elle pour l’arrêter. Par crainte d’être arrêtée, elle a eu recours aux services d’un passeur pour quitter la Chine et venir au Canada, où elle a demandé l’asile.

 

(La décision, paragraphe 2)

 

[3]               Au début de l’analyse de la preuve, le commissaire a déclaré ce qui suit :

La question déterminante en l’espèce est celle de la crédibilité du témoignage oral et de la preuve documentaire de la demandeure d’asile concernant sa confession chrétienne. À cet égard, le tribunal estime que la demandeure d’asile n’est pas un témoin crédible.

 

À mon avis, trois conclusions essentielles tirées par le commissaire quant à la crédibilité de la demanderesse sont entachées d’une erreur susceptible de contrôle. Je me pencherai sur chacune d’elles ci‑dessous, sous le titre formulé par le commissaire dans la décision contestée.

 

I.          Arrestation de coreligionnaires et recherche de la demandeure d’asile par le PSB

[4]               Le commissaire a conclu ce qui suit sur cette question :

La demandeure d’asile allègue que trois membres de son église se sont fait arrêter et que chacun d’eux a été condamné à plusieurs années d’emprisonnement. Son témoignage à ce sujet va à l’encontre de la documentation sur les conditions dans le pays, dont il sera fait état plus loin dans les présents motifs, soit dans l’analyse Situation des chrétiens dans la province du Fujian. À cet égard, le tribunal tire une conclusion défavorable.

 

La demandeure d’asile affirme également que des représentants du PSB se sont rendus chez elle en de nombreuses occasions dans l’intention de l’arrêter. Elle a déclaré que, la première fois, ils avaient aussi fouillé son domicile. Elle soutient en outre qu’ils sont allés chez elle trois jours plus tard et ont montré à ses parents un mandat d’arrestation. D’après les documents [1] sur la situation dans le pays, les policiers donnent ou montrent généralement aux membres de la famille une citation à comparaître lorsqu’ils désirent qu’une personne se présente à ses bureaux. Un mandat d’arrestation ne doit être délivré qu’après une citation à comparaître, dans le cas où la personne visée n’a pas obtempéré à cette citation. Voici un extrait de la preuve documentaire :

 

[...] un mandat d’arrestation ne [peut] être délivré que sous l’approbation des organes de sécurité publique à l’échelon des comtés ou à un échelon supérieur, sur présentation d’une « demande d’arrestation‑assignation ». Cette demande énoncera clairement, preuves crédibles à l’appui, qu’un crime a été commis, que la personne devant être arrêtée, celle convoquée à l’interrogation, est liée à ce crime et que le suspect risque de ne pas se présenter volontairement, ou bien elle mentionnera que la convocation à l’interrogation n’a pas été respectée.

 

La demandeure d’asile a déclaré que la seconde fois que les représentants du PSB s’étaient présentés à son domicile et (sic) avaient montré un mandat d’arrestation à sa famille. Selon la demandeure d’asile, ils ne savaient pas qu’elle était absente quand ils se sont rendus chez elle. Si un mandat d’arrestation a été délivré, comme le prétend la demandeure d’asile, le PSB aurait dû, selon la documentation sur le pays, fournir des preuves crédibles démontrant que la demandeure d’asile ne se présenterait pas volontairement. La demandeure d’asile n’a pas non plus mentionné qu’une citation à comparaître avait été laissée à son intention à son domicile. Il semble invraisemblable que le PSB ait pu fournir une preuve crédible de ce genre, puisqu’il ne savait pas encore si la demandeure d’asile était chez elle. Le tribunal tire une conclusion défavorable de ce qui précède.

 

En ce qui concerne la délivrance des citations à comparaître et des mandats d’arrestation, le tribunal accorde plus de poids aux éléments de preuve qui proviennent de la documentation sur la Chine, car cette information est fournie par des sources indépendantes et impartiales, qui ne s’intéressent aucunement à l’issue d’une demande d’asile en particulier.

 

La demandeure d’asile n’a fourni dans ses notes aucun élément de preuve convaincant à l’appui de son allégation selon laquelle elle est recherchée par le PSB. Elle n’a déposé en preuve que son témoignage et les allégations contenues dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

(Décision, paragraphes 5 à 9)

 

[5]               Par conséquent, dans le passage cité, le commissaire a tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité, fondée sur une conclusion d’invraisemblance, elle‑même fondée sur une pratique du PSB considérée comme généralisée en Chine. À mon avis, cette conclusion n’est pas conforme à la loi et est entachée d’une erreur susceptible de révision. Le droit relatif aux conclusions d’invraisemblance est très clair. Les conclusions d’invraisemblance doivent être tirées en fonction d’une norme de preuve rigoureuse, qui est énoncée dans les passages suivants de la décision dans Vodics c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 783 aux paragraphes 10 et 11 :

En ce qui a trait aux conclusions défavorables sur la crédibilité en général et les conclusions d’invraisemblance en particulier, le juge Muldoon a énoncé, dans la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, la norme à appliquer :

 

Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions

 

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur d’asile le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les demandeurs d’asiles (sic) proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Il n’est pas difficile de comprendre que, en toute justice pour la personne qui jure de dire toute la vérité, des motifs concrets s’appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu’on refuse de croire cette personne. Soyons clairs. Dire qu’une personne n’est pas crédible, c’est dire qu’elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé.

 

[6]                L’avocat de la demanderesse vient étayer la conclusion qui vient d’être citée en soutenant que le commissaire n’a pas fait référence à toute la preuve disponible pour établir la pratique généralisée invoquée à l’appui de la conclusion d’invraisemblance :

[traduction]

À l’appui de sa conclusion selon laquelle la défenderesse aurait reçu une citation à comparaître avant que ne soit délivré un mandat d’arrestation, le tribunal cite un passage de CNH42444E. Le tribunal ne cite pas le paragraphe qui suit immédiatement celui cité :

 

Toutefois, dans une communication écrite du 21 avril 2004 envoyée à la Direction de la recherche, le professeur agrégé a ajouté que même si le droit procédural en Chine devait être appliqué uniformément et que le Ministère de la sécurité publique avait déployé des efforts concertés afin d’améliorer les normes policières, en pratique, le [traduction] « BSP [Bureau de la sécurité publique] n’a pas encore établi la primauté du droit » (ibid. 21 avr. 2004). Selon le professeur agrégé, l’application de la loi peut varier considérablement en fonction des régions, où les différences constituent parfois des politiques écrites, mais [traduction] « la plupart du temps la règle écrite cède le pas aux normes de la rue » (ibid.).

 

Le tribunal utilise de manière sélective cet élément de preuve documentaire pour appuyer sa conclusion.

 

[Non souligné dans l’original]

 

(Exposé des arguments de la demanderesse, paragraphe 16)

 

[7]             En ce qui a trait à l’argument de l’avocat de la demanderesse, l’avocat du défendeur répond :

[traduction]

La Commission avait le droit de tirer une inférence défavorable de l’absence dans la documentation de renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre, dans les circonstances, à ce qu’ils soient mentionnés.

 

(Exposé des arguments du défendeur, paragraphe 9)

 

Je rejette cet argument pour deux motifs. Premièrement, j’estime qu’il ne manque pas de renseignements au dossier sur la pratique du PSB : ils sont divers. Et deuxièmement, le commissaire, qui a l’obligation de considérer l’ensemble de la preuve avant de tirer une conclusion aussi importante, n’a pas respecté la règle générale sur les conclusions de fait :

Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle (sic) n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

(Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 7)

 

II.        Confession chrétienne

[8]               Sur ce sujet, le commissaire expose son avis sur deux questions : celle de savoir si la demanderesse a une connaissance suffisante de la doctrine chrétienne pour démontrer qu’elle est chrétienne, et celle de savoir si la revendication de la demanderesse est faite de bonne foi.

A. Connaissance de la doctrine chrétienne

[9]               Le passage suivant de l’analyse de cette question par le commissaire est crucial :

Plusieurs questions ont été posées à la demandeure d’asile concernant ses connaissances religieuses. Bien que cette dernière ait été en mesure de démontrer une certaine connaissance, il était toutefois clair qu’elle ne possédait pas une compréhension approfondie ou étendue. La demandeure d’asile s’est fait questionner au sujet de la Sainte Trinité. Elle l’a décrite comme étant le Saint‑Père, Jésus et le Saint‑Esprit. Elle s’est fait demander si Jésus était Dieu. Elle a répondu qu’il n’était pas Dieu, mais le fils de Dieu. Il lui a été demandé si le Saint‑Esprit était Dieu. Après avoir hésité et fait répéter la question plusieurs fois, elle a répondu que le Saint‑Esprit était Dieu. Le fait que la demandeure d’asile ne saisit pas que Jésus est Dieu est très troublant. L’une des croyances fondamentales du christianisme veut que Jésus soit l’incarnation de Dieu. À cet égard, le tribunal tire une conclusion défavorable. La demandeure d’asile a été tenue d’expliquer ce qu’est la Sainte Trinité. Elle a répondu que Jésus‑Christ est le créateur de l’humanité et du monde et que Jésus, son fils, a été envoyé sur la Terre pour sauver l’humanité. Elle a correctement décrit le Saint‑Esprit en disant qu’il est le protecteur de l’humanité. Sa déclaration selon laquelle Jésus‑Christ est le créateur de l’humanité et du monde est inexacte. D’après les croyances fondamentales du christianisme, c’est Dieu, appelé aussi Dieu le Père ou Dieu le Créateur au sein de la Sainte Trinité, qui a créé le monde et l’humanité. Le tribunal tire une conclusion défavorable de l’ignorance de la demandeure d’asile concernant cette croyance fondamentale. En outre, il est évident que la demandeure d’asile ne sait pas que le concept de la Sainte Trinité réunit trois personnes divines en une seule. Cela constitue également une croyance fondamentale du christianisme, et le tribunal tire une conclusion défavorable de l’ignorance de la demandeure d’asile à cet égard.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, paragraphe 15)

 

[10]           Dans Zhang c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑2216‑11 (2012 CF 503), pour des motifs que j’incorpore par renvoi dans la présente décision, je suis parvenu à la conclusion suivante, au paragraphe 16 :

Donc, la présomption de véracité dont bénéficie la personne qui déclare sous serment adhérer à une croyance religieuse déterminée ne peut être réfutée sur la seule base de son degré de connaissance de cette religion. Premièrement, on ne saurait assimiler les connaissances religieuses à la foi. Et deuxièmement, la qualité et la quantité des connaissances religieuses qui seraient nécessaires pour prouver la foi sont invérifiables. Par conséquent, la conclusion d’invraisemblance selon laquelle une personne donnée n’adhère pas à une croyance religieuse déterminée au motif qu’elle ne remplit pas une norme fixée subjectivement par le décideur est injustifiable en fait.

 

[11]           Le danger de se livrer à un interrogatoire sur la religion en vue de déterminer si une personne adhère à la religion à laquelle elle prétend appartenir ressort de manière frappante de la décision qui fait l’objet du présent contrôle. À mon avis, il est particulièrement injuste que le commissaire ait entraîné la demanderesse dans un débat sur la théologie chrétienne afin de savoir si Jésus est le fils de Dieu ou s’il est Dieu lui‑même, puis qu’il ait tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité du fait que la compréhension de la demanderesse du christianisme ne correspondait pas à ce qu’il estimait être une croyance fondamentale du christianisme. Premièrement, rien au dossier n’étaye la compréhension du commissaire et, deuxièmement, on ne peut fonder la conclusion qu’un individu ment sur des différences d’opinion, quelles qu’elles soient, sur l’interprétation de dogmes religieux.

 

[12]           De même, dans la décision Zhang, après avoir analysé le critère relatif aux conclusions d’invraisemblance formulé dans Vodics précité, et que j’incorpore par renvoi dans la présente décision, je suis arrivé à la conclusion suivante, au paragraphe 20 :

[...] Adapté au contexte de l’interrogatoire religieux, le critère applicable aux conclusions d’invraisemblance exige du commissaire de la SPR qu’il suive un processus en trois étapes : établir selon la preuve au dossier la réponse qu’il est raisonnablement permis d’attendre à une question déterminée; obtenir de manière équitable la réponse du demandeur d’asile; et enfin, établir si cette réponse est conforme à ce qu’on pouvait raisonnablement penser. L’élément principal de ce critère est l’établissement de la réponse qu’il est raisonnablement permis d’attendre. Cette caractéristique exige qu’on ait défini et que soit connu au préalable un fondement probatoire crédible et vérifiable pour la réponse qu’on attend.

 

[13]           Comme le commissaire ne s’est pas conformé à la règle sur les conclusions d’invraisemblance relativement à la question considérée, j’estime que la décision à l’examen comporte une erreur de droit.

B. La pertinence de la bonne foi

[14]           La conclusion de droit tirée par le commissaire sur cette question est la suivante :

Ayant conclu que la demandeure d’asile n’était pas chrétienne quand elle vivait en Chine, le tribunal doit trancher la question de savoir si elle est aujourd’hui une véritable chrétienne pratiquante au Canada. Les demandes d’asile doivent être présentées « de bonne foi ». À ce sujet, R.P.G. Haines, président d’un tribunal d’appel sur le statut de réfugié, et A.G. Wang Heed, membre du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ont déclaré :

 

[traduction]

S’il n’y avait pas d’exigence relative à la bonne foi dans une situation de demande d’asile sur place, l’appelant d’une décision sur le statut de réfugié aurait alors le moyen de décider unilatéralement de s’accorder le statut de réfugié.

 

À cet égard, le tribunal renvoie à l’ouvrage de James Hathaway intitulé The Law of Refugee Status [droit en matière de statut de réfugié], où il est indiqué, relativement aux demandes d’asile « sur place », qu’une personne qui, en guise de stratagème, manipule délibérément les circonstances dans le but de créer un véritable risque de persécution qui n’existe pas au préalable ne peut être réputée appartenir à cette catégorie. Le tribunal est d’avis, selon la prépondérance des probabilités, que cette demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi.

 

Comme il a été conclu que la demandeure d’asile n’était pas une véritable chrétienne pratiquante quand elle vivait en Chine et que cette demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités et à la lumière des constatations qui précèdent, que la demandeure d’asile est devenue membre d’une église chrétienne au Canada dans l’unique but de soutenir une demande d’asile frauduleuse. À la lumière du contexte décrit plus haut, et compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée ainsi que de l’étendue des connaissances de la demandeure d’asile au sujet du christianisme, le tribunal juge que cette dernière n’est pas une véritable chrétienne pratiquante et qu’elle ne serait pas non plus perçue comme telle en Chine.

 

[Note de bas de page omise.]

 

(Décision, paragraphes 19 et 20)

 

[15]           Dans Hu c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑6232‑11 (2012 CF 544), pour des motifs que j’incorpore dans la présente décision, j’ai tiré la conclusion suivante, au paragraphe 14, au sujet du même énoncé du droit formulé par le commissaire et cité ci‑dessus :

[...] Ces passages révèlent qu’en rejetant le témoignage du demandeur sur ce qui s’était produit en Chine, le commissaire estimait que, sur le plan juridique, la notion de « bonne foi s’appliquait, ce qui lui permettait de rejeter la demande d’asile sur place du demandeur en tant que chrétien au Canada. Je conclus donc que les passages révèlent l’existence d’une conclusion de droit erronée. À mon avis, la déclaration du commissaire selon laquelle la conclusion relative à la « bonne foi » était tirée dans le contexte d’autres conclusions défavorables ne diminue en rien l’incidence de la conclusion de droit erronée.

 

En conséquence, j’estime que la décision qui fait l’objet du présent contrôle comporte une erreur de droit.

 

III.       Situation des chrétiens dans la province du Fujian

[16]           Au paragraphe 21 de la décision à l’examen, le commissaire formule la conclusion suivante :

Comme il a été conclu que la demandeure d’asile n’était pas une véritable chrétienne pratiquante quand elle vivait en Chine et que cette demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités et à la lumière des constatations qui précèdent, que la demandeure d’asile est devenue membre d’une église chrétienne au Canada dans l’unique but de soutenir une demande d’asile frauduleuse. À la lumière du contexte décrit plus haut, et compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée ainsi que de l’étendue des connaissances de la demandeure d’asile au sujet du christianisme, le tribunal juge que cette dernière n’est pas une véritable chrétienne pratiquante et qu’elle ne serait pas non plus perçue comme telle en Chine.

 

Puis, au paragraphe 22, le commissaire ajoute ce qui suit :

Indépendamment de la conclusion qui précède, le tribunal a par ailleurs examiné s’il existe une possibilité sérieuse que la demandeure d’asile soit persécutée si elle retourne en Chine et décide d’y pratiquer la religion chrétienne dans une église clandestine. Il s’appuie sur la documentation sur les conditions dans le pays qui figurent dans la preuve. La demandeure d’asile vient de la province du Fujian. Le tribunal constate que, selon la documentation, le Fujian et le Guangdong appliquent [traduction] « la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme » (secrétaire exécutif 1er sept. 2005a). (Ibid.)

 

[17]           Le commissaire a appliqué le même type de raisonnement dans l’affaire Hu, ce qui m’a amené à formuler la conclusion suivante au paragraphe 17 de ma décision :

La demande d’asile du demandeur est fondée sur la preuve indiquant qu’il est chrétien. Le commissaire n’a pas cru le demandeur et a recouru au concept juridique de la bonne foi pour rejeter sa demande d’asile. J’ai conclu au paragraphe 13 ci‑dessus que la notion de « bonne foi » n’était pas pertinente pour la demande d’asile du demandeur; la question a été soulevée dans le cadre d’un recours reposant sur la conclusion de fait que la demande n’est pas et n’a jamais été fondée parce qu’elle est frauduleuse. Or, outre cette erreur de droit, la conclusion défavorable quant à la crédibilité demeure l’élément clé de la décision du commissaire. Le commissaire a tiré la conclusion de fait que le demandeur « n’[était] pas un véritable chrétien pratiquant et qu’il ne serait pas non plus perçu comme tel en Chine ». À mon avis, cette déclaration met un terme final à la revendication du demandeur; il n’y a rien d’autre à ajouter. Il en est ainsi parce qu’aucun fondement factuel ne permet d’examiner la question de la possibilité que le demandeur soit persécuté ou de la probabilité qu’il soit exposé à un risque s’il devait retourner en Chine. Le commissaire a néanmoins procédé à une analyse subsidiaire pour le cas où le demandeur déciderait de continuer à pratiquer en Chine la religion chrétienne dans une église clandestine. La déclaration est illogique : comment le demandeur peut‑il continuer à pratiquer la religion chrétienne alors qu’il a été déclaré qu’il n’était pas chrétien? Pour ces motifs, j’estime que l’analyse effectuée par le commissaire, « malgré sa décision », est purement hypothétique et, par conséquent, non pertinente.

 

[18]           Je reprends cette conclusion dans les présents motifs, car j’estime que la conclusion subsidiaire du commissaire n’est pas pertinente. Cependant, il n’est que juste, selon moi, que je me penche sur les arguments détaillés soulevés par l’avocat de la demanderesse à l’encontre de la tentative du commissaire d’établir, en se fondant sur la preuve « à jour » relative à la situation dans le pays, que la demanderesse « [...] serait en mesure de pratiquer sa religion dans n’importe quelle église de la province du Fujian si elle retournait chez elle, dans la province chinoise du Fujian, et qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée si elle le faisait » (paragraphe 32).

 

[19]           La conclusion du commissaire repose sur une prétendue évaluation de la preuve à jour sur la situation des chrétiens dans la province du Fujian. Se fondant sur cette évaluation, le commissaire a conclu qu’il n’y était fait état d’aucune arrestation de chrétiens au Fujian en 2007 et 2008, qu’il n’y était fait mention d’aucune arrestation récente (paragraphes 23 et 24), et que, s’il y avait eu récemment des arrestations de chrétiens dans la province du Fujian, des documents en feraient état (au paragraphe 26).

 

[20]           L’avocat de la demanderesse a répondu de la façon suivante :

[traduction]

Le tribunal se penche sur la situation des chrétiens dans la province du Fujian. Il commence son analyse en choisissant une citation tirée de la preuve documentaire sur le Fujian. Voici cette citation :

 

[L]e Fujian et le Guangdong appliquent [traduction] « la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme ». [2005]

 

Le tribunal indique dans une note de bas de page que cette citation est tirée de l’élément 12.8 du cartable, CHN100386.E. En fait, l’élément 12.8 du CND n’est pas ce I1EFTNFO. En vérité, CHN100386.E ne fait pas partie du cartable d’avril 2011 qui est présenté en preuve en l’espèce. Ce document fait partie d’un cartable antérieur, daté du 30 juillet 2010, relatif à la situation des catholiques (la demanderesse n’est pas une catholique). Il a été supprimé du cartable soumis à l’examen de la Commission dans la présente affaire. Ce faisant, la Commission a fait une erreur.

 

En fait, il existe un document beaucoup plus récent, le REFINFO (30 juin 2010), qui porte précisément sur le traitement des chrétiens dans le Fujian et le Guangdong. Il y est dit ce qui suit :

 

Le Guangdong et le Fujian

 

Parmi les sources qu’elle a consultées, la Direction des recherches a trouvé peu de renseignements spécifiques sur la situation des protestants dans les provinces du Guangdong et du Fujian. Au cours d’un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, le 9 juin 2010, le président de la China Aid Association (CAA) a affirmé que les provinces de la côte Est étaient généralement [traduction] « plus ouvertes », et que la CAA y enregistrait moins d’incidents impliquant des chrétiens (CAA 9 juin 2010). Toutefois, il a précisé que cela ne signifiait pas nécessairement qu’il y avait moins d’incidents, mais plutôt que ceux‑ci n’étaient pas signalés (ibid.). De plus, dans une lettre transmise à la Direction des recherches, envoyée à l’origine à un avocat canadien spécialisé en demandes d’asile, le 3 juin 2010, le président explique ceci :

 

[traduction]

[s]i l’on considère précisément le Fujian et le Guangdong, il est totalement incorrect de conclure que la liberté de culte est respectée dans ces provinces [...] [L]es persécutions sont sporadiques et ne sont pas entièrement prévisibles, mais elles se produisent encore. Même les menaces de répression par le gouvernement constituent un moyen de persécution. À tout moment, les maisons‑églises du Fujian et du Guangdong, comme toutes les autres en Chine, sont exposées au risque terrifiant d’être fermées, ou de voir leurs membres subir des sanctions. Il est certain que la liberté de culte n’est pas respectée dans ces provinces, étant donné qu’elle ne l’est pas dans le reste du pays (ibid. 3 juin 2010). D’après les rapports annuels de la CAA, en 2007, il y a eu deux cas de [traduction] « persécution » par les autorités à l’endroit de quatre personnes dans la province du Guangdong (ibid. févr. 2008, 13), un incident impliquant plus de 60 personnes en 2008 (ibid. janv. 2009, 18) et huit incidents touchant plus de 300 personnes au total en 2009 (ibid. janv. 2010, 22). La CAA signale également qu’en 2006, une maison‑église a été démolie à Pingtan, dans la province du Fujian (ibid. janv. 2007, 13).

 

Cette partie du cartable de documentation n’est nullement mentionnée ou citée par le tribunal dans la présente affaire. C’est là une utilisation sélective de la preuve documentaire.

 

La SPR se penche sur le rapport le plus récent de la China Aid Association, celui du mois de mars 2011. On peut y lire que, selon des sources dignes de foi, dix personnes ont été persécutées dans la province du Fujian en 2010. Ce fait contredit les déclarations du tribunal selon lesquelles il n’existe aucun cas de persécution documenté au Fujian. Le rapport de la China Aid Association précise également que les renseignements qu’il contient ne proviennent que des incidents qui ont été rapportés et qu’il ne doit pas être interprété comme reflétant le nombre réel d’incidents, étant donné les nombreux problèmes que pose la collecte de données fiables.

 

Le tribunal déclare qu’il n’y trouve aucun renseignement sur la façon dont ces personnes ont été persécutées ni sur les raisons pour lesquelles les églises ont été fermées, et il affirme de nouveau qu’il est clair que personne n’a été arrêté ou condamné pour des activités clandestines. Ce faisant, le tribunal interprète le rapport exactement de la façon dont il était expressément mentionné qu’il ne devait PAS l’interpréter.

 

En fait, au vu du dossier, le tribunal commet de nouveau une erreur en déclarant que le rapport de la CAA ne fournit aucun renseignement sur la persécution et qu’on ne sait même pas s’il s’agit d’une église légale ou non. S’agissant des persécutions dans la province du Fujian, le rapport de la CAA contient un lien vers un rapport de nouvelles où l’on trouve de plus amples renseignements sur la descente à laquelle il fait référence. Lorsqu’on accède à ce lien, on peut lire les renseignements suivants :

 

[traduction]

FUJIAN — Le matin du 17 octobre 2010, les chefs religieux du comté de Lianjiang, dans la ville Fushou, ont envoyé un message texte, dans lequel ils demandaient à plusieurs églises de prier et de les aider. À 9 h 30, Ban Kezhen, un camarade de travail, a été emmené par des agents du gouvernement qui n’ont pas montré leurs documents d’identité. De plus, trois endroits servant à des assemblées religieuses ont été fermés sans raison légale ni sans qu’aucun document du gouvernement n’ait été montré. L’accès au site Web personnel d’He Keduan, le chef de l’église, a été restreint.

 

Le tribunal interprète de manière erronée la preuve documentaire et il parvient à la conclusion que [traduction] « s’il y avait eu des arrestations, elles auraient été rapportées », ce qui contredit directement la preuve documentaire examinée par la Commission dans laquelle il est précisé que les renseignements qu’elle contient sont limités à cause des restrictions entourant leur diffusion, comme la restriction mentionnée dans cet incident où l’accès au site Web du chef religieux a été restreint, ce qui l’a empêché de fournir d’autres renseignements.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Exposé des arguments de la demanderesse, paragraphes 8 à 15)

 

 

[21]           Au vu de cet argument, il est facile de conclure que la conclusion du commissaire n’est pas étayée par une preuve à jour sur la situation dans le pays.

 

[22]           Je ferai deux commentaires à propos de l’idée que, parce qu’il n’y a pas de preuve d’arrestations, il n’y a pas eu d’arrestations. Ce type de conclusion a été validé dans les décisions suivantes : Yang, Si c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1274; Nen Mel Lin c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑5425‑08; Jiang c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 222; Yao, Gong Sao c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 902. Mon premier commentaire est qu’une telle conclusion dépend de l’examen de l’ensemble de la preuve disponible et à jour sur la situation dans le pays dans un cas donné. Comme une preuve à jour est essentielle pour étayer une conclusion qu’un demandeur serait en sécurité s’il était renvoyé dans son pays, j’estime qu’une conclusion relative à la preuve tirée d’une décision antérieure de la Cour n’a aucune valeur de précédent. Mon second commentaire est qu’il est contraire à la dignité humaine et aux droits de la personne de se prononcer sur la possibilité qu’une personne fasse l’objet de persécution ou sur la probabilité qu’elle soit exposée à un risque si elle doit retourner dans son pays en se fondant sur une conclusion de portée étroite sur la probabilité qu’elle soit arrêtée pour avoir pratiqué sa religion. La question qui doit être tranchée est celle de savoir si, à son retour dans son pays, le demandeur peut bénéficier de la liberté religieuse (voir Zhou, Guo Heng c MCI, 2009 CF 1210, au paragraphe 29, et Fosu c MCI, [1994] ACF no 1813, paragraphe 5).

 

IV.       Conclusion

[23]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, j’estime que la décision contrôlée ne saurait se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La décision contrôlée est annulée et l=affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l=affaire.

 

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6214‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  DAN NI CHEN c
LE MINISTRE DE LA
CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 17 avril 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ann Crawford

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Knapp

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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