Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120504

Dossier : IMM‑6232‑11

Référence : 2012 CF 544

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

 

ENTRE :

 

SHAO RONG HU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, un citoyen de la Chine, demande l’asile au Canada en tant que chrétien, parce qu’il craint subjectivement et objectivement d’être exposé, s’il était renvoyé en Chine, à plus qu’une simple possibilité de persécution, en vertu de l’article 96 de la LIPR, ou parce qu’il est probable qu’il soit exposé à un risque, en vertu de l’article 97 de la LIPR. La présente demande porte sur le rejet de sa revendication qui, selon lui, serait fondé sur une conclusion de droit très contestable tirée par le commissaire M.L. Favreau de la Section de la protection des réfugiés.

 

[2]               La demande repose sur le témoignage du demandeur selon lequel il est un chrétien qui pratiquait sa religion en Chine avant de s’enfuir au Canada et qui a continué de la pratiquer depuis qu’il est au Canada. Le commissaire a exposé comme suit les circonstances entourant la demande d’asile du demandeur :

Le demandeur d’asile allègue avoir été initié au christianisme par un ami en septembre 2007. L’ami a recommandé le christianisme au demandeur d’asile parce qu’il voyait que ce dernier se sentait déprimé en raison des échecs qu’il avait connus dans ses relations. À la fin de septembre 2007, le demandeur d’asile a commencé à assister régulièrement à des services clandestins. En août 2008, le bureau de la sécurité publique (PSB) a fait une descente dans la maison‑église clandestine où le demandeur d’asile assistait à un service. Il a réussi à s’échapper et est immédiatement allé se cacher. Il prétend que des agents du PSB sont allés chez lui pour le chercher. Ceux‑ci ont dit à ses parents qu’ils avaient arrêté quatre membres de l’église et qu’ils demandaient que le demandeur d’asile se rende. Craignant d’être arrêté, le demandeur d’asile a eu recours aux services d’un passeur pour quitter la Chine et venir au Canada, pays où il a demandé l’asile.

 

(Décision, au paragraphe 2)

 

[3]               Cependant, dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, le commissaire a tiré une conclusion générale défavorable sur la crédibilité du demandeur, à savoir que non seulement ce dernier n’était pas un chrétien en Chine comme il l’alléguait, mais que cet élément de sa demande n’était formulé que pour appuyer une demande d’asile frauduleuse (paragraphe 15). Cette conclusion est fondée sur cinq facteurs : le témoignage incohérent du demandeur d’asile (paragraphe 11); l’absence d’éléments de preuve documentaire convaincants pour appuyer son allégation selon laquelle le PSB est à sa recherche en Chine (paragraphe 12); le fait que les agents du PSB n’ont pas laissé à ses parents de citation à comparaître ou de mandat, ni leur avaient montré ces documents, lorsqu’ils se sont présentés à leur domicile (paragraphe 13); l’allégation du demandeur selon laquelle la maison‑église qu’il fréquentait a fait l’objet d’une descente et que quatre membres ont été arrêtés et incarcérés n’est « n’est ni vraisemblable ni crédible » en ce qui a trait à la province du Guangdong; « [i]l est raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne ayant le profil religieux du demandeur d’asile ait une compréhension plus approfondie et large que ce dernier a des croyances centrales du christianisme » (paragraphe 7).

 

[4]               Bien que l’avocate du demandeur conteste la conclusion générale défavorable sur la crédibilité, le présent contrôle porte principalement sur la conclusion du commissaire que le fait que l’allégation du demandeur selon laquelle il était un chrétien en Chine a été jugée frauduleuse empêche celui‑ci d’établir sa « bonne foi », laquelle serait essentielle pour présenter une demande d’asile sur place en tant que chrétien au Canada. L’avocate du demandeur soutient que cette conclusion est fondée sur une mauvaise interprétation de la loi et qu’elle constitue une erreur de droit. Souscrivant à cet argument pour les motifs qui suivent, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que j’examine le fond de la conclusion défavorable sur la crédibilité pour annuler la présente décision.

 

[5]               Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, le commissaire énonce le droit comme suit :

[…] Les demandes d’asile doivent être présentées « de bonne foi ». À cet égard, R.P.G. Haines, président d’un tribunal d’appel sur le statut de réfugié, et A.G. Wang Heed, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ont en partie mentionné ce qui suit :

 

[traduction] S’il n’y avait pas d’exigence relative à la bonne foi sur place, l’appelant d’une décision sur le statut de réfugié aurait alors le moyen de déterminer unilatéralement de s’accorder le statut de réfugié. [Autorité d’appel en matière de statut de réfugié (Nouvelle‑Zélande), appel concernant une demande de statut de réfugié no 2254/94, concernant : HB 21 septembre 1994.

(www. Nzrefugeeappeals.govt.nz/pdfs/ref_199940921_2254.pdf).].

 

À cet égard, le tribunal cite le passage suivant, tiré de l’ouvrage de James Hathaway intitulé The Law of Refugee Status [la loi sur le statut de réfugié], qui porte sur les demandes d’asile présentées « sur place » : une personne qui, en guise de stratagème, manipule délibérément les circonstances dans le but de créer un véritable risque de persécution qui n’existait pas au préalable ne peut pas être réputée appartenir à cette catégorie [Hathaway, James, The Law of Refugee Status [la loi sur le statut de réfugié], 1991].

 

Après avoir conclu que le témoignage du demandeur d’asile concernant son appartenance religieuse en Chine n’est pas digne de foi, le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, et compte tenu de l’ensemble des constatations et des conclusions défavorables exposées ci‑dessus, la demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi.

 

Puisqu’il estime que la demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, et compte tenu des conclusions ci‑dessus, que le demandeur d’asile s’est joint à une église chrétienne au Canada à la seule fin d’appuyer une demande d’asile frauduleuse. À la lumière du contexte décrit ci‑dessus, de l’ensemble des éléments de preuve présentés et de l’étendue des connaissances du demandeur d’asile au sujet du christianisme, le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’est pas un véritable chrétien pratiquant et qu’il ne serait pas non plus perçu comme tel en Chine.

 

(Décision, aux paragraphes 16 à 19)

 

[6]               Dans Huang c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 205, au paragraphe 29, le juge Zinn a examiné une déclaration similaire et a fait deux remarques incidentes : le passage cité comme étant un extrait de l’ouvrage de M. Hathaway ne provient pas de cette source; il est en fait tiré d’une décision de la Nouvelle‑Zélande (voir : http://www.unhcr.org/refworld/country,,NZL_RSAA,,IRN,,3ae6b6910,0.html); l’opinion exprimée par M. Hathaway dans son ouvrage ne semble pas étayer la conclusion de la Commission. Puisque l’avocate du demandeur soutient qu’il n’existe en droit canadien des réfugiés aucune exigence de bonne foi relativement aux demandes d’asile sur place, je conclus que pour clarifier le droit applicable et bien saisir l’interprétation qu’en a faite le commissaire, il est nécessaire de procéder à une analyse détaillée des principes qui régissent les demandes d’asile sur place et d’examiner ensuite dans quelle mesure ils s’appliquent à la demande contrôlée en l’espèce. 

 

[7]               L’analyse des principes compte trois volets. 

 

[8]               Premièrement, puisque le commissaire s’appuie sur une déclaration isolée de l’ouvrage de M. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths, 1991), cette déclaration doit être examinée dans son contexte. Les extraits suivants, provenant des pages 29 à 39 de cet ouvrage, permettent de bien saisir le contexte global du concept de la demande d’asile sur place :

[traduction] Le premier élément du statut de réfugié au sens de la Convention exige que le demandeur d’asile se trouve à l’extérieur de son pays d’origine.

 

[…]

 

La définition du réfugié au sens de la Convention ne prévoit aucune distinction entre les personnes qui fuient leur pays afin d’éviter d’être persécutées et celles qui, alors qu’elles se trouvent déjà à l’étranger, décident qu’elles ne peuvent retourner dans leur pays d’origine ou qu’elles n’y retourneront pas parce qu’elles risquent d’y être persécutées. En vertu de cette exigence selon laquelle le demandeur d’asile « se trouve à l’extérieur de son pays de nationalité […] », la Convention protège les réfugiés sur place de la même façon qu’elle protège ceux qui traversent une frontière après que le risque de persécution se soit manifesté. Cette théorie est compatible avec la règle générale selon laquelle l’exigence territoriale de la définition de la Convention vise à identifier ces migrants involontaires à qui s’applique le droit international : qu’il soit déjà présent dans un État étranger ou qu’il y arrive, le demandeur d’asile peut manifestement bénéficier d’une protection contre le renvoi.

 

Habituellement, la demande d’asile sur place découle d’un changement important dans la situation du pays d’origine alors que le demandeur d’asile se trouve à l’étranger pour des raisons qui n’ont absolument rien à voir avec le besoin de protection. Au moment de quitter son pays, le demandeur avait peut‑être tout simplement l’intention de partir en vacances, d’étudier ou de faire des affaires à l’étranger, pour ensuite retourner chez lui. Si toutefois des événements survenus après son départ faisaient en sorte de l’exposer à un risque de préjudice grave à son retour, il pourrait demander l’asile en qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[…]

 

 

Une variante du cas type de la demande d’asile sur place découle de l’intensification importante de facteurs préexistants depuis que la personne a quitté son pays d’origine. Bien qu’ils se distinguent de ceux de la première catégorie du fait que le demandeur d’asile peut avoir eu connaissance d’événements troublants survenus dans son pays d’origine, ou même que ceux‑ci peuvent l’avoir incité à partir, ces cas se caractérisent par une escalade d’événements postérieurs au départ qui suffisent à exposer le demandeur à un risque raisonnable de persécution à son retour.

 

[…]

 

En plus d’être fondée sur de nouvelles circonstances ou sur une détérioration majeure des conditions préexistantes dans le pays d’origine, la demande d’asile sur place peut également reposer sur les activités du demandeur depuis qu’il a quitté son pays. Le droit international reconnaît que la personne qui, alors qu’elle se trouve à l’étranger, exprime des opinions ou se livre à des activités mettant en péril la possibilité qu’elle a de retourner sans danger dans son pays, peut être considérée comme un réfugié au sens de la Convention. Les questions clés sont de savoir si les activités auxquelles la personne s’est livrée à l’étranger sont susceptibles d’avoir attiré l’attention des autorités de son pays d’origine et, dans l’affirmative, comment ces activités seront vraisemblablement perçues et quelles réactions elles entraîneront.

 

[…]

 

Comme certains peuvent s’engager dans une activité d’opposition uniquement ou principalement dans l’intention de se mettre en danger, il y a lieu de s’inquiéter du fait que ces demandes d’asile incitent des personnes n’étant pas à protéger à en abuser. [Note de bas de page : Les réfugiés spontanés (bootstrap refugees) sont ceux qui n’avaient aucun problème dans leur pays d’origine avant leur départ, mais qui sont quand même partis, sont venus ici et ont décidé d’y rester. Dans sa forme la plus évidente, le réfugié spontané est celui qui, après avoir décidé de rester ici, fait une déclaration dans laquelle il dénonce le gouvernement de son pays d’origine, puis se sert immédiatement de cette déclaration pour étayer sa demande d’asile. Il est certain, selon lui, que si le gouvernement entend parler de cette déclaration, il le persécutera à son retour (D. Martin dans C. Sumpter, « Mass Migration of Refugees ‑ Law and Policy » (1982), 76 A.S.I.L.P. 13, à la page 15].

 

Cette préoccupation absolutiste concernant la possibilité de fraude ne tient pas compte du droit fondamental que tous ont de s’exprimer, de s’associer et de s’épanouir librement. « En toute logique, les visiteurs de l’étranger qui exercent leur droit de s’exprimer contre le gouvernement de leur pays d’origine, qui s’associent à des groupes d’opposition d’émigrants, ou qui se livrent par ailleurs à des activités légales que leur pays d’origine juge inappropriées, devraient être protégés contre leur renvoi dans les cas où ces actes les exposent à un risque grave de persécution. » Puisque l’expression volontaire d’une opposition à l’égard du pays d’origine est en soi clairement légale, toute réticence à reconnaître la validité d’une demande d’asile dans de telles circonstances « paralyse le droit de l’étranger à la liberté d’expression protégée par la Constitution. »

 

[…]

 

S’agissant des personnes qui ont choisi d’exercer des activités politiques dans leur pays d’origine, l’authenticité des opinions politiques qui sous‑tendent leur militantisme est en général tenue pour acquise. Cela paraît raisonnable, étant donné qu’il est peu probable qu’une personne se livre à des attaques de mauvaise foi contre son pays alors qu’elle est toujours sous son emprise. La capacité de l’État à contrôler et à punir est un indicateur d’authenticité. Par contre, il est possible que la personne qui se trouve hors de la portée de son pays d’origine ne soit pas soumise à un tel mécanisme de contrôle automatique et efficace. Il est donc plus facilement concevable qu’elle adopte une position dissidente dans le seul but d’étayer frauduleusement sa demande d’asile [voir la note de bas de page ci‑dessous] et qu’elle n’exprime alors pas une opinion politique au sens prescrit. Le problème consiste donc à tenir compte de cette divergence réelle dans la preuve sans écarter du revers de la main les besoins de protection de la personne qui exprime des convictions sincères alors qu’elle se trouve à l’extérieur de son pays d’origine.

 

[Note de bas de page : « Le droit d’asile protège ceux qui, de bonne foi, ont besoin d’être protégés contre la persécution. Cette protection n’est pas censée s’appliquer à ceux qui font des déclarations politiques dans le seul but de se faire reconnaître la qualité de réfugiés » (non souligné dans l’original). K. Petrini, « Basing Asylum Claims on a Fear of Persecution Arising from a Prior Asylum Claim » (1981), 56 Notre Dame Lawyer 719, page 729.]

 

Il ne s’ensuit pas toutefois que tous ceux dont les activités à l’étranger n’expriment pas véritablement leur dissidence politique sont exclus de la définition de réfugié. Même s’il est évident que la déclaration ou l’acte délibéré était frauduleux, en ce sens qu’il s’expliquait principalement par la volonté d’obtenir l’asile, le fait que, pour cette raison, le demandeur d’asile se soit vu imputer une opinion politique dissidente par les autorités de son pays d’origine peut néanmoins faire en sorte qu’il soit visé par la définition de réfugié au sens de la Convention. Étant donné que le droit des réfugiés a pour objet principal d’assurer une protection contre les actes abusifs de l’État, il convient de procéder à un examen des préjudices auxquels s’expose le demandeur en cas de retour, du fait qu’il s’est livré à des activités politiques non authentiques pendant qu’il était l’étranger.

 

Cette question est particulièrement pertinente lorsqu’il est allégué que le fait d’avoir présenté une demande d’asile non fondée peut en soi poser un risque sérieux de persécution. Même s’il peut s’agir du cas le plus évident de « demande d’asile spontanée », le tribunal doit néanmoins reconnaître clairement, et les apprécier, les risques de violation des droits fondamentaux auxquels s’expose le demandeur d’asile en cas de retour, du fait que l’État lui impute une opinion politique jugée inacceptable. Il est possible que le simple fait que le demandeur d’asile puisse d’une certaine façon être pénalisé ne soit pas suffisamment grave pour qu’il s’agisse de persécution, mais il existe de toute évidence des cas où les conséquences d’un retour peuvent être considérées comme donnant lieu à une crainte bien fondée de persécution. Par exemple, dans l’affaire Slawomir Krzystof Hubicki, la preuve démontrait que, en vertu du droit criminel polonais de l’époque, le demandeur d’asile était passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de huit ans parce qu’il avait présenté une demande d’asile au Canada. En pareille situation, le fondement de la demande n’est pas l’activité frauduleuse, ou les propos eux‑mêmes, mais plutôt l’opinion politique ou la déloyauté imputée au demandeur d’asile par l’État d’origine. Dans un tel cas, la gravité du préjudice qui en découle et les autres critères définitionnels devraient être évalués pour déterminer si le statut de réfugié est justifié.

 

[Notes en bas de page omises, sauf lorsqu’elles sont indiquées.] [Non souligné dans l’original.]

 

[9]               Deuxièmement, en ce qui concerne la conversion religieuse à l’étranger comme fondement d’une demande d’asile, le document de l’UNHCR intitulé « Principes directeurs sur la protection internationale : Demandes d’asile fondées sur la religion au sens de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 Convention et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés », daté du 28 avril 2004, que l’avocate du défendeur a cité à l’audience de la présente demande, aborde des considérations clés, aux paragraphes 34 à 36 :

Lorsque des personnes se convertissent après leur départ de leur pays d’origine, cela peut avoir l’effet de créer une demande « sur place ». Dans de telles situations, des préoccupations particulières en terme de crédibilité ont tendance à émerger et un examen rigoureux et approfondi des circonstances et de la sincérité de la conversion sera nécessaire. Les questions que l’agent instructeur devra examiner incluent la nature et la connexion entre les convictions religieuses défendues dans le pays d’origine et celles défendues aujourd’hui, toute critique vis‑à‑vis de la religion suivie dans le pays d’origine, par exemple en raison de sa position sur les questions de genre ou d’orientation sexuelle, la façon dont le demandeur a été sensibilisé à la nouvelle religion dans le pays d’accueil, son expérience de cette religion, son état psychologique et l’existence de preuves corroborant son implication et son appartenance à la nouvelle religion.

 

Les circonstances spécifiques au pays d’accueil de même que le cas individuel peuvent justifier des investigations plus poussées de certaines demandes. Lorsque, par exemple, des conversions systématiques et organisées sont menées par des groupes religieux locaux dans le pays d’accueil dans l’objectif d’accéder à des possibilités de réinstallation, et/ou lorsque l’« entraînement » ou la « protection » des demandeurs est monnaie courante, tester les connaissances apporte peu. La personne faisant passer l’entretien aura plutôt besoin de poser des questions ouvertes et d’essayer de découvrir les motivations de la conversion et l’effet que celle‑ci a eu sur la vie du demandeur. La question reste cependant de savoir si la personne concernée aurait une crainte fondée de persécution pour un motif de la Convention en cas de retour. Il faut donc tenir compte de la probabilité que la conversion soit portée à la connaissance des autorités du pays d’origine de l’intéressé et de la manière dont ces autorités la percevraient probablement. Des informations détaillées sur les pays d’origine sont nécessaires pour déterminer si une crainte de persécution est objectivement fondée.

 

Des activités soi‑disant « intéressées » ne créent pas de crainte fondée de persécution pour un motif de la Convention dans le pays d’origine du demandeur si la nature opportuniste de ces activités est évidente pour tous, y compris pour les autorités du pays, et que le retour de l’intéressé n’avait pas des conséquences négatives graves. Quelles que soient les circonstances, il faut cependant prendre en considération les conséquences du retour dans le pays d’origine et tout danger potentiel pouvant justifier le statut de réfugié ou un (sic) forme complémentaire de protection. Dans le cas où la demande est considérée comme intéressée mais où le demandeur a néanmoins une crainte fondée de persécution en cas de retour, une protection internationale est nécessaire. Lorsque la nature opportuniste de l’action est cependant clairement apparente, cela peut peser lourd dans la balance lors de l’examen des solutions durables potentielles disponibles dans ces cas de même que, par exemple, le type de titre de séjour.

 

[Notes de bas de page omises.] [Non souligné dans l’original.]

 

[10]           Troisièmement, l’application des principes juridiques mis de l’avant dans les extraits de l’étude de M. Hathaway et du document de l’UNHCR doit reposer avant tout sur l’idée que les demandeurs d’asile disent la vérité. Comme l’a fait valoir l’avocate du défendeur dans la présente demande de contrôle judiciaire, cette exigence ressort clairement de l’article 16 de la LIPR :

L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

[11]           L’étape suivante de l’analyse consiste à déterminer dans quelle mesure les principes s’appliquent à la demande d’asile du demandeur compte tenu de la conclusion du commissaire.

 

[12]           Le demandeur a présenté une demande d’asile en tant que chrétien. Son récit révèle ceci : il pratiquait le christianisme en Chine ; il s’est caché en Chine après que le PSB eut effectué une descente à la maison‑église qu’il fréquentait; il s’est enfui au Canada; il a continué à pratiquer sa religion au Canada; il a présenté sa demande d’asile. Il n’est pas contesté pas que les chrétiens sont depuis longtemps persécutés en Chine. Dans ces circonstances, la demande d’asile du demandeur peut à bon droit être considérée comme une demande d’asile sur place. Il s’agit d’une demande d’asile pure et simple qui doit être examinée en fonction des éléments de preuve présentés.

 

[13]           Il ressort clairement de l’examen des principes du droit des réfugiés que nous venons d’effectuer que l’expression « de bonne foi » est directement liée et limitée au principe voulant que même si une personne présente une demande d’asile frauduleuse alors qu’elle se trouve à l’étranger, l’asile peut lui être accordé si les autorités de son pays d’origine prennent des mesures contre elle à son retour simplement parce qu’elle présenté une demande. Pour cette raison, je conclus que la notion de « bonne foi » n’est pas pertinente pour la demande d’asile du demandeur. Aucune preuve directe n’indique que le demandeur a présenté une demande d’asile frauduleuse en tant que personne qui s’est convertie au christianisme au Canada. Rien non plus n’indique que les autorités chinoises estimeraient que le demandeur a présenté une demande d’asile frauduleuse au Canada, et que, simplement pour cette raison, cela aurait pour lui des conséquences fâcheuses s’il retournait en Chine.

 

[14]           Le commissaire pouvait certes tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité quant à certains éléments de la demande d’asile du demandeur après avoir examiné l’ensemble de la preuve, et rejeter la demande en conséquence, mais ce n’est pas l’approche qui a été adoptée. Je conclus que la demande d’asile du demandeur a été rejetée parce que le commissaire a commis une erreur dans l’interprétation et l’application de l’expression « de bonne foi » mentionnée dans la règle de droit. Il est utile de répéter que la décision repose sur les passages suivants :

Les demandes d’asile doivent être présentées « de bonne foi ».

 

[…]

 

Après avoir conclu que le témoignage du demandeur d’asile concernant son appartenance religieuse en Chine n’est pas digne de foi, le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, et compte tenu de l’ensemble des constatations et des conclusions défavorables exposées ci‑dessus, la demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi.

 

Puisqu’il estime que la demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, et compte tenu des conclusions ci‑dessus, que le demandeur d’asile s’est joint à une église chrétienne au Canada à la seule fin d’appuyer une demande d’asile frauduleuse. À la lumière du contexte décrit ci‑dessus, de l’ensemble des éléments de preuve présentés et de l’étendue des connaissances du demandeur d’asile au sujet du christianisme, le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’est pas un véritable chrétien pratiquant et qu’il ne serait pas non plus perçu comme tel en Chine.

 

Ces passages révèlent qu’en rejetant le témoignage du demandeur concernant ce qui s’était produit en Chine, le commissaire estimait que, sur le plan juridique, la notion de « bonne foi » s’appliquait, ce qui lui permettait de rejeter la demande d’asile sur place du demandeur en tant que chrétien au Canada. Je conclus que les passages révèlent l’existence d’une conclusion de droit erronée. À mon avis, la déclaration du commissaire selon laquelle la conclusion relative à la « bonne foi » était tirée dans le contexte d’autres conclusions défavorables ne diminue en rien l’incidence de la conclusion de droit erronée.

 

[15]           L’avocate de défendeur soutient que la décision du commissaire peut néanmoins être sauvegardée par l’argument suivant :

[traduction] Il ressort des décisions Ejtehadian c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [2007 CF 158, au paragraphe 11], Ghasemiam c Canada (MCI) [2003 CF 1266], et Mohajery c Canada (MCI) [2007 CF 185], que même si un demandeur d’asile n’est pas de bonne foi, le tribunal doit quand même se demander s’il serait exposé à un risque de persécution à son retour.

 

La SPR a déclaré que, nonobstant sa décision sur la question de savoir si la demande d’asile du demandeur était présentée de bonne foi, elle reconnaissait que les lois concernant les réfugiés sont tournées vers l’avenir. Elle a suivi les principes énoncés dans Ejtehadian et s’est demandé si, dans l’hypothèse où le demandeur devait retourner pratiquer le christianisme dans la province du Guangdong, la demande d’asile sur place serait bien fondée.

 

(Mémoire supplémentaire du défendeur, aux paragraphes 4 et 5)

 

 

[16]           Pour apprécier correctement cet argument, il me faut examiner les déclarations du commissaire qui sont citées au paragraphe 14 ci‑dessus, de même que celles qui figurent immédiatement après, sous le titre « Situation des chrétiens dans la province du Guangdong » :

Malgré la décision qu’il vient de prendre, le tribunal reconnaît que les lois concernant les réfugiés sont tournées vers l’avenir. À cet égard, le tribunal a examiné la question de savoir s’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté s’il choisissait de continuer à pratiquer le christianisme au sein d’une église non enregistrée en Chine.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, au paragraphe 20)

 

 

[17]           La demande d’asile du demandeur est fondée sur la preuve indiquant qu’il est chrétien. Le commissaire n’a pas cru le demandeur et a recouru au concept juridique de la bonne foi pour rejeter sa demande d’asile. J’ai conclu au paragraphe 13 ci‑dessus que la notion de « bonne foi » n’était pas pertinente pour la demande d’asile du demandeur; la question a été soulevée dans le cadre d’un recours reposant sur la conclusion de fait que la demande d’asile n’est pas et n’a jamais été fondée parce qu’elle est frauduleuse. Or, outre cette erreur de droit, la conclusion défavorable quant à la crédibilité demeure l’élément clé de la décision du commissaire. Le commissaire a tiré la conclusion de fait que le demandeur « n’[était] pas un véritable chrétien pratiquant et qu’il ne serait pas non plus perçu comme tel en Chine. » À mon avis, cette déclaration met un terme final à la revendication du demandeur; il n’y a rien d’autre à ajouter. Il en est ainsi parce qu’aucun fondement factuel ne permet d’examiner la question de la possibilité que le demandeur soit persécuté ou de la probabilité qu’il soit exposé à un risque s’il devait retourner en Chine. Le commissaire a néanmoins procédé à une analyse subsidiaire pour le cas où le demandeur déciderait de continuer à pratiquer la religion chrétienne dans une église clandestine en Chine. La déclaration est illogique : comment le demandeur peut‑il continuer à pratiquer la religion chrétienne alors qu’il a été déclaré qu’il n’était pas chrétien? Pour ces motifs, j’estime que l’analyse effectuée par le commissaire, « malgré sa décision », est purement hypothétique et, par conséquent, non pertinente. En conséquence, compte tenu du fond de la décision du commissaire, je rejette l’argument de l’avocate du défendeur.

 

[18]           L’avocate du défendeur propose la question suivante aux fins de certification :

[traduction] La SPR commet‑elle une erreur susceptible de révision en se demandant si la demande d’asile d’un requérant est présentée de bonne foi, alors qu’elle poursuit l’examen du bien‑fondé de la demande d’asile sur place?

 

Et en réponse, l’avocate du demandeur propose la question suivante aux fins de certification :

[traduction] En droit canadien, la bonne foi est‑elle déterminante pour à une demande d’asile sur place?

 

 

[19]           Compte tenu des conclusions auxquelles je suis arrivé en l’espèce, et puisqu’aucune des questions proposées n’est déterminante pour la présente demande, je conclus que les deux questions ne se prêtent pas à la certification.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à un nouvel examen.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6232‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  SHAO RONG HU c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 avril 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lindsey Weppler

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.